Livv
Décisions

TA Paris, 1re ch. sect. 2, 7 novembre 2023, n° 2205984

PARIS

PARTIES

Demandeur :

ITM Alimentaire International

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Evgénas

Conseillers :

Mme Laforêt, M. Halard

Avocats :

Me Utzschneider, Me Champy

TA Paris n° 2205984

6 novembre 2023

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 mars et 21 décembre 2022, la société ITM Alimentaire International, représentée par Mes Utzschneider et Champy, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 7 janvier 2022 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités lui a infligé une amende de 19 200 000 euros en application des articles L. 441-7 et L. 470-2 du code de commerce, et a ordonné la publication de cette décision, sous la forme d'un communiqué et pour une durée de douze mois, sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer la décision du 7 janvier 2022 en réduisant l'amende à 375 000 euros ou, à titre encore plus subsidiaire, à un montant proportionné ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2022, le préfet de la région Ile-de-France conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 23 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

Une note en délibéré de la société ITM Alimentaire International a été enregistrée le 12 octobre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société ITM Alimentaire International (ci-après "ITM AI"), filiale de la société ITM Entreprises en charge de la définition de la stratégie et de la politique commerciale des enseignes Intermarché et Netto, ainsi que de la sélection et de l'approvisionnement de produits à destination des points de vente de ces enseignes en France, a fait l'objet d'une enquête menée par la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) de juin 2018 à septembre 2020, portant en particulier sur le respect des règles de loyauté et de transparence des relations commerciales fixées par l'article L. 441-7 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. Par un courrier du 18 février 2021, la DRIEETS a notifié à la société ITM AI un procès-verbal de constat de manquements, clos le même jour, et lui a indiqué son intention de prononcer à son encontre soixante-six amendes administratives pour un montant total de 20 400 000 euros, assorties d'une double mesure de publication, sur les sites internet du service et de la société. Après examen des observations formulées par la société, la DRIEETS d'Ile-de-France a finalement prononcé, par une décision du 7 janvier 2022, une amende administrative d'un montant de 19 200 000 euros au titre de soixante-et-un manquements aux dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce, assortie d'une publication sur le site du service pour une durée de douze mois. Par la présente requête, la société ATM AI demande au tribunal d'annuler cette sanction ou, à titre subsidiaire, de la réduire.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 450-1 du code de commerce : "(...) II. - Des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l'économie peuvent procéder aux enquêtes nécessaires à l'application des dispositions du présent livre (...)". Aux termes de son article L. 450-3, dans sa rédaction alors en vigueur : "(...) Les agents peuvent exiger la communication et obtenir ou prendre copie, par tout moyen et sur tout support, des livres, factures et autres documents professionnels de toute nature, entre quelques mains qu'ils se trouvent, propres à faciliter l'accomplissement de leur mission. Ils peuvent exiger la mise à leur disposition des moyens indispensables pour effectuer leurs vérifications. Ils peuvent également recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement, document ou toute justification nécessaire au contrôle. / Pour le contrôle des opérations faisant appel à l'informatique, ils ont accès aux logiciels et aux données stockées ainsi qu'à la restitution en clair des informations propres à faciliter l'accomplissement de leurs missions. Ils peuvent en demander la transcription par tout traitement approprié des documents directement utilisables pour les besoins du contrôle."

3. D'une part, il résulte de l'instruction que par un courriel du 13 mars 2019, l'administration a demandé à la société requérante, pour les besoins de l'enquête alors en cours, de lui communiquer les conventions annuelles 2019 conclues avec ses fournisseurs ainsi que les montants versés par chaque fournisseur à AgeCore et ITM Belgique, les volumes commandés et le nombre de points de vente diffusant les références concernées. Si l'administration a effectivement demandé que ces informations lui soient fournies sous la forme de tableaux Excel reprenant ces éléments, elle s'est bornée, ce faisant, à solliciter la production de manière suffisamment précise des renseignements nécessaires au contrôle et dont elle connaissait l'existence, ainsi que la restitution sous forme synthétique d'informations propres à faciliter l'accomplissement de ses missions, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 450-3 du code de commerce. Aussi, la seule circonstance que les tableaux Excel concernés n'existaient pas encore à la date de sa demande reste, dans ces conditions, sans incidence sur la régularité de la procédure de sanction.

4. D'autre part, alors que le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision n° 2016-452 QPC du 8 juillet 2016, que le droit reconnu aux agents habilités d'exiger la communication d'informations et de documents, prévu par les dispositions de l'article L. 450-3 du code de commerce, tend à l'obtention non de l'aveu de la personne contrôlée, mais de documents nécessaires à la conduite de l'enquête et ne méconnaît ainsi pas l'article 9 de la Déclaration de 1789, et qu'en l'espèce, l'administration s'est bornée, dans son courriel précité du 13 mars 2019, à solliciter la communication d'informations purement factuelles dans le cadre des pouvoirs qu'elle tient de ces dispositions, la société ITM AI n'est pas fondée à soutenir que son droit de ne pas s'auto-incriminer a, de ce seul fait, été méconnu. La circonstance que certaines des informations qu'elle a fournies au service aient ensuite été utilisées pour fonder la décision litigieuse reste, dans ces conditions, sans incidence sur la régularité de la procédure de sanction.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce : "(...) III. - Les manquements passibles d'une amende administrative sont constatés par procès-verbal, selon les modalités prévues à l'article L. 450-2. / IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales (...)". Aux termes de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration : "Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant." Le respect du principe général des droits de la défense suppose, s'agissant des mesures à caractère de sanction, ainsi d'ailleurs que le précisent les articles L. 470-2 du code de commerce et L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, que la personne en cause soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus.

6. Contrairement à ce que soutient la société requérante, ni la Constitution ou la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni les dispositions précitées des codes de commerce et des relations entre le public et l'administration, ni le principe général des droits de la défense n'impliquent que soit communiquée à la personne intéressée l'entièreté du dossier constitué dans le cadre d'une procédure répressive administrative débouchant sur une sanction de même nature. Par ailleurs, en l'espèce, il résulte de l'instruction que dans son courrier du 18 février 2021, la DRIEETS a communiqué à la société ITM AI, sur une clef USB jointe à la lettre de pré-amende, l'ensemble des pièces au vu desquelles les manquements ont été constatés, notamment celles établissant que les fournisseurs cités avaient bénéficié de service de coopération commerciale en France dans le réseau de points de vente Intermarché et que chacun des fournisseurs cités par la décision avait payé pour ces services des sommes reversées par AgeCore à ITM AI, ainsi que les contrats au vu desquels les manquements aux règles fixées par l'article L. 441-7 du code de commerce ont été constatés, lesquels ne font mention ni des sommes versées aux fournisseurs, ni des services que ces sommes venaient financer. La requérante, qui ne vise aucun document précis sur lequel serait fondée la sanction litigieuse et qui ne lui aurait pas été communiqué, n'est dès lors pas fondée à soutenir, quand bien même elle n'aurait pas eu accès à l'ensemble des éléments élaborés ou recueillis par l'administration, que la procédure de sanction a méconnu les droits de la défense.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : "Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction (...)". L'article L. 211-5 du même code dispose : "La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision.".

8. La décision attaquée liste les manquements retenus et vise les dispositions du code de commerce en application desquelles ils ont été sanctionnés, ainsi que celles fondant et encadrant les pouvoirs de sanction de l'administration. S'agissant du montant des amendes infligées, cette décision, éclairée par la lettre de pré-amende et le procès-verbal de constatation des manquements transmis à la requérante le 18 février 2021, énonce que les amendes correspondant aux soixante-et-un manquements finalement retenus sont plus ou moins élevées selon le montant versé par les fournisseurs au titre des services de coopération commerciale qu'ITM AI s'était engagée à leur rendre, tels que rappelés dans le tableau figurant en pages 2 et 3 du document, et que le montant de l'amende totale est justifié par l'atteinte significative et délibérée à la transparence contractuelle qui lui est reprochée. La décision ajoute que le montant de la sanction envisagée, pour être dissuasif, doit être proportionné à la valeur des engagements d'ITM AI absents des conventions annuelles. S'agissant enfin de la sanction complémentaire de publication, la décision litigieuse énonce qu'elle est de nature à dissuader la requérante d'enfreindre à l'avenir la législation en vigueur, et qu'elle est proportionnée à la gravité des faits constatés, qui portent sur un nombre significatif de fournisseurs et sur des sommes très élevés, de surcroît commis par une grande enseigne de la distribution à dominante alimentaire disposant de service juridiques lui permettant de connaître et de se conformer aux règles applicables. La décision de sanction contestée comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision litigieuse n'est pas suffisamment motivée.

En ce qui concerne la légalité interne :

9. Au terme de son enquête, l'administration a constaté que la société de droit français ATM AI est une filiale de la société ITM Entreprises, société du Groupement des Mousquetaires, propriétaire des enseignes commerciales Intermarché et Netto présente aussi bien en France qu'en Belgique, en Pologne et au Portugal, via des réseaux de points de vente exploités par des filiales étrangères. ITM Entreprises détient 100 % de la société de droit suisse Intercontessa, laquelle détient des parts de la société de droit suisse AgeCore, ainsi que 100 % de la société ITM Belgique. AgeCore et ITM Belgique fonctionnent en substance de manière similaire : agissant notamment pour le compte d'ITM AI, elles contractualisent des clauses financières et facturent des services de coopération commerciales définis de manière générale avec, la plupart du temps, les maisons-mères de ses fournisseurs au niveau national. Ces fournisseurs négocient ensuite avec ITM AI les services précis à rendre dans le réseau français en vertu du contrat international conclu avec AgeCore ou/et ITM Belgique. ITM AI refacture enfin à AgeCore et ITM Belgique les services qu'elle a rendus à ses fournisseurs et récupère l'intégralité des sommes qu'ils leur avaient versées.

S'agissant de la non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère :

10. Aux termes de l'article L. 441-7 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur du 11 mars 2017 au 26 avril 2019 : "I. - Une convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services indique les obligations auxquelles se sont engagées les parties, dans le respect des articles L. 441-6 et L. 442-6, en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale. Elle indique le barème de prix tel qu'il a été préalablement communiqué par le fournisseur, avec ses conditions générales de vente, ou les modalités de consultation de ce barème dans la version ayant servi de base à la négociation. Etablie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre annuel et des contrats d'application, elle fixe : (...) 2° Les conditions dans lesquelles le distributeur ou le prestataire de services rend au fournisseur, à l'occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs ou en vue de leur revente aux professionnels, tout service propre à favoriser leur commercialisation ne relevant pas des obligations d'achat et de vente, en précisant l'objet, la date prévue, les modalités d'exécution, la rémunération des obligations ainsi que les produits ou services auxquels elles se rapportent ; (...) II. - Le fait de ne pas pouvoir justifier avoir conclu dans les délais prévus une convention satisfaisant aux exigences du I est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 470-2. Le maximum de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.".

11. La requérante soutient que les dispositions du code de commerce précitées ne lui imposaient pas de faire figurer, dans les conventions uniques conclues annuellement avec ses fournisseurs, les obligations relatives aux services de coopération commerciale que ceux-ci, le cas échéant par l'intermédiaire de leurs maisons-mères, avaient précédemment contractées avec AgeCore et ITM Belgique. Selon elle, dès lors que l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, entrée en vigueur postérieurement aux manquements sanctionnés, a explicitement ajouté au dispositif existant, transféré à l'article L. 441-3 du code de commerce, l'obligation de fixer dans la convention unique "l'objet, la date, les modalités d'exécution, la rémunération et les produits auxquels il se rapporte de tout service ou obligation relevant d'un accord conclu avec une entité juridique située en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié", l'administration a, en l'espèce, méconnu le principe de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère en la sanctionnant pour ne pas avoir respecté ces dernières prescriptions.

11. Il résulte toutefois de la décision attaquée que l'administration a sanctionné la requérante pour n'avoir pas fait figurer dans les conventions annuelles conclues avec ses fournisseurs, notamment, le prix des services de coopération commerciales qu'ils avaient négociés. Or, comme cela était relevé dans le procès-verbal du 18 février 2021, ces services étaient effectivement discutés, définis et convenus dans le cadre des négociations annuelles entre ITM AI et ses fournisseurs français, en vue de leur exécution sur le territoire national, après que des clauses financières aient été contractualisées avec AgeCore ou ITM Belgique en contrepartie de "services" évoqués de manière très générale dans les contrats internationaux. Le prix de ces services constituait bien l'une des "conditions" dans lesquelles ils étaient rendus par la requérante au sens du 2° du I de l'article L. 441-7 du code de commerce dans sa version applicable à l'époque des faits, et devait par suite figurer dans les conventions qu'elle concluait avec ses fournisseurs, sans qu'ait d'incidence la question de savoir si ITM AI était rémunérée directement ou indirectement via des structures internationales créées à cet effet. Aussi la circonstance que le législateur ait par la suite précisé la portée des règles de formalisme contractuel applicables aux relations entre les distributeurs et leurs fournisseurs n'est pas, en elle-même, de nature à modifier rétroactivement la portée de ces dispositions suffisamment claires et précises de l'article L. 441-7 du code de commerce, légalement appliquées en l'espèce.

S'agissant de l'applicabilité de l'article L. 441-7 du code de commerce :

12. La requérante soutient que l'administration ne pouvait légalement appliquer le 2° du I de l'article L. 441-7 du code de commerce pour des services négociés dans le cadre d'accords internationaux et en toute hypothèse conclus par des entités situées à l'étranger. Toutefois, il est constant que les conventions annuelles au titre desquelles les sanctions litigieuses ont été infligées étaient conclues par ITM AI avec ses fournisseurs français, et étaient soumises au droit français. Par ailleurs, ainsi qu'il a déjà été dit, c'est dans le cadre des négociations précédant la conclusion de ces conventions annuelles qu'étaient effectivement définis les services de coopération commerciale que la requérante s'engageait à rendre à ses fournisseurs en vue de leur exécution dans son réseau de points de vente situés en France. Il résulte enfin de l'instruction que les sommes payées à AgeCore ou ITM Belgique par les fournisseurs d'ITM AI, ou par leurs maisons-mères qui les leur refacturaient alors, en application des accords internationaux qu'ils avaient précédemment conclus, étaient intégralement rétrocédées à la requérante, n'avaient aucune "valeur internationale" et ne finançaient aucune contrepartie dans un autre pays que la France. En exigeant que le prix de ces services figure dans les conventions annuelles, l'administration n'a ainsi nullement soumis ces accords internationaux aux dispositions du code de commerce et a fait une application légale des dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce. Le moyen doit par suite être écarté.

S'agissant de la preuve des manquements :

13. En premier lieu, la requérante soutient que l'administration ne rapporte pas la preuve, fournisseur par fournisseur, des manquements au titre desquels elle a été sanctionnée.

14. Il résulte de l'instruction, en particulier du procès-verbal de constatation des manquements, que la requérante a communiqué à l'administration au cours de l'enquête les conventions annuelles 2019 conclues avec les sociétés Barilla et Foods International, et qu'elle n'allègue ni que de telles convention n'auraient jamais été conclues, ni qu'elles étaient conformes aux prescriptions de l'article L. 441-7 du code de commerce alors en vigueur. Dès lors la seule circonstance que l'administration n'ait pas re-communiqué, à l'appui de sa décision de sanction, ces conventions annuelles mais seulement l'annexe d'un contrat pour 2019 s'agissant de Foods International, et un contrat-cadre pour 2018 s'agissant de Barilla, ne suffit pas à remettre en cause la matérialité des manquements sanctionnés afférents à ces deux entreprises.

15. Par ailleurs, il résulte de l'instruction qu'après avoir répertorié, dans son dossier d'enquête, les services rendus à chaque fournisseur français et les sommes qu'eux-mêmes ou leurs maisons-mères avaient versées en conséquence à AgeCore ou ITM Belgique au titre de l'année 2018, l'administration a constaté que les engagements d'ITM AI étaient reconduits d'année en année. Elle a ensuite produit dans son dossier d'enquête l'intégralité des conventions annuelles au titre desquelles la requérante a été sanctionnée (sauf celles concernant Barilla et Foods International, ainsi qu'il a été dit au point précédent), dans lesquelles ne figurent pas la mention des obligations auxquelles les parties se sont engagées en vue de fixer le prix, en particulier les conditions financières des services de coopération commerciale. A cet égard, s'il est vrai que l'administration n'a pas produit l'intégralité des accords signés par les fournisseurs ou leurs maisons-mères avec AgeCore et/ou ITM Belgique, il est constant qu'elle a versé au dossier d'enquête les factures sur le fondement desquelles ATM AI s'est vu reverser les sommes payées par ses fournisseurs à ces deux centrales. Dans ces conditions, alors que la requérante, dont il apparaît au demeurant qu'elle avait connaissance des contrats signés par ses fournisseurs avec AgeCore et/ou ITM Belgique, se borne à soutenir que les éléments produits par l'administration sont insuffisants, sans même alléguer, ni qu'elle n'aurait pas contracté de services de coopération commerciale qui ne figureraient pas dans les conventions annuelles au titre de 2019, ni que ses fournisseurs n'étaient pas liés à AgeCore et/ou à ITM Belgique, l'administration doit être regardée comme établissant la réalité des manquements litigieux.

16. Enfin, s'il est vrai que pour une partie des manquements concernés, les contrats signés avec AgeCore ou ITM Belgique l'ont été par des entités juridiques distinctes des signataires des conventions annuelles conclues avec ITM AI, il n'en demeure pas moins que ces conventions ne mentionnaient pas le contenu et le prix des services de coopération commerciale que la requérante s'engageait à leur rendre, et que celle-ci était rémunérée de ces services par le reversement à son profit des sommes payées à AgeCore et/ou ITM Belgique par les maisons-mères des fournisseurs, qui les leur refacturaient ensuite.

17. En second lieu, la circonstance que certains fournisseurs de la requérante avaient seulement signé avec AgeCore, et non avec ITM Belgique, des contrats fixant le prix de services ensuite définis au niveau national dans le cadre des négociations des conventions annuelles passées avec la requérante reste sans incidence sur la matérialité des manquements litigieux. Par ailleurs, s'il est vrai que dans la décision litigieuse, l'administration, reprenant les libellés communiqués par la requérante au cours de l'enquête, n'a pas précisément identifié les dénominations sociales des sociétés signataires des conventions annuelles, et s'est souvent limitée à indiquer le nom du groupe de l'industriel concerné, cette circonstance n'a pas davantage d'incidence sur la matérialité des manquements constatés dès lors, ainsi qu'il a été dit, que les conventions annuelles au titre desquelles les sanctions ont été prononcées, qui comprennent les dénominations sociales exactes des fournisseurs, sont versées au dossier de l'enquête et permettent de les identifier précisément. S'agissant en particulier de la convention annuelle passée par la requérante avec la société Kronenbourg, si l'administration l'a visée au nom de Carlsberg dans la décision litigieuse, il résulte de l'instruction que la société Kronenbourg est une entité du groupe Carlsberg, que Carlsberg a versé à AgeCore une somme du nom de sa filiale et a imputé la dépense sur son compte de résultat, qu'ITM AI s'était engagée à fournir des services de coopération commerciale aux entités du groupe Carlberg, dont à Kronenbourg pour la France, qu'ITM AI était partie à la convention signée avec la société Kronenbourg et que Carlsberg agissait au nom de sa filiale. S'agissant des deux conventions annuelles répertoriées dans la décision attaquée aux noms de L'Oréal et Garnier, s'il est vrai qu'elles ont toutes deux été signées par L'Oréal Parfumerie, il n'est pas contesté que ces entités concluaient des contrats séparés avec ITM AI, et que la requérante s'était engagée à fournir à Garnier, qui fait partie du groupe L'Oréal, et à L'Oréal, pour des montants respectifs de 1 929 000 euros et 2 600 000 euros, des services de coopération commerciale ne figurant dans aucune des conventions versées au dossier d'enquête. Le moyen doit par suite être écarté.

S'agissant de la proportionnalité de la sanction pécuniaire :

18. En premier lieu, la requérante soutient que pour calculer le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée, l'administration a opéré un cumul d'amendes sans aucune limitation, en méconnaissance des principes de nécessité des délais et des peines et de proportionnalité. Toutefois, par sa décision n° 2021-984 QPC du 25 mars 2022, le Conseil constitutionnel a jugé, d'une part, qu'aucune exigence constitutionnelle n'impose que des sanctions administratives prononcées pour des manquements distincts soient soumises à une règle de non-cumul, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 470-2 du code de commerce sont conformes au principe de proportionnalité des peines. Il s'ensuit que, alors qu'il est en l'espèce constant que chaque amende infligée sanctionne un manquement distinct, le moyen doit être écarté.

19. En second lieu, pour fixer le montant des amendes infligées, l'administration a tenu compte de la gravité des manquements sanctionnés, qui constituent des atteintes significatives et délibérées à la transparence contractuelle voulue par le législateur, et, afin de garantir leur caractère dissuasif, les a modulées en fonction de la valeur des services de coopération commerciale omis dans chacune des conventions litigieuses. Il résulte à cet égard de l'instruction que la valeur totale de ces services s'élevait à près de 290 000 000 d'euros en 2018 et 210 000 000 en 2017. S'il est vrai que l'administration s'est fondée sur les valeurs de 2018 pour sanctionner des manquements relatifs à l'année 2019, il est constant que les engagements d'ITM AI et de ses fournisseurs étaient reconduits d'année en année. Par ailleurs, si le montant maximal de l'amende a effectivement été retenu toutes les fois où la valeur des services concernés dépassait environ 1 100 000 euros, la circonstance que des manquements portant sur des valeurs sensiblement plus élevées aient été sanctionnés d'une amende d'un même montant n'est pas en elle-même contraire au principe d'individualisation des peines, compte tenu de l'objectif de dissuasion poursuivi par l'administration et dès lors qu'il résulte de l'instruction qu'elle a tenu compte des circonstances propres à chaque manquement. Lorsque plusieurs manquements sont simultanément sanctionnés, aucun principe n'implique en effet que seul le plus grave d'entre eux puisse légalement se voir appliquer la sanction maximum prévue par le législateur. Enfin, la circonstance qu'à l'issue de la même enquête, par une autre décision qui n'est pas l'objet du présent litige, l'administration ait infligé à la requérante une amende de 211 000 euros pour trente-et-un manquements aux dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 441-7 du code de commerce reste sans incidence sur la proportionnalité des amendes litigieuses, qui concernent des manquements de nature différente. Dans ces conditions, alors que l'administration n'a au demeurant retenu qu'un seul manquement par fournisseur, et ce alors qu'il y avait le plus souvent plusieurs conventions conclues par ITM AI avec le même fournisseur, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la sanction pécuniaire litigieuse revêt un caractère disproportionné.

S'agissant de la publication de la sanction :

20. Aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits litigieux : "(...) V. - La décision prononcée par l'autorité administrative peut être publiée aux frais de la personne sanctionnée. La décision est toujours publiée lorsqu'elle est prononcée en application du VI de l'article L. 441-6 ou du dernier alinéa de l'article L. 443-1. Toutefois, l'administration doit préalablement avoir informé la personne sanctionnée, lors de la procédure contradictoire fixée au IV, de la nature et des modalités de la publicité envisagée (...)". Aux termes de son article R. 470-2 : "(...) III. - La publication prévue au V de l'article L. 470-2 peut être effectuée par voie de presse, par voie électronique, ou par voie d'affichage. / La publication peut porter sur tout ou partie de la décision, ou prendre la forme d'un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de cette décision. / La diffusion de la décision est faite au Journal officiel de la République française, par une ou plusieurs autres publications de presse, ou par un ou plusieurs services de communication au public par voie électronique. Les publications ou les services de communication au public par voie électronique chargés de cette diffusion sont désignés dans la décision. Ils ne peuvent s'opposer à cette diffusion. / L'affichage s'effectue dans les lieux et pour la durée indiquée par la décision ; il ne peut excéder deux mois. En cas de suppression, dissimulation ou lacération des affiches apposées, il est de nouveau procédé à l'affichage. / Les modalités de la publication sont précisées dans la décision prononçant l'amende (...)".

21. En premier lieu, dès lors que les dispositions de l'article L. 470-2 du code de commerce ne privent pas la personne concernée de la possibilité d'exercer un recours contre la décision de publication de l'amende devant le juge des référés administratifs qui, statuant en urgence, peut suspendre l'exécution de la mesure - ce qu'au demeurant la requérante n'a pas fait -, ainsi que devant le juge du plein contentieux, qui peut ordonner toute mesure de nature à remédier aux torts éventuellement causés par une telle publication, la société ITM AI ne peut utilement soutenir que la publication de la décision de sanction avant qu'elle soit devenue définitive est contraire au principe de la présomption d'innocence prévue par le 2 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

22. En deuxième lieu, compte tenu des manquements constatés, du nombre significatif de fournisseurs concernés, des sommes très élevées sur lesquels ils portent, et de la circonstance qu'ils ont été mis en œuvre par une grande enseigne de la distribution à dominante alimentaire, qui dispose de services juridiques permettant de connaître et de se conformer aux règles applicables, la DRIEETS a décidé d'assortir la sanction pécuniaire infligée de la publication de la décision litigieuse sous la forme d'un communiqué sur le site de la DGCCRF, et ce pour une durée de douze mois. Outre sa portée punitive, l'objet de cette publication est de dissuader la requérante d'enfreindre à l'avenir la législation en vigueur, ainsi que de porter à la connaissance des autres acteurs du secteur tant les irrégularités qui ont été commises que les sanctions que celles-ci ont appelées, afin de satisfaire aux exigences d'intérêt général relative à la transparence des relations contractuelles entre les distributeurs et leurs fournisseurs.

23. La circonstance que la ministre ait publié un communiqué de presse distinct renvoyant notamment vers le communiqué litigieux, lequel n'est pas attaqué en tant que tel dans le présent litige et aurait pu, le cas échéant, faire l'objet d'un recours contentieux, reste sans incidence sur la proportionnalité de la sanction de publication litigieuse. Pour les mêmes motifs, la requérante ne peut pas davantage utilement se prévaloir du préjudice injustifié que lui aurait causé la formulation de ce communiqué, qui, contrairement à ce qu'elle soutient, précisait en tout état de cause clairement que les services de la DGCCRF s'apprêtaient alors à engager une procédure d'injonction sous astreinte qui concernait seulement une "autre centrale régionale d'une autre enseigne de distribution".

24. Ensuite, il n'est en tout état de cause pas établi que l'administration n'aurait pas retiré le communiqué litigieux de son site internet à l'issue de la période de douze mois prévus par la décision attaquée. La seule circonstance que d'autres communiqués, publiés en exécution d'autres décisions de sanction et portant sur d'autres manquements n'auraient pas été retirés à temps n'a pas davantage d'incidence en l'espèce.

25. Par ailleurs, s'il est vrai qu'une décision de publication est toujours susceptible de porter préjudice à la personne sanctionnée, il n'en demeure pas moins, d'une part, que la décision litigieuse est avant tout justifiée par le nombre et l'ampleur des manquements commis par la requérante, d'autre part, qu'elle n'établit pas, par ses seules allégations générales relatives au caractère viral d'internet, avoir effectivement subi un préjudice excessif du fait de cette sanction.

26. Enfin, le communiqué litigieux se borne à rappeler qu'une amende de 19 200 000 euros a été prononcée à l'encontre de la requérante pour ne pas avoir fait figurer dans les conventions annuelles conclues avec ses fournisseurs "les éléments relatifs aux services de coopération commerciale facturés par ses centrales internationales AgeCore (Suisse) et ITM Belgique (Belgique) et ce alors que ces services sont rendus en France". Contrairement à ce que soutient à la requérante, sa formulation n'a pas pour effet de sanctionner AgeCore et ITM Belgique et ne laisse aucunement entendre qu'elles auraient été elles-mêmes visées par les sanctions infligées à ITM AI. En tout état de cause, à supposer que ces deux sociétés s'estimeraient lésées par ce communiqué, il n'appartient pas à la société requérante d'agir à son encontre.

27. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation de la décision de sanction attaquée du 7 janvier 2022 présentées par la société ITM AI doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société ITM AI au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société ITM AI est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société ITM AI et au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris.