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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 18 octobre 2023, n° 22/02884

COLMAR

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

CA Consumer Finance (SA)

Défendeur :

Kevin Leroy Automobile (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Walgenwitz

Conseillers :

M. Roublot, Mme Robert-Nicoud

Avocats :

Me Harter, Me Spieser

TJ Colmar, JME, du 7 juill. 2022

7 juillet 2022

Vu l'assignation délivrée le 27 août 2021, par laquelle la SA CA Consumer Finance, ci-après également dénommée 'la société Consumer' a fait citer la SAS Kévin Leroy Automobile, ci-après également dénommée 'la société Leroy' devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar,

Vu l'ordonnance rendue le 7 juillet 2022, à laquelle il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par laquelle le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Colmar, chambre commerciale a :

- déclaré la demande de la SA Consumer Finance exerçant sous la marque Viaxel irrecevable,

- condamné les parties à supporter chacune leurs propres dépens et débouté les parties de leurs demandes respectives en application de l'article 700 du code de procédure civile,

aux motifs, notamment, que la juridiction se trouvait privée du pouvoir juridictionnel de statuer sur l'ensemble du litige, alors que la SAS Kévin Leroy Automobile entendait mettre en cause sur demande reconventionnelle la responsabilité de la SA Consumer Finance sur le fondement de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce.

Vu la déclaration d'appel formée par la SA CA Consumer Finance contre cette ordonnance, et déposée le 22 juillet 2022,

Vu l'ordonnance du 1er septembre 2022 autorisant l'assignation à jour fixe par la partie appelante à l'audience du 7 décembre 2022, et l'assignation délivrée à la partie intimée le 6 septembre 2022,

Vu la constitution d'intimée de la SAS Kévin Leroy Automobile en date du 5 décembre 2022,

Vu les dernières conclusions en date du 8 juin 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SA Consumer Finance demande à la cour de :

'Voir déclarer CA Consumer Finance recevable et bien fondée en sa demande ainsi qu'en les présentes conclusions ;

Vu les articles 795 alinéa 3 et 4, 83 et 90 alinéa 2 et l'article 568 du Code de Procédure civile, les articles L.442-1 et suivants du Code de Commerce invoqués par la société Kévin Leroy Automobile, l'arrêt rendu le 15 janvier 2020 par la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation (n°18-10512), les articles 1103, 1231 et 1231-1 du Code civil, les pièces versées au débat et notamment les 'contrat cadre - conditions générales' et contrat de financement 'concours stock' du 26 novembre 2018 ainsi que la lettre de change établie le 23 novembre 2018 :

- Infirmer l'ordonnance rendue par Madame le Juge de la Mise en Etat de la Chambre Commerciale du Tribunal Judiciaire de Colmar le 7 juillet 2022, et annuler celle-ci en ce qu'elle a statué dans cadre d'une fin de non-recevoir sur la compétence :

- en déclarant irrecevable la demande de la SA CA Consumer Finance exerçant sous la marque Viaxel,

- la condamnant à supporter ses propres dépens,

- la déboutant de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Statuant à nouveau par voie d'évocation :

- Juger pleinement recevable l'action introduite par CA Consumer Finance visant à obtenir paiement de sa créance ;

- Condamner la société Kévin Leroy Automobile à payer à CA Consumer Finance la somme de 111.962,41€ (cent onze mille neuf cent soixante-deux euros et quarante et un centimes) avec intérêts au taux contractuel de 3 % l'an à compter du 30 octobre 2020 jusqu'à complet règlement ;

- Condamner la société Kévin Leroy Automobile à payer la somme de 3.000 € (trois mille euros) à CA Consumer Finance en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile

- Condamner la société Kévin Leroy Automobile aux entiers dépens des procédures de première instance et d'appel',

et ce, en invoquant, notamment :

- à titre principal, l'inapplication des articles L. 442-1 et suivants du code de commerce invoqués par la société Kévin Leroy Automobile au litige, dès lors que serait en cause une opération de crédit, mise en œuvre par un établissement financier,

- un engagement 'd'apport de production' à la charge de la société Kévin Leroy Automobile, en sa qualité 'd'intermédiaire en opération de banque' constituant une cause déterminante du crédit accordé à cette dernière aux termes de l'engagement 'concours stocks' souscrit par les parties, tout renouvellement éventuel de ce financement auprès de la concluante donnant lieu à une étude approfondie à laquelle cette dernière était en droit de donner la suite qu'elle estimait opportune,

- le non-renouvellement, en raison du volume de production insuffisant par rapport aux objectifs contractuels, du contrat 'concours stocks' consenti à la société Kévin Leroy Automobile, qui ne disposait d'aucun droit à renouvellement de ce contrat à durée déterminée, les affirmations adverses quant aux causes de la rupture du contrat étant contestées, et ce alors que la concluante disposait du droit de refuser les prêts que lui proposait la société Leroy au bénéfice de ses clients,

- le caractère 'non potestatif' de la condition relative à l'engagement d'apport de production souscrit par la société Kévin Leroy Automobile, dès lors que la reconduction éventuelle du contrat en cause, exécuté en toute connaissance de cause, dépendrait avant tout du nombre d'engagements de candidats emprunteurs présenté au 'Financier' par la société Leroy, dont la concluante serait en droit d'apprécier la situation et de contrôler l'aptitude à procéder au remboursement des sommes avancées, référence étant faite à l'argumentation retenue dans une décision du juge de l'exécution rendue entre les parties, sur demande visant à la rétractation d'une ordonnance de saisie,

- la demande que la cour se prononce sur l'ensemble du litige l'opposant à Kévin Leroy Automobiles en vue de mettre fin à celui-ci, en application de l'article 568 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions en date du 6 décembre 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles la SAS Kévin Leroy Automobile demande à la cour de :

'DECLARER la SA CA Consumer Finance mal fondée en son appel

LE REJETER

CONFIRMER la décision entreprise

REJETER la demande d'évocation

Très très subsidiairement s'il était fait droit à cette demande il conviendrait de ré-ouvrir les débats et d'inviter la concluante à conclure au fond

CONDAMNER la SA CONSUMER FINANCE aux entiers dépens de l'instance et à payer à la société concluante la somme de 2000 euros par application de l'article 700 du CPC',

et ce, en invoquant, notamment :

- l'application des articles L. 442-1 et suivants du code de commerce, en présence d'un contrat qui se serait poursuivi après son échéance et aurait été rompu sans préavis raisonnable, et ce sur le fondement d'une obligation conditionnelle à caractère potestatif, car dépendant de la seule volonté du débiteur de l'obligation de financement, alors que serait en cause une ouverture de crédit, sans condition liée au profil des clients, à laquelle aurait pourtant eu recours la société Consumer,

- l'impossibilité d'évoquer le dossier au fond, la cour étant limitée par la compétence du juge de la mise en état.

Vu le renvoi de l'affaire à la demande de la partie appelante et les débats à l'audience du 26 juin 2022,

Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS :

Sur la demande principale :

Tout d'abord, la cour observe que si la société Consumer apparaît poursuivre l'annulation de la décision entreprise 'en ce qu'elle a statué dans cadre d'une fin de non-recevoir sur la compétence', elle n'explique pourtant pas en quoi cette décision encourrait, le cas échéant, l'annulation, alors même que le juge de la mise en état, saisi par la partie défenderesse d'une demande d'irrecevabilité et à titre subsidiaire de renvoi de l'affaire devant le tribunal de commerce de Nancy, a déclaré la demande de la SA CA Consumer France irrecevable, statuant ainsi dans le cadre de sa saisine, alors que les dispositions invoquées des articles L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce sont sanctionnées par l'irrecevabilité des demandes, et à l'issue d'un débat contradictoire entre les parties.

Par ailleurs, la société Consumer entend invoquer l'inapplicabilité au litige des dispositions précitées du code de commerce, dont ne relèverait pas l'activité en cause exercée dans le cadre d'opérations financières, et contester l'argumentation adverse quant à l'existence d'une rupture 'brutale et abusive' et l'obligation conditionnelle, constitutive, pour la société Leroy, d'une condition potestative, et susceptible de créer un déséquilibre entre les droits et obligations des parties, de réaliser un volume de production suffisant dépendant de la volonté de CA Consumer Finance, qui accepte ou refuse les dossiers de financement, et ce alors que pour l'appelante, aux termes des dispositions contractuelles, la société Leroy était investie comme intermédiaire en opérations de banque, dont l'engagement 'd'apport de production' constituerait une cause déterminante du crédit accordé à cette dernière aux termes de l'engagement 'concours stocks' souscrit par les parties, tout renouvellement éventuel de ce financement auprès de CA Consumer Finance devant donner lieu à une étude approfondie à laquelle cette dernière était en droit de donner la suite qu'elle estimait opportune. Elle ajoute que la société Leroy n'aurait bénéficié d'aucun droit à renouvellement de l'engagement stock à son arrivée à expiration, en l'absence de réalisation de 'l'objectif de production' contractuellement prévu et de respect des termes de son obligation de rembourser les véhicules financés par CA Consumer Finance dans les conditions stipulées au contrat, là où la société Leroy invoque une poursuite du contrat au-delà du terme prévu, suivie d'une rupture sans préavis.

Sur ce, la cour rappelle que les parties étaient liées par un 'contrat cadre' en date du 26 novembre 2018, la société Consumer ayant, par acte signé de cette même date, consenti à la SAS Kévin Leroy Automobile un 'concours stocks' pour un montant en principal de 150 000 euros avec intérêts de 3 % l'an, utilisable par fractions et reconstituable 'au fur et à mesure des remboursements' effectués sur chacun des véhicules financés, la durée de validité de ce contrat de crédit, dont le remboursement était garanti par une lettre de change, étant fixée au 30 novembre 2019, et la société Leroy s'engageant, en contrepartie de cette avance de trésorerie, à réaliser un 'objectif annuel de production' de 650 000 euros, pour la période du '1/03/2018 au 28/02/2019', soit à atteindre un volume de financements souscrits par sa clientèle auprès de CA Consumer Finance à hauteur de ce montant.

Si, aux termes de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, il n'en demeure pas moins que ces dispositions, relevant des pratiques restrictives de concurrence, n'ont pas été rendues applicables aux organismes et activités bancaires et financiers, l'article L. 511-4 du code monétaire et financier limitant cette extension aux seules pratiques anti-concurrentielles du titre II (voir Com., 15 janvier 2020, pourvoi n° 18-10.512, publié au Bulletin).

Dès lors qu'en l'espèce, est en cause un contrat de financement de stock, dont il n'est pas contesté qu'il a bien été octroyé par un organisme financier, d'ailleurs lié au Crédit Agricole comme cela ressort des pièces versées aux débats, la société Leroy se bornant, sur ce point, à contester sa propre qualité d'intermédiaire en opération de banque, de sorte que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le surplus de l'argumentation des parties, il convient d'écarter la fin de non-recevoir invoquée par la société Leroy et de déclarer, en conséquence, la société Consumer recevable en son action, l'ordonnance entreprise devant, ainsi, être infirmée de ce chef.

La cour étant saisie dans les limites de l'appel, portant sur une décision du juge de la mise en état, il ne lui appartient pas de statuer sur le fond du litige, dont l'examen se poursuivra devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La société Leroy succombant pour l'essentiel sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, sans qu'il n'y ait lieu, en outre, à infirmer l'ordonnance entreprise sur ce point.

L'équité commande en outre de mettre à la charge de la société Leroy, au titre de la première instance et de l'appel, une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 2 000 euros au profit de la société Consumer, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de cette dernière, tout en confirmant les dispositions de la décision déférée de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme l'ordonnance rendue le 7 juillet 2022 par le juge de la mise en état de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar, en ce qu'elle a déclaré la demande de la SA CA Consumer Finance exerçant sous la marque Viaxel irrecevable,

Confirme l'ordonnance entreprise pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs de demande infirmés et y ajoutant,

Déclare l'action de la SA CA Consumer Finance exerçant sous la marque Viaxel recevable,

Dit que l'instance au fond se poursuivra devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Colmar,

Condamne la SAS Kévin Leroy Automobile aux dépens de l'appel,

Condamne la SAS Kévin Leroy Automobile à payer, au titre de la procédure d'appel, à la SA CA Consumer Finance exerçant sous la marque Viaxel la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SAS Kévin Leroy Automobile.