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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 7 novembre 2023, n° 22/01754

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Bocage Immobilier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseillers :

M. Vetu, M. Lecler

Avocats :

Me Faurot, Me de Cambourg, Me Boisnard

T. com. Niort, du 28 juin 2022

28 juin 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

La société à responsabilité limitée Bocage Immobilier exploite une agence immobilière à [Localité 4].

Le 28 mai 2019, la société Bocage Immobilier a conclu un contrat d'agent commercial avec Monsieur [V] [Z].

Par courrier du 1er février 2021, Monsieur [Z], se prévalant de commissions et d'une indemnité de rupture impayées, a mis en demeure la société Bocage Immobilier de lui régler la somme totale de 40.854,07 €.

Le 16 avril 2021, Monsieur [Z] a déposé une requête en injonction de payer à laquelle il a été fait droit par ordonnance du président du tribunal de commerce de Niort.

Le 07 mai 2021, la société Bocage Immobilier a formé opposition.

Par jugement en date du 28 juin 2022, le tribunal de commerce de Niort a statué ainsi :

- condamne la SARL Bocage Immobilier à régler à Monsieur [Z] la somme de 1.657,40 € correspondant à l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial,

- condamne la SARL Bocage Immobilier à régler les intérêts au taux légal de ladite somme à compter du 19 avril 2021, date de l'injonction de payer, jusqu'à complet paiement de celles-ci.

- déboute Monsieur [Z] de sa demande de paiement en astreinte,

- condamne la SARL Bocage Immobilier à payer à Monsieur [Z] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la SARL Bocage Immobilier aux entiers dépens dont frais de Greffe liquidés pour 77,01 € TTC.

Par déclaration en date du 11 juillet 2022, Monsieur [Z] a relevé appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués.

Monsieur [Z], par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 22 août 2023, demande à la cour de :

Vu les articles L.134-12, alinéa 1, et L. 134-13 du Code de Commerce ;

Vu les pièces ;

Vu le jugement du 02 juin 2022 ;

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté son absence de faute grave et le droit à indemnisation de son préjudice ;

- réformer le jugement déféré en ce qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice sur le fondement de stipulations contraires à l'ordre public ;

Statuant à nouveau :

- condamner de la société Bocage Immobilier à payer à Monsieur [Z] la somme de 29.833,26 € correspondant à l'indemnité de rupture de son contrat d'agent commercial ;

- condamner la société Bocage Immobilier à payer les intérêts au taux légal sur les sommes dues à compter de la mise en demeure du 1er février 2021 ;

- condamner la société Bocage Immobilier à régler à Monsieur [Z] la somme de 4.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Bocage Immobilier à supporter les entiers dépens et fins de la présente procédure ;

- assortir les condamnations à intervenir à l'encontre de la société Bocage Immobilier d'une astreinte à hauteur de 200 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

La société Bocage Immobilier, par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 21 décembre 2022 portant appel incident, demande à la cour de :

Vu les articles L.134-4, L.134-12 et L.134-13 du code de commerce,

Vu l'ordonnance d'injonction de payer en date du 19 avril 2021,

Vu l'opposition de la société Bocage Immobilier,

Vu les pièces versées aux débats,

- dire et juger recevable et bien fondée la société Bocage Immobilier en son appel incident.

- infirmer le jugement déféré, en ce qu'il a statué en ces termes :

- condamne la société Bocage Immobilier à régler à Monsieur [Z] la somme de 1657,40 € correspondant à l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial,

- condamne la société Bocage Immobilier à régler les intérêts au taux légal de ladite somme à compter du 19 avril 20212, date de l'injonction de payer, jusqu'à complet paiement de celles-ci,

- condamne la société Bocage Immobilier à payer à Monsieur [Z] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne la société Bocage Immobilier aux entiers dépens dont frais de Greffe liquidés pour 77,01 € TTC.

- Le confirmer pour le surplus.

Statuant à nouveau :

- débouter Monsieur [Z] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

Subsidiairement, si par impossible la cour venait à considérer que la faute grave n'est pas caractérisée :

- fixer le montant de l'indemnité de rupture à une somme n'excédant pas la moyenne mensuelle des commissions perçues par Monsieur [Z] au cours des six derniers mois ayant précédé la rupture, en application de l'article 8-3 du contrat d'agent commercial en date du 28 mai 2019.

En tout état de cause :

- débouter Monsieur [Z] de son appel et de toutes fins qu'il comporte,

- condamner Monsieur [Z] à payer à la société Bocage Immobilier la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts,

- condamner Monsieur [Z] à payer à la société Bocage Immobilier la somme de 4.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [Z] aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

L'instruction de l'affaire a été clôturée suivant ordonnance datée du 11 septembre 2023 en vue d'être plaidée à l'audience du 25 d même mois, date à compter de laquelle elle a été mise en délibéré à ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les modalités de rupture du contrat d'agent commercial

1. Aux termes des dispositions d'ordre public des articles L134-12 et L134-13 du Code du commerce, la résiliation du contrat d'agent commercial, si elle n'est pas justifiée par une faute grave du mandataire, ouvre droit au profit de ce dernier, à une indemnité compensatrice du préjudice subi. L'article L134-16 code de commerce répute non écrite toute clause ou convention contraire.

2. Plus singulièrement, en application de l'article L.134-13, 2° de ce même code, lorsqu'il résulte des éléments de fait du dossier que l'initiative de la rupture incombait au mandant qui l'avait provoquée, et en l'absence de faute grave ou de rupture du contrat à son initiative, l'agent a droit à réparation du préjudice que lui cause la cessation du contrat.

3. Pour l'application de l'article L.134-13, 1° du code de commerce, la faute grave privatrice de l'indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel. Il appartient au mandant de rapporter la preuve d'une telle faute.

Sur la faute du mandataire

4. M. [Z] rappelle qu'aux termes de la notification de la rupture de son contrat par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 11 décembre 2020, il lui avait été indiqué qu'il avait commis une faute grave consistant à ne pas réaliser son obligation de formation continue pour le renouvellement de son attestation d'habilitation.

Faisant valoir qu'aux termes de ses échanges avec le SNPI (Syndicat National des Professionnels Immobiliers) il devait justifier pour la période travaillée au service de la SARL BOCAGE IMMOBILIER de 21 heures de formation, ceci, par rapport au temps de collaboration passé dans l'entreprise, M. [Z] indique que cette faute ne peut lui être reprochée dès lors qu'il justifie de 28 heures de formation lors de la période s'étendant du 08 mai 2019 au 11 décembre 2020.

5. L'intimée lui objecte que, contrairement à l'argumentation développée sur ce point par M. [Z], rien n'interdit au mandant d'invoquer dans le cadre d'une action en justice d'autres motifs que ceux mentionnés dans la lettre de notification de la rupture, dès lors que ces motifs correspondent à des faits antérieurs à celle-ci et caractérisent la faute grave.

6. A cet égard, La société Bocage Immobilier fait valoir :

- qu'il ressort du registre des mandats que celui-ci n'a pas été correctement rempli par M. [Z] pour un client ;

- qu'il ressort également des pièces versées aux débats par la société BOGAGE IMMOBILIER que M. [Z] a rendu public la mise en vente du bien appartenant à l'indivision [H], alors même que le mandat de vente n'avait pas été signé par le client ;

- que sept bons de visite ont été signés avant la visite effective ;

- que son agent commercial aurait eu des comportements déplacés à l'égard des tiers.

7. La cour indique que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, en ce qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut le priver de son droit à indemnité (Cass. Com. 16 nov. 2022, n°21-17.423, publié au Bull).

8. L'ensemble des fautes dont fait état le mandant, comme il le reconnaît lui-même aux termes de ses écritures n'a pas été évoqué dans la lettre de rupture pour faute grave datée 11 décembre 2020, de sorte que ces griefs ne peuvent priver M. [Z] de son droit à indemnité.

9. Le mandant ne contestant pas que le manquement allégué dans la lettre de rupture n'était pas fondé, la décision entreprise sera confirmée sur ce point sans qu'il ne soit nécessaire, toutefois, d'examiner, comme l'a fait le premier juge, les autres griefs.

Sur l'étendue du droit à indemnisation

10. M. [Z], se fondant sur la jurisprudence rendue au visa de l'article L. 134-12 du Code de commerce, explique que la réformation du jugement s'impose en ce qu'il a limité l'indemnisation de son préjudice sur le fondement de stipulations contraires à l'ordre public.

11. Tenant compte d'un contrat d'agent commercial d'à peine plus d'un an et demi, l'intimée réplique qu'il y a lieu de purement et simplement confirmer le calcul réalisé par le premier juge en application de l'article 8.3 du contrat.

12. L'article L. 134-16 du Code de commerce dispose :

'Est réputée non écrite toute clause ou convention contraire aux dispositions des articles L. 134-2 et L. 134-4, des troisième et quatrième alinéa de l'article L. 134-11, et de l'article L. 134-15 ou dérogeant, au détriment de l'agent commercial, aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 134-9, du premier alinéa de l'article L. 134-10, des articles L. 134-12 et L. 134-13 et du troisième alinéa de l'article L. 134-14".

13. Il résulte de ce texte qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des clauses conduisant à une indemnité plus faible que le préjudice réellement subi par l'agent commercial, étant précisé que le montant de l'indemnité de rupture, apprécié souverainement par les juges du fond, tient compte des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier et les frais et dépenses qu'il a engagés pour l'exécution du contrat sur la recommandation du commettant.

14. L'article 8-3 du contrat d'agent commercial signé entre les parties, dénommé 'indemnisation' stipule :

Pour le cas où une indemnité serait due au Mandataire à l'occasion de la rupture du présent contrat, les parties entendent rappeler qu'il s'agit, aux termes exacts de la loi, d'une 'indemnité compensatrice du préjudice subi' et qu'il appartiendra en conséquence au mandataire de démontrer l'existence du préjudice, d'en justifier le montant et d'établir le lien de cause à effet direct entre la rupture et le préjudice allégué.

Prenant en compte les contraintes spécifiques et importantes résultant des dispositions législatives particulières qui réglementent et limitent le développement et l'organisation de la mission de représentation de l'agent commercial dans le secteur de l'immobilier, notamment celles issues de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, les parties s'accordent expressément pour considérer qu'il n'existe pas d'usage applicable au présent contrat qui permettrait de fixer forfaitairement l'indemnité éventuellement due.

Sous réserve des justifications précédemment rappelées, les signataires conviennent en outre que cette indemnisation ne pourra dépasser un montant égal à une fois la moyenne mensuelle des commissions perçues par le mandataire au cours des six derniers mois ayant précédé la rupture.

15. La cour observe que l'article 8-3 du contrat d'agent commercial en date du 28 mai 2019 méconnaît le principe de réparation précité et il y a lieu, dès lors, de ne pas en tenir compte pour évaluer le préjudice subi par M. [Z].

16. Cependant, il appartient à l'agent commercial d'apporter les éléments permettant à la cour d'apprécier souverainement son préjudice. A cet effet, M. [Z] verse un tableau qu'il qualifie dans son bordereau récapitulatif de 'de commissions contresignées' (pièce n°3), lequel comporte cependant aucune date et n'est pas davantage daté par l'appelant dans ses écritures, de sorte que la cour n'est pas en mesure de savoir à quelle période il correspondrait.

17. La cour indique qu'à l'inverse de ce qui a été retenu par le premier juge, l'ensemble de ces ventes ne peut retracer l'activité de M. [Z] sur une période de 18 mois mais bien celle de mois au regard de la lettre de rupture du 20 décembre 2020.

18. Ainsi, faute d'indication supplémentaire, la cour considère que la somme de 29.833,26 € retrace l'ensemble de l'activité de M. [Z] sur cette période de 19 mois, représentant environ 1.570 € par mois.

19. Consécutivement, et au regard de la faible durée de l'exercice par M. [Z] de son contrat d'agent commercial, il y a lieu de calculer cette indemnité de rupture en lui allouant une somme correspondant à près de 9 mois de sa moyenne mensuelle d'activité, soit la somme de 14.131 € assortie des intérêts de droit à compter du présent arrêt.

20. La décision réformée de ce chef.

Sur la demande d'astreinte

21. Au visa de l'article L. 131-1 du Code des procédures civiles d'exécution et du 'mutisme' de la société Bocage Immobilier, l'appelant soutient que le prononcé d'une astreinte serait nécessaire.

22. La cour considère que M. [Z] ne rapporte pas la preuve de telles affirmations ni aucune autre circonstance susceptible de faire droit à cette demande.

23. La décision sera confirmée sur ce point

Sur les autres demandes

24. Il y a lieu de condamner la société Bocage Immobilier à payer à M. [Z] une indemnité de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par l'intimée.

25. La société Bocage Immobilier qui échoue en ses prétentions supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme partiellement le jugement du tribunal de commerce de Niort daté du 28 juin 2022 en ce qu'il a :

- Condamné la société à responsabilité limitée Bocage Immobilier à régler à Monsieur [V] [Z] la somme de 1.657,40 € correspondant à l'indemnité compensatrice de rupture du contrat d'agent commercial.

Statuant à nouveau de ce seul chef infirmé,

Condamne la société à responsabilité limitée Bocage Immobilier à régler à Monsieur [V] [Z] une indemnité compensatrice de rupture de son contrat d'agent commercial d'un montant de 14.131 € assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Y ajoutant,

Condamne la société à responsabilité limitée Bocage Immobilier à régler à Monsieur [V] [Z] une indemnité de 3.000 e par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Rejette les autres demandes,

Condamne la société à responsabilité limitée Bocage Immobilier aux dépens d'appel.