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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 14 septembre 2023, n° 22/03399

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brasserie Artisanale des Grands Cols (SARL)

Défendeur :

France Boissons Sud-Est (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

Avocats :

Me Grimaud, Me Millias, Me Arbet, Me Heraud

TJ Gap, prés., du 6 sept. 2022, n° 22/00…

6 septembre 2022

EXPOSE DU LITIGE :

La SAS France Boissons Sud Est exploite une activité de commerce de gros de boissons essentiellement destinée aux professionnels du secteur de l'hôtellerie-bar- restauration (CHR).

En 2004, elle a acquis de la société France Boissons Rhône Alpes le fonds de commerce de la société Ets Bouchet Père et Fils, devenue la société France Boissons [Localité 1], reprenant son personnel dont M. [S] [W] qu'elle a employé en qualité de directeur du site jusqu'au 11 mars 2020.

La SARL Brasserie Artisanale des Grands Cols a été constituée le 20 décembre 1997 avec pour objet social la fabrication de tous produits de brasserie et autres boissons rafraîchissantes et commercialisation de ces produits avec leurs accessoires en gros et détail ; le négoce au détail de tous produits d'épicerie et dépôt de gaz ; le négoce et la location de machines à café, tirage pression, vaisselle, articles publicitaires, meubles accessoires et matériels associés à la consommation de boissons.

M. [S] [W] en est un des associés fondateurs.

La SARL Comme Au Bistro [Localité 2] a été constituée le 26 septembre 2020 avec comme associée unique la société Brasserie Artisanale des Grands Cols, pour l'exploitation d'une activité de vente aux particuliers, associations, entreprises, de vins, spiritueux, bières de spécialités, cafés, autres boissons de spécialité et épicerie fine, ainsi que des activités de bar et d'agent commercial hors consommation hors domicile : grandes et moyennes surfaces, superettes de proximité, magasins de produits régionaux, traiteurs.

La SARL Comme Au Bistro [Localité 1] a été immatriculée le 14 octobre 2020 et exploite une activité de vente aux particuliers, associations, entreprises, de vins, spiritueux, bières de spécialités, cafés, autres boissons de spécialité et épicerie fine, ainsi que l'activité de bar.

Se prévalant des départs concomitants de plusieurs de ses salariés, anciennement salariés des Ets Bouchet, de leur participation à la société Brasserie Artisanale des Grands Cols, de l'utilisation de leurs fonctions commerciales en son sein pour promouvoir les produits de cette dernière, de la création par la société Brasserie Artisanale des Grands Cols, des sociétés Comme Au Bistro se présentant comme «Maison Bouchet», et d'une baisse consécutive de ses parts de marché et de sa clientèle, la société France Boissons

Sud Est a obtenu de la présidente du tribunal judiciaire de Gap, par ordonnance du 18 novembre 2021, l'autorisation de pratiquer des mesures d'instruction au siège des sociétés Brasserie Artisanale des Grands Cols, Comme Au Bistro Gap et Comme Au Bistro [Localité 2], ainsi qu'au domicile de M. [W].

Les mesures de constat ont été réalisées par ministère d'huissier le 3 décembre 2021.

Par acte d'huissier du 11 janvier 2022, M. [W] et les sociétés Brasserie Artisanale des Grands Cols, Comme Au Bistro [Localité 1] et Comme Au Bistro [Localité 2] ont fait assigner la société France Boissons Sud Est en référé devant la présidente du tribunal judiciaire de Gap en rétractation de l'ordonnance.

Par ordonnance de référé du 6 septembre 2022, la présidente du tribunal judiciaire de Gap a :

- dit n'y avoir lieu de prononcer la rétractation de l'ordonnance du 18 novembre 2021,

- condamné solidairement M. [W] et les SARL Brasserie Artisanale des Grands Cols, Comme Au Bistro [Localité 1] et Comme Au Bistro [Localité 2] à verser à la SAS France Boissons Sud Est la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

- condamné solidairement M. [W] et les SARL Brasserie Artisanale des Grands Cols, Comme Au Bistro [Localité 1] et Comme Au Bistro [Localité 2] aux dépens de l'instance.

Suivant déclaration au greffe du 15 septembre 2022, les sociétés Brasserie Artisanale des Grands Cols, Comme Au Bistro [Localité 1], Comme Au Bistro [Localité 2] et M. [W] ont relevé appel de cette décision, en toutes ses dispositions, telles qu'énumérées dans leur acte d'appel.

Prétentions et moyens de M. [W] et des sociétés Brasserie Artisanale des Grands Cols, Comme Au Bistro [Localité 1] et Comme Au Bistro [Localité 2] :

Au terme de leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 19 octobre 2022, les appelants demandent à la cour de :

- réformer l'ordonnance de référé ;

- statuant à nouveau :

- constater l'incompétence du tribunal judiciaire de Gap pour statuer sur la requête initialement formée par la société France Boissons Sud Est ;

- constater l'irrecevabilité de la requête initialement formée par la société France Boissons Sud Est ;

- constater que l'objet des mesures d'instruction sollicitées par la société France Boissons Sud Est excède les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile ;

- constater que la société France Boissons Sud Est n'apporte pas la preuve d'un motif légitime aux mesures d'expertise in futurum sollicitées ;

- par conséquent,

- ordonner la rétractation de l'ordonnance du 18 novembre 2021 et l'anéantissement des décisions, actes et mesures d'instruction en découlant ;

- condamner la société France Boissons Sud Est à verser à M. [S] [W], la société Brasserie Artisanale des Grands Cols, la société Comme Au Bistro [Localité 1] et la société Comme Au Bistro [Localité 2] la somme de 6.000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société France Boissons Sud Est aux entiers dépens.

Les appelants soulèvent l'incompétence de la juridiction civile au profit de la juridiction commerciale aux motifs que la compétence de cette dernière est d'ordre public ; que la requérante est une société commerciale exploitant une activité de commerce de gros ; que les personnes visées par la requête ont toutes la qualité de commerçante s'agissant soit de sociétés commerciales soit du gérant et associé d'une société commerciale ; que les faits allégués à l'encontre de ce dernier se rattachent directement à la gestion de la société dont il est le mandataire social ; qu'enfin les juridictions commerciales sont compétentes pour connaître des litiges extracontractuels entre commerçants, notamment en matière de concurrence déloyale.

Ils contestent tout lien entre le litige et la juridiction prud'homale alors que M. [W] a été relevé de l'obligation de non-concurrence et que les salariés ayant quitté la société France Boissons Sud Est n'ont pas été visés par la requête.

Ils ajoutent qu'une ordonnance sur requête ne permet pas de déroger aux règles légales de compétence édictées par l'article L.721-3 du code de commerce.

Les appelants se prévalent de la nullité de la requête au regard des dispositions de l'article 57 du code de procédure civile en faisant valoir qu'elle ne permet pas l'identification claire des parties défenderesses, qu'elle désigne les personne morales concernées de manière approximative laissant à l'huissier un champ d'intervention incertain et arbitrairement extensif, qu'il s'agit d'un vice de forme sanctionné par la nullité de l'acte.

Ils considèrent que la requérante ne dispose pas d'un intérêt légitime aux mesures ordonnées en ce que :

- les motifs des départs allégués de plusieurs salariés postérieurement à celui de M. [W], sont sans lien avec un éventuel débauchage et qu'il n'est pas démontré que ces salariés ont contrevenu à leurs obligations,

- la société France Boissons Sud Est ne justifie pas d'une perte de parts de marché,

- les sociétés Brasserie Artisanale des Grands Cols, Comme Au Bistro [Localité 1] et Comme Au Bistro [Localité 2] ont une activité de fabrication, production et vente de boissons alcoolisées aux particuliers en magasins spécialisés et non de grossiste au profit de professionnels, ce qui ne permet pas de leur imputer cette perte,

- la société Brasserie Artisanale des Grands Cols prééxistait à l'arrivée sur le marché de la société France Boissons Sud Est, ayant été créée en 1998 et non par d'anciens salariés de cette dernière,

- la requérante ne fournit aucun élément laissant suspecter des actes de concurrence déloyale.

Ils soutiennent enfin que les mesures requises sont excessives puisqu'elles visent l'ensemble des activités des sociétés visées, comme le domicile personnel de M. [W], que l'utilisation de mots clés est insuffisante à délimiter suffisamment les investigations de l'huissier, que le sort des documents saisis et les conditions de leur remise n'ont fait l'objet d'aucune restriction tenant à l'exercice de recours, conférant ainsi aux mesures d'investigation un caractère irréversible attentatoire à leurs droits.

Prétentions et moyens de la société France Boissons:

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 15 novembre 2022, la société France Boissons entend voir :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du 6 septembre 2022 du Président du tribunal judiciaire de Gap ;

- débouter M. [S] [W], la société Brasserie Artisanale des Grands Cols, la société Comme Au Bistro [Localité 1] et la société Comme Au Bistro [Localité 2] de leur demande de rétractation de l'ordonnance,

- condamner M. [S] [W], la société Brasserie Artisanale des Grands Cols, la société Comme Au Bistro [Localité 1] et la société Comme Au Bistro [Localité 2] à verser à la société France Boissons Sud Est la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La société France Boissons se prévaut de la compétence de droit commun et de la plénitude de juridiction du tribunal judiciaire, comme de son président en matière de requête, ainsi que de la nature exceptionnelle de la compétence conférée au président du tribunal de commerce par l'article 875 du code de procédure civile lorsque le litige est exclusivement de nature commerciale.

Elle soutient que le président du tribunal judiciaire était compétent pour examiner sa requête aux motifs que :

- elle justifie d'un litige potentiel non seulement avec la société Brasserie Artisanale des Grands Cols et les sociétés de son groupe au titre de faits de concurrence déloyale, mais également avec trois de ses anciens salariés pour manquement à leur obligation de loyauté pendant l'exécution de leur contrat de travail ;

- ce litige relève pour partie de la compétence exclusive du conseil de prud'hommes ;

- toutes les personnes visées par la requête n'ont pas la qualité de commerçante, M. [W] ne tirant pas cette qualité de son statut d'associé et/ou de gérant des sociétés visées ;

- l'article 145 du code de procédure civile n'exigeant pas que la personne qui supporte la mesure d'instruction soit défenderesse dans le futur procès, il est indifférent que tous les salariés concernés ne soient pas visés par la requête.

Sur la nullité de la requête, elle réplique que :

- les formalités prescrites par le code de procédure civile ont été respectées,

- les appelants ne justifient d'aucun grief,

- les personnes qui supportent l'exécution de la mesure d'instruction sont précisément désignées.

La société France Boissons considère qu'elle justifie dans sa requête d'indices et de soupçons suffisants d'actes déloyaux et qu'elle n'a pas, à ce stade, à établir la preuve d'agissements fautifs.

Elle ajoute que les éléments dont elle rapporte la preuve, pris dans leur globalité constituent un faisceau d'indices d'une concurrence déloyale caractérisant le motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

- les mesures d'investigations sont délimitées et proportionnées puisque ne sont autorisées que la consultation de fichiers et de documents établis sur une période définie et comportant des mots clefs limitativement énumérés,

- la présidente a motivé avec précision les circonstances justifiant la dérogation au principe contradictoire.

Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 4 mai 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur l'exception d'incompétence du président du tribunal judiciaire :

L'article L.721-3 du code de commerce attribue compétence aux tribunaux de commerce pour connaître :

- 1° des contestations relatives aux engagements entre commerçants, artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux,

- 2° de celles entre sociétés commerciales,

- 3° de celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.

Selon la requête qu'elle a présentée au président du tribunal judiciaire de Gap, la société France Boissons s'est prévalue pour justifier les mesures d'instruction sollicitées, de faits de concurrence déloyale commis par certains de ses salariés pendant l'exécution de leur contrat de travail au profit de la société Brasserie Artisanale des Grands Cols, mais également des sociétés Comme Au Bistro [Localité 1] et Comme Au Bistro [Localité 2].

Si certains de ces salariés, comme MM. [W], [O], [C] et [M] étaient associés au sein de la SARL Brasserie Artisanale des Grands Cols et si les faits articulés à leur encontre ont pu avoir un lien direct avec la gestion de cette société commerciale, tel n'est pas le cas de M. [B].

Il est en outre indifférent que les personnes supportant les mesures d'instruction requises soient nécessairement les défendeurs à l'action au fond pouvant en résulter.

Le fond du litige pouvant intéresser des personnes physiques non commerçantes, ni intéressées à la gestion des sociétés commerciales concernées par les faits de concurrence déloyale alléguée, sa nature mixte relevait de la compétence du tribunal judiciaire et justifiait la saisine de la présidente du tribunal judiciaire de Gap sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a implicitement rejeté l'exception d'incompétence.

2°) sur la nullité de la requête :

L'article 57 du code de procédure civile impose à peine de nullité, de comporter la dénomination et le siège social de la personne morale contre laquelle la demande est formée.

La requête présentée par la société France Boissons désigne les personnes morales visées par sa demande ainsi qu'il suit :

- «l'établissement Comme Au Bistrot sis [Adresse 5] à [Localité 1]»

- «la société La Brasserie des Grands Cols et la société Comme Au Bistro [Localité 2] sis au même endroit, [Adresse 6] à [Localité 2]».

Conformément aux dispositions de l'article 114 du même code, la nullité d'un acte de procédure pour vice de forme est soumise à la démonstration d'un grief causé à celui qui l'invoque.

Les intimées ne démontrent pas l'existence d'un grief alors que si les sociétés concernées ne sont pas désignées par leur numéro d'immatriculation au RCS ou d'identification SIREN, ni par leur forme sociale, leur nom et les adresses fournies qui correspondent à leur siège social, permettent de les identifier parfaitement et de distinguer notamment la société Comme Au Bistro [Localité 1], de la société Comme Au Bistro [Localité 2].

C'est avec raison que l'ordonnance a implicitement écarté cette exception de nullité, ce qui conduira la cour à la confirmer sur ce point.

3°) sur l'existence d'un motif légitime :

En application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de toute intéressé.

Il n'est pas discuté qu'en 2008, la société France Boissons a fait l'acquisition, à titre d'établissement secondaire, du fonds de commerce de distribution de boissons situé à [Localité 1] et anciennement exploité par les Etablissements Bouchet Père et Fils.

Il résulte des pièces produites par la société France Boissons au soutien de sa requête que :

- la société Brasserie Artisanale des Grands Cols a pour objet social la fabrication et la commercialisation en gros et en détail de produits de brasserie et de boissons rafraîchissantes, avec leurs accessoires,

- sont associés au sein de la société Brasserie des Grands Cols MM [W], [O], [C] et [M] qui ont été salariés de la société France Boissons jusqu'en 2020,

- le 26 septembre 2020 a été constituée une SARL Comme Au Bistro [Localité 2] ayant pour associée unique la société Brasserie Artisanale des Grands Cols et comme objet la vente aux particuliers, associations, entreprises de vins spiritueux, bières de spécialités, cafés, autres boissons de spécialité et épicerie fine, l'activité de bar et même d'agent commercial hors CHD, GMS, supérettes de proximité, magasins de produits régionaux, traiteurs.

Il est par ailleurs acquis aux débats que M. [W] a également constitué une seconde société Comme Au Bistro [Localité 1] en octobre 2020 ayant la même activité que la société Comme Au Bistro [Localité 2].

Les intimés versent aux débats le contrat de distribution exclusive consenti le 1er juin 1998 par la société Brasserie Artisanale des Grands Cols à la société Ets Bouchet Père et Fils pour une durée de dix ans renouvelable par périodes de trois ans.

Les 11 mars, 2 avril, 1er août et 2 décembre 2020, quatre salariés de la société France Boissons, MM. [W], [O], [B] et [C] ont quitté leur emploi dans le cadre de licenciements pour inaptitude, pour insuffisance professionnelle, ainsi qu'à une démission (M. [B]).

La lecture des lettres de licenciement permet de constater que les avis d'inaptitude sont intervenus en janvier et mars 2020, que l'un des salariés concernés a refusé les offres de reclassement et que les insuffisances professionnelles n'ont été constatées que depuis 2019, chez un salarié dont l'ancienneté sur le poste remontait à 1998.

Le témoignage écrit de M. [Y], attaché commercial auprès de la société France Boissons, fait état de la promotion par son manager, M. [M], auprès de leurs clients, de la société Comme Au Bistrot et de ses produits.

La page d'accueil du site internet «Comme Au Bistro» associe cette dénomination à l'indication «Maison Bouchet depuis 1920» et dans une interview publiée sur le site la tourmente.com/ brasserie-tourmente, M. [W], présenté en qualité e co-fondateur et gérant de la Brasserie Artisanale des Grands cols, déclare: « Il est important que nous consolidions notre base de clientèle (CHR, GMS et cavistes) pour capter davantage les consommateurs en direct par le biais de nos boutiques «Comme Au Bistro».

Les départs provoqués ou volontaire, sur une période de neuf mois, de quatre salariés de l'établissement gapençais de la société France Boisson, concomitant à la constitution de deux sociétés dont l'objet était de commercialiser les produits de la Brasserie Artisanale des Grands Cols en se prévalant de l'identité commerciale durable des Etablissements Bouchet sur leur zone de chalandise, alliés à la qualité d'associé de la société Brasserie Artisanale des Grands Cols de trois d'entre eux et à des faits de promotion de ces deux nouvelles sociétés par le responsable commercial de la société France Boisson sont des éléments qui, s'ils ne caractérisent pas des actes de concurrence déloyale, constituent néanmoins un faisceau d'indices créant une suspicion de tels faits suffisante pour permettre à la société France Boissons de justifier d'un motif légitime d'avoir recours à des mesures d'instruction.

4°) sur le caractère excessif des mesures ordonnées :

Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles les mesures d'instruction circonscrites dans le temps comme dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi.

La mesure ordonnée doit être nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

Les mesures autorisées par l'ordonnance ont consisté :

- d'une première part dans la collecte aux siège sociaux des sociétés concernées et au domicile de M [W] de correspondances, factures, contrats ou fichiers relatifs à la politique tarifaire et aux fichiers clients de la société France Boisson,

- de seconde part, dans la collecte sur la messagerie électronique de M. [W] et sur le système informatique et d'information de la société Brasserie Artisanale des Grands Cols et de sa filiale Comme Au Bistro, les échanges de courriels contenant exclusivement au moins l'un des mots clés désignant France Boissons ou FB, son nom de domaine dans les adresses mail, deux de ses salariés, le nom de sept de ses clients, et celui d'un produit.

Ces investigations ont été limitées aux documents et courriels établis, émis ou reçus entre le 1er janvier 2020 au jour d'exécution des mesures.

Ces mesures qui visaient en conséquence à rechercher l'existence, chez les sociétés concurrentes et le gérant de la principale, de données commerciales propres à la société France Boissons (tarifs, clients, produits) et/ ou transmise par ses salariés, sont de nature à permettre l'exercice par la requérante de son droit à la preuve, tout en limitant l'atteinte à la vie privée de M [W] à des données purement professionnelles et l'accès aux données commerciales des sociétés requises à celles relatives à des clients et produits communs.

Le grief tenant à l'absence dans l'ordonnance de conditions à la remise à la requérante des documents collectés ne porte pas atteinte au droit de contester la validité de la mesure d'instruction dans le cadre d'un débat contradictoire, la rétractation de l'autorisation de la pratiquer étant de nature à emporter interdiction d'utiliser ces documents dans le cadre d'une instance au fond.

Les mesures ordonnée apparaissent proportionnées au but poursuivi et la cour confirmera l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande de rétractation.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME l'ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Gap en date du 6 septembre 2022 en ses chefs de dispositif soumis à la cour,

y ajoutant,

CONDAMNE in solidum la SARL Brasserie Artisanale des Grands Cols, la SARL Comme Au Bistro [Localité 1], la SARL Comme Au Bistro [Localité 2] et M. [S] [W], à verser à la SAS France Boissons Sud Est la somme complémentaire en cause d'appel de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la SARL Brasserie Artisanale des Grands Cols, la SARL Comme Au Bistro [Localité 1], la SARL Comme Au Bistro [Localité 2] et M. [S] [W], aux dépens de l'instance d'appel.