Livv
Décisions

CA Colmar, 1re ch. A, 4 octobre 2023, n° 22/01216

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

First Automobile (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Walgenwitz

Conseillers :

M. Roublot, Mme Robert-Nicoud

Avocats :

Me Laissue-Stravopodis, Me Bieth, Me Harter, Me Antoni

TJ Strasbourg, du 25 févr. 2022

25 février 2022

EXPOSE DU LITIGE :

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 25 février 2022,

Vu la déclaration d'appel de la SARL First Automobile effectuée le 23 mars 2022 par voie électronique,

Vu la constitution d'intimée de la SARL [M] Automobiles et de M. [M] effectuée le 14 avril 2022 par voie électronique,

Vu les conclusions de la SARL First Automobile du 4 avril 2023, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le 5 avril 2023, et par lesquelles elle demande à la cour de :

- recevoir l'appel,

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 25 février 2022 ;

- constater la violation par M. [E] [M] de son obligation de bonne foi, de loyauté et la violation de la clause de confidentialité ;

- condamner M. [E] [M] à la somme de 50.000 euros au titre de sa responsabilité civile contractuelle en raison de la violation des engagements ;

- constater les actes de concurrence déloyale commis par la société [M] Automobiles et M. [E] [M] ;

- condamner solidairement ou in solidum M. [E] [M] et la Société [M] Automobiles à verser à l'appelant la somme de 980.000 euros en réparation du préjudice subi au titre des chefs de préjudice suivant :

- 150.000 euros pour compenser le débauchage de Messieurs [J] et [O], justifié par la perte minimum de 150.000 euros enregistrée au niveau du poste atelier ;

- 80.000 euros pour compenser les coûts de recrutement et de formation que la société First Automobile doit supporter, la perte de temps et les frais pour le remplacement des postes polyvalents achat/vente/réparation, l'impossibilité de développer l'atelier de réparation, de restauration et de vente de des véhicules Classic de collection prévue avec Messieurs [J] et [O] ;

- 580.000 euros pour compenser le préjudice économique résultant de la perte de chiffre d'affaires issue des ventes et des reprises de véhicules non réalisées, ainsi que pour les achats non réalisés auprès de fournisseurs habituels ;

- 170.000 euros pour réparer les faits de détournement des fichiers clientèle, fournisseurs et sous-traitants, ainsi que le préjudice moral et la détérioration de l'image de la société First Automobile.

- ordonner à M. [E] [M] et à la Société [M] Automobiles de cesser tout acte de concurrence déloyale, sous astreinte, mise solidairement à leur charge, à hauteur de 2 000 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;

- ordonner à la Société First Automobile à faire publier, par extrait, le jugement à intervenir dans 4 journaux de son choix, le prix de chaque insertion devant être mis à la charge solidaire de M. [E] [M] et de la Société [M] Automobiles ;

- condamner solidairement ou in solidum M. [E] [M] et la Société [M] Automobiles au paiement de la somme de 16 083 euros au titre des frais engagés déboursés (enquête, expert informatique, constat d'huissier, divers constats d'huissier, frais d'avocats) ;

- condamner solidairement ou in solidum M. [E] [M] et la Société [M] Automobiles au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de la procédure, y compris les frais d'exécution,

et ce en invoquant, en substance :

- les manquements suivants de M. [M] au titre de sa responsabilité contractuelle :

- inexécution de l'obligation de bonne foi : le devoir de loyauté l'obligeait à faire part à son employeur de son souhait très prochain de quitter la société pour s'adonner à d'autres activités ; si elle en avait été informée, elle n'aurait pas engagé M. [J] comme mécanicien, mais en priorité un responsable commercial pour remplacer M. [M] ; il lui a fait engager ce mécanicien, pour le récupérer par la suite, celui-ci ayant été débauché par la société [M] Automobiles deux jours après la fin de son préavis,

- violation de la clause de confidentialité, de fidélité et de loyauté : il a copié les noms et mails des clients début 2015 sans demander l'autorisation ; puis transféré le fichier sur un téléphone le jour du départ,

- la création d'une société concurrente en avril 2010 (qui a été dissoute et radiée en 2011),

- le court-circuitage de First Automobile dans la vente au profit de M. [I]

- les manquements suivants de la société [M] Automobiles au titre de sa responsabilité délictuelle :

- la désorganisation de l'entreprise :

- par le débauchage de salariés, avec des manœuvres déloyales,

- par le détournement de clientèle,

- le parasitisme dans le sillage commercial :

- auprès des fournisseurs,

- auprès des prestataires

- son préjudice, ayant subi une baisse de ses résultats, au travers de la baisse du nombre des ventes et de son chiffre d'affaires, de la baisse du chiffre d'affaires du poste 'Atelier' et par le détournement de fichier, la baisse de son chiffre d'affaires correspondant d'ailleurs à celui réalisé par la société [M] Automobiles grâce à des ventes faites auprès des clients de la société First Automobile,

- le lien de causalité avec la baisse des résultats, le départ des salariés, le détournement de clients, de chiffre d'affaires, de fournisseurs et de sous-traitants.

Vu les conclusions de la SARL [M] Automobiles et de M. [M] du 14 avril 2023, auxquelles est joint un bordereau de communication de pièces qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, lesquels ont été transmis par voie électronique le même jour, et par lesquelles ils demandent à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Strasbourg du 25 février 2022 en l'ensemble de ses dispositions et, ce faisant,

- rejeter l'intégralité des demandes, fins et prétentions formées par la société First Automobile à l'encontre de la société [M] Automobiles et de M. [E] [M],

Y ajoutant,

- déclarer irrecevable, et, à tout le moins, mal fondée la demande nouvelle de la société First Automobile SARL visant à obtenir la condamnation de M. [E] [M], à titre personnel, au paiement d'une somme de 50.000 euros au profit de la société First Automobile,

En conséquence,

- débouter la société First Automobile de sa demande visant à obtenir la condamnation de M. [E] [M], à titre personnel, au paiement d'une somme de 50.000 euros au profit de la société First Automobile,

A titre subsidiaire,

Si par extraordinaire la Juridiction de céans devait considérer que la société [M] Automobiles et/ou M. [E] [M] ont commis une faute à l'égard de la société First Automobile, elle ne pourra que :

- confirmer, au besoin par substitution de motif, le jugement entrepris en qu'il a débouté la société First Automobile, cette dernière n'apportant pas la preuve de la réalité et du quantum des préjudices prétendument subis, ni de l'existence d'un lien de causalité direct, certain et exclusif entre les actes de concurrence déloyale allégués et les préjudices prétendument subis,

En tout état de cause,

Statuant à nouveau,

- condamner la société First Automobile à payer à la société [M] Automobiles et à M. [E] [M] indivisément la somme de 8.767,50 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés dans le cadre de l'instance d'appel,

- condamner la société First Automobile aux entiers dépens d'appel.

En soutenant, en substance que :

- la demande, nouvelle, d'un montant de 50 000 euros dirigée contre M. [M] est irrecevable, et au surplus mal fondé,

- la société First Automobile recherche la responsabilité contractuelle de M. [M] en se fondant exclusivement sur le contrat de travail, tout en demandant condamnation au paiement de 50 000 euros au titre d'une prétendue inexécution contractuelle, et condamnation solidaire avec la société [M] sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle ; la cour est incompétente pour connaître d'une prétendue responsabilité contractuelle fondée sur le contrat de travail ; les demandes fondées sur une prétendue responsabilité contractuelle sont prescrites (prescription biennale de L. 1471-1 du code du travail, courant à compter du 19 juin 2018 et n'étant engagée que par conclusions d'appel du 22 juin 2022) ; les allégations à l'encontre de M. [M] ne sont pas fondées,

- la demande est dirigée contre M. [M] sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, alors que sont invoqués des fondements contractuel et extracontractuel et il n'est pas démontré une faute détachable de ses fonctions de gérant,

- les embauches par la société [M] ne sont accompagnées d'aucune manœuvre déloyale ou frauduleuse et la désorganisation de l'entreprise n'est pas justifiée, ni les autres préjudices, ni le lien de causalité,

- elle conteste le prétendu détournement de clientèle par la société [M], soutenant que la simple concomitance de clients dans les listings de sociétés concurrentes est impropre à caractériser un acte de concurrence déloyale ; aucun acte déloyal n'est établi,

- le prétendu parasitisme n'est pas démontré,

- à titre subsidiaire, la réalité et le quantum du préjudice ne sont pas démontrés ; il n'existe pas de lien de causalité entre les actes de concurrence allégués et les préjudices prétendument subis.

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 3 mai 2023,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION :

La société First Automobile a employé M. [M], à compter du 14 avril 2010 au 9 octobre 2015, comme technicien automobile polyvalent, outre, selon avenant du 1er juin 2012, commercial-vendeur, devenu, selon avenant du 22 janvier 2013 lui conférant le statut de cadre, commercial assistant responsable auprès de la direction.

Par lettre du 14 août 2015, M. [M] lui avait fait part de son souhait d'une rupture conventionnelle.

Il a créé la société [M] Automobiles, et ce en novembre 2016 comme l'indique la société First Automobile sans que cela soit contesté par les intimés.

Par ordonnance de référé du 19 avril 2018, la société First Automobile a été autorisée à mandater un huissier de justice aux fins de constat. Elle a été rétractée sur un point par ordonnance du 14 novembre 2018.

La société First Automobile soutient exercer contre M. [M] une action en responsabilité civile contractuelle, fondée sur l'inexécution contractuelle, et contre la société [M] Automobiles une action en responsabilité civile extracontractuelle, s'agissant d'une action en concurrence déloyale.

1. Sur la recevabilité de la demande en paiement de la somme de 50 000 euros dirigée contre M. [M] fondée sur la responsabilité contractuelle :

Il est constant que cette demande est formée pour la première fois à hauteur d'appel, la société First Automobile ayant uniquement demandé, en première instance, sa condamnation au paiement de la somme de 950 000 euros, solidairement avec la société [M] Automobiles, qu'elle réitère devant la cour d'appel en l'augmentant à 980 000 euros.

Cette nouvelle demande de dommages-intérêts ne répond pas aux cas dans lesquelles une demande nouvelle est recevable en application des articles 564 à 566 du code de procédure civile. En particulier, elle ne constitue pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de la demande de dommages-intérêts formée à hauteur de 950 000 euros par la société First Automobile, étant d'ailleurs relevé, outre que celle-ci ne soutient pas que cette demande ait une telle caractéristique, qu'elle ne précise pas la raison pour laquelle elle ajoute cette seconde demande de dommages-intérêts à la première, déjà dirigée contre M. [M], ni le lien qui pourrait exister entre les deux demandes.

Cette demande est dès lors irrecevable.

2. Sur la demande en paiement de 980 000 euros dirigée contre M. [M] :

La société First reproche les fautes suivantes à M. [M], avec lequel elle était liée par un contrat de travail.

A titre liminaire, il convient de constater que :

- Si M. [M] invoque, dans ses conclusions, l'incompétence de la cour d'appel pour connaître d'une prétendue responsabilité contractuelle fondée sur son contrat de travail, seul le conseil de prud'hommes étant compétent en application de l'article L. 1411-3 du code du travail, il ne présente aucune exception d'incompétence dans le dispositif de ses conclusions.

- Si M. [M] invoque la prescription de la demande formée à son encontre, il ne présente, dans le dispositif de ses conclusions, aucune fin de non-recevoir dirigée contre la demande en paiement de 950 000 euros.

S'agissant du manquement à l'obligation de bonne foi :

La société First Automobile ne produit aucun élément permettant de justifier, non seulement qu'elle avait un projet de développer son atelier, ni qu'elle en avait fait part à M. [M] et que celui-ci lui avait laissé croire qu'il serait présent pour faire aboutir ce projet.

M. [M], qui a demandé une rupture conventionnelle le 14 août 2015, n'avait pas l'obligation d'informer préalablement son employeur de son souhait prochain de quitter l'entreprise, et ce notamment au moment où la société First Automobile a embauché le 1er juillet 2015, M. [J] en qualité de mécanicien, fût-t-il l'une des connaissances de M. [M].

M. [M] n'a donc pas manqué à son devoir de loyauté en ne l'informant pas à ce moment-là, de son souhait prochain de quitter l'entreprise, et ce même s'il est justifié qu'à cette époque, il avait déjà le projet de travailler à son compte.

En outre, le fait que, en novembre 2014, voire en mai 2015, M. [M] énonce, de manière générale, qu'il aura besoin d'un mécanicien dans le cadre de sa future activité, que M. [J] et M. [M] se connaissaient, et que M. [J] a ensuite été embauché par la société [M] Automobiles, laquelle a effectué la déclaration préalable à l'embauche le 17 février 2017, soit deux jours après la fin du préavis qu'il devait à la société First Automobile, et ce, selon contrat de travail daté du 1er février 2017 à effet au 20 février 2017, ne suffisent pas pour établir que M. [M] avait eu, au printemps ou à l'été 2015, ou même dès 2014, le projet de faire embaucher M. [J] par la société First Automobile pour l'embaucher par la suite, une fois qu'il était formé et spécialisé sur les véhicules de marque Porsche.

Il sera au surplus constaté que le SMS contenu dans la pièce 26 produite par l'appelante ne relate pas de propos évoquant un besoin d'une secrétaire et d'un 'mécano compétent', mais contient des propos sur un ton qui se veut humoristique et qui concluent par 'sinon je débauche [W]', de sorte qu'ils sont insuffisants à démontrer l'existence d'un débauchage, de surcroît déloyal, de M. [J].

Aucun manquement à l'obligation de bonne foi n'est ainsi établi.

S'agissant de la violation de la clause contractuelle :

Le contrat de travail de M. [M] du 14 avril 2010 précisait que 'compte tenu de votre poste polyvalent et de l'importance des informations reçues, entre autres fichiers clients, fournisseurs et diverses adresses, vous vous engagez à faire preuve de discrétion, de confidentialité, de fidélité et de loyauté concernant directement ou indirectement toutes les activités de First Automobile auprès de tout tiers'.

L'avenant au contrat du 22 janvier 2013 contenait la clause suivante : "compte tenu de l'importance du poste et de l'accès à toutes les informations concernant l'achat, la vente, l'organisation, le fonctionnement, les listings et adresses clients, la publicité, le site internet, etc, ..., M. [E] [M] s'engage à la plus grande confidentialité, directe et indirecte, auprès de tout tiers, ainsi qu'à la plus grande loyauté envers First Automobile en ne créant aucun préjudice direct ou indirect à First Automobile durant sa fonction et ses missions, et ceci même après un éventuel départ de M. [E] [M] de l'entreprise, quel que soit le motif : cette clause est essentielle au présent avenant sans quoi les parties n'auraient pas contracté".

Contrairement à ce qu'indique la société First Automobile, il ne résulte pas de l'attestation produite en pièce 18 que M. [M] a informé M. [V] qu'il avait de sa propre initiative copié sur son ordinateur portable tous les noms et mails des clients et prospects de la société First Automobile sans demander l'autorisation.

Il résulte de cette attestation produite en pièce 18, que lors de son départ de la société First Automobile, M. [M] a restitué à M. [V] l'ordinateur portable qu'il utilisait. Si M. [V] indique avoir 'tout de suite constaté que tous les contacts avaient été effacés sauf certains mails', cette affirmation ne signifie pas que M. [M] avait procédé, avant ou lors de son départ, à une copie des contacts sur son ordinateur ou téléphone portable. Ce fait ne résulte pas non plus des termes suivants de l'attestation par lesquels M. [V] indique que, souhaitant remettre l'ordinateur portable en service fin mai 2019, il s'était aperçu en voulant brancher un téléphone Iphone que M. [M] avait procédé à la sauvegarde du téléphone via ITUnes sur cet ordinateur professionnel de First Automobile. Cette affirmation est en effet insuffisamment circonstanciée sur la manière dont il se serait aperçu, en mai 2019, que c'était M. [M] qui aurait, lors de son départ de l'entreprise, qui datait de 2015, procédé à ladite sauvegarde.

Il résulte de cette attestation et du constat d'huissier de justice du 2 juillet 2019, qu'en 2019, l'ordinateur ne contenait aucun 'contact' Outlook. L'huissier de justice indique qu'en branchant un téléphone portable, l'ordinateur effectue une sauvegarde dite de "restauration", la présence de 2828 photographies apparaissant alors sur ce téléphone portable ainsi que 1568 "contacts".

Cependant, ces pièces n'établissent pas qu'un précédent transfert de tels fichiers avait déjà eu lieu vers un téléphone portable, mais seulement l'existence, dans l'ordinateur professionnel utilisé par M. [M] lorsqu'il était salarié de la société First Automobile, de 1 568 contacts.

La société First Automobile produit, en pièce 19, un extrait du procès-verbal de constat d'huissier du 19 juin 2018, dont il résulte que la consultation du poste informatique actuel de M. [E] [M] montre que 'après analyse des fichiers informatiques achats, ventes, et tiers de la SARL [M] Automobiles, il est constaté la présence de 65 noms en commun avec les fichiers clients/prospects de la SARL First Automobile' qui ont été remis à l'huissier de justice, qui sont ensuite cités.

Cependant, un tel constat de concordance de 65 noms figurant dans les fichiers des deux sociétés lors du constat opéré par l'huissier de justice ne permet pas d'établir que ces noms trouvés dans le fichier de la société [M] Automobiles proviendraient du fichier de la société First Automobile.

Il n'est ainsi pas démontré que le fichier clientèle qui figurait sur l'ordinateur avait été transféré, le jour du départ de M. [M], sur un téléphone portable ou que M. [M] ait utilisé des données relatives à la clientèle de la société First Automobile et ainsi violé la clause précitée.

S'agissant de la création d'une société concurrente en avril 2010 :

La société First Automobile reproche à M. [M] d'avoir failli à son obligation de loyauté et de fidélité, en créant une activité concurrente à l'activité de son employeur, une semaine après avoir été embauché, ayant enregistré le 22 avril 2010 une société [M] Automobiles immatriculée au RCS de Strasbourg n°521 574 426, qui a ensuite été dissoute le 16 octobre 2011 et radiée le 9 décembre 2011.

M. [M] réplique l'avoir créée avant son embauche au sein de la société First Automobiles. Il produit des statuts d'une société [M] Automobiles du 18 mars 2010, avec la mention d'un enregistrement au service des impôts des entreprises du 30 mars 2010 et un extrait Kbis indiquant une immatriculation le 22 avril 2010, et une publication au journal d'annonces légales le 21 mars 2010.

Il en résulte qu'il a créé cette société avant même d'être engagé par la société First Automobile, le contrat de travail ne datant que du 14 avril 2010. Au surplus, il n'est pas soutenu ni démontré que cette société aurait réellement exercé une activité.

Aucun manquement ne peut être reproché à ce titre à M. [M].

Sur la vente intervenue entre un fournisseur de la société First Automobile et un ancien employé, M. [I] :

La société First Automobile reproche à M. [M] de ne pas l'avoir informée d'une vente directe, à laquelle il a participé, ayant eu lieu en octobre 2012 entre l'un de ses chauffeurs occasionnels et l'un de ses fournisseurs, qui n'a d'ailleurs pas été payé du prix.

M. [M] ne conteste pas la réalité de ces faits. Si son moyen de défense pris de l'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur qui lui a délivré un avertissement n'est pas fondé, dans la mesure où la présente action ne vise pas à le sanctionner disciplinairement une seconde fois, il convient toutefois de constater, comme le soutient M. [M], que la société First Automobile ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice en résultant, notamment à l'égard dudit fournisseur, ne démontrant d'ailleurs pas que celui-ci l'avait contacté à ce sujet, la pièce 29 constituant un courrier émanant de la société First Automobile.

La société First Automobile ne démontre donc pas que la responsabilité contractuelle de M. [M] puisse être engagée à son égard.

3. Sur les actes de concurrence déloyale et le parasitisme :

La société First Automobile invoque les actes de concurrence déloyale suivants :

- la désorganisation de l'entreprise par le débauchage de salariés :

En l'absence d'engagement de non-concurrence, les salariés sont libres de conclure un contrat de travail avec un employeur, même concurrent de leur précédent employeur ; ainsi, sa nouvelle embauche ne fait pas présumer, par elle-même, de l'existence d'un acte de concurrence déloyale. Tel n'est cependant pas le cas lorsque le débauchage est effectué de manière déloyale ou fautive.

En l'espèce, la société First Automobile reproche à la société [M] Automobiles d'avoir embauché de manière déloyale et fautive :

- M. [J], selon contrat souscrit le 1er février 2017 à effet au 20 février 2017, alors qu'elle-même l'employait du 1er juin 2015 au 15 février 2017.

Cependant, elle ne démontre aucune manoeuvre déloyale de la part de la société [M] Automobiles, étant relevé que son contrat de travail a été conclu le 1er février 2017, soit après la démission de ce dernier le 11 décembre 2016 à l'égard de la société First Automobile, et n'a pris effet qu'après la fin du préavis auquel il était tenu le 15 février 2017 chez la société First Automobile.

- M. [O], à l'égard duquel la société [M] Automobiles a émis une 'promesse d'embauche' le 5 octobre 2017, alors que la société First Automobile l'employait du 27 août 2015 au 30 novembre 2017, suite à sa démission le 7 octobre 2017.

Cependant, comme le soutient la société [M] Automobiles, le courrier du 5 octobre 2017 intitulé "promesse d'embauche" indiquait que l'engagement de M. [O] était "subordonné à l'établissement d'un contrat de travail établi par nos soins sur lequel vous devrez donner votre accord".

Ainsi, à cette date, M. [O] bénéficiait seulement d'une offre de contrat de travail de la part de la société [M] Automobiles. En effet, le document précité ne lui conférait pas un droit d'opter pour la conclusion d'un contrat de travail, dont l'emploi, la rémunération et la date d'entrée en fonction sont déterminés et pour la formation duquel ne manquait que le consentement du bénéficiaire. La conclusion du contrat de travail était subordonnée à l'acceptation par M. [O] d'un contrat écrit que devait encore établir la société [M] Automobiles. Ainsi, il ne s'agissait pas d'une promesse d'embauche.

La société First Automobile n'est donc pas fondée à soutenir que la société [M] Automobiles a envoyé une promesse d'embauche à l'un de ses salariés encore lié à elle.

Elle ne justifie pas non plus qu'elle l'a, par l'émission de ce document, fautivement incité à rompre son contrat de travail pour l'embaucher.

Aucune manœuvre déloyale de la part de la société [M] Automobiles n'est démontrée.

De plus, la société First Automobile ne démontre pas que l'un et/ou l'autre de ces débauchages ont entraîné une désorganisation de son entreprise. Au soutien de son affirmation relative à une telle désorganisation, elle n'invoque que des pièces concernant les activités développées par la société [M] Automobiles, qui ne suffisent pas à caractériser la désorganisation de sa propre entreprise résultant d'un tel débauchage.

De surcroît, si elle fait état du départ de trois salariés, dont M. [M], sur les quatre salariés qu'elle employait, y compris une secrétaire comptable, et ainsi de la perte de salariés qu'elle avait formés pendant des années, il convient de constater, d'une part, que le départ de M. [M] était bien antérieur à celui de MM. [J] et [O], et, d'autre part, s'agissant de l'impact du départ de ces deux derniers, il résulte de son livre d'entrée et de sortie du personnel qu'elle a rapidement remplacé M. [J] (et ce, avant même la fin de son préavis le 15 février 2017, engageant un autre mécanicien le 10 janvier 2017 jusqu'au 26 janvier 2017 puis un autre du 1er février 2017 au 10 septembre 2019) et M. [O] (ayant quitté l'entreprise le 30 novembre 2017 et l'ayant remplacé dès le 9 janvier 2018 jusqu'au 19 janvier 2018 puis à compter du 5 mars 2018 par un salarié en place pendant plus de deux ans). Elle ne démontre pas avoir subi une désorganisation en termes de perte de temps résultant de la nécessité de procéder à ces nouvelles embauches. Elle ne démontre pas non plus que ces nouveaux salariés ont été dans l'incapacité de satisfaire à un bon fonctionnement de l'entreprise et aux demandes de la clientèle, ni qu'elle a subi, en conséquence de ces départs, une 'migration de la clientèle'.

- la désorganisation par le détournement de clientèle :

Il résulte de ce qui précède que le constat d'huissier de justice du 19 juin 2018 ne permet pas d'établir que la société [M] Automobiles a détourné des clients de la société First Automobile. Le fait que les deux sociétés aient 65 noms en commun dans leurs fichiers ne suffit pas à caractériser une déloyauté ou que la société [M] Automobiles ait bénéficié du fichier clientèle de la société First Automobile. D'ailleurs, il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi que M. [M] ait transféré sur son téléphone les 1 568 contacts de la société First Automobile, ni même les 65 noms précités, ni qu'il les a mis à disposition de la société [M] Automobiles.

De surcroît, la société [M] Automobiles justifie que certains clients communs ont contacté M. [M], en raison des liens d'amitié qu'ils avaient déjà préalablement noués, lorsqu'il travaillait chez la société First Automobile puis dans sa nouvelle société (pièce 23-1, 23-2, 23-4) et un autre l'a contacté parce qu'il lui avait été présenté par un proche, l'ayant ensuite suivi en raison de sa réputation (pièce 23-5). D'autres sont devenus clients de la société [M] Automobiles en raison du lieu d'implantation du garage (pièce 24-6) et de sa connaissance via un proche (pièce 23-3), ou encore après avoir vu les véhicules dans sa vitrine (pièce 24-3, 24-9). D'autres encore indiquent s'être adressés au garage [M] Automobiles après consultation d'annonces, de sites ou revues spécialisés (pièces 24-1, 24-2, 24-4, 24-5, 24-7, 24-8, 24-10, 24-11), certains évoquant connaître préalablement le professionnalisme ou la réputation de M. [M], et un autre précisant que ses recherches ne lui ont pas permis de trouver une meilleure proposition (pièce 24-12).

La société First Automobile ne démontre ainsi pas l'utilisation d'un procédé déloyal de la société [M] Automobiles pour démarcher les clients et prospects de la société First Automobile.

Il n'est donc pas démontré que la société [M] Automobiles ait commis une faute ou des actes de concurrence déloyale.

- le parasitisme :

L'action en parasitisme, fondée sur l'article 1240 du code civil, qui implique l'existence d'une faute commise par une personne au préjudice d'une autre, peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique ou l'activité des parties, dès lors que l'auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements, peu important la finalité de ces agissements.

En l'espèce, la société First Automobile reproche les actes suivants :

- le parasitisme dans le sillage commercial auprès des fournisseurs :

Constatant que les deux sociétés ont huit fournisseurs en commun, faisant valoir la spécificité de son business model qui repose essentiellement sur le savoir-faire et le réseau de connaissance de M. [N] et de son fils et de la structure de la société lui permettant de trouver les véhicules Porsche auprès de marchands spécialisés et autres passionnés pour les proposer aux clients, le contact direct qu'avait M. [M] avec les différents marchands et vendeurs d'automobiles de marque Porsche, le temps qu'elle a investi dans la recherche des marchands et fournisseurs sérieux et fiables et le fait que ces fournisseurs professionnels lui proposaient en priorité les véhicules dénichés et correspondant aux critères des clients, la société First Automobile reproche à la société [M] Automobiles de s'être servie de ses données pour pratiquer du parasitisme dans son sillage commercial, réalisant ainsi 72 ventes, dont 57 Porsche, grâce aux véhicules fournis par ses partenaires et marchands habituels, et ce très rapidement, lui permettant d'être opérationnelle et rentable dès son installation, ce qu'elle ne pouvait faire seule et sans engager aucun investissement.

La société [M] Automobiles ne conteste pas avoir huit fournisseurs en commun avec la société First Automobile.

Elle fait d'abord état de l'absence de préjudice subi par la société First Automobile. Cependant, le parasitisme économique consistant à s'immiscer dans le sillage d'autrui afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, de tels actes, même limités dans le temps.

Elle fait cependant aussi état de ce que le nombre de fournisseurs est relativement restreint, ce qu'admet la société First Automobile en indiquant que très peu de fournisseurs sont spécialisés Porsche.

Alors que la société [M] Automobiles soutient qu'il est donc tout à fait normal que les vendeurs de Porsche aient des fournisseurs en commun, la société First Automobile ne justifie pas que, comme elle le soutient, elle les a trouvés uniquement après un certain investissement, qu'il s'agisse d'un investissement en temps ou dans la formation du personnel, et que la société [M] Automobiles ne pouvait pas les trouver si rapidement sans engager aucun investissement.

En outre, s'agissant du fournisseur Mythe et Sport, que la société First Automobile indique être le plus intéressant à cette époque des marchands spécialisés, la société [M] Automobiles produit une attestation de M. [X], lequel, selon le rapport du détective privé produit par la société First Automobile, travaille pour la société Mythe et Sport. Selon cette attestation (pièce 26 des intimés), M. [X] indique qu'aujourd'hui, l'essentiel de son travail consiste à trouver des Porsche d'occasion et de les proposer directement à des professionnels, dont First Automobile et [M] Automobiles. Il précise 'connaissant [E] [M] pour son sérieux et sa rapidité de prise de décision, j'ai logiquement pris contact avec [M] Automobiles afin de leur proposer mes services. Je n'ai pas été démarché par cette société.' En outre, les propos rapportés de M. [X] par le détective privé sont insuffisamment probants, d'une part, en ce qu'il s'agit de propos rapportés et d'autre part en ce que les propos attribués à M. [X] ne sont pas cités in extenso par ledit détective privé. Ainsi, il n'est pas établi un quelconque acte de parasitisme concernant les contacts avec le fournisseur Mythe et Sport.

De plus, la société First Automobile ne justifie pas de ce que la société [M] Automobiles aurait proposé aux fournisseurs une marge de profit plus importante que celle qu'accordait la société First Automobile.

Elle ne démontre donc pas l'existence de l'acte de parasitisme reproché.

Sur le parasitisme auprès des prestataires :

La société First Automobile soutient que la société [M] Automobiles collabore avec trois de ses sous-traitants, et ce depuis le 8 décembre 2015, alors qu'elle-même a mis des années à se constituer un réseau de sous-traitants sérieux.

Selon la pièce 38 qu'elle produit, ce n'est qu'avec DS Wash qu'elle a débuté ses relations commerciales dès le 8 décembre 2015. Toutefois, il résulte de l'attestation du gérant de la société DS Wash produite par la société [M] Automobiles en pièce 27 qu'il est devenu ami avec M. [M] après qu'il l'avait contacté en 2015 pour travailler pour la société First Automobile, qu'il 'l'a accompagné depuis le premier jour de son installation à [Localité 2] sans demande de sa part' et que son activité de nettoyage de qualité le conduit à se déplacer dans tout le Bas-Rhin.

Selon la pièce 38 précitée, la société [M] Automobiles n'a commencé à traiter avec [S] [Y] que le 26 janvier 2016 et avec la DSP Bricka que le 15 février 2017.

Selon l'attestation du gérant de la société DSP Bricka, il a rencontré M. [M] en 2003 alors qu'il travaillait chez Opel et que compte tenu de sa bonne entente avec lui, il a "spontanément proposé mes services de carrosserie et de débosselage sans demande de sa part", précisant, en outre que son activité l'amène à se déplacer dans le nord du Bas-Rhin.

En outre, alors que la société First Automobile soutient qu'en détournant M. [Y], la société [M] Automobiles s'est accaparée son projet de développer un atelier de réparation et de restauration, que celle-ci met aujourd'hui en œuvre, la société First Automobile ne démontre pas l'existence d'un tel projet préalable.

En outre, elle ne justifie pas que la société [M] Automobiles accorde à ces sous-traitants une marge supérieure à ce qu'elle leur propose, ni qu'ils privilégient cette société à son détriment, ni l'existence d'une désorganisation de son entreprise, ne démontrant notamment pas avoir eu préalablement le projet de développer un atelier de réparation et de restauration de Porsche Classic.

Elle ne démontre donc pas l'existence de l'acte de parasitisme invoqué.

Par ailleurs, il convient de constater que la société First Automobile fait valoir (in fine dans ses conclusions, dans un paragraphe relatif au lien de causalité) que "(...) l'utilisation du business model de First Automobile concernant le fonctionnement/achat /Vente au quotidien, l'utilisation des mêmes styles de publicité, sur les mêmes supports spécialisés, en allant même jusqu'à utiliser le nom de First Automobile et la notoriété de l'ancien chef d'atelier de First Automobile, M. [Z], dans un article concernant [M] Automobiles dans la revue spécialisée Flat 6 dont M. [M] a connu les responsables que grâce à First Automobile (voir annexe 34..), est la conséquence directe des détournements perpétrés par la société [M] Automobiles".

Elle n'évoque donc pas ces faits en tant qu'actes reprochés à la société [M] Automobiles.

En tout état de cause, les deux sociétés vendant des véhicules de marque Porsche, il n'est pas démontré en quoi l'utilisation des mêmes styles de publicité et sur les mêmes supports spécialisés serait fautif ou entraînerait une confusion. En outre, si l'article de presse invoqué évoque M. [Z], il indique également clairement qu'il a travaillé chez First Automobile, de sorte qu'aucune faute ou confusion ne peut exister.

En conséquence, la société First Automobile ne démontre pas l'existence des actes de concurrence déloyale et de parasitisme invoqués.

Sa demande de dommages-intérêts sera dès lors rejetée.

En conséquence, sa demande tendant à faire cesser tout acte de concurrence déloyale, tout comme celles aux fins de publication et de paiement de frais seront rejetées, le jugement étant confirmé de ce chef.

4. Sur les frais et dépens :

Succombant, la société First Automobile sera condamnée à supporter les dépens de première instance, le jugement étant confirmé, et d'appel.

Elle sera également condamnée à payer à M. [M] et à la société [M] Automobiles la somme globale de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sa propre demande sera rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.

P A R C E S M O T I F S

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 25 février 2022,

Y ajoutant :

Déclare irrecevable la demande nouvelle de la société First Automobile visant à obtenir la condamnation de M. [E] [M], à titre personnel, au paiement d'une somme de 50.000 euros au profit de la société First Automobile,

Rejette la demande en paiement à hauteur de 980 000 euros à l'encontre de M. [M] et de la société [M] Automobiles,

Condamne la société First Automobile à supporter les dépens d'appel,

Condamne la société First Automobile à payer à M. [M] et à la société [M] Automobiles la somme globale de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de la société First Automobile au titre de l'article 700 du code de procédure civile.