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Décisions

CA Metz, 6e ch., 21 septembre 2023, n° 21/01525

METZ

Arrêt

Autre

CA Metz n° 21/01525

21 septembre 2023

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 21/01525 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FQVV

Minute n° 23/00173

E.U.R.L. TRANSMETAL

C/

S.C.I. LA PAIX

Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THIONVILLE, décision attaquée en date du 10 Mai 2021, enregistrée sous le n° 19/01227

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2023

APPELANTE :

E.U.R.L. TRANSMETAL représentée par son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Armelle BETTENFELD, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

S.C.I. LA PAIX prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Gaspard GARREL, avocat au barreau de METZ

DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 04 Mai 2023 tenue par Mme Anne-Yvonne FLORES, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 21 Septembre 2023.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Madame Jocelyne WILD

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre

ASSESSEURS : Mme DEVIGNOT,Conseillère

Mme DUSSAUD, Conseillère

ARRÊT : Contradictoire

Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Madame Saida LACHGUER, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 1er septembre 2008, la SCI Salvial a consenti à l'EURL Transmetal un bail commercial portant sur un bâtiment industriel sis [Adresse 4] à [Localité 3].

Par acte sous seing privé du 22 juin 2016, les parties ont mis fin au précédent contrat et conclu un nouveau bail portant sur un bâtiment industriel de la même zone industrielle, adapté à l'accroissement de l'activité de l'EURL Transmetal, et ce à compter du 1er juillet 2016.

Par acte d'huissier du 19 décembre 2018, la SCI Salvial a informé l'EURL Transmetal de son obligation de quitter les lieux loués au plus tard le 30 juin 2019.

Par acte authentique du 1er juin 2019, la SCI La Paix a acheté le local commercial objet du présent bail.

Par acte d'huissier du 24 juin 2019, la SCI La Paix a saisi le président du tribunal de grande instance de Thionville, statuant en référé, afin de le voir notamment :

- constater qu'à compter du 1er juillet 2019, l'EURL Transmetal est occupante sans droit ni titre du local commercial,

- condamner l'EURL Transmetal à évacuer immédiatement le local commercial, et ce sous astreinte.

Par acte d'huissier du 13 août 2019, l'EURL Transmetal a fait assigner la SCI La Paix devant le tribunal de grande instance de Thionville afin de le voir, selon ses dernières conclusions récapitulatives et au visa des articles L145-1 à L145-30 du code de commerce:

- dire et juger que le bail signé le 22 juin 2016 est un bail commercial de droit commun soumis aux statuts des baux commerciaux,

- prononcer l'annulation du congé signifié le 19 décembre 2018,

- débouter la SCI La Paix de toutes ses demandes,

- condamner la SCI La Paix à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens,

- d'ordonner l'exécution provisoire.

En réponse, la SCI La Paix a demandé au tribunal de:

Sur la demande principale,

- déclarer l'EURL Transmetal mal fondée en ses fins et prétentions,

En conséquence,

- débouter l'EURL Transmetal de sa demande,

Reconventionnellement,

- constater la résiliation du bail ayant lié I'EURL Transmetal à la SCI Salvial aux droits de laquelle elle vient,

- ordonner l'expulsion de l'EURL Transmetal de corps et de biens des locaux qu'elle occupe [Adresse 4] à [Localité 3], en tant que de besoin avec le concours de la force publique, et ce sous astreinte de la somme de 200 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

- condamner l'EURL Transmetal à lui payer une indemnité d'occupation mensuelle de 5.000 euros à partir du 1er juillet 2019,

- condamner l'EURL Transmetal à lui payer une somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les frais et dépens de la procédure,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par ordonnance sur incident du 15 juillet 2020, le juge de la mise en état a rejeté la demande de provision formée par la SCI La Paix au titre de l'indemnité d'occupation des mois de juillet à novembre 2019 et dit que les dépens de l'incident suivraient ceux de l'instance principale.

Par jugement du 10 mai 2021, le tribunal judiciaire de Thionville a :

- rejeté l'intégralité des demandes de l'EURL Transmetal,

- constaté la résiliation au 30 juin 2019 du bail commercial dérogatoire au régime général des baux commerciaux conclu le 22 juin 2016 entre l'EURL Transmetal et la SCI Salvial aux droits de laquelle est venue la SCI La Paix, portant sur les locaux sis [Adresse 4] à [Localité 3],

- condamné l'EURL Transmetal à évacuer les lieux loués, de corps et de biens ainsi que tout occupant de son chef, au besoin avec le concours de la force publique, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de 4 mois à compter de la notification du présent jugement et ce pour une période de 12 mois, dit que passé ce délai il devrait à nouveau être statué sur l'astreinte,

- condamné l'EURL Transmetal à payer à la SCI La Paix une indemnité d'occupation mensuelle de 3.000 euros jusqu'à libération des lieux, à compter du 1er juillet 2019,

- dit que cette somme porterait intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

- condamné l'EURL Transmetal aux entiers dépens,

- condamné l'EURL Transmetal à payer à la SCI La Paix la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Pour se déterminer ainsi, le tribunal a considéré que l'acte sous seing privé conclu par les parties le 22 juin 2016 était constitutif d'un nouveau contrat de bail commercial, lequel était dérogatoire au sens des dispositions des articles L145-5 et suivants du code de commerce. Il a en ce sens relevé que ce contrat faisait expressément référence aux dispositions légales susvisées et que sa durée avait été limitée à trois ans, conformément aux règles spéciales d'un tel bail.

Le tribunal a ensuite considéré que l'acte d'huissier du 19 décembre 2018 délivré par la SCI Salvial n'était pas un congé au sens de l'article 145-9 du code de commerce, mais une information régulièrement adressée au locataire concernant la fin prochaine de son bail et son absence de renouvellement.

Le tribunal a enfin constaté que le présent bail avait été résilié le 30 juin 2019, de sorte qu'il y avait lieu de condamner sous astreinte l'EURL Transmetal à évacuer les lieux loués et de la condamner au paiement d'une indemnité d'occupation de 3.000 euros par mois à compter du 1er juillet 2019.

Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Metz le 17 juin 2021, l'EURL Transmetal a interjeté appel aux fins d'annulation, subsidiairement d'infirmation, du jugement rendu le 10 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Thionville dans chacune de ses dispositions reprises intégralement dans la déclaration d'appel.

Saisi d'une demande de sursis à exécution, le premier président de la cour d'appel de Metz a, par ordonnance de référé du 9 septembre 2021, rejeté la requête de l'EURL Transmetal tendant à obtenir le sursis à l'exécution du jugement susvisé.

Par conclusions déposées le 28 février 2022, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, l'EURL Transmetal demande à la cour de:

- recevoir et faire droit à son appel,

- rejeter l'appel incident de la SCI La Paix,

- infirmer le jugement du 10 mai 2021 en toutes ses dispositions,

Vu les articles L145-1 et suivant du code de commerce,

- dire et juger que le bail signé le 22 juin 2016 entre elle et la SCI Salvial, aux droits de laquelle vient la SCI La Paix, et portant sur les locaux désignés dans ce bail, est soumis aux statuts des baux commerciaux,

En conséquence,

- prononcer la nullité, avec toutes conséquences de droit, de l'acte de signification dressé le 19 décembre 2018 à l'initiative de la SCI Salvial aux droits de laquelle elle vient,

- juger qu'aucun congé ne lui a été délivré dans les conditions de l'article L145-9 du code de commerce,

- déclarer la SCI La Paix irrecevable et subsidiairement mal fondée en l'ensemble de des demandes,

- l'en débouter,

Très subsidiairement et si la cour retenait la qualification de bail dérogatoire du contrat du 22 juin 2016,

- lui accorder un délai de 6 mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, pour quitter les lieux,

- fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 2.500 euros mensuels, correspondant au loyer initialement convenu au contrat de bail,

En tout état de cause,

- déclarer la SCI La Paix irrecevable en sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive au besoin par application d'office de l'article 564 du code de procédure civile, et subsidiairement, la rejeter,

- déclarer la SCI La Paix irrecevable et subsidiairement mal fondée en l'ensemble de des demandes,

- condamner la SCI La Paix aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel,

- condamner la SCI La Paix à lui payer une somme de 2.000 euros par instance soit 4.000 euros au total, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre principal, l'EURL Transmetal soutient que le contrat conclu le 22 juin 2016 est un bail commercial de droit commun, les stipulations du contrat ne caractérisant pas l'intention expresse et commune des parties de déroger au régime de droit commun des baux commerciaux. Elle relève en ce sens que le contrat de bail se réfère expressément aux articles L145-1 et suivants du code de commerce applicables au bail commercial.

Elle affirme que la clause limitant la durée du bail à trois ans ne permet pas à elle seule de caractériser l'intention des parties de déroger au droit commun des baux commerciaux. Au contraire, elle souligne que cette clause se réfère expressément aux articles L145-4 et L145-9 du code de commerce applicables aux baux commerciaux de droit commun et qu'il n'y a aucune stipulation permettant de considérer que les parties voulaient de manière claire et non équivoque, déroger aux statuts des baux commerciaux.

Elle ajoute que la délivrance d'un congé fin 2018 par la SCI Salvial, qui a entendu respecter un délai de préavis de six mois, témoigne de sa volonté d'appliquer le droit commun des baux commerciaux, un tel acte étant superfétatoire en matière de baux dérogatoires, ce même à titre de précaution.

En raison de l'existence d'un bail commercial, l'EURL Transmetal soutient d'une part que le congé délivré par la SCI Salvial est nul pour vice de fond en application des dispositions des articles L145-4 et L145-9 du code de commerce, le présent bail ne pouvant être résilié avant l'expiration d'un délai de neuf ans. D'autre part, elle explique que le présent congé est également nul pour vices de forme, ce dernier ne lui ayant pas été expressément notifié et ne mentionnant ni les modalités d'obtention d'une indemnité d'occupation, ni de saisine du tribunal aux fins de contestation dudit congé, ni les dispositions obligatoires de l'article L145-9 susvisé. Elle en conclut que la demande d'expulsion de la SCI La Paix à son encontre est irrecevable et que son bail reste valable.

A titre subsidiaire, l'EURL Transmetal demande à la cour l'octroi d'un délai d'au moins six mois pour quitter les locaux loués. Elle expose qu'un déménagement serait préjudiciable pour son activité, puisqu'il en entraînerait son interruption alors que sa situation financière est stable et son bilan positif. Elle affirme par ailleurs que la procédure de liquidation judiciaire engagée par la SCI La Paix à son encontre est infondée et dès lors constitutive d'un abus de procédure à des fins dilatoires.

Elle ajoute d'ailleurs que les intérêts des parties en présence convergent, l'une souhaitant louer les locaux litigieux et l'autre souhaitant les donner à bail, de sorte que la SCI La Paix ne subit aucun préjudice en l'espèce.

Elle relève en outre que les preuves produites par la SCI La Paix sont irrecevables au motif qu'il s'agit de titres constitués à elle-même. Elle en conteste d'ailleurs le contenu.

L'EURL Transmetal conteste enfin la fixation de l'indemnité d'occupation due à la SCI La Paix à la somme mensuelle de 3.000 euros par le premier juge, au motif que le loyer du présent bail s'élève uniquement à la somme mensuelle de 2.500 euros, de sorte que le reliquat supplémentaire de 500 euros n'est pas justifié.

En tout état de cause, l'EURL Transmetal soutient que la demande de dommages-intérêts formée par la SCI La Paix pour résistance abusive de sa part est irrecevable selon l'article 564 du code de procédure civile, étant constitutive d'une demande nouvelle. Elle affirme subsidiairement que cette demande n'est pas justifiée. Elle rappelle à cet égard que la mise en œuvre du droit de se défendre en justice ne saurait fonder l'octroi d'une telle indemnisation en l'absence de la caractérisation d'un abus du droit d'ester en justice. Elle explique ainsi que la SCI La Paix ne démontre l'existence ni d'une faute ni d'un préjudice susceptible d'engager sa responsabilité sur le fondement des articles 1241 et suivants du code civil, de sorte que sa demande doit être rejetée ou à tout le moins réduite.

Par conclusions déposées le 23 mai 2022, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la SCI La Paix demande à la cour de:

- dire et juger mal fondé l'appel interjeté par l'EURL Transmetal,

- dire et juger bien fondé son appel incident,

- dire et juger que la demande de condamnation de l'EURL Transmetal à des dommages-intérêts pour procédure abusive n'est pas une demande nouvelle,

En conséquence,

- in'rmer le jugement rendu le 10 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Thionville en tant qu'il a 'xé l'indemnité d'occupation due par l'EURL Transmetal à une somme de 3.000 euros,

Puis statuant à nouveau sur ce point:

- 'xer à une somme mensuelle de 5.000 euros le montant de l'indemnité d'occupation due par l'EURL Transmetal et ce à compter du 1er juillet 2019 jusqu'à libération totale des lieux et condamner l'EURL Transmetal à régler cette somme,

- confirmer le jugement querellé en toutes ses autres dispositions et notamment en tant qu'il a rejeté l'intégralité des demandes de l'EURL Transmetal ; constaté la résiliation au 30 juin 2019 du bail commercial dérogatoire au régime de droit commun des baux commerciaux conclu le 22 juin 2016 entre l'EURL Transmetal et la SCI Salvial aux droits de laquelle elle est venue ; ordonné l'expulsion de L'EURL Transmetal des lieux loués,

- débouter l'EURL Transmetal de l'intégralité de ses demandes,

- condamner l'EURL Transmetal à lui régler une somme de 10.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamner l'EURL Transmetal à lui régler une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'EURL Transmetal aux entiers frais et dépens de 1'incident.

La SCI La Paix soutient d'abord que le contrat litigieux constitue un bail commercial dérogatoire aux motifs que ce contrat contient des stipulations dérogatoires au droit commun des baux commerciaux, en particulier la fixation de la durée du bail à trois ans maximum et du délai de préavis de deux mois. Elle relève que les parties ont fait de la durée du bail une condition essentielle de leur engagement par une clause spéciale, de sorte que leur intention de déroger au droit commun des baux commerciaux est claire et expresse.

Elle expose que la clause stipulant l'application des articles L145-1 et suivants du code de commerce est sans emport sur la qualification du présent contrat, ceux-ci renvoyant tant au régime commun que dérogatoire des baux commerciaux. Elle ajoute que la mention des articles L145-4 et L145-9 du code précité ne permet pas de retenir la qualification de bail commercial de droit commun, ces textes n'étant stipulés qu'à titre de modalité d'une éventuelle résiliation du bail en cours d'exécution.

Elle explique ensuite que l'acte d'huissier du 19 décembre 2018 constitue une information à titre de précaution à sa locataire de l'expiration prochaine de son bail ainsi que de l'absence de renouvellement de celui-ci, et qu'il ne s'agit pas d'un congé au sens de l'article L145-9 du code de commerce. Elle rappelle à ce titre que le présent bail devait malgré cet acte prendre fin à son terme selon l'article 1737 du code civil, soit le 30 juin 2019, conformément aux stipulations contractuelles. Elle en déduit que l'EURL Transmetal est occupante sans droit ni titre du local loué depuis le 1er juillet 2019.

Elle conteste par ailleurs l'éventuel octroi de délais demandé par l'EURL Transmetal.

D'une part, elle soutient qu'une telle décision ferait obstacle à l'inéluctable ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de sa locataire. Elle explique en effet que l'EURL Transmetal n'a pas une situation financière stable et souffre au contraire de lourdes pertes et dettes, de sorte qu'elle se trouve en état de cessation des paiements. Elle expose à cet égard ne plus recevoir de loyer ou d'indemnité d'occupation de la part de l'EURL Transmetal depuis juin 2019 et que cette dernière n'est pas en mesure de lui régler les sommes restant dues. Elle soutient que les preuves adverses versées aux débats sur ce point ne sont pas recevables, ayant été constituées par l'EURL Transmetal pour elle-même.

D'autre part, elle soutient qu'un éventuel octroi de délais à l'EURL Transmetal l'empêcherait de réaliser son projet d'investissement avec la société GTA. Elle explique d'ailleurs que le maintien volontaire de l'EURL Transmetal dans les lieux fait obstacle à ce projet et demande ainsi à ce qu'elle lui verse une indemnité de 10.000 euros pour résistance abusive. Elle explique que cette demande est recevable selon l'article 566 du code de procédure civile, car elle n'est pas nouvelle. Elle ajoute que l'EURL Transmetal fait preuve de mauvaise foi à son égard, cette dernière ne lui ayant payé aucune indemnité d'occupation entre juin 2019 et mai 2021 nonobstant sa situation financière prétendument stable.

Elle relève enfin qu'une somme de 47.783 euros lui reste due et demande à ce qu'une indemnité d'occupation lui soit octroyée pour un montant mensuel de 5.000 euros. Elle conteste également les décomptes produits par la partie adverse sur ce premier point.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 avril 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive formée par la SCI La Paix

L'article 564 du code de procédure civile dispose «à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait».

Par ailleurs l'article 566 du même code précise que «les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire».

La demande de dommages-intérêts pour résistance abusive formée par la SCI La Paix relève des dispositions de cet article 566 puisqu'il s'agit d'une demande accessoire à la demande principale qui tend à constater la résiliation du bail et au paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'au départ des lieux.

Cette demande sera donc déclarée recevable.

Sur la qualification du bail

Il résulte des dispositions de l'article L145-4 du code de commerce que la durée du bail commercial statutaire ne peut être inférieure à neuf ans.

Cette durée permet de distinguer le bail commercial statutaire du bail dérogatoire dont le régime est fixé par les dispositions de l'article L145-5 du code de commerce qui dispose que «les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.

Si à l'expiration de cette durée et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. (...)»

Si ce bail commercial est dérogatoire au bail commercial statutaire dans sa durée, son fondement juridique reste celui des dispositions des articles L145-1 et suivants du code de commerce et lorsque le bail cesse de remplir les critères légaux de dérogation, il se retrouve automatiquement régi par les articles du code de commerce.

Il appartient aux parties qui entendent conclure un bail dérogatoire d'exprimer clairement leur volonté à ce titre.

En l'espèce, si le bail conclu entre les parties est intitulé «bail commercial ' articles L145-1 et suivants du code de commerce» et précise ensuite dans le paragraphe «objet ' régime juridique» la mention que «le présent bail commercial est soumis aux dispositions des articles L145-1 et suivants du code de commerce et des textes réglementaires pris pour son application sous réserve que le preneur en remplisse les conditions», il comporte cependant, sous l'intitulé «durée», les dispositions suivantes:

«Le présent bail commercial est consenti et accepté pour une durée de trois années qui commencera à courir le 1er juillet 2016 pour se terminer à pareille époque de l'année 2019.

Il est cependant stipulé que chacune des parties pourra au cours de la période précisée ci-avant donner congé à tout moment moyennant un préavis de deux mois.

Cette clause est essentielle sans quoi chacune des parties n'aurait pas contracté.

Le preneur aura néanmoins la faculté de faire cesser le bail triennal en prévenant le bailleur dans les conditions prévues par les articles L145-4 et L145-9 du code de commerce.»

Il résulte de cette clause que les parties ont entendu clairement et sans équivoque déroger au régime du bail commercial statutaire en concluant, conformément aux dispositions de l'article L145-5 susvisé, un bail dérogatoire d'une durée de trois ans, étant souligné que les parties en ont fait une condition essentielle du bail.

D'ailleurs, aucune disposition du contrat ne prévoit son renouvellement.

S'il est prévu que le preneur pourra néanmoins mettre fin au bail selon les modalités des articles L145-4 et L145-9 du code de commerce, cela ne concerne que le preneur et ne remet pas en cause la volonté des parties de déroger au statut du bail commercial de droit commun.

C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que ce bail était dérogatoire.

Sur la résiliation du bail

Ainsi qu'il l'a été rappelé précédemment, le bail a été conclu pour une durée de trois ans, le terme étant fixé au 30 juin 2019.

Le fait que la SCI Salvial aux droits de laquelle vient la SCI La Paix a signifié à l'EURL Transmetal par acte d'huissier du 19 décembre 2018 une mention selon laquelle le bail expirait le 30 juin 2019 ne signifie pas que le bailleur a entendu appliquer le régime du bail commercial statutaire dans la mesure où, par cet acte, la SCI Salvial a uniquement rappelé que les parties avait «convenu d'un bail commercial dérogatoire au régime général des baux commerciaux» ; que cette dérogation (bail consenti pour une durée de 3 ans) «n'est pas une période triennale. Il s'agit exclusivement de la durée du bail. (')». Il est ensuite précisé que «l'article L145-1 paragraphe 1 du code de commerce ne vous donne aucun droit au renouvellement. Vous devez quitter les lieux le 30 juin 2019 sans pouvoir prétendre à une quelconque indemnité d'éviction. (') le bailleur vous notifie d'ores et déjà son opposition à tout maintien dans les lieux au-delà du 30 juin 2019».

Il faut considérer en effet que cet acte était uniquement destiné à aviser l'EURL Transmetal que la SCI Salvial ne souhaitait pas voir le bail dérogatoire devenir un bail statutaire de 9 ans par l'effet du maintien en possession du preneur au-delà de l'échéance contractuelle. Il ne s'agissait nullement d'un congé.

C'est donc à juste titre que le tribunal a rejeté la demande tendant à voir prononcer la nullité de cet acte signifié le 19 décembre 2018. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Conformément aux stipulations contractuelles, le bail a pris fin le 30 juin 2019. Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a constaté la résiliation de ce bail dérogatoire à cette date.

Sur les demandes d'expulsion et d'indemnités d'occupation formées contre l'EURL Transmetal

* Sur les demandes d'expulsion et de délais pour quitter les lieux

Le bail étant résilié, l'EURL Transmetal est occupant sans droit ni titre à compter du 1er juillet 2019.

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formée par l'EURL Transmetal d'un délai de six mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir pour quitter les lieux étant observé que l'appelante s'est déjà, de fait, accordé de larges délais puisque le bail est résilié depuis plus de quatre ans.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'EURL Transmetal à quitter les lieux loués, de corps et de biens ainsi que de tout occupant de son chef, au besoin avec le concours de la force publique, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de 4 mois à compter de la notification du jugement et ce pour une période de 12 mois, étant précisé que passé ce délai il devrait à nouveau être statué sur l'astreinte.

* Sur la demande d'indemnité d'occupation

L'indemnité d'occupation due par un occupant sans droit ni titre a pour objet de réparer intégralement le préjudice subi par le bailleur.

Le contrat de bail signé le 22 juin 2016 stipulait que le montant du loyer serait de 2.500 euros mensuels et qu'il serait fixe pendant la durée du bail, soit trois ans.

L'occupation sans droit ni titre des lieux par l'EURL Transmetal créée un préjudice à la SCI La Paix qui ne peut en reprendre possession librement. Toutefois, cette dernière ne justifie pas que son préjudice doit être réparé par une indemnité d'occupation équivalent au double du montant du loyer.

Il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'EURL Transmetal à payer à la SCI La Paix une indemnité mensuelle d'occupation de 3.000 euros à compter du 1er juillet 2019, ce qui correspond à une juste appréciation et indemnisation du préjudice subi par l'intimée.

Aucun moyen n'est invoqué tendant à remettre en cause la disposition du jugement disant que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement. Elle sera en conséquence confirmée.

Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

Il résulte de l'ancien article 1153 du code civil devenu l'article 1231-6 du même code que dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal et que le créancier ne peut obtenir des dommages-intérêts supplémentaires que s'il justifie que le débiteur lui a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard.

En l'espèce, la SCI La Paix ne rapporte la preuve ni de la mauvaise foi de l'EURL Transmetal ni de l'existence d'un préjudice distinct du retard dans le paiement de la créance.

La SCI La Paix sera donc déboutée de sa demande formée sur ce fondement.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'EURL Transmetal qui succombe en appel sera condamnée aux dépens.

Au regard de l'équité et des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'EURL Transmetal sera condamnée à payer à la SCI La Paix la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de sa demande formée au même titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable la demande de dommages et intérêts formée par la SCI La Paix contre l'EURL Transmetal pour résistance abusive;

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Thionville du 10 mai 2021 dans toutes ses dispositions;

Y ajoutant,

Déboute la SCI La Paix de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive;

Condamne l'EURL Transmetal aux dépens;

Condamne l'EURL Transmetal à payer à la SCI La Paix la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Déboute l'EURL Transmetal de sa demande formée sur ce même fondement.

Le Greffier La Présidente de chambre