Cass. com., 8 novembre 2023, n° 21-25.033
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Défendeur :
Fabien matériaux (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Ducloz
Avocats :
SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 octobre 2021), le 31 juillet 2003, M. [P] a cédé la totalité des parts sociales qu'il détenait dans le capital de la société Fabien [P] à la société Fabien matériaux.
2. L'acte de cession stipulait une clause d'élection de domicile ainsi qu'une clause de garantie de passif que le cessionnaire pouvait mettre en œuvre par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au cédant.
3. Après avoir, par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 22 avril 2016, informé le cédant de ce qu'il mettait en œuvre la garantie de passif, le cessionnaire a, le 20 décembre 2016, assigné le cédant en paiement de sommes en exécution de cette garantie.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [P] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la société Fabien matériaux la somme de 17 628 euros, de dire que cette somme portera intérêt au taux contractuel de 1 % par mois à compter du 22 avril 2016, de dire qu'il sera fait application de l'article 1343-2 du code civil par année entière sur cette somme à compter du 22 avril 2017 et de le débouter de ses demandes, alors :
« 1°/ que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; qu'il en résulte qu'une partie qui a connaissance du changement d'adresse de son cocontractant ne peut se prévaloir de la clause d'élection de domicile pour notifier une information déterminante à une adresse qu'elle sait être périmée ; qu'en l'espèce, pour dire que la société Fabien matériaux avait satisfait à son obligation d'information quant à son intention de mettre en œuvre la garantie de passif, la cour d'appel a retenu que "l'appelant soutient qu'il n'a jamais été avisé de l'existence de ce courrier recommandé, ayant déménagé à Audenge, ce que la société Fabien matériaux n'ignorait pas selon lui" mais que "même à supposer cette affirmation exacte, il appartenait à M. [P] d'adresser un courrier officiel à la société Fabien matériaux pour lui indiquer qu'il faisait élection de domicile à une autre adresse que celle figurant dans la convention de garantie du passif, encore en vigueur à cette date et comportant élection de domicile" ; qu'en statuant ainsi, tandis que, si la société Fabien matériaux avait eu connaissance du changement d'adresse de M. [P], elle aurait effectivement dû lui adresser à sa nouvelle adresse, nonobstant la clause d'élection de domicile, la cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige ;
2°/ qu'en l'absence de toute autre circonstance, le silence ne vaut pas acceptation ; que, dès lors, nul ne peut être réputé avoir accepté de garantir le passif d'une société sans avoir été effectivement informé de la cause et du montant de ce passif ; qu'en l'espèce, M. [P], garant, soutenait n'avoir pas été informé par la société Fabien matériaux des causes et charges supplémentaires justifiant la mise en œuvre de la garantie de passif stipulée dans l'acte de cession de parts du 31 juillet 2003, la lettre recommandée ayant été envoyée à son ancienne adresse ; que, pour dire néanmoins la garantie acquise en son principe, la cour d'appel a retenu, tout d'abord, que, la lettre recommandée n'ayant pas été retirée, "l'absence de réception du courrier est donc uniquement imputable à un défaut de diligence du garant qui n'établit ni, que son nom ne figurait plus sur sa boîte aux lettres à [Localité 3], ni que la Poste a manqué à son obligation de réexpédition de son courrier", pour en conclure que "l'envoi d'un courrier recommandé à l'adresse à laquelle le garant avait élu domicile dans l'acte de garantie du passif est régulier, que le cessionnaire a ainsi rempli son obligation d'information du garant préalable à l'introduction d'une instance judiciaire et a fait courir le délai de trente jours" pour en déduire, ensuite, que "M. [P] n'ayant pas répondu à ce courrier dans le délai contractuel de trente jours, le principe de sa garantie est donc acquise, sans qu'il y ait lieu de répondre aux différents moyens qu'il soulève afin de s'opposer à la mise en jeu de celle-ci" ; qu'en statuant ainsi, quand la présomption d'acceptation du principe de la garantie, résultant de "l'inertie du garant à l'issue de cette période de trente jours", telle que prévue par le contrat, supposait nécessairement que M. [P] ait eu effectivement connaissance de l'intention de la société Fabien matériaux de se prévaloir de la garantie de passif, la cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 de ce code ;
3°/ qu'un délai ne peut courir contre quelqu'un qui n'a pas eu connaissance de l'événement qui en constitue le point de départ ; qu'en retenant que "l'envoi d'un courrier recommandé à l'adresse à laquelle le garant avait élu domicile dans l'acte de garantie du passif est régulier, que le cessionnaire a ainsi rempli son obligation d'information du garant préalable à l'introduction d'une instance judiciaire et a fait courir le délai de trente jours", tandis qu'il résultait de ses propres constatations que M. [P] n'avait pas eu connaissance de ce courrier, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé, ensemble l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 de ce code ;
4°/ que les atteintes contractuelles au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'en jugeant acquise en son principe la garantie de passif de M. [P] pour en déduire qu'il n'y avait pas lieu "de répondre aux différents moyens qu'il soulève afin de s'opposer à la mise en jeu de celle-ci", tandis qu'il résultait de ses propres constatations qu'il n'avait pas été effectivement informé des causes et charges supplémentaires justifiant la mise en œuvre de la garantie de passif stipulée dans l'acte de cession de parts du 31 juillet 2003, la cour d'appel, qui a indûment privé M. [P] de la possibilité de faire valoir ses arguments et d'obtenir une solution juridictionnelle du litige, a violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5. L'élection de domicile emporte pouvoir de recevoir toute notification dans le lieu qui y est désigné.
6. Après avoir constaté que l'acte de cession stipulait, d'une part, une clause d'élection de domicile en la demeure respective des parties figurant à l'acte, d'autre part, une clause de garantie de passif selon laquelle l'inertie du cédant à l'issue d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle le cessionnaire l'aviserait, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, de ce qu'il mettait en œuvre la garantie de passif, vaudrait acceptation du principe de cette garantie, l'arrêt relève que le cessionnaire avait, pour mettre en œuvre la garantie dont il bénéficiait, adressé, le 22 avril 2016, une lettre recommandée avec demande d'avis de réception au cédant à l'adresse de [Localité 3] figurant dans l'acte de cession et que cette lettre était revenue avec la mention « pli avisé non réclamé ».
7. De ces constatations et appréciations, dont il résultait, d'une part, que le fait que le cédant n'avait pas reçu la lettre du cessionnaire mettant en œuvre la clause de garantie de passif était dû à sa seule négligence, faute pour lui d'avoir informé son cocontractant qu'il élisait domicile dans un autre lieu que celui stipulé au contrat, et non à la mauvaise foi du cessionnaire, d'autre part, que l'information, par le cessionnaire, de ce qu'il mettait en œuvre cette garantie n'était pas de nature contentieuse et que, par suite, le défaut de réception effective, par le cédant, de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception n'en affectait pas la régularité, la cour d'appel a pu, sans méconnaître les exigences de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni violer l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, déduire que le cessionnaire avait rempli son obligation contractuelle d'information du garant préalable à l'introduction d'une instance judiciaire.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.