Cass. crim., 17 novembre 1994, n° 93-85.286
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gondre
Rapporteur :
M. Culié
Avocat général :
M. Galand
Avocats :
Me Foussard, Me Choucroy, SCP Tiffreau et Thouin-Palat
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des motifs non contraires du jugement que, le 16 novembre 1990, la SA Routin ayant son siège à Chambéry, a expédié au magasin Casino d'Aix-en-Provence divers alcools et spiritueux dont le transport a été confié à la société Pierre X... sous acquit-à-caution valable 12 jours ; que le 21 novembre 1990, cette société a porté plainte pour vol de quatre palettes de pastis totalisant 1 728 bouteilles, commis le jour même dans ses entrepôts de Marignane et que, le 26 novembre suivant, elle a signalé ce vol à la recette des Impôts ; que Jean Y... et Pierre X..., respectivement présidents des SA Routin et United Transports et Distribution Pierre X..., ainsi que ces deux personnes morales, ont été cités directement par l'Administration sous la prévention de non-déclaration de suspension de transport de boissons alcoolisées dans les 24 heures et d'utilisation d'un titre de mouvement devenu inapplicable ;
En cet état :
I. Sur le pourvoi de l'administration des Douanes et Droits indirects :
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 403, 443, 444, 445, 446, 451, 455, 1791, 1804 B et 1805 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé des fins de la poursuite la SA Routin et Jean Y..., son dirigeant de droit, et rejeté les demandes formées par la direction générale des douanes et droits indirects à leur encontre ;
" aux motifs que la responsabilité de l'expéditeur résulte d'une présomption simple, cédant devant la preuve contraire, à la double condition qu'il soit établi que l'infraction est le fait d'un tiers et que, s'agissant d'un défaut de conformité, il soit postérieur à la déclaration d'enlèvement ; qu'en l'espèce, la SA Routin et Jean Y..., son dirigeant, n'avaient aucunement la possibilité d'infléchir le cours des évènements, puisqu'ils n'ont été prévenus que tardivement de l'événement entraînant l'irrégularité de l'acquit-à-caution, alors que le document initial était parfaitement régulier ; qu'ils doivent être relaxés ;
" alors que, premièrement, l'enlèvement, le transport et la réception de marchandises sous le couvert d'un titre de mouvement inapplicable, et le défaut de conduite des marchandises à destination, constituent des infractions à la charge de l'expéditeur, du transporteur et du destinataire et qu'en refusant de retenir la SA Routin, expéditeur, et Jean Y..., son dirigeant de droit, dans les liens de la prévention, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
" et alors que, deuxièmement, à supposer même que l'existence d'un vol ait été caractérisée, il n'a pas été constaté, s'agissant de la SA Routin, expéditeur, et de Jean Y..., qu'ils aient pris des dispositions nécessaires pour satisfaire à leur obligation de surveillance et faire en sorte, comme ils en avaient l'obligation, que la marchandise parvienne sans encombre au lieu de destination déclaré ; que l'arrêt attaqué est en tout état de cause entaché d'une insuffisance de motifs au regard des textes susvisés " ;
Attendu que, pour renvoyer Jean Y... et la SA Routin des fins de la poursuite, l'arrêt attaqué relève que si l'expéditeur est pénalement responsable en matière de contributions indirectes des infractions constatées à l'occasion du transport des marchandises, cette responsabilité repose sur une présomption simple qui cède devant la preuve contraire, notamment que l'infraction est le fait d'un tiers ; qu'en l'espèce, les prévenus n'avaient aucune possibilité d'infléchir le cours des événements puisqu'ils n'ont été avisés que tardivement de la circonstance entraînant l'irrégularité de l'acquit-à-caution, alors que le document initial était parfaitement régulier ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Qu'en effet, il résulte de l'article 339 de la loi d'adaptation du 16 décembre 1992 que les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à son entrée en vigueur ne demeurent constitués qu'en cas d'imprudence, de négligence ou de mise en danger délibéré de la personne d'autrui, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 403, 443, 444, 445, 446, 451, 455, 1791, 1804 B et 1805 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt a relaxé Pierre X... des fins de la poursuite et rejeté les demandes formulées par la Direction générale des Douanes et Droits indirects à l'encontre de ce dernier ;
" aux motifs que si Pierre X... est bien président du conseil d'administration de la société X..., M. Z..., directeur général, était régulièrement investi, lors des faits litigieux, d'une délégation de la part de Pierre X... ; que cette délégation avait été acceptée et qu'il est seul responsable pénalement en cas d'infraction aux règles du droit du travail et du droit des transports dont le respect et la surveillance étaient à sa charge ; que, d'ailleurs, M. Z... a reconnu s'être vu confier le soin de veiller au respect de la législation et de la réglementation applicables aux transports ;
" alors que, premièrement, les fonctions de dirigeant de droit d'une société, dès lors que celle-ci exerce une activité réglementée, impliquent par elles-mêmes une participation directe aux actes imputés à cette société et qu'en relaxant Pierre X..., dont il était constaté qu'il avait la qualité de président du conseil d'administration de la SA United Transports et Distribution Pierre X..., les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
" alors que, deuxièmement, si la délégation de pouvoir donnée à un tiers permet à l'Administration de poursuivre ce tiers pour avoir participé à l'infraction, en revanche, la délégation n'exonère pas le dirigeant de droit de sa propre responsabilité et qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
" et alors que, troisièmement et en toute hypothèse, les juges du fond, qui ont simplement relevé que la délégation concernait le droit du travail et la réglementation sur les transports, n'ont pas constaté qu'elle concernait les rapports avec l'administration fiscale, de sorte que l'arrêt attaqué, en tout état de cause, est entaché d'une insuffisance de motifs au regard des textes susvisés " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ;
Attendu que, pour relaxer Pierre X..., la juridiction du second degré retient qu'il avait, en tant que président du conseil d'administration de la société du même nom, consenti au directeur général de cette société délégation de ses pouvoirs de chef d'entreprise, afin de veiller au respect du Code du travail, de la législation et de la réglementation applicables aux transports ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la délégation de pouvoirs invoquée s'étendait à la matière des contributions indirectes et à la circulation des alcools, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
II. Sur le pourvoi de la société United Transports et Distribution Pierre X... :
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 403, 443, 444, 445, 446, 451, 455 et 1805 du Code général des impôts, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré la société United Transports et Distribution Pierre X..., coupable d'avoir, au cours d'un transport de boissons alcoolisées et d'alcool, contrevenu à la réglementation fiscale des alcools en ayant fait usage d'un titre de mouvement inapplicable et pour mise en transit tardive ;
" aux motifs que la disparition dans les entrepôts de la société X... de 1 728 bouteilles de pastis s'est produite le 21 novembre 1990, que la responsable de cette société s'est présentée le 26 novembre dans les bureaux de la direction générale des impôts munie de l'acquit-à-caution établi le 16 novembre par l'expéditeur pour signaler le vol des bouteilles, que l'administration établissait alors un nouvel acquit-à-caution ;
" qu'il convient de déterminer s'il y a bien eu, comme le soutient l'administration des Impôts, absence de force majeure quant aux vol et déclaration tardive par suite du transporteur ;
" que, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code général des impôts, il appartenait au transporteur du chargement, dont le transport était suspendu au cours de son déroulement, d'en faire la déclaration au bureau de déclaration de la direction générale des Impôts dans les 24 heures et en tout cas avant le déchargement des boissons ;
" que la société X... ne peut sérieusement prétendre avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir les vols dans la mesure où les moyens de surveillance et d'alarme mis en place n'avaient pas empêché le vol depuis 3 semaines d'une centaine d'appareils électroménagers, le dispositif de surveillance n'ayant pas pour autant été sensiblement renforcé durant les jours qui avaient précédé le vol et où, dès lors, la prévention était donc devenue difficile, certes, mais cela, contribuant paradoxalement à rendre moins imprévisible encore l'éventualité d'un nouveau vol à défaut d'un système de surveillance efficace ;
" que le fait d'avoir prévenu la police le jour même du vol n'avait pas pour effet de transférer les obligations découlant du devoir de surveillance ;
" alors que les juges du fond, qui n'ont pas contesté que la société de transport avait été victime d'un vol commis dans ses locaux où ils ont constaté que des moyens de surveillance et d'alarme avaient été mis en place, ont violé l'article 1805 du Code général des impôts en déclarant néanmoins cette prévenue pénalement responsable de non-déclaration de suspension du transport dans les 24 heures ou avant déchargement et d'utilisation d'un titre de mouvement devenu inapplicable à la suite de la disparition d'une partie du chargement sous prétexte que cette personne morale n'établissait pas que le vol constituait un cas de force majeure, le texte précité exonérant le transporteur de toute responsabilité pénale s'il établit qu'il a été victime d'un vol du seul fait qu'il a rempli normalement tous ses devoirs de surveillance, sans exiger de surcroît que le vol ait été imprévisible ou irrésistible " ;
Attendu que, pour écarter la décharge de responsabilité pénale invoquée par la société Pierre X... sur le fondement de l'article 1805 du Code général des impôts en ce qu'elle avait été victime d'un vol, les juges font d'abord ressortir qu'en tout état de cause la déclaration de mise en transit imposée par l'article 455 dudit Code au conducteur dont le transport est suspendu a été faite tardivement, en l'espèce le 26 novembre 1990, puisque les marchandises avaient nécessairement été entreposées à Marignane avant le vol du 21 novembre 1990 ; que l'arrêt attaqué énonce ensuite que la société Pierre X... ne peut sérieusement prétendre avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir les vols, dans la mesure où les moyens de surveillance et d'alarme mis en place n'avaient pas empêché depuis 3 semaines de nombreuses soustractions et n'avaient pas pour autant été renforcés ;
Attendu qu'en l'état de cette appréciation souveraine des juges du fond, d'où il résulte que le transporteur n'a pas rempli normalement tous ses devoirs de surveillance au regard de l'article 1805 précité, et abstraction faite de motifs surabondants voire erronés la cour d'appel a donné une base légale à sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 1791 et suivants du Code général des impôts et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamné la société X... à une amende de 5 000 francs, à une pénalité proportionnelle de 84 137 francs, à une amende de 79 000 francs tenant lieu de confiscation et au paiement des droits fraudés soit 84 137 francs ;
" alors que, d'une part, la société X... ayant, dans ses conclusions d'appel, fait valoir qu'à la suite du vol commis dans ses locaux, la facture correspondant à la totalité du chargement avait été réglée à l'expéditeur de la marchandise qui tenait à la disposition de l'administration la totalité des droits et des cotisations de sécurité sociale y afférents, les juges du fond ne pouvaient, sans répondre à ce moyen péremptoire de défense, condamner la demanderesse au paiement d'une pénalité égale au montant des droits prétendument fraudés ainsi qu'au paiement de cette somme ;
" alors que, d'autre part, si l'article 1791 du Code général des impôts permet aux juges de prononcer la confiscation des objets saisis en contravention, aucun texte ne leur permet de condamner un prévenu au paiement d'une somme pour tenir lieu de confiscation lorsque, comme en l'espèce, aucune saisie n'a été effectuée " ;
Sur le moyen pris en sa première branche :
Attendu que la cour d'appel, qui a constaté l'existence de l'infraction, a condamné à bon droit la société X... à une pénalité proportionnelle, ainsi qu'au paiement des droits fraudés, sans s'arrêter aux conclusions inopérantes reprises au moyen ;
Sur le moyen pris en sa seconde branche :
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'en matière de contributions indirectes, la confiscation ne peut être ordonnée que pour les objets, produits ou marchandises préalablement saisis, quelle que soit la modalité réelle ou fictive de la saisie opérée ;
Attendu qu'il ressort du procès-verbal du 13 décembre 1990, base des poursuites, que si les agents de la direction générale des impôts ont saisi l'acquit-à-caution devenu inapplicable et fait établir un nouveau titre de mouvement pour permettre la livraison des marchandises restantes, ils n'ont pas déclaré saisie même fictive des boissons en contravention ;
Mais attendu qu'en condamnant la société Pierre X... à payer la somme de 79 000 francs pour tenir lieu de confiscation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 11 octobre 1993, mais seulement en ce qu'il a renvoyé Pierre X... des fins de la poursuite et en ce qu'il a condamné la société Pierre X... au paiement d'une somme pour tenir lieu de confiscation, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier.