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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 7 septembre 2023, n° 19/19498

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ginko (SAS)

Défendeur :

Hermès Edulcorants (Sté), Société Générale (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gérard

Conseillers :

Mme Combrie, Mme Vincent

Avocats :

Me Simon de Kergunic, Me Duhamel

T. com. Nice, du 20 nov. 2019, n° 2018F0…

20 novembre 2019

EXPOSE DU LITIGE

A compter de l'année 2005 la société Ginko (SAS) est devenue distributeur exclusif des produits édulcorants fabriqués par la société Hermès Edulcorants (SAS) aux termes de deux contrats signés les 1er novembre 2005 et 29 mai 2009, jusqu'à la rupture des relations contractuelles en 2014 en l'état des dissensions survenues entre les parties.

Afin de garantir le paiement des factures d'approvisionnement du distributeur, la société Hermès Edulcorants a exigé que la société Ginko lui fournisse une caution bancaire.

Ainsi, par premier contrat du 8 juillet 2009 la Société Générale s'est portée caution solidaire en faveur de la société Ginko vis-à-vis de la société Hermès Edulcorants à concurrence de 450.000 euros afin de garantir le paiement de toutes sommes dues au titre du contrat de distribution signé le 29 mai 2009. Un second contrat de caution bancaire a été signé le 30 octobre 2012 dans les mêmes termes.

Par jugement en date du 29 mai 2016 le tribunal de commerce de Draguignan a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Ginko, convertie en liquidation judiciaire le 5 février 2019, et a désigné Maître [X] en qualité de liquidateur judiciaire.

Dans le cadre de la procédure collective, la Société Générale a déclaré au passif de la société Ginko une créance de 450.000 euros au titre de l'engagement de caution du 30 octobre 2012.

Sur contestation de la créance par la société Ginko, le juge-commissaire, par décision du 12 décembre 2017, a ordonné un sursis à statuer sur l'admission de la créance, de sorte que la société Ginko a assigné la société Hermès Edulcorants et la Société Générale devant le tribunal de commerce de Nice pour voir juger que ces sociétés ne détenaient pas de créance à son encontre.

Par jugement en date du 20 novembre 2019 le tribunal de commerce de Nice a statué en ces termes :

-Déboute la SAS GINKO de sa demande visant à juger que la SAS HERMES EDULCORANTS ne détient aucune créance sur la SAS GINKO susceptible d'être garantie par l'engagement de caution souscrit par la SA SOCIETE GENERALE dans son acte du 30 octobre 2012,

-Déboute la SAS GINKO de sa demande visant à juger que la SA SOCIETE GENERALE ne détient aucune créance sur la SAS GINKO au titre de l'engagement de caution de 450.000,00 € du 30 octobre 2012, au pro't de la SAS HERMES EDULCORANTS.

-Déboute la SAS GINKO de sa demande d'intervention forcée de Maître [R] [Y] en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la SAS GINKO.

-Déboute la SA SOCIETE GENERALE et la SAS HERMES EDULCORANTS de leurs demandes de prendre de nouvelles écritures.

-Dit n'y avoir lieu a faire application de l'article 700 du Code de Procédure civile.

-Laisse les dépens à la charge de la demanderesse ;

-Liquide les dépens à la somme de 111,17 € (cent onze euros et dix sept centimes).

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Par acte du 20 décembre 2019, Maître [H] [X], en qualité de mandataire liquidateur de la société Ginko, a partiellement interjeté appel du jugement.

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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 17 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Maître [H] [X], mandataire liquidateur de la société Ginko, soutient que :

-l'acte de caution signé le 30 octobre 2012 dont se prévaut la Société Générale n'est plus valable dès lors qu'il garantissait le contrat de distribution daté du 29 mai 2009 qui a lui-même pris fin le 31 décembre 2012,

-la créance invoquée par la société Hermès Edulcorants est postérieure (2013/2014) et l'acte de cautionnement ne vise pas la prolongation du contrat de distribution du 29 mai 2009 ; s'agissant d'un acte de caution à durée limitée il a pris fin à son terme,

-la société Hermès Edulcorants ne détient dès lors aucune créance susceptible d'être payée par l'engagement de caution souscrit par la Société Générale le 30 octobre 2012,

-l'engagement de caution du 30 octobre 2012 ne peut concerner que des factures impayées avant le 31 décembre 2012 ; or la dernière facture impayée date du 19 février 2014 et a été réglée par la société Ginko ; l'acte de caution ne se rapporte en tout état de cause qu'aux factures d'approvisionnement de marchandise et non aux autres sommes mises à la charge de la société Ginko,

-le tribunal de commerce n'a pas apprécié la temporalité des différents contrats de distribution ainsi que des actes de caution successifs,

Ainsi, Maître [X], es-qualité, demande à la cour de :

Vu les articles 2224, 2290 et 2292 du Code civil

Vu l'article 700 du CPC

Vu l'article L110-4 du code de commerce

INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Nice du 20/11/2019

DEBOUTER la SOCIETE GENERALE de sa demande de « rapport à justice »

REJETER la déclaration de créance de caution de 450.000€ de la SOCIETE GENERALE au passif de la société GINKO

CONDAMNER solidairement la banque SOCIETE GENERALE et HERMES SWEETENERS GROUP LTD, venant aux droits de la société HERMES EDULCORANTS, à verser au concluant, ès qualité, une somme de 4000€ au titre de l'article 700 du CPC, outre les entiers dépens.

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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 5 avril 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la Société Générale (SA) réplique que :

-l'acte de caution a été conclu pour un an renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation par la banque ; or, au jour de l'ouverture de la procédure collective, le 24 mai 2016, la Société Générale n'avait pas dénoncé l'acte de caution et la société Hermès Edulcorants n'en avait pas donné mainlevée de sorte que le risque qu'elle soit appelée en garantie existe toujours,

-elle ne détient elle-même aucune information concernant les créances qui seraient détenues par la société Hermès Edulcorants à l'encontre de la société Ginko,

La Société Générale demande à la cour de :

Vu l'article 1134 du code civil,

Vu les pièces versées aux débats,

- DONNER ACTE à la SOCIETE GENERALE de ce qu'elle s'en rapporte à justice ou s'en remet à la sagesse de la Cour d'appel pour statuer sur les demandes formulées par Maître [H] [X], es qualités de liquidateur de la SAS GINKO, sauf en ce qui concerne la demande au titre de l'article 700 du CPC,

En conséquence :

- DEBOUTER Maître [H] [X], es qualités de liquidateur de la SAS GINKO, de sa demande tendant au paiement de la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC,

- CONDAMNER Maître [H] [X], es qualités de liquidateur de la SAS GINKO aux dépens de l'instance, distraits au pro't de la SCP DUHAMEL ASSOCIES, avocats aux offres de droit

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La société Hermès Edulcorants n'a pas constitué avocat.

MOTIFS

A titre liminaire, il convient de préciser que Maître [H] [X], liquidateur judiciaire de la société Ginko, a notifié à la société Hermès Edulcorants la déclaration d'appel par acte du 11 mars 2020 conformément à l'article 902 du code de procédure civile et lui a également notifié ses conclusions d'appelant par acte du 30 juillet 2020.

Dès lors, par application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile la société Hermès Edulcorants, qui n'a pas conclu, est réputée s'approprier les motifs du jugement.

Sur la créance invoquée par la Société Générale :

Aux termes de l'acte de cautionnement signé le 30 octobre 2012 entre la Société Générale et la société Ginko la banque s'est portée « caution solidaire, avec renonciation du bénéfice de division et de discussion, en faveur de GINKO vis-à-vis de HERMES EDULCORANTS à concurrence d'une somme maximum de 450.000 EUR (QUATRE CENT CINQUANTE MILLE EUROS) en principal, intérêts, frais et accessoires compris, pour garantie le paiement de toutes sommes dues au titre du contrat ci-dessus » (pièce 4 de la Société Générale).

Cet engagement, qui faisait lui-même suite à un premier cautionnement signé le 8 juillet 2009, a été conclu pour une durée d'un an renouvelable pour la même durée, par tacite reconduction « sauf dénonciation par la banque par lettre recommandée avec accusé de réception adressée à HERMES EDULCORANTS au plus tard 30 jours avant la date d'échéance ».

La Société Générale soutient ainsi que sa garantie est encore susceptible d'être sollicitée par la société Hermès Edulcorants, créancière de la société Ginko, dès lors que l'acte de cautionnement signé au profit de la société Ginko s'est poursuivi faute de mainlevée de la société Hermès Edulcorants ou de dénonciation de la part de l'établissement bancaire.

Maître [X] objecte que l'acte de cautionnement ne vise que le contrat de distribution signé le 29 mai 2009, lequel a expiré le 31 décembre 2012 conformément à l'article 11 dudit contrat (pièce 2 de l'appelant) de sorte qu'en tout état de cause, l'acte de cautionnement a pris fin avec le contrat qu'il garantissait.

Il apparaît effectivement que l'acte de cautionnement du 30 octobre 2012 ne vise pas l'avenant signé le 22 janvier 2011 entre la société Hermès Edulcorants et la société Ginko, lequel reporte la date d'expiration du contrat au 31 décembre 2013 au lieu du 31 décembre 2012.

Il en est de même de l'avenant au contrat de distribution signé le 23 avril 2013 fixant la fin des relations contractuelles entre la société Hermès Edulcorants et la société Ginko au 31 décembre 2014, cet avenant étant postérieur à la signature de l'acte de cautionnement (pièce 6 de l'appelant).

Ainsi, la Société Générale ne peut se voir opposer, de par l'effet relatif des conventions, l'application de contrats auxquels elle n'a pas été partie et dont il n'est pas établi, a minima, qu'elle ait été informée dans le cadre de son engagement de caution, et ce, en dépit des incohérences ressortant de la signature d'un second acte de cautionnement le 30 octobre 2012, soit près de quatre années et demi après le contrat de distribution daté du 29 mai 2009 qu'il était censé garantir.

Il en résulte que la Société Générale ne peut être tenue de cautionner les créances de la société Hermès Edulcorants qui seraient apparues postérieurement à l'expiration du contrat de distribution le 31 décembre 2012, nonobstant le fait que par l'application des avenants signés les 22 janvier 2011 et 23 avril 2013, le contrat de distribution s'est poursuivi en réalité jusqu'en 2014.

A cet égard, il convient de relever que dans le cadre du litige ayant opposé les sociétés Hermès Edulcorants et Hermès Sweeteners Ltd à la société Ginko devant le tribunal de grande instance de Paris, la société Hermès Edulcorants a précisément fait grief à la société Ginko d'avoir notamment manqué à son obligation de fournir une caution dans le cadre du contrat portant sur la fin d'exécution du contrat signé le 23 avril 2013, attestant a minima que selon la société Hermès Edulcorants le cautionnement de la Société Générale n'était plus en vigueur à cette date (pièce 8 page 20).

En outre, le contrat de distribution, en son article 5.4 précise l'obligation qui est faite à la société Ginko d'être couverte pendant toute la durée du contrat par une caution bancaire solidaire. Cet article est lui-même intégré à l'article 5 qui vise de façon générale le prix et les conditions de paiement des « Produits », lesquels sont définis en préambule comme étant « les produits édulcorants vendus sous la marque HERMESETAS tels que limitativement listés et décrits à l'Annexe 1 du contrat », étant rappelé que l'objet du contrat était notamment de consentir à la société Ginko une exclusivité de distribution en France de certains produits fabriqués par la société Hermès Edulcorants et que pour ce faire, la société Ginko avait des « Objectifs d'achats » de produits tels que rappelés à la clause 6.2 (pièces 1 et 2 de l'appelant).

Dès lors, en se référant expressément au contrat de distribution conclu le 29 mai 2009 la Société Générale a entendu nécessairement garantir le paiement des factures d'achat de produit, à l'exclusion de toute autre somme, de sorte que la formule insérée à l'acte de cautionnement prévoyant que la Société Générale a vocation à « garantir le paiement de toutes sommes dues au titre du contrat ci-dessus [le contrat de distribution du 29 mai 2009]» ne peut s'interpréter que comme se référant aux sommes dues par la société Ginko à la société Hermès Edulcorants au titre de l'approvisionnement en produits en vue de leur distribution.

Par conséquent, la créance dont se prévaut la société Hermès Edulcorants aux termes du dernier état des créances daté du 3 juin 2020 produit au passif de la procédure collective ouverte à l'égard de la société Ginko (pièce 21 de l'appelant) à hauteur de la somme de 416.229, 46 euros, en ce qu'elle concerne manifestement, et à défaut de toute autre précision, les condamnations prononcées par le jugement définitif rendu le 1er décembre 2016 par le tribunal de grande instance de Paris, ne saurait être couverte par la garantie de la Société Générale.

En effet, la condamnation mise à la charge de la société Ginko pour la somme principale de 389.386 euros se rapporte au paiement « de la clause pénale pour résiliation aux torts exclusifs de la société GINKO du contrat de distribution exclusive des produits Hermesetas » du fait du « défaut de coopération » de la société Ginko « courant 2013 et 2014 ».

Cette condamnation n'est dès lors pas de nature à entrer dans les prévisions de l'acte de cautionnement consenti par la Société Générale, indépendamment de la problématique de la prescription de l'action potentiellement engagée par la société Hermès Edulcorants à l'encontre de la société Ginko.

De même, l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Bobigny ayant condamné la société Ginko à payer à la société Hermès Edulcorants la somme de 181.177,513 euros à titre provisionnel, en ce qu'elle concerne des factures d'approvisionnement ayant fait l'objet d'une commande du 10 janvier 2014, soit postérieurement au 31 décembre 2012, ne peut donner lieu à garantie de la part de la Société Générale, étant relevé qu'en outre, Maître [H] [X] justifie de la copie du chèque émis en paiement de cette somme (pièces 10 et 11 de l'appelant).

Au demeurant, la société Hermès Edulcorants, qui n'a pas constitué avocat en cause d'appel, n'apporte aucun élément de preuve de nature à corroborer à son égard un engagement de caution de la part de la Société Générale.

Il en résulte que la Société Générale n'est pas fondée, en l'état des éléments soumis à l'appréciation de la juridiction, de déclarer une créance à hauteur de 450.000 euros au passif de la liquidation judiciaire de la société Ginko considérant que la société Hermès Edulcorants ne justifie pas elle-même d'une créance susceptible d'être garantie par le cautionnement bancaire de la Société Générale.

Le jugement attaqué sera dès lors infirmé, dans les limites de la saisine de la cour.

Sur les frais et dépens :

La Société Générale, partie succombante, conservera la charge des dépens, de première instance et d'appel.

Elle sera également tenue de payer à Maître [H] [X], liquidateur judiciaire de la société Ginko, la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Les demandes de Maître [H] [X] dirigées à l'encontre de la société Hermès Sweeteners Ltd, non partie à la cause, sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme, dans les limites de l'appel qui lui est dévolu, le jugement rendu le 20 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Nice,

Statuant à nouveau,

Dit que la société Hermès Edulcorants ne justifie d'aucune créance à l'encontre de la société Ginko susceptible d'être garantie au titre du cautionnement bancaire consentie par la Société Générale à la société Ginko,

Dit en conséquence que la Société Générale n'est pas fondée à déclarer une créance à hauteur de 450.000 euros au passif de la liquidation judiciaire ouverte à l'égard de la société Ginko au titre d'un cautionnement bancaire,

Condamne la Société Générale aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la Société Générale à payer à Maître [H] [X], liquidateur judiciaire de la société Ginko, la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.