CA Colmar, ch. 1 A, 11 octobre 2023, n° 22/02102
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sogeca (SARL)
Défendeur :
SGD Réseaux (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Walgenwitz
Conseillers :
M. Roublot, Mme Robert-Nicoud
Avocats :
Me Brunner, Me Mall, Me Crovisier, Me Caen
Vu l'ordonnance rendue le 3 novembre 2021, par le président du tribunal judiciaire de Strasbourg, sur requête de la SARL SOGECA, déposée le 2 novembre 2021, et par laquelle il a été statué comme suit :
AUTORISONS la requérante à commettre tel huissier qu'il lui plaira avec mission de, au cours des douze derniers mois :
Se rendre au domicile de M. [D] [G] né le 29.7.1987 à [Localité 5], domicilié [Adresse 1] et au siège de la société SGD RESEAUX, [Adresse 1], afin de prendre connaissance et copie sous quelque forme que ce soit et en particulier, en utilisant une clé USB ou tout autre support informatique ou électronique qu'il jugera opportun, de l'ensemble des documents, fichiers, courriers ou messages électroniques (courriels, textes) ou audio devis bons de commandes, contrats ou factures mentionnant tout ou partie :
* des noms des fichiers exportés dénommés 'Parc Expo Chauffage 400 ml Fiche Etude E2 [Localité 5], Top Vierge, SOGECA Top Simplifié', STPMP OP Cernay Chauffage Urbain [Adresse 4]. des devis et documents des fournisseurs et sous-traitants Vexve et Naval, Rapport CCJA et Mail Projet Sausheim,
* des noms et prénoms de M. [V] [J], M. [N] [T], M. [Z] [E], M. [H] [R] dans les fichiers cités ci-dessus et les échanges de mails relatifs à ces fichiers, dans la limite de 12 mois,
* des noms de la Requérante, de l'une des sociétés du Groupe TELLOS, de l'une des marques ou noms commerciaux des sociétés du Groupe TELLOS, à savoir SOGECA Sarl, SMTPF SAS, GANTER SIREG SAS, SMARTFIB SAS, SOGECA THERM, IMMOBILIERE JMD, CGR ENVIRONNEMENT SAS, TRANSPORT DU RHIN SAS, SGTP 67 SARL, ABILCITY, IZIOS Dev., SABLIERE DE STEINBOURG, TELLOS IMMOBILIER SAS, ALPHA CONSTRUCTIONS SAS,
AUTORISONS l'huissier à accéder à cette 'n à tous 'chiers, registres, classeurs, supports d'information ou de données des Requis, quels qu'ils soient et en particulier à tous ordinateurs ou tablettes, présents sur les lieux ou ceux dont ils dépendent, quels qu'en soient les utilisateurs ;
AUTORISONS l'huissier à se faire assister dans l'exécution de sa mission par tout officier de police judiciaire et par tout expert de son choix qu'il chargera de l'assister, notamment pour intervenir sur les systèmes informatiques et boîtes e-mail dans le cadre des mesures d'instruction ordonnées ;
AUTORISONS l'huissier et l'informaticien en cas de difficultés dans la sélection et le tri des éléments recherchés, notamment au regard de leur volume ou en cas de difficultés rencontrées dans l'accès aux supports informatiques des parties, à procéder à une copie complète en deux exemplaires des 'chiers, des disques durs et autres supports de données qui lui paraîtront nécessaires en rapport avec la mission confiée, dont une copie placée sous séquestre servira de référentiel et ne sera pas transmise à la partie Requérante et l'autre copie servira à l'huissier pour procéder de manière différée, avec l'aide le cas échéant, de l'expert choisi par lui, à l'ensemble des recherches et analyses ci-dessus ;
DISONS que dans le cas d'analyse différée, l'expert devra établir une note technique établissant la traçabilité de ses opérations et détruire ses 'chiers de travail pour la réalisation de sa mission ; que l'huissier remettra à la partie auprès de laquelle il les aura obtenus une copie des pièces telles qu'elles résulteront du tri auquel il aura procédé avec l'expert ;
AUTORISONS l'huissier à procéder aux interpellations strictement nécessaires à l'effet d'obtenir les informations objets de sa mission ;
DISONS que conformément à l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile, copie de la requête et de la présente ordonnance sera laissée aux personnes auxquelles elle est opposée ;
DISONS que les éléments et déclarations recueillies à l'occasion du constat seront décrits et conservés par l'huissier en double exemplaire en qualité de séquestre pendant un délai d'un mois à compter de l'accomplissement de sa mission afin de permettre, le cas échéant, à la partie qui y a intérêt d'obtenir avant le terme de ce délai, une rétractation de la présente ordonnance ;
DISONS qu'au-delà de ce délai d'un mois, et en l'absence d'assignation en référé rétractation de l'ordonnance à intervenir, l'huissier remettra à la partie requérante les éléments saisis et constatés au cours des opérations de constat, la mesure de séquestre étant levée conformément à l'article R153-1 du code de commerce ;
DONNONS à l'huissier instrumentaire un délai de 3 mois pour accomplir sa mission à compter de l'ordonnance ;
CONSTATONS que les frais de constat seront intégralement avancés par la partie requérante ;
ORDONNONS l'exécution provisoire de la présente ordonnance et au seul vu de la minute.
Vu l'assignation délivrée le 2 février 2022 par laquelle M. [D] [G] et la SASU SGD Réseaux, ci-après également dénommée 'SGD' ont saisi, au visa, notamment, des articles 496 et 497 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire de Strasbourg statuant en la forme des référés, pour voir rétracter l'ordonnance susvisée,
Vu la décision de renvoi, par mention au dossier, par laquelle le juge des référés de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg a renvoyé l'affaire devant la chambre civile,
Vu l'ordonnance rendue le 17 mai 2022, à laquelle il sera renvoyé pour le surplus de l'exposé des faits, ainsi que des prétentions et moyens des parties en première instance, et par laquelle le Président du tribunal judiciaire de Strasbourg a statué comme suit :
RETRACTONS totalement l'ordonnance rendue le 3 novembre 2021 ;
DEBOUTONS M. [Y] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNONS la Sàrl Sogeca à payer à M. [Y] [G] et à la SASU SGD Reseaux une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTONS la Sàrl Sogeca de l'ensemble de ses demandes ;
CONDAMNONS la Sàrl Sogeca aux entiers frais et dépens ;
RAPPELONS que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.
Vu la déclaration d'appel formée par la SARL SOGECA contre cette ordonnance, et déposée le 25 mai 2022,
Vu la constitution d'intimés de M. [D] [G] et la SASU SGD Réseaux en date du 8 juillet 2022,
Vu les dernières conclusions en date du 5 juin 2023, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif, et par lesquelles la SARL SOGECA demande à la cour de :
Vu les articles 145, 495, 757 et 835 du CPC,
Vu l'article L. 151-1 et suivants, L. 152-3, L. 152-4, R. 152-1 du code de commerce,
Vu les articles 1240 et suivants du code civil,
SUR RECTIFICATION D'ERREUR MATERIELLE
RECTIFIER le dispositif du Jugement entrepris en REMPLACANT la mention :
DEBOUTONS M. [D] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Par la mention :
DEBOUTONS la SARL SOGECA de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
SUR L'APPEL
DECLARER l'appel recevable,
DECLARER l'appel bien fondé,
INFIRMER l'ordonnance du juge des référés du 17.5.2022 en ce qu'elle a :
- rétracté totalement l'ordonnance rendue le 3 novembre 2021,
- débouté la SARL SOGECA de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SARL SOGECA à payer à M. [D] [G] et à la SASU SGD Réseaux une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la SARL SOGECA de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la SARL SOGECA aux entiers frais et dépens,
Et statuant à nouveau,
CONFIRMER l'ordonnance du 3 novembre 2021 n° RG 21/00687 en son intégralité,
DEBOUTER Monsieur [D] [G] et la société SGD RESEAUX de l'intégralité de leurs demandes,
CONDAMNER in solidum chacun des intimés à payer une somme de 6.000 euros à la société SOGECA en application de l'article 700 du CPC au titre des procédures de 1ère instance et d'appel,
CONDAMNER in solidum Monsieur [D] [G] et la société SGD RESEAUX aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel,
et ce, en invoquant, notamment :
- la suspicion d'une commission, par M. [G], d'actes relevant de la concurrence déloyale et d'une violation du secret des affaires, par l'export de fichiers sur sa boîte privée de messagerie et le débauchage d'un salarié,
- l'existence d'un intérêt légitime à sa demande, qui serait suffisamment caractérisé dans la requête, au regard du débauchage de salarié, même si son embauche elle-même ne constitue pas un grief, de la nécessité de faire la preuve de l'utilisation des fichiers transférés en violation de la charte informatique régissant la société concluante, dans un contexte de collusion des intimés avec un autre ancien salarié de la concluante, ce qui aurait conduit à la perte effective de marché par la concluante, notamment pendant la période couverte par l'ordonnance entreprise,
- l'existence d'agissements parasitaires, caractérisés par l'export illicite de fichiers, dont l'appropriation constituerait un avantage concurrentiel relevant de la concurrence déloyale et dont l'usage porterait atteinte au secret des affaires, tout en permettant l'économie de substantiels investissements, peu importe l'identité ou non de secteurs d'activité, au demeurant dans une situation de concurrence, et l'absence de clause de non-concurrence qui ne concernerait, de surcroît, pas la société SGD Réseaux,
- la légitimité de la procédure sur requête, compte tenu de l'objet et de la nature des informations recherchées et du risque de disparition, les circonstances justifiant la mesure et la dérogation au principe du contradictoire ayant été, à son sens, largement exposées dans la requête,
- la régularité de la mesure d'instruction, dans le cadre de laquelle les pièces jointes à la requête n'avaient pas à être communiquées, ce qui n'a, de plus, jamais été demandé, avant la procédure en rétractation, par les parties adverses.
Vu les dernières conclusions en date du 11 août 2022, auxquelles est joint un bordereau de pièces récapitulatif qui n'a fait l'objet d'aucune contestation des parties, et par lesquelles M. [D] [G] et la SASU SGD Réseaux demandent à la cour de :
'Vu le Code de procédure civile et notamment ses articles 16, 145, 493, 494, 496 et 497,
Vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme,
Vu l'article 9 du Code civil,
Sur l'appel principal,
DECLARER la société SOGECA mal fondée en son appel,
ECARTER les annexes 20 et fichiers annexes, 25, 26, 27 et 28,
DEBOUTER la société SOGECA de son appel ainsi que de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence,
CONFIRMER l'ordonnance rendue le 17 mai 2022 en ce qu'elle a :
- Retracté l'ordonnance rendue le 3 novembre 2021 dans son intégralité ;
- Condamné la société SOGECA à payer à Monsieur [G] et à la société SGD RESEAUX une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamné la société SOGECA aux entiers frais et dépens.
A titre subsidiaire,
CANTONNER l'extraction des fichiers de la clé USB saisie par Maître [I] à un mail prétendument adressé le 5 janvier 2001 de l'adresse professionnelle [Courriel 3] vers son adresse privée [Courriel 2].
LIMITER les fichiers à extraire aux mots clés suivants :
"Parc expo chauffage 400ML"
"Fiche etude E2 [Localité 5]"
"Top vierge"
"SOGECA TOP simplifié"
"STPMP OP Cernay Chauffage urbain [Adresse 4]"
"Rapport CCTA et MALT projet SAUSHEIM"
à l'exclusion de la mention "tout ou partie".
Sur l'appel incident,
DECLARER Monsieur [G] recevable en son appel incident,
DIRE bien fondé,
En conséquence,
INFIRMER l'ordonnance rendue le 17 mai 2022 en ce qu'elle a :
- Débouté Monsieur [G] de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du Code civil ;
Et Statuant à nouveau
CONDAMNER la société SOGECA à payer à Monsieur [G] la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du Code civil
En tout état de cause,
CONDAMNER la société SOGECA à payer à la société SGD RESEAUX et à Monsieur [G] une indemnité de 6.000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
CONDAMNER la société SOGECA aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.
et ce, en invoquant, notamment :
- une mise en scène, qualifiée de mensongère, de faits de concurrence déloyale, aux fins de mettre en cause la validité d'une transaction conclue avec un autre salarié, dans un contexte de fuite des cadres de la société SOGECA, et en l'absence de tout commencement de preuve,
- une absence de motivation de la requête quant au non-respect du contradictoire, notamment quant aux circonstances en justifiant la nécessité absolue, et plus particulièrement sans caractériser le risque de déperdition de preuves,
- l'absence d'un motif légitime, que ce soit au titre de l'embauche par la société de M. [G] d'un ancien salarié de SOGECA, non constitutive en elle-même d'un acte de concurrence déloyale, comme le reconnaîtrait désormais l'appelante, de l'export de fichiers sur la boîte de messagerie électronique du concluant, s'agissant de pièces qualifiées d'insignifiantes et de faits postérieurs à son départ de l'entreprise, ou encore de l'absence d'éléments justifiant de la perte de marchés ou de chiffre d'affaires, ni même d'agissements parasitaires,
- l'absence de signification des pièces jointes à la requête, pourtant indispensable pour assurer le respect du principe du contradictoire,
- à titre subsidiaire, le cantonnement des effets de la saisie, au prétendu export de fichiers en date du 5 janvier 2021,
- l'indemnisation, par provision, possible pour le juge de la rétractation, du préjudice subi par M. [G] pour le choc subi en raison de l'exécution de la mesure.
Vu les débats à l'audience du 12 juin 2023,
Vu le dossier de la procédure, les pièces versées aux débats et les conclusions des parties auxquelles il est référé, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour l'exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS :
Sur la demande principale en rétractation :
L'article 145 du code de procédure civile dispose qu'à la demande de tout intéressé justifiant de l'existence d'un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissible peuvent être ordonnées sur requête ou en référé.
Selon l'article 493 du même code, l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse, en présence de circonstances autorisant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, l'application des articles 494 et 495 du code précité impliquant, en outre, que la requête doit être motivée, comporter l'indication précise des pièces invoquées et doit être remise en copie ainsi que l'ordonnance, elle-même motivée, à la personne qui en supporte l'exécution.
Et selon l'article 17 du code précité, lorsque la loi permet ou la nécessité commande qu'une mesure soit ordonnée à l'insu d'une partie, celle-ci dispose d'un recours approprié contre la décision qui lui fait grief, l'article 496 du même code prévoyant que, s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance, et l'article 497 de ce code autorisant le juge à modifier ou rétracter son ordonnance même si le juge du fond est saisi de l'affaire.
Ainsi, le référé afin de rétractation, qui n'est soumis ni à la condition d'urgence, ni à l'absence de contestation sérieuse, permet à la partie à l'insu de laquelle une mesure urgente a été ordonnée de disposer, par application des dispositions qui viennent d'être rappelées, d'un recours approprié contre la décision qui lui fait grief, dans le respect du principe du contradictoire.
Dans ce cadre, il convient également de rappeler que la cour d'appel saisie d'une décision ayant rétracté, fût-ce partiellement, une ordonnance sur requête, ne peut se prononcer que dans les limites de la saisine du juge de la requête, mais se trouve investie des attributions du juge qui l'a rendue et doit alors statuer sur les mérites de la requête.
Et le requérant initial conserve la charge de justifier le bien-fondé de sa requête, sans avoir, lorsque la requête est fondée, comme en l'espèce, sur des griefs tirés d'agissements de concurrence déloyale ou de parasitisme, à établir avec certitude les faits de concurrence déloyale qu'il invoque, pour peu qu'il justifie, au jour de la requête, d'un motif légitime impliquant que soient caractérisés des éléments objectifs rendant ces faits, et le litige susceptible d'en découler, plausibles.
L'application des dispositions précitées implique encore que le juge ne peut pas faire droit à une requête sans avoir recherché et constaté que la mesure sollicitée supposait une dérogation exceptionnelle à la règle du contradictoire, étant précisé que "les circonstances susceptibles de motiver une dérogation au principe de la contradiction doivent résulter de l'ordonnance sur requête, et ne peuvent se justifier a posteriori lors de l'examen de la demande en rétractation".
Ainsi, le juge, saisi d'une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et dans l'ordonnance, de circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement. Et il résulte des articles 145 et 493 du code de procédure civile que 'le juge saisi d'une demande en rétractation ne peut se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance pour justifier qu'il est dérogé au principe de la contradiction' et que 'dès lors [qu'une] cour d'appel avait constaté que la requête faisait état d'actes de concurrence déloyale sans préciser les raisons de déroger au principe du contradictoire et que l'ordonnance se bornait à indiquer que la société requérante justifiait de circonstances exigeant que la mesure ne soit pas ordonnée contradictoirement', elle en avait 'exactement déduit' que ce défaut de motivation ne pouvait faire l'objet d'une régularisation a posteriori et que l'ordonnance devait être rétractée (2ème Civ., 3 mars 2022, pourvoi n° 20-22.349, publié au Bulletin).
Il est également jugé de manière constante que le juge saisi d'une requête doit rechercher de manière concrète si les circonstances de l'espèce justifient qu'il soit dérogé au principe de la contradiction. La simple affirmation ne suffit pas.
En l'espèce, la société SOGECA soutient que la dérogation au principe du contradictoire était justifiée et, de surcroît selon elle, légitime, dès lors qu'une demande soumise au contradictoire portant sur des fichiers illicitement exportés sur les ordinateurs des requis ou sur tous autres fichiers liés à ce contentieux n'aurait donné aucun résultat, que ces derniers auraient de toute évidence disparu entre le moment où cette demande aurait été portée à la connaissance des requis et le moment où les mesures d'instruction auraient été autorisées de façon contradictoire, outre que l'effet de surprise recherché était par ailleurs de nature à permettre d'établir la collusion soupçonnée. Elle en conclut que l'ordonnance initiale aurait été parfaitement motivée à ce titre, les circonstances susceptibles d'autoriser la dérogation au principe du contradictoire ayant, en outre, été largement exposées, à son sens, dans la requête.
La société SGD et M. [G] objectent que la société SOGECA, à laquelle est reprochée une motivation a posteriori, n'aurait pas indiqué quelles seraient les circonstances et pourquoi, au titre de ces circonstances, il aurait existé une nécessité absolue de déroger au principe du contradictoire, l'ordonnance n'ayant pas davantage, selon eux, fait état d'une circonstance susceptible de justifier qu'il soit procédé non contradictoirement.
Ceci rappelé, la cour relève que la requête se borne à invoquer "un intérêt légitime à ce que [les] mesures ne soient pas ordonnées de façon contradictoire", se référant aux "faits et circonstances de l'espèce", ce qui ne saurait pallier l'absence de mention concrète et suffisamment précise de ces circonstances et des raisons pour lesquelles elles justifieraient d'une dérogation au principe du contradictoire, étant, au demeurant, observé qu'aucune référence, en tout cas expresse, n'est faite à ce titre dans l'exposé des faits.
Quant à l'ordonnance dont rétractation, elle est motivée comme suit :
"La société requérante justifie aux termes de sa requête des circonstances dans lesquelles elle a été amenée à vérifier les exports de "chiers informatiques professionnels des requis dans un laps de temps proche de leur départ de la société ainsi que des liens professionnels existant entre eux.
Par ailleurs, l'existence d'un risque de déperdition des éléments de preuve recherchés en possession du requis justifie autant l'urgence que la nécessité de passer par une procédure non contradictoire.
En effet, s'agissant de transfert de données informatiques, seul l'effet de surprise est de nature à permettre l'établissement de la collusion soupçonnée et son ampleur.
La société requérante justifie ainsi d'un intérêt légitime à déterminer si les informations confidentielles contenues dans les 'chiers exportés ont été utilisées par M. [D] [G], à d'autres fins que celles liées à l'exercice de ses fonctions dans l'entreprise SOGECA, si elles ont été adressées ou utilisées au profit de tiers comme la société SGD RESEAUX, les entreprises concurrentes ou les clients habituels, de sorte que les mesures sollicitées sont de nature à conserves la preuve des faits dénoncés, dans une limite fixée au 12 derniers mois.
En effet, les mesures sollicitées doivent être circonscrites à ce qui est nécessaire dans la perspective d'un litige futur.
Il en ressort que s'il est fait mention, dans l'ordonnance, des circonstances dans lesquelles la société SOGECA a été amenée à solliciter les mesures litigieuses, il n'est fait référence, pour justifier d'une dérogation au contradictoire, qu'à un risque de déperdition des éléments de preuve et à un effet de surprise qui serait nécessaire en matière de transfert de données informatiques, la collusion soupçonnée entre les requis n'apparaissant, à ce titre, que comme un élément à établir, de sorte qu'il n'est pas précisé de manière suffisamment concrète en quoi les circonstances de l'espèce justifieraient qu'il soit dérogé au principe de la contradiction.
Comme l'a, à juste titre, rappelé le premier juge, ce seul constat suffit à faire droit à la demande de rétractation présentée par M. [G] et la société SGD, peu important dès lors que, par ailleurs, la société SOGECA n'ait pas été tenue de communiquer à la partie adverse les pièces invoquées à l'appui de sa requête (voir 2ème Civ., 14 janvier 2021, pourvoi n° 20-15.673, publié au Bulletin), la communication de l'ordonnance et de la requête, comprenant, de surcroît, une liste des pièces invoquées (2ème Civ., 6 mai 1999, pourvoi n° 95-21.430, Bull. 1999, II, n° 84), suffisant à assurer la contradiction entre les parties.
À titre surabondant également, sur l'existence d'un motif légitime, la cour, tout en rappelant que, comme cela a été indiqué ci-avant, que la requérante n'a pas à établir avec certitude les faits de concurrence déloyale qu'elle invoque, relève que la société SOGECA n'apporte d'élément suffisant ni quant au fait que l'embauche de M. [T] serait susceptible en elle-même de constituer un acte de concurrence déloyale, ni quant à l'incidence du transfert de fichiers par M. [G] avant son départ de la société, ni s'agissant d'un préjudice tiré de la perte de marchés ou de chiffre d'affaires, ce ne saurait, de surcroît, se fonder seulement sur des pièces obtenues dans le cadre de la saisie, eu égard à l'invalidation de la procédure à laquelle il vient d'être procédé, et sans même qu'il n'y ait lieu, compte tenu de cette invalidation et de ses effets, à écarter expressément ces pièces des débats, ni enfin, au regard, notamment de ce qui précède, quant à l'existence d'actes de parasitisme.
Dès lors, sur ce point, la cour adoptera les motifs pertinents du premier juge.
La Cour confirmera donc la décision entreprise en ce qu'elle a rétracté l'ordonnance rendue sur requête le 3 novembre 2021.
Sur la demande de dommages-intérêts formée par M. [G] :
M. [G] sollicite, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la condamnation de la société SOGECA à lui payer 'une provision' de 5.000 € à titre de 'dommage et intérêt pour le choc subi le 4 novembre 2021 à 7h30 du matin', soutenant que le juge de la rétractation peut, comme le jugé des référés, se prononcer sur une demande de provision en ce qu'il est saisi comme ce dernier.
Cela étant, la cour observe que la demande de M. [G] n'est pas formée, dans le dispositif de ses conclusions, à titre provisionnel.
De surcroît et en tout état de cause, il ne démontre pas, au-delà de toute contestation sérieuse, ni même n'allègue expressément, que la société SOGECA aurait agi à son encontre de manière fautive, ce qui ne saurait uniquement résulter de la seule circonstance que l'ordonnance faisant initialement droit à la requête de cette société a été rétractée, et ce alors que M. [G] ne démontre aucune mauvaise foi ou erreur grossière de la partie adverse.
Dès lors, et étant relevé que l'ordonnance entreprise n'a pas expressément statué sur ce point dans son dispositif, la demande de dommages-intérêts de M. [G] sera rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
La partie appelante, succombant pour l'essentiel, sera tenue des dépens de l'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, outre confirmation de la décision déférée sur cette question.
L'équité commande en outre de mettre à la charge de l'appelante une indemnité de procédure pour frais irrépétibles de 2 000 euros au profit de chacun des intimés, tout en disant n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de ces derniers, et en confirmant les dispositions de l'ordonnance déférée de ce chef, sous réserve d'en rectifier le dispositif en ce qu'il déboute M. [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, demande à laquelle il a été fait droit, par ailleurs, pour mentionner en lieu et place que la société SOGECA est déboutée de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile.
P A R C E S M O T I F S
La Cour,
Dit qu'il convient de rectifier l'erreur matérielle affectant le dispositif de l'ordonnance rendue le 17 mai 2022 par le président du tribunal judiciaire de Strasbourg,
En conséquence, dit que les termes "DEBOUTONS M. [Y] [G] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile" seront remplacés par les termes "DEBOUTONS la SARL SOGECA de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile",
Dit que la présente décision sera annexée à la minute de l'ordonnance rendue le 17 mai 2022 par le président du tribunal judiciaire de Strasbourg, ainsi qu'à toutes les copies qui en seront délivrées,
Dit n'y avoir lieu à écarter les annexes 20 et fichiers annexes 25, 26, 27 et 28,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 17 mai 2022 par le président du tribunal judiciaire de Strasbourg ainsi rectifiée,
Y ajoutant,
Déboute M. [D] [G] de sa demande de dommages-intérêts,
Condamne la SARL SOGECA aux dépens de l'appel,
Condamne la SARL SOGECA à payer à M. [D] [G] et à la SASU SGD Réseaux, chacun, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SARL SOGECA.