Décisions
CA Douai, ch. 1 sect. 2, 28 septembre 2023, n° 21/05772
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 28/09/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/05772 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T6QI
Jugement (N° 20/03380)
rendu le 30 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune
APPELANTS
Monsieur [YW] [P]
né le 03 mars 1954 à [Localité 8]
Madame [T] [Y] épouse [P]
née le 21 octobre 1955 à [Localité 13]
[Adresse 5]
[Localité 8]
représentés par Me Hortense Fontaine, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué aux lieu et place de Me Mélanie Pas, avocat
INTIMÉE
La SCI [Adresse 14]
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 9]
représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Coralie Rembert, avocat au barreau de Béthune, avocat plaidant
DÉBATS à l'audience publique du 30 Mai 2023, tenue par Véronique Galliot magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Anaïs Millescamps
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Courteille, président de chambre
Jean-François Le Pouliquen, conseiller
Véronique Galliot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023 après prorogation du délibéré en date du 07 septembre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Courteille, président et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 mai 2023
****
Vu le jugement du tribunal judiciaire de Béthune du 30 septembre 2021,
Vu la déclaration d'appel de M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P], reçue au greffe le 15 novembre 2021,
Vu les conclusions de M. et Mme [P] déposées au greffe le 6 juillet 2022,
Vu les conclusions de la SCI [Adresse 14] déposées au greffe le 13 avril 2022,
Vu l'ordonnance de clôture du 2 mai 2023,
EXPOSE DU LITIGE
Par acte d'huissier du 25 novembre 2017, M. [YW] [P] a fait assigner la SCI [Adresse 14] devant le tribunal judiciaire de Béthune afin de se voir reconnaître la qualité de propriétaire par effet de l'usucapion des parcelles sises [Adresse 1] cadastrée AE [Cadastre 6] et [Adresse 3] cadastrée AE [Cadastre 7] à [Localité 8].
Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Béthune a :
déclaré recevable l'intervention volontaire de Mme [T] [Y] épouse [P] dans la présente instance ;
déclaré irrecevables les prétentions formulées par M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] ;
dit qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur le fond de leurs demandes principales ;
débouté la SCI [Adresse 14] de sa demande reconventionnelle indemnitaire dirigée contre M. et Mme [P] ;
rejeté toutes demandes plus amples ou contraires ;
dit que M. et Mme [P] supporteront les entiers dépens de la procédure ;
les a condamnés à payer à la SCI [Adresse 14] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
dit qu'ils supporteront leurs propres frais irrépétibles ;
dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées au greffe le 6 juillet 2022, M. et Mme [P] demandent à la cour de :
réformer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- déclaré irrecevables leurs prétentions ;
- dit qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur le fond de leurs demandes principales ;
- dit qu'ils supporteront les entiers dépens de la procédure ;
- les a condamnés à payer à la SCI [Adresse 14] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit qu'ils supporteront leurs propres frais irrépétibles.
Et par conséquent et statuant à nouveau :
les dire et juger propriétaires par l'effet de l'usucapion des parcelles sises :
-[Adresse 1] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 6], pour 6 ares et 44 ca ;
-[Adresse 3] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 7], pour 7 ares et 35 ca ;
-ainsi des constructions, plantations et ouvrages s'y trouvant sur le fondement de l'accession ;
ordonner la publication de la décision à intervenir au service de la publicité foncière compétent aux frais avancés de la SCI [Adresse 14], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;
condamner la SCI [Adresse 14] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et à la même somme en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel ;
débouter la SCI [Adresse 14] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions et de son appel incident ;
la dire irrecevable en sa demande tendant à ce qu'il soit prononcé leur expulsion ; l'annexe du tribunal judiciaire de Béthune étant seul compétent ;
reconventionnellement, la condamner au paiement de la somme de 476 euros pour mémoire avec intérêts de retard au taux légal à compter de la décision à intervenir ;
le cas échéant, la condamner au paiement des sommes de 40 000 euros sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
confirmer le jugement dont appel pour le surplus.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 13 avril 2022, la SCI [Adresse 14] demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de celle par laquelle elle a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
Si par extraordinaire, l'action des époux [P] devait être déclarée recevable ;
constater l'inaliénabilité des parcelles dont il est revendiqué l'usucapion ;
constater que M. et Mme [P] ne justifient ni d'une possession paisible publique continue et non équivoque ;
En conséquence,
débouter M. et Mme [P] de l'intégralité de leurs demandes ;
Par infirmation de la décision entreprise,
condamner M. et Mme [P] à lui payer une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
condamner M. et Mme [P] à lui payer une somme de 5 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, la décision de première instance ;
les condamner aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l'audience et rappelées ci-dessus.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la demande de M. et Mme [P] :
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Aux termes de l'article 2272 du même code, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.
L'article 2265 du code civil dispose que pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux.
M. et Mme [P] sollicitent l'infirmation du jugement rendu en première instance en ce qu'il a déclaré leur action irrecevable. Ils soutiennent que leur action est fondée sur la théorie de l'usucapion concernant les terrains. Ils précisent que l'accession n(a été évoquée en première instance que pour les constructions sur les terrains litigieux.
La SCI [Adresse 14] soutient que la demande de M. et Mme [P] est irrecevable en ce qu'ils ne démontrent pas leur dévolution successorale s'agissant des deux parcelles et qu'ils n'apportent pas aux débats d'attestations de dévolution successorale établies lors des décès des ascendants.
****
[G] et [E] [L] ont eu une fille Mme [C] [L]. Cette dernière a eu avec M. [N] [U] cinq enfants, dont Mme [C] [TV] [U].
Mme [C] [TV] [U], mariée à M. [VG] [P], a eu un fils M. [YW] [P], auteur de la présente action, né en 1954 à [Adresse 12], qui lui-même a eu quatre enfants: Mme [X] [P], M. [NV] [P], Mme [O] [P] et M. [PG] [P].
S'agissant de la parcelle située au n°10, M. et Mme [P] produisent un acte sous seing privé du 8 janvier 1958 dans lequel il est précisé que M. [N] [U], M. [FY] [U], M. [J] [U], Mme [R] [U] et Mme [Z] [U] ont vendu à M. [VG] [P], époux de Mme [C] [U], « un baraquement de quatre pièces érigé à [Adresse 11] ». Aucune adresse n'est mentionnée.
Or, M. [N] [U] était le père de [C] [U] épouse [P] et M. [FY] [U], M. [J] [U], Mme [R] [U] et Mme [Z] [U] étaient les frères et s'urs de M. [N] [U]. Il ressort de l'arbre généalogique produit par M. et Mme [P] que M. [N] [U] avait également trois autres frères [B], [S] et [SJ]. Néanmoins, aucune pièce apportée au débat permet de déterminer leur date de décès, ce qui expliquerait leur absence lors de la rédaction de l'acte de 1958. Ainsi, Mme [C] [U] épouse [P] avait bien vocation à recueillir la succession de [N] [U] en l'absence de testament.
S'agissant de la parcelle située au n°12, M. et Mme [P] invoquent un acte sous seing privé du 8 mars 1978 dans lequel Mme [C] [U] épouse [P], Mme [VZ] [U] épouse [K] et Mme [M] [U] épouse [EM] indiquent avoir cédé à M. et Mme [P]-[Y] le baraquement occupé par leur mère. Aucune adresse n'est mentionnée. Mme [VZ] [U] épouse [K] et Mme [M] [U] épouse [EM] sont les s'urs de Mme [C] [U] épouse [P]. Mme [C] [U] épouse [P] avait également deux frères, [N] et [V], mais décédés avant 1978 raison pour laquelle ils ne figuraient pas sur l'acte.
Il est bien produit l'acte de naissance de M. [YW] [P], le livret de famille de ses parents, M. [VG] [P] et Mme [C] [U].
Ainsi, la dévolution successorale de M. [YW] [P] est bien démontrée.
La qualité à agir de M. [YW] [P] est donc bien démontrée et l'action de M. et Mme [YW] [P] est recevable. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'usucapion de M. et Mme [P] :
M. et Mme [P] sollicitent de se voir reconnaître la qualité de propriétaire par effet de l'usucapion des parcelles sises [Adresse 1] cadastrée AE [Cadastre 6] et [Adresse 3] cadastrée AE [Cadastre 7] à [Localité 8] en ce qu'elles sont occupées par leurs ascendants depuis 1936 pour la parcelle sises [Adresse 3] cadastrée AE [Cadastre 7].
La SCI [Adresse 14] conteste l'usucapion invoquée par M. et Mme [P], en ce qu'elle indique avoir acquis les parcelles litigieuse par acte notarié du 23 décembre 2002 des héritiers de Messieurs [I] et [MJ] [FF], qui étaient devenus propriétaires des dites parcelles suivant la grosse d'un arrêt de la cour d'appel de Douai du 24 novembre 1982 (acte publié à la conservation des hypothèques de Béthune le 7 octobre 1993).
Selon l'article 2258 du code civil la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.
L'article 2261 du même code précise que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire.
Aux termes de l'article 552 du code civil la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.
Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu'il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre ' Des servitudes ou services fonciers '.
Il appartient à M. et Mme [P] qui invoquent la prescription trentenaire, de justifier d'une possession publique, paisible, continue et ininterrompue, non équivoque et à titre de propriétaire.
A titre liminaire, il sera ainsi rappelé que la propriété peut s'acquérir par prescription et qu'il est toujours possible, contrairement aux affirmations de la SCI [Adresse 14], de prescrire contre un titre.
Sur la parcelle située au [Adresse 1] cadastrée AE [Cadastre 6]
M. et Mme [P] invoquent un acte sous seing privé du 8 mars 1978 dans lequel Mme [C] [U] épouse [P], Mme [VZ] [U] épouse [K] et Mme [M] [U] épouse [EM] indiquent avoir cédé à M. et Mme [P]-[Y] le baraquement occupé par leur mère. Aucune adresse n'est mentionnée.
Si la SCI [Adresse 14] invoque l'inopposabilité de l'ensemble des actes apportés aux débats par M. et Mme [P], il sera rappelé que la cour peut rechercher dans ces derniers les renseignements de nature à éclairer sa décision.
M. et Mme [P] font valoir que cette parcelle est occupée par leur famille depuis 1936, sur laquelle y a été édifiée une habitation. A ce titre, ils font valoir qu'elle a été occupée :
de 1936 à 1977, par M. [N] [U] et Mme [C] [L] épouse [U] (les grands-parents de M. [P]) : à ce titre, ils justifient d'une attestation de Mme [D] [F], une habitante d'une parcelle voisine, qui affirme que ses grands-parents et elle-même, à partir de 1967, ont côtoyé leurs voisins M. [N] [U] et Mme [C] [L] [U] habitant à la parcelle située au [Adresse 1],
de 1977 à 1978, par Mme [C] [L] épouse [U] ;
de 1978 à 1982 par M. et Mme [P] eux-mêmes suite à l'acquisition en 1978 de la parcelle de Mme [C] [U] épouse [P] (mère de M. [P]) ;
de 1982 à 1994, par divers locataires : ils justifient des baux (actes notariés) des 19 avril 1983, 8 octobre 1984, 29 octobre 1987 suite à une courte période de travaux, par leurs enfants.
Il est produit plusieurs attestations de voisins indiquant que la famille [C] [U] et [C] [P] occupent « depuis toujours » les parcelles litigieuses et les entretiennent, ce qui est d'ailleurs confirmé par les photographies produites par les appelants.
Ils produisent également les avis de taxe d'habitation adressés à M. et Mme [YW] [P] pour le [Adresse 2], des années 1978, 1979, 1980, 1982 ainsi que les avis de taxe foncière de 1982 à 1994, de 1997, de 2001 à 2009, de 2014 à 2016 adressés à M. [YW] [P].
Les taxes d'habitation de 2001 à 2014 sont adressées à Mme [O] [P] et son époux M. [DU] [A].
Il est également justifié de la taxe additionnelle au droit au bail de 1982, 1983, 1984, 1987, 1988, 1990, 1993.
Si comme le souligne la SCI [Adresse 14], les baux d'habitation produits aux débats s'agissant du [Adresse 2] mentionnent « une maison d'habitation en bois et en briques, comprenant deux chambres, salle, salon, cuisine, WC, grenier, jardin et dépendant le tout sur 3a 50ca environ », alors que la parcelle cadastrée AE [Cadastre 6] située au [Adresse 1] a une superficie de 6 a 44 ca, cela n'implique pas la possession des lieux de manière équivoque par M. et Mme [P].
Sur la parcelle située au [Adresse 3] cadastrée AE [Cadastre 7]
M. et Mme [P] invoquent deux actes :
un acte sous seing privé du 8 janvier 1958 dans lequel il est précisé que M. [N] [U], M. [FY] [U], M. [J] [U], Mme [R] [U] et Mme [Z] [U] ont vendu à M. [VG] [P], époux de Mme [C] [U], « un baraquement de quatre pièces érigé à [Adresse 11], sur un terrain communal ». Aucune adresse n'est mentionnée ;
un acte sous seing privé du 15 décembre 2012 dans lequel il est indiqué que M. [YW] [P], M. [VG] [P], Mme [H] [XK]- [P] et Mme [W] [LR]-[P] « cèdent la maison au [Adresse 3] occupé antérieurement par notre mère Mme [C] [P]-[U] pour le prix de 10 000 € à M. et Mme [P] [Y] [YW] ». Cet acte dactylographié n'est pas signé.
Il est également produit les avis de taxe d'habitation de 1974 à 1983 et de 2012 à 2019 ; ainsi que les avis de taxe foncière de 1983 à 2008, et de 2014 à 2016, 2018 et de 2020. Ils étaient tous adressés à Mme [C] [U], veuve de M. [VG] [P]. Il sera rappelé que, conformément à l'article 2265 du code civil, pour compléter la prescription, il est possible de joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé.
Ainsi, c'est à tort que la SCI [Adresse 14] affirme qu'aucune taxe d'habitation n'a été payée entre 2006 et 2017, ni de taxe foncière entre 2008 et 2017. Il paraît, par ailleurs, surprenant que la SCI [Adresse 14] ne se soit pas inquiétée du paiement de la taxe foncière depuis 2002, date de l'acquisition.
Par ailleurs, si effectivement le seul paiement des taxes ne peut suffire à justifier une possession continue et non interrompue, il s'agit d'un élément à prendre en compte. En outre, le fait que le montant des impôts locaux produits aux débats ne correspondent pas à la valeur locative des biens litigieux n'exclut pas la prescription acquisitive de ces parcelles.
Ils produisent également une pétition du 5 novembre 1993 dans laquelle les riverains de la rue des bruyères se plaignent au maire du mauvais état de la route.
Ces éléments sont de nature à établir le caractère continu, paisible et public des possessions invoquées.
Pour prescrire utilement, doit également être caractérisé un élément intentionnel, la possession doit être non équivoque et à titre de propriétaire.
Les taxes additionnelles au droit au bail produites au débat mentionnent M. [YW] [P] en qualité de propriétaire.
De plus, M. et Mme [P] justifient deux factures : l'une du 20 mars 1974 relatif au branchement d'eau et l'autre du 11 février 1996 relative au raccordement au réseau d'égout.
Il est également produit deux courriers : l'un du 27 avril 1995 de la Mairie de [Localité 8] informant M. [YW] [P] que suite à son courrier, les travaux d'assainissement de la rue ont été votés à l'unanimité, l'autre du 10 mars 1996 du centre d'amélioration du logement de [Localité 10] notifiant à M. [YW] [P] la remise d'un chèque de 787 francs au titre de la subvention accordée par l'agence de l'eau Artois Picardie au titre de la conformité des travaux de raccordement à l'égout.
Ainsi, M. et Mme [P] justifient avoir occupé, entretenu les lieux à titre de propriétaires de manière continue, paisible, apparente et non équivoque.
En outre, la SCI [Adresse 14] soutient que les parcelles litigieuses appartenaient à la commune de [Localité 8] et étaient donc inaliénables et imprescriptibles. Elle fait valoir qu'elle ont été donnés à bail selon actes en date des 9 et 23 mai 1956 aux consorts [FF], avec la faculté d'acquérir le bien aux termes d'une période de neuf années de location.
Il ressort de l'arrêt rendu par la cour de céans le 2 septembre 1993, que les consorts [FF] se sont vu céder les parcelles litigieuses pour un prix à fixer par expertise amiable ou judiciaire à l'issue d'un bail conclu pour 18 années. Un contentieux a eu lieu sur le prix de ces parcelles et les offres faites. Néanmoins, la SCI [Adresse 14] n'apporte aucun élément permettant de démontrer que lesdits terrains étaient affectés à l'usage direct du public ou affectés à un service public.
Il résulte de ces éléments que le terrain communal faisait partie du domaine privé de la commune de [Localité 8], de sorte qu'il était cessible et prescriptible. Ainsi, ce moyen de la SCI [Adresse 14] sera écarté.
Par ailleurs, la SCI [Adresse 14] soutient que les actes dont se prévaut M. et Mme [P] portent uniquement sur des baraquements et non des maisons, qu'aucun permis de construire n'est apporté au débat et qu'ainsi, ils ne peuvent pas invoquer la possession des parcelles. Or, si effectivement, il s'agit bien de baraquements qui ont été cédés en 1958 et 1978, force est de constater que ceux-ci étaient sur les parcelles litigieuses ce qui permet d'apporter des éléments confortant la possession de ces dernières. En outre, les taxes foncières apportées au débats (à partir de 1982) portent sur des terrains bâtis, ce qui suppose qu'une maison était bien construite sur les parcelles litigieuses.
De surcroît, l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 24 novembre 1982 dont se prévaut la SCI [Adresse 14] ne mentionne pas le numéro de cadastre du terrain mais précise qu'il est d'une dimension de 8ha 56 ca alors que les deux parcelles litigieuses font, à elles deux 13a 70 ca. Il ressort du jugement du tribunal de grande instance de Béthune du 4 octobre 1976 qu'il est fait état du lieu-dit « les bruyères », mais il n'est pas mentionné d'adresse précise ni le cadastre des parcelles, objets du litige. Or, il s'avère que dans ce lieu-dit, il y avait plusieurs habitations et parcelles.
Ainsi, il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. et Mme [P] apportent bien la preuve d'une possession qui revêt les critères de l'article 2261 du code civil. Ils sont donc propriétaires par l'effet de l'usucapion des parcelles sises [Adresse 1] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 6], pour 6 ares et 44 ca et [Adresse 3] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 7], pour 7 ares et 35 ca ;
Par ailleurs, conformément à l'article 552 du code civil, M. et Mme [P] sont également propriétaires des constructions, plantations et ouvrages se trouvant sur le fondement de l'accession.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Il y lieu d'ordonner la publication de la présente décision au service de la publicité foncière compétent.
M. et Mme [P] demandent également à la cour :
reconventionnellement, de condamner la SCI [Adresse 14] au paiement de la somme de 476 euros pour mémoire avec intérêts de retard au taux légal à compter de la décision à intervenir ;
le cas échéant, de condamner la SCI [Adresse 14] au paiement des sommes de 40 000 euros sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
Or, aucun moyen n'est développé dans le corps des corps à l'appui de ses prétentions. Il y a donc lieu de les rejeter.
M. et Mme [P] sollicitent enfin à la cour de dire la SCI [Adresse 14] irrecevable en sa demande tendant à ce qu'il soit prononcé leur expulsion. Or, la SCI [Adresse 14] ne formule pas une telle prétention. Il y a donc lieu de rejeter cette demande de M. et Mme [P].
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Compte tenu de la décision faisant droit à la demande de M. et Mme [P], la demande de dommages et intérêts de la SCI [Adresse 14] pour procédure abusive sera rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera infirmé de ce chef.
La SCI [Adresse 14], perdante en appel, sera condamnée à payer à M. et Mme [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, pour les frais engagés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Béthune du 30 septembre 2021 en ce qu'il a :
déclaré irrecevables les prétentions formulées par M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] ;
dit qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur le fond de leurs demandes principales ;
dit que M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] supporteront les entiers dépens de la procédure ;
les a condamnés à payer à la SCI [Adresse 14] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
dit qu'ils supporteront leurs propres frais irrépétibles ;
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Béthune du 30 septembre 2021 en ce qu'il a débouté la SCI [Adresse 14] de sa demande reconventionnelle indemnitaire dirigée contre M. et Mme [P];
Statuant à nouveau :
DIT que M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] sont propriétaires par l'effet de l'usucapion des parcelles sises :
-[Adresse 1] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 6], pour 6 ares et 44 ca ;
-[Adresse 3] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 7], pour 7 ares et 35 ca ;
- ainsi que des constructions, plantations et ouvrages s'y trouvant sur le fondement de l'accession ;
ORDONNE la publication du présent arrêt au service de la publicité foncière compétent, à l'initiative de la partie la plus diligente,
REJETTE les demandes de M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] de :
ordonner la publication de l'arrêt aux frais avancés de la SCI [Adresse 14], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir
condamner la SCI [Adresse 14] au paiement de la somme de 476 euros pour mémoire avec intérêts de retard au taux légal à compter du présent arrêt
condamner la SCI [Adresse 14] au paiement des sommes de 40 000 euros sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
CONDAMNE la SCI [Adresse 14] à payer à M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la SCI [Adresse 14] formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCI [Adresse 14] aux entiers dépens, au titre des frais engagés en première instance et en appel.
Le greffier
Anaïs Millescamps
Le président
Catherine Courteille
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2
ARRÊT DU 28/09/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/05772 - N° Portalis DBVT-V-B7F-T6QI
Jugement (N° 20/03380)
rendu le 30 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Béthune
APPELANTS
Monsieur [YW] [P]
né le 03 mars 1954 à [Localité 8]
Madame [T] [Y] épouse [P]
née le 21 octobre 1955 à [Localité 13]
[Adresse 5]
[Localité 8]
représentés par Me Hortense Fontaine, avocat au barreau de Béthune, avocat constitué aux lieu et place de Me Mélanie Pas, avocat
INTIMÉE
La SCI [Adresse 14]
prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 9]
représentée par Me Eric Laforce, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
assistée de Me Coralie Rembert, avocat au barreau de Béthune, avocat plaidant
DÉBATS à l'audience publique du 30 Mai 2023, tenue par Véronique Galliot magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Anaïs Millescamps
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Catherine Courteille, président de chambre
Jean-François Le Pouliquen, conseiller
Véronique Galliot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023 après prorogation du délibéré en date du 07 septembre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Catherine Courteille, président et Anaïs Millescamps, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 02 mai 2023
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Vu le jugement du tribunal judiciaire de Béthune du 30 septembre 2021,
Vu la déclaration d'appel de M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P], reçue au greffe le 15 novembre 2021,
Vu les conclusions de M. et Mme [P] déposées au greffe le 6 juillet 2022,
Vu les conclusions de la SCI [Adresse 14] déposées au greffe le 13 avril 2022,
Vu l'ordonnance de clôture du 2 mai 2023,
EXPOSE DU LITIGE
Par acte d'huissier du 25 novembre 2017, M. [YW] [P] a fait assigner la SCI [Adresse 14] devant le tribunal judiciaire de Béthune afin de se voir reconnaître la qualité de propriétaire par effet de l'usucapion des parcelles sises [Adresse 1] cadastrée AE [Cadastre 6] et [Adresse 3] cadastrée AE [Cadastre 7] à [Localité 8].
Par jugement du 30 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Béthune a :
déclaré recevable l'intervention volontaire de Mme [T] [Y] épouse [P] dans la présente instance ;
déclaré irrecevables les prétentions formulées par M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] ;
dit qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur le fond de leurs demandes principales ;
débouté la SCI [Adresse 14] de sa demande reconventionnelle indemnitaire dirigée contre M. et Mme [P] ;
rejeté toutes demandes plus amples ou contraires ;
dit que M. et Mme [P] supporteront les entiers dépens de la procédure ;
les a condamnés à payer à la SCI [Adresse 14] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
dit qu'ils supporteront leurs propres frais irrépétibles ;
dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées au greffe le 6 juillet 2022, M. et Mme [P] demandent à la cour de :
réformer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- déclaré irrecevables leurs prétentions ;
- dit qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur le fond de leurs demandes principales ;
- dit qu'ils supporteront les entiers dépens de la procédure ;
- les a condamnés à payer à la SCI [Adresse 14] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit qu'ils supporteront leurs propres frais irrépétibles.
Et par conséquent et statuant à nouveau :
les dire et juger propriétaires par l'effet de l'usucapion des parcelles sises :
-[Adresse 1] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 6], pour 6 ares et 44 ca ;
-[Adresse 3] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 7], pour 7 ares et 35 ca ;
-ainsi des constructions, plantations et ouvrages s'y trouvant sur le fondement de l'accession ;
ordonner la publication de la décision à intervenir au service de la publicité foncière compétent aux frais avancés de la SCI [Adresse 14], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;
condamner la SCI [Adresse 14] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et à la même somme en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel ;
débouter la SCI [Adresse 14] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions et de son appel incident ;
la dire irrecevable en sa demande tendant à ce qu'il soit prononcé leur expulsion ; l'annexe du tribunal judiciaire de Béthune étant seul compétent ;
reconventionnellement, la condamner au paiement de la somme de 476 euros pour mémoire avec intérêts de retard au taux légal à compter de la décision à intervenir ;
le cas échéant, la condamner au paiement des sommes de 40 000 euros sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
confirmer le jugement dont appel pour le surplus.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 13 avril 2022, la SCI [Adresse 14] demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, à l'exception de celle par laquelle elle a été déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
Si par extraordinaire, l'action des époux [P] devait être déclarée recevable ;
constater l'inaliénabilité des parcelles dont il est revendiqué l'usucapion ;
constater que M. et Mme [P] ne justifient ni d'une possession paisible publique continue et non équivoque ;
En conséquence,
débouter M. et Mme [P] de l'intégralité de leurs demandes ;
Par infirmation de la décision entreprise,
condamner M. et Mme [P] à lui payer une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
condamner M. et Mme [P] à lui payer une somme de 5 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, la décision de première instance ;
les condamner aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l'audience et rappelées ci-dessus.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 mai 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de la demande de M. et Mme [P] :
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Aux termes de l'article 2272 du même code, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.
L'article 2265 du code civil dispose que pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux.
M. et Mme [P] sollicitent l'infirmation du jugement rendu en première instance en ce qu'il a déclaré leur action irrecevable. Ils soutiennent que leur action est fondée sur la théorie de l'usucapion concernant les terrains. Ils précisent que l'accession n(a été évoquée en première instance que pour les constructions sur les terrains litigieux.
La SCI [Adresse 14] soutient que la demande de M. et Mme [P] est irrecevable en ce qu'ils ne démontrent pas leur dévolution successorale s'agissant des deux parcelles et qu'ils n'apportent pas aux débats d'attestations de dévolution successorale établies lors des décès des ascendants.
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[G] et [E] [L] ont eu une fille Mme [C] [L]. Cette dernière a eu avec M. [N] [U] cinq enfants, dont Mme [C] [TV] [U].
Mme [C] [TV] [U], mariée à M. [VG] [P], a eu un fils M. [YW] [P], auteur de la présente action, né en 1954 à [Adresse 12], qui lui-même a eu quatre enfants: Mme [X] [P], M. [NV] [P], Mme [O] [P] et M. [PG] [P].
S'agissant de la parcelle située au n°10, M. et Mme [P] produisent un acte sous seing privé du 8 janvier 1958 dans lequel il est précisé que M. [N] [U], M. [FY] [U], M. [J] [U], Mme [R] [U] et Mme [Z] [U] ont vendu à M. [VG] [P], époux de Mme [C] [U], « un baraquement de quatre pièces érigé à [Adresse 11] ». Aucune adresse n'est mentionnée.
Or, M. [N] [U] était le père de [C] [U] épouse [P] et M. [FY] [U], M. [J] [U], Mme [R] [U] et Mme [Z] [U] étaient les frères et s'urs de M. [N] [U]. Il ressort de l'arbre généalogique produit par M. et Mme [P] que M. [N] [U] avait également trois autres frères [B], [S] et [SJ]. Néanmoins, aucune pièce apportée au débat permet de déterminer leur date de décès, ce qui expliquerait leur absence lors de la rédaction de l'acte de 1958. Ainsi, Mme [C] [U] épouse [P] avait bien vocation à recueillir la succession de [N] [U] en l'absence de testament.
S'agissant de la parcelle située au n°12, M. et Mme [P] invoquent un acte sous seing privé du 8 mars 1978 dans lequel Mme [C] [U] épouse [P], Mme [VZ] [U] épouse [K] et Mme [M] [U] épouse [EM] indiquent avoir cédé à M. et Mme [P]-[Y] le baraquement occupé par leur mère. Aucune adresse n'est mentionnée. Mme [VZ] [U] épouse [K] et Mme [M] [U] épouse [EM] sont les s'urs de Mme [C] [U] épouse [P]. Mme [C] [U] épouse [P] avait également deux frères, [N] et [V], mais décédés avant 1978 raison pour laquelle ils ne figuraient pas sur l'acte.
Il est bien produit l'acte de naissance de M. [YW] [P], le livret de famille de ses parents, M. [VG] [P] et Mme [C] [U].
Ainsi, la dévolution successorale de M. [YW] [P] est bien démontrée.
La qualité à agir de M. [YW] [P] est donc bien démontrée et l'action de M. et Mme [YW] [P] est recevable. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur l'usucapion de M. et Mme [P] :
M. et Mme [P] sollicitent de se voir reconnaître la qualité de propriétaire par effet de l'usucapion des parcelles sises [Adresse 1] cadastrée AE [Cadastre 6] et [Adresse 3] cadastrée AE [Cadastre 7] à [Localité 8] en ce qu'elles sont occupées par leurs ascendants depuis 1936 pour la parcelle sises [Adresse 3] cadastrée AE [Cadastre 7].
La SCI [Adresse 14] conteste l'usucapion invoquée par M. et Mme [P], en ce qu'elle indique avoir acquis les parcelles litigieuse par acte notarié du 23 décembre 2002 des héritiers de Messieurs [I] et [MJ] [FF], qui étaient devenus propriétaires des dites parcelles suivant la grosse d'un arrêt de la cour d'appel de Douai du 24 novembre 1982 (acte publié à la conservation des hypothèques de Béthune le 7 octobre 1993).
Selon l'article 2258 du code civil la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.
L'article 2261 du même code précise que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire.
Aux termes de l'article 552 du code civil la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.
Le propriétaire peut faire au-dessus toutes les plantations et constructions qu'il juge à propos, sauf les exceptions établies au titre ' Des servitudes ou services fonciers '.
Il appartient à M. et Mme [P] qui invoquent la prescription trentenaire, de justifier d'une possession publique, paisible, continue et ininterrompue, non équivoque et à titre de propriétaire.
A titre liminaire, il sera ainsi rappelé que la propriété peut s'acquérir par prescription et qu'il est toujours possible, contrairement aux affirmations de la SCI [Adresse 14], de prescrire contre un titre.
Sur la parcelle située au [Adresse 1] cadastrée AE [Cadastre 6]
M. et Mme [P] invoquent un acte sous seing privé du 8 mars 1978 dans lequel Mme [C] [U] épouse [P], Mme [VZ] [U] épouse [K] et Mme [M] [U] épouse [EM] indiquent avoir cédé à M. et Mme [P]-[Y] le baraquement occupé par leur mère. Aucune adresse n'est mentionnée.
Si la SCI [Adresse 14] invoque l'inopposabilité de l'ensemble des actes apportés aux débats par M. et Mme [P], il sera rappelé que la cour peut rechercher dans ces derniers les renseignements de nature à éclairer sa décision.
M. et Mme [P] font valoir que cette parcelle est occupée par leur famille depuis 1936, sur laquelle y a été édifiée une habitation. A ce titre, ils font valoir qu'elle a été occupée :
de 1936 à 1977, par M. [N] [U] et Mme [C] [L] épouse [U] (les grands-parents de M. [P]) : à ce titre, ils justifient d'une attestation de Mme [D] [F], une habitante d'une parcelle voisine, qui affirme que ses grands-parents et elle-même, à partir de 1967, ont côtoyé leurs voisins M. [N] [U] et Mme [C] [L] [U] habitant à la parcelle située au [Adresse 1],
de 1977 à 1978, par Mme [C] [L] épouse [U] ;
de 1978 à 1982 par M. et Mme [P] eux-mêmes suite à l'acquisition en 1978 de la parcelle de Mme [C] [U] épouse [P] (mère de M. [P]) ;
de 1982 à 1994, par divers locataires : ils justifient des baux (actes notariés) des 19 avril 1983, 8 octobre 1984, 29 octobre 1987 suite à une courte période de travaux, par leurs enfants.
Il est produit plusieurs attestations de voisins indiquant que la famille [C] [U] et [C] [P] occupent « depuis toujours » les parcelles litigieuses et les entretiennent, ce qui est d'ailleurs confirmé par les photographies produites par les appelants.
Ils produisent également les avis de taxe d'habitation adressés à M. et Mme [YW] [P] pour le [Adresse 2], des années 1978, 1979, 1980, 1982 ainsi que les avis de taxe foncière de 1982 à 1994, de 1997, de 2001 à 2009, de 2014 à 2016 adressés à M. [YW] [P].
Les taxes d'habitation de 2001 à 2014 sont adressées à Mme [O] [P] et son époux M. [DU] [A].
Il est également justifié de la taxe additionnelle au droit au bail de 1982, 1983, 1984, 1987, 1988, 1990, 1993.
Si comme le souligne la SCI [Adresse 14], les baux d'habitation produits aux débats s'agissant du [Adresse 2] mentionnent « une maison d'habitation en bois et en briques, comprenant deux chambres, salle, salon, cuisine, WC, grenier, jardin et dépendant le tout sur 3a 50ca environ », alors que la parcelle cadastrée AE [Cadastre 6] située au [Adresse 1] a une superficie de 6 a 44 ca, cela n'implique pas la possession des lieux de manière équivoque par M. et Mme [P].
Sur la parcelle située au [Adresse 3] cadastrée AE [Cadastre 7]
M. et Mme [P] invoquent deux actes :
un acte sous seing privé du 8 janvier 1958 dans lequel il est précisé que M. [N] [U], M. [FY] [U], M. [J] [U], Mme [R] [U] et Mme [Z] [U] ont vendu à M. [VG] [P], époux de Mme [C] [U], « un baraquement de quatre pièces érigé à [Adresse 11], sur un terrain communal ». Aucune adresse n'est mentionnée ;
un acte sous seing privé du 15 décembre 2012 dans lequel il est indiqué que M. [YW] [P], M. [VG] [P], Mme [H] [XK]- [P] et Mme [W] [LR]-[P] « cèdent la maison au [Adresse 3] occupé antérieurement par notre mère Mme [C] [P]-[U] pour le prix de 10 000 € à M. et Mme [P] [Y] [YW] ». Cet acte dactylographié n'est pas signé.
Il est également produit les avis de taxe d'habitation de 1974 à 1983 et de 2012 à 2019 ; ainsi que les avis de taxe foncière de 1983 à 2008, et de 2014 à 2016, 2018 et de 2020. Ils étaient tous adressés à Mme [C] [U], veuve de M. [VG] [P]. Il sera rappelé que, conformément à l'article 2265 du code civil, pour compléter la prescription, il est possible de joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu'on lui ait succédé.
Ainsi, c'est à tort que la SCI [Adresse 14] affirme qu'aucune taxe d'habitation n'a été payée entre 2006 et 2017, ni de taxe foncière entre 2008 et 2017. Il paraît, par ailleurs, surprenant que la SCI [Adresse 14] ne se soit pas inquiétée du paiement de la taxe foncière depuis 2002, date de l'acquisition.
Par ailleurs, si effectivement le seul paiement des taxes ne peut suffire à justifier une possession continue et non interrompue, il s'agit d'un élément à prendre en compte. En outre, le fait que le montant des impôts locaux produits aux débats ne correspondent pas à la valeur locative des biens litigieux n'exclut pas la prescription acquisitive de ces parcelles.
Ils produisent également une pétition du 5 novembre 1993 dans laquelle les riverains de la rue des bruyères se plaignent au maire du mauvais état de la route.
Ces éléments sont de nature à établir le caractère continu, paisible et public des possessions invoquées.
Pour prescrire utilement, doit également être caractérisé un élément intentionnel, la possession doit être non équivoque et à titre de propriétaire.
Les taxes additionnelles au droit au bail produites au débat mentionnent M. [YW] [P] en qualité de propriétaire.
De plus, M. et Mme [P] justifient deux factures : l'une du 20 mars 1974 relatif au branchement d'eau et l'autre du 11 février 1996 relative au raccordement au réseau d'égout.
Il est également produit deux courriers : l'un du 27 avril 1995 de la Mairie de [Localité 8] informant M. [YW] [P] que suite à son courrier, les travaux d'assainissement de la rue ont été votés à l'unanimité, l'autre du 10 mars 1996 du centre d'amélioration du logement de [Localité 10] notifiant à M. [YW] [P] la remise d'un chèque de 787 francs au titre de la subvention accordée par l'agence de l'eau Artois Picardie au titre de la conformité des travaux de raccordement à l'égout.
Ainsi, M. et Mme [P] justifient avoir occupé, entretenu les lieux à titre de propriétaires de manière continue, paisible, apparente et non équivoque.
En outre, la SCI [Adresse 14] soutient que les parcelles litigieuses appartenaient à la commune de [Localité 8] et étaient donc inaliénables et imprescriptibles. Elle fait valoir qu'elle ont été donnés à bail selon actes en date des 9 et 23 mai 1956 aux consorts [FF], avec la faculté d'acquérir le bien aux termes d'une période de neuf années de location.
Il ressort de l'arrêt rendu par la cour de céans le 2 septembre 1993, que les consorts [FF] se sont vu céder les parcelles litigieuses pour un prix à fixer par expertise amiable ou judiciaire à l'issue d'un bail conclu pour 18 années. Un contentieux a eu lieu sur le prix de ces parcelles et les offres faites. Néanmoins, la SCI [Adresse 14] n'apporte aucun élément permettant de démontrer que lesdits terrains étaient affectés à l'usage direct du public ou affectés à un service public.
Il résulte de ces éléments que le terrain communal faisait partie du domaine privé de la commune de [Localité 8], de sorte qu'il était cessible et prescriptible. Ainsi, ce moyen de la SCI [Adresse 14] sera écarté.
Par ailleurs, la SCI [Adresse 14] soutient que les actes dont se prévaut M. et Mme [P] portent uniquement sur des baraquements et non des maisons, qu'aucun permis de construire n'est apporté au débat et qu'ainsi, ils ne peuvent pas invoquer la possession des parcelles. Or, si effectivement, il s'agit bien de baraquements qui ont été cédés en 1958 et 1978, force est de constater que ceux-ci étaient sur les parcelles litigieuses ce qui permet d'apporter des éléments confortant la possession de ces dernières. En outre, les taxes foncières apportées au débats (à partir de 1982) portent sur des terrains bâtis, ce qui suppose qu'une maison était bien construite sur les parcelles litigieuses.
De surcroît, l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 24 novembre 1982 dont se prévaut la SCI [Adresse 14] ne mentionne pas le numéro de cadastre du terrain mais précise qu'il est d'une dimension de 8ha 56 ca alors que les deux parcelles litigieuses font, à elles deux 13a 70 ca. Il ressort du jugement du tribunal de grande instance de Béthune du 4 octobre 1976 qu'il est fait état du lieu-dit « les bruyères », mais il n'est pas mentionné d'adresse précise ni le cadastre des parcelles, objets du litige. Or, il s'avère que dans ce lieu-dit, il y avait plusieurs habitations et parcelles.
Ainsi, il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. et Mme [P] apportent bien la preuve d'une possession qui revêt les critères de l'article 2261 du code civil. Ils sont donc propriétaires par l'effet de l'usucapion des parcelles sises [Adresse 1] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 6], pour 6 ares et 44 ca et [Adresse 3] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 7], pour 7 ares et 35 ca ;
Par ailleurs, conformément à l'article 552 du code civil, M. et Mme [P] sont également propriétaires des constructions, plantations et ouvrages se trouvant sur le fondement de l'accession.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Il y lieu d'ordonner la publication de la présente décision au service de la publicité foncière compétent.
M. et Mme [P] demandent également à la cour :
reconventionnellement, de condamner la SCI [Adresse 14] au paiement de la somme de 476 euros pour mémoire avec intérêts de retard au taux légal à compter de la décision à intervenir ;
le cas échéant, de condamner la SCI [Adresse 14] au paiement des sommes de 40 000 euros sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
Or, aucun moyen n'est développé dans le corps des corps à l'appui de ses prétentions. Il y a donc lieu de les rejeter.
M. et Mme [P] sollicitent enfin à la cour de dire la SCI [Adresse 14] irrecevable en sa demande tendant à ce qu'il soit prononcé leur expulsion. Or, la SCI [Adresse 14] ne formule pas une telle prétention. Il y a donc lieu de rejeter cette demande de M. et Mme [P].
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Compte tenu de la décision faisant droit à la demande de M. et Mme [P], la demande de dommages et intérêts de la SCI [Adresse 14] pour procédure abusive sera rejetée. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires
Le jugement sera infirmé de ce chef.
La SCI [Adresse 14], perdante en appel, sera condamnée à payer à M. et Mme [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, pour les frais engagés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Béthune du 30 septembre 2021 en ce qu'il a :
déclaré irrecevables les prétentions formulées par M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] ;
dit qu'il n'y a donc pas lieu de statuer sur le fond de leurs demandes principales ;
dit que M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] supporteront les entiers dépens de la procédure ;
les a condamnés à payer à la SCI [Adresse 14] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
dit qu'ils supporteront leurs propres frais irrépétibles ;
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Béthune du 30 septembre 2021 en ce qu'il a débouté la SCI [Adresse 14] de sa demande reconventionnelle indemnitaire dirigée contre M. et Mme [P];
Statuant à nouveau :
DIT que M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] sont propriétaires par l'effet de l'usucapion des parcelles sises :
-[Adresse 1] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 6], pour 6 ares et 44 ca ;
-[Adresse 3] à [Localité 8], cadastrée AE [Cadastre 7], pour 7 ares et 35 ca ;
- ainsi que des constructions, plantations et ouvrages s'y trouvant sur le fondement de l'accession ;
ORDONNE la publication du présent arrêt au service de la publicité foncière compétent, à l'initiative de la partie la plus diligente,
REJETTE les demandes de M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] de :
ordonner la publication de l'arrêt aux frais avancés de la SCI [Adresse 14], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir
condamner la SCI [Adresse 14] au paiement de la somme de 476 euros pour mémoire avec intérêts de retard au taux légal à compter du présent arrêt
condamner la SCI [Adresse 14] au paiement des sommes de 40 000 euros sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;
CONDAMNE la SCI [Adresse 14] à payer à M. [YW] [P] et Mme [T] [Y] épouse [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE la demande de la SCI [Adresse 14] formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SCI [Adresse 14] aux entiers dépens, au titre des frais engagés en première instance et en appel.
Le greffier
Anaïs Millescamps
Le président
Catherine Courteille