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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 27 septembre 2023, n° 21/03339

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Jubil Interim Ales (SARL)

Défendeur :

Littoral Placement (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mme Ougier, Mme Vareilles

Avocats :

Me Baboin, Me Meissonnier-Cayez, Me Sergent, Me Zerdoun

T. com. Nîmes, du 6 juill. 2021, n° 2020…

6 juillet 2021

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 3 septembre 2021 par la SARL Jubil interim [Localité 4] à l'encontre du jugement prononcé le 6 juillet 2021 par le tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance n° 2020J00214 ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 13 juin 2023 par l'appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 21 juin 2023 par la SAS Littoral placement, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure du 16 janvier 2023 à effet différé au 15 juin 2023 ;

Vu l'ordonnance du 16 juin 2023 révoquant la précédente ordonnance et fixant la clôture de la procédure au 22 juin 2023.

***

La SAS Littoral placement exerce une activité de prestations de service pour l'emploi ouvertes aux entreprises de travail temporaire sous l'enseigne '[...]' et s'est implantée sur la ville d'[Localité 4] en y créant une agence le 2 mars 2015.

La société Jubil intérim [Localité 4] a le même objet social de mise à disposition de personnel intérimaire, en catégorie tertiaire uniquement, et exerce son activité sur cette même commune.

Deux de ses salariés, Monsieur [G] [Y], chef d'agence, puis Madame [B] [W] en charge du recrutement des intérimaires, ayant démissionné à quelques mois d'intervalle, la société Jubil interim [Localité 4] alertait courant 2015 la société [...], du groupe [...], qu'elle pensait être leur nouvel employeur, sur l'existence de clauses de non-concurrence liant ses anciens salariés.

Par exploit du 13 janvier 2020, elle l'assignait devant le tribunal de commerce de Nîmes en indemnisation pour actes de concurrence déloyale par détournement de clientèle et désorganisation de l'entreprise, par débauche de salariés en violation de clauses de non-concurrence.

Par exploit du 30 juillet 2020, elle assignait en intervention forcée la société Littoral placement aux fins de condamnation solidaire.

Les procédures étaient jointes par jugement du 19 août 2020.

Par décision du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Nîmes constatait que la société [...] et la société Littoral placement étaient des personnes morales distinctes, ordonnait la disjonction des instances ouvertes sur les deux assignations, et déboutait la société Jubil interim [Localité 4] de ses demandes dirigées à l'encontre de la société [...].

Par un second jugement du 6 juillet 2021, le tribunal de commerce de Nîmes a, au visa des articles 1240, 1241, 2224 du code civil, des articles 1382 et 1383 du même code dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l'article 32-1 du code de procédure civile,

dit prescrite l'action en concurrence déloyale engagée par la société Jubil intérim [Localité 4] à l'encontre de la société Littoral placement pour ce qui concerne les faits tenant au débauchage de Monsieur [G] [Y],

dit non-opposable à la société Littoral placement la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de travail conclu entre la société Jubil intérim [Localité 4] et Madame [B] [W],

débouté la société Jubil intérim [Localité 4] de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Littoral placement,

condamné la société Jubil intérim [Localité 4] à payer à la société Littoral placement la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

condamné la société Jubil intérim [Localité 4] à une amende civile de 5.000 euros,

rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,

condamné la société Jubil intérim [Localité 4] à payer à la société Littoral placement la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné la société Jubil intérim [Localité 4] aux dépens de l'instance.

Le 3 septembre 2021, la S.A.R.L Jubil Intérim [Localité 4] a interjeté appel de ce jugement aux fins de le voir réformer en toutes ses dispositions.

***

Dans ses dernières conclusions, la SARL Jubil intérim [Localité 4], appelante, demande à la cour, au visa des articles 1382 et 1383 du code civil,

d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau :

dire et juger recevables ses demandes,

dire et juger que l'action en concurrence déloyale engagée n'est pas prescrite,

dire et juger que la société Littoral placement s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale envers elle en débauchant ses anciens salariés et en les employant en dépit d'une clause de non-concurrence,

dire et juger que la société Littoral placement avait connaissance et conscience que les salariés recrutés au sein de la société Jubil intérim étaient soumis à des clauses de non-concurrence,

dire et juger que la société Littoral placement a commis une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle,

En conséquence :

débouter la société Littoral placement de l'intégralité de ses prétentions, demandes reconventionnelles, fins et conclusions,

la condamner à lui payer la somme de 2.930.030 euros tenant les actes de concurrence déloyale commis,

la condamner à lui payer la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral résultant de ses agissements fautifs,

ordonner la publication du jugement à intervenir sur le site internet de [...] (https://www.[...].fr/),

autoriser la société Jubil intérim à publier sur son propre site internet la décision à intervenir ([05]),

condamner la société Littoral placement à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'appelante soutient tout d'abord que son action n'est pas prescrite pour les faits concernant Monsieur [Y].

Celui-ci a adressé sa lettre de démission le 13 janvier 2015 mais sans en préciser le motif et elle n'avait pas connaissance de l'identité du nouvel employeur de celui-ci. Elle n'a de fait appris qu'il s'agissait de la société Littoral placement que le 5 novembre 2015 et le délai n'a donc pu commencer à courir qu'à compter de cette date de sorte que son action n'était pas prescrite lorsqu'elle a été engagée.

Sur le fond, elle fait valoir que, selon une jurisprudence constante, le nouvel employeur qui se rend complice de la violation de l'obligation de non-concurrence contractuelle en embauchant le salarié qui y était tenu, commet un acte de concurrence déloyale et peut voir sa responsabilité civile engagée de ce chef.

En l'espèce, la société Jubil interim a reçu le 13 janvier 2015 une lettre de démission de Monsieur [G] [Y], embauché en qualité de chef d'agence depuis le 3 janvier 2000, puis le 28 juillet 2015 de Madame [B] [W], responsable de recrutement en poste depuis le 14 septembre 2001, salariés tous deux tenus par une obligation contractuelle de non-concurrence.

Leur nouvel employeur qui s'est avéré être la société Littoral placement était parfaitement informé de l'existence de cette clause pour en avoir été prévenu par ses soins par courriers des 22 janvier et 28 octobre 2015.

Il est même apparu que Monsieur [Y] a tenté, pendant la durée de son préavis, de débaucher ses anciens collègues au profit des sociétés exerçant sous l'enseigne [...], et que Madame [W] n'a pas hésité après sa démission à contacter des intérimaires inscrits auprès de la société Jubil interim pour les détourner. La violation de la clause de non-concurrence contenue dans son contrat de travail par Monsieur [Y] a d'ailleurs été consacrée par un arrêt de la chambre sociale de la cour d'appel de Nîmes du 3 avril 2018.

C'est à tort que les premiers juges ont écarté la clause de non-concurrence stipulée au contrat de travail de Madame [W] alors qu'elle était licite et justifiée par les responsabilités confiées, celle-ci exerçant les fonctions de responsable de recrutement depuis plusieurs années sur la commune d'[Localité 4].

Et ces actes de concurrence déloyale auxquels s'est livrée la société Littoral placement ont causé des préjudices directs et certains à la société Jubil intermim [Localité 4] en désorganisant de façon significative son entreprise, préjudices dont elle est fondée à demander réparation.

Il est retenu en jusrisprudence que le préjudice s'infère nécessairement du comportement déloyal générateur d'un trouble commercial.

En l'espèce, ce préjudice est double.

La lecture des bilans de la société Jubil interim [Localité 4] sur les années 2010 à 2018 fait état d'un chiffre d'affaires qui chute au départ des salariés démissionnaires puisque, alors qu'il était en moyenne de 6.574.054 euros sur les cinq années précédentes, il est de 2.789.706 euros en 2015. Prenant ainsi en compte une marge brute de 29 % et en considérant la perte de chiffre d'affaires sur les trois premières années suite au départ des salariés, le préjudice peut être évalué à 1.097.460 euros pour l'année 2015, 953.275 euros pour 2016 et 879.295 euros pour 2017, soit un total de 2.930.030 euros.

C'est à tort que les premiers juges ont retenu que la perte de chiffre d'affaires alléguée tenait en réalité à un transfert de clientèle opéré à compter de janvier 2015 au profit de la société Sud interim [Localité 4] et d'autres sociétés du groupe Jubil interim puisque ces autres sociétés ont été constituées et ont débuté leur activité bien après le départ des deux salariés, qu'elles sont distinctes, travaillent sous des marques différentes et ne disposent d'aucun salarié commun.

L'atteinte portée à l'image de la société Jubil interim [Localité 4] par son concurrent du fait de ses agissements déloyaux lui a causé également un préjudice moral qui sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 20.000 euros.

La publication de la décision à intervenir devra être ordonnée sous astreinte sur le site de la société Littoral placement , et autorisée sur celui de l'appelante.

Enfin, le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il l'a injustement condamnée pour procédure abusive à des dommages et intérêts ainsi qu'une amende civile, alors qu'elle n'a fait qu'user de son droit d'ester en justice.

***

Dans ses dernières conclusions, la SAS Littoral placement, intimée, demande à la cour, au visa de l'article 2224 du code civil, de l'article 1382 du code civil (dans sa version applicable avant la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016), des articles 1240 et 1241 du code civil, de :

déclarer la société Jubil intérim [Localité 4] mal fondée en son appel,

En conséquence,

confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,

débouter la société Jubil intérim [Localité 4] de toutes ses demandes, fins et

conclusions,

Y ajoutant, vu l'article 599 du code de procédure civile,

la condamner à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et

intérêts pour appel abusif,

la condamner à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700

du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, tant de première

instance que d'appel.

L'intimée considère que c'est à raison que l'action a été déclarée prescrite sur les faits concernant Monsieur [Y] dès lors que l'appelante avait connaissance dès le 22 janvier 2015 de la proposition d'embauche qu'elle avait formulée à celui-ci en décembre 2014, mais aussi de la création d'une agence sur [Localité 4] à compter de mars 2015 comme le révèle le courrier du 9 avril 2015 qu'elle produit. A la date de l'assignation, le 30 juillet 2020, l'action était donc prescrite.

S'agissant de Madame [W], la clause de non-concurrence stipulée dans son contrat de travail est illicite et donc inopposable à la société Littoral placement. En effet, elle ne prend pas en compte la spécificité de l'emploi de cette salariée, ne vise aucune activité spécifique et prive donc celle-ci qui avait pour spécialité le domaine de l'interim dans des fonctions de recrutement, de toute possibilité d'exercer une activité conforme à son expérience professionnelle et ses connaissances.

En outre, la société Littoral placement n'avait pas connaissance de l'existence de clauses de non-concurrence valables et applicables à ces deux personnes.

S'agissant de Monsieur [Y], la clause avait été déclarée nulle par jugement du Conseil des prud'hommes du 13 mai 2016, lequel n'a été infirmé par la cour d'appel de Nîmes que le 3 avril 2018, un an après l'expiration de l'engagement.

S'agissant de Madame [W], celle-ci avait déclaré lors de son embauche n'être tenue par aucune obligation de cette nature et la société Littoral placement n'a appris l'existence de la clause qu'à l'occasion de la présente instance.

En tout état de cause, il n'est aucunement démontré qu'il y aurait eu détournement de clientèle ni désorganisation significative de l'entreprise, Madame [W] ayant même été dispensée d'effectuer son préavis par la société Jubil interim [Localité 4] et le remplaçant de Monsieur [Y] ayant été recruté dès le 2 mars 2015.

L'intimée conteste également les préjudices invoqués.

Elle souligne que la comparaison entre la baisse du chiffre d'affaires supportée en 2015 par la société Jubil interim [Localité 4] de 4.561.294 euros, et le chiffre d'affaires réalisé par elle sur son agence d'Alès de mars à décembre 2015, soit 707.900,22 euros écarte tout lien de causalité.

Bien plus, la société appelante est directement responsable de la perte de chiffre d'affaires qu'elle invoque par un transfert de clientèle et de chiffre d'affaires opéré de façon occulte à compter de janvier 2015 au profit de la société Sud interim [Localité 4]. Celle-ci a été créée le 30 mai 2014 par la société Jubil travail temporaire qui est l'associée de l'appelante, son gérant est celui de l'appelante, elle exerce la même activité, à la même adresse que l'appelante, a les mêmes clients, travaille avec les mêmes intérimaires, utilise les mêmes lignes de téléphone et de fax, le même logo, et partage son personnel avec elle -la société Sud interim [Localité 4] disposant de comptables quand la société Jubil interim [Localité 4] dispose de commerciaux et d'administratifs.

Ainsi c'est à juste titre que les premiers juges ont non seulement rejeté toutes les demandes de l'appelante mais également retenu un comportement fautif de celle-ci en ce qu'elle avait agi en l'instance avec une légèreté blamable et une particulière mauvaise foi.

Son appel étant également dilatoire et abusif, une indemnisation doit lui être allouée en sus en cause d'appel.

***

Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Le principe de liberté de la concurrence est issu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Mais cette liberté ne doit pas conduire à user de procédés contraires aux usages loyaux du commerce.

En l'absence de règles légales, la concurrence déloyale est sanctionnée en recourant au droit commun des obligations et sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, devenus, depuis l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, 1240 et 1241 du code civil.

Au cas présent, la société Jubil interim [Localité 4] reproche à la société Littoral placement d'avoir commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice, en débauchant deux de ses salariés malgré la clause de non-concurrence qui les liait à elle.

En effet, toute personne qui, sciemment, emploie un salarié en violation d'une clause de non-concurrence souscrite par ce dernier, se rend complice de cette violation et commet un acte de concurrence déloyale. Com 5 février 1991 n° 88-18.400 ; 18 décembre 2007 n° 05-13.697 ; 13 mars 2007 n° 05-16.881 ; 11 juillet 2000 n° 95-21.888 ; 9 octobre 2001 n° 99-16.512 ; 5 décembre 2000 n° 99-12.895

Toutefois, s'agissant d'une responsabilité délictuelle, elle ne peut être engagée qu'après démonstration, à la charge de celui qui la recherche et l'invoque, d'une faute -laquelle ne peut être caractérisée que si la clause était licite, qu'elle a de fait été violée, et que le nouvel employeur en ait eu connaissance, d'un préjudice, et d'un lien de causalité entre les deux.

L'action en concurrence déloyale, de nature délictuelle, est soumise au régime de la prescription quinquennale de droit commun de l'article 2224 du code civil, prescription qui court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait du connaitre les faits permettant de l'exercer (Com 26 février 2020 n° 18-19.153).

Les premiers juges ont à ce titre retenu que l'action engagée pour les faits de débauchage de l'un de deux salariés, Monsieur [G] [Y], était prescrite -ce que conteste l'appelante.

Des pièces produites aux débats, il apparait que Monsieur [Y] a, alors qu'il était salarié de la société Jubil interim [Localité 4], candidaté pour un emploi auprès du groupe [...] par mail du 2 décembre 2014, et qu'un entretien a eu lieu le 23 décembre 2014.

Le même jour, 23 décembre 2014, le groupe [...] formulait une proposition à Monsieur [Y] pour une embauche entre le 1er février 2015 et le 1er avril 2015 pour le poste de responsable de secteur basé sur leur future agence d'[Localité 4], précisant qu'il était noté qu'il serait alors "libre de tout engagement" (pièces 9 et 10 de l'intimée).

Monsieur [Y] démissionnait le 13 janvier 2015 des fonctions de chef d'agence qu'il occupait pour la société Jubil interim [Localité 4] depuis le 3 janvier 2000 (pièces 5 et 8 de l'appelante).

Le 22 juillet 2015, le contrat de travail était signé entre la SAS Littoral placement enseigne [...] et Monsieur [Y] (pièce 8).

Si, dès le 22 janvier 2015, la société Jubil interim [Localité 4] avait connaissance de ce que son ancien salarié partait probablement travailler pour un concurrent puisqu'elle adressait alors un courrier de mise en garde à la SAS [...] "[...]" pour l'alerter sur l'existence d'une clause de non-concurrence concernant ce salarié, il est manifeste qu'elle ignorait alors tenant le destinataire de son courrier qui était précisément le nouvel employeur de son salarié, et, en tout état de cause, l'embauche de Monsieur [Y] par une société concurrente n'était alors qu'une éventualité, le contrat de travail n'étant finalement conclu que le 22 juillet 2015.

De même, Madame [W] est embauchée le 5 aout 2015 par la société Littoral placement après avoir démissionné le28 juillet 2015 de la société Jubil immo [Localité 4] où elle travaillait depuis le 14 septembre 2001, mais c'est encore à la société [...] que le courrier de mise en garde est adressé le 28 octobre 2015 par la société Jubil immo [Localité 4], ce qui démontre encore qu'à cette date, celle-ci ignorait toujours l'identité du nouvel employeur de ses deux anciens salariés.

Et rien ne permet davantage de retenir que la démission de Monsieur [Y] était nécessairement liée à l'ouverture d'une agence "[...]" sur Alès en mars 2015, quand bien même le numéro de SIRET, connu de la société Jubil interim [Localité 4] dès le 8 avril 2015 (pièce 13 page 3), désignait la société Littoral placement et non la société [...]- comme exploitant cette agence, puisque l'embauche n'y était pas concomittante et n'était en tout état de cause pas effective à cette date.

Ce n'est ainsi finalement qu'à réception de la lettre que lui a adressée la société Littoral placement, datée du 5 novembre 2015, qu'il est établi avec certitude que la société Jubil interim [Localité 4] connait l'identité du nouvel employeur de Madame [W] et Monsieur [Y], ce qu'elle admet d'ailleurs (ses conclusions page 10 et sa pièce 28).

Aucun élément au dossier ne démontre qu'elle ait pu en être véritablement informée avant, tant pour Monsieur [Y] que pour Madame [W], puisque si la lettre du 5 novembre 2015 répond au courrier de mise en garde adressé par l'appelante à l'intimée le 28 octobre 2015 au sujet de Madame [W], aucune réponse n'avait été apportée au même courrier concernant Monsieur [Y] adressé le 22 janvier 2015.

Ayant dès lors eu connaissance des faits de concurrence déloyale par débauche de deux salariés liés par une clause de non-concurrence, le 5 novembre 2015 au mieux, la société Jubil interim [Localité 4] avait jusqu'au 6 novembre 2020 pour agir en responsabilité de ce chef à l'encontre de la société Littoral placement. Elle l'a donc valablement fait par assignation du 30 juillet 2020.

Pour qu'elle se rende "sciemment" complice de la violation des clauses de non-concurrence auxquelles étaient tenus Monsieur [Y] et Madame [W] envers leur ancien employeur la société Jubil interim [Localité 4], et que le débauchage de ces salariés à son profit soit fautif, encore fallait-il que la société Littoral placement ait eu une connaissance certaine de ces clauses (Com 18 décembre 2001 n° 00-10.978).

En effet, il n'est argué ni d'une clause de non-concurrence qui serait usuelle dans ce secteur d'activité, ni d'une expérience professionnelle spécifique de Monsieur [Y] ou de Madame [W] qui auraient imposé à la société Littoral placement de procéder d'initiative à des vérifications avant leur embauche (Com 18 décembre 2001 précité et Com 11 juillet 2020 n° 95-21.888).

Or il ressort des échanges de courriers entre la société Jubil interim [Localité 4] et la société Littoral placement en suite de celui du 5 novembre 2015, que, malgré la demande expresse de cette dernière, la société Jubil interim [Localité 4] a refusé de lui communiquer les contrats de travail des deux salariés (pièces 15 de l'intimée et 30 de l'appelante), et donc de justifier de l'existence véritable des clauses invoquées, de sorte que celles-ci ne procèdaient que d'allégations de sa part -ce que lui rappelle l'intimée dans sa réponse du 8 février 2016 (sa pièce 16).

La société Littoral placement, nouvel employeur de Monsieur [Y], n'est pas partie à l'instance engagée par celui-ci devant le conseil des prud'hommes d'Alès par exploit du 30 mars 2015 et il n'est pas justifié d'une quelconque notification à sa personne des décisions rendues par cette juridiction le 13 mai 2016 puis par la chambre sociale de la cour d'appel de Nîmes le 3 avril 2018, notamment au sujet de cette clause de non-concurrence.

C'est donc seulement par l'assignation devant le tribunal de commerce qui lui est délivrée le 30 juillet 2020 et les pièces qui sont jointes au bordereau annexé à l'acte, que la société Littoral placement a, de fait, une connaissance certaine de l'existence effective et du contenu de ces clauses de non concurrence, telles que figurant aux contrats de travail des deux personnes qu'elle a embauchées les 22 juillet et 5 aout 2015.

La société Littoral placement conteste la validité de la clause de non-concurrence figurant à l'avenant au contrat de travail de Madame [W], ce qu'elle est recevable à faire en l'instance dès lors que la juridiction prud'hoale n'a pas été saisie par les parties au contrat de travail (Com 14 mai 2013 n° 12-19.351).

Pour autant, ce moyen est sans objet.

En effet, la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail de Monsieur [Y] stipulait qu'elle portait "son plein effet pendant les 24 mois qui suivront la fin de (son) contrat de travail" (pièce 5 de l'appelante), délai maintenu par l'avenant du 1er janvier 2011 (sa pièce 7). Ayant démissionné le 13 janvier, son contrat de travail expirait le 14 avril 2015 (sa pièce 9), de sorte qu'il était délié de son obligation de non-concurrence à compter du 15 avril 2017.

De même, la clause de non-concurrence figurant à l'avenant au contrat de travail de Madame [W] daté du 21 septembre 2004 (sa pièce 18) stipulait que l'"obligation de non-concurrence portera son plein effet pendant les vingt-quatre mois qui suivront la fin du contrat de travail", et le contrat de travail ensuite conclu le 1er juillet 2007, pour le poste de responsable de recrutement, reprenait exactement la même clause (pièce 19). Ayant démissionné le 28 juillet 2015, Madame [W] n'était donc plus tenue par cette clause à l'expiration d'un délai de deux ans après le terme de son contrat.

Dès lors, lorsque la société Littoral placement a, le 30 juillet 2020, une connaissance certaine de l'existence effective de ces clauses de non-concurrence, telles que figurant aux contrats de travail de Monsieur [Y] et Madame [W], celles-ci ne sont plus en vigueur.

Il ne peut donc lui être utilement reproché de n'avoir alors pris aucune mesure pour mettre un terme à l'emploi de ces deux salariés dès lors que cet emploi ne procédait d'aucune violation d'une clause de non-concurrence valide à cette date.

Enfin, les agissements déloyaux imputés par l'appelante à Monsieur [Y] ou Madame [W] ne peuvent relever de la responsabilité personnelle de la société Littoral placement du seul fait qu'ils étaient alors ses salariés.

En l'absence de faute démontrée, les demandes d'indemnisation formulées par la société Jubil immo [Localité 4] ne peuvent qu'être rejetées.

Une condamnation pour procédure abusive suppose la démonstration d'un abus du droit d'agir fautif, et d'un préjudice qui en est résulté.

En l'espèce, la société Jubil interim [Localité 4] était bénéficiaire aux termes des contrats de travail signés, de clauses de non-concurrence à l'égard de Monsieur [Y] et Madame [W], clause qui a, pour le premier, été retenue comme valide par arrêt du 3 avril 2018, et clause qui n'a, pour la seconde, jamais été contestée devant le conseil de prud'hommes.

Quelque mal fondée que ce soit avérée in fine son action, elle correspondait dès lors à l'exercice de son droit d'agir aux fins d'obtenir indemnisation de la violation desdites clauses. Et il appartenait au tribunal saisi de déterminer si la faute, le préjudice et le lien de causalité, nécessaires au succès de son action, étaient établis par ses soins tels qu'invoqués.

C'est donc à tort que les premiers juges ont considéré que l'action engagée procédait d'un abus répréhensible, et le jugement déféré sera infirmé de ce chef, la cour disant n'y avoir lieu à indemnisation à ce titre, ni donc au prononcé d'une amende civile à la charge de la société Jubil interim [Localité 4].

Enfin, en exerçant son droit d'appel à l'encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Nîmes le 6 juillet 2021, cette société n'a encore fait qu'user du recours qui lui était ouvert par la loi. La demande reconventionnelle en indemnisation pour appel abusif formulée par l'intimée est donc rejetée.

L'appelante, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance d'appel et payer à l'intimée une somme équitablement arbitrée à 3.000 en application de l'article 700 du code de procédure civile, les dispositions du jugement déféré statuant sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant en outre confirmées.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

dit prescrite l'action en concurrence déloyale engagée par la société Jubil interim [Localité 4] à l'encontre de la société Littoral placement pour ce qui concerne les faits tenant au débauchage de Monsieur [G] [Y],

dit non-opposable à la société Littoral placement la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de travail conclu entre la société Jubil interim [Localité 4] et madame [B] [W],

condamné la société Jubil interim [Localité 4] à payer à la société Littoral placement la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

condamné la société Jubil interim [Localité 4] à une amende civile de 5.000 euros ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit recevable et non prescrite l'action engagée par la société Jubil interim [Localité 4] à l'encontre de la société Littoral placement ;

Dit que la société Littoral placement n'a eu une connaissance certaine des clauses de non-concurrence contenues dans les contrats de travail liant respectivement Monsieur [G] [Y] et Madame [B] [W] à la société Jubil interim [Localité 4], que le 30 juillet 2020 ;

Dit que l'obligation contractuelle de non-concurrence stipulée dans ces clauses avait alors expiré ;

Dit que la société Littoral placement n'a donc commis aucune faute de concurrence déloyale en continuant à employer Monsieur [Y] et Madame [W] à son service après le 30 juillet 2020 ;

Dit que la société Jubil interim [Localité 4] n'a pour autant commis aucun abus du droit d'agir en justice mais seulement exercé ce droit ;

Dit qu'il n'y a donc pas lieu à indemnisation de ce chef de la société Littoral placement ni a prononcé d'une amende civile ;

Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions et notamment en ce qu'il a débouté la société Jubil interim [Localité 4] de toutes ses prétentions ;

Déboute la société Littoral placement de sa demande en indemnisation pour appel abusif ;

Dit que la société Jubil interim [Localité 4] supportera les dépens d'appel et payera à la société Littoral placement une somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.