Livv
Décisions

CA Versailles, 12e ch., 14 septembre 2023, n° 22/04122

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Label Agence (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Bourdot, Me Moreuil, Me Durand

TGI Nanterre, du 22 févr. 2018, 14/14153

22 février 2018

EXPOSE DU LITIGE

La société Sysoft avait une activité de conseil en informatique, de conception et commercialisation de logiciels et matériels informatiques, elle était gérée par M. [R].

Celui-ci, agissant au nom et pour le compte de la société Sysoft en formation, a déposé le 18 mars 1987 la marque verbale française "sysoft" n° 1408909, en classes 9 et 42, enregistrement non renouvelé à l'issue de la période initiale de dix ans.

Puis, la société Sysoft a déposé successivement deux marques portant sur le signe "Sysoft" :

- la marque verbale française "sysoft" n° 013110289 (ci-dessous, la marque n° 289), déposée le 9 juillet 2001, en classes 9, 35, 36, 38, 42, enregistrement non renouvelé à l'issue de la période initiale de dix ans,

- la marque verbale française "sysoft" n° 134012300 (ci-dessous, la marque n° 300), déposée le 13 juin 2013 en classes 9, 35, 36 et 42.

M. [R] a aussi réservé les noms de domaine "sysoft.fr" et "sysoft.eu", respectivement les 25 septembre 2003 et 7 juillet 2006, exploités pour diffuser un site internet présentant ses services.

Le 19 novembre 2009, a été déposée la marque verbale française "e-sysoft" n° 093692408 (ci-dessous, la marque n° 408) par M. [E], en classe 42, pour le compte de la société e-sysoft en cours de formation.

La société e-sysoft, qui deviendra "Label Agence", indique être une agence de communication digitale ayant pour activité la création de sites e-commerce. Elle a été immatriculée le 19 novembre 2010, et a réservé le nom de domaine «e-sysoft.fr» le 5 novembre 2009.

Par acte d'huissier en date du 5 novembre 2014, la société Sysoft, a fait assigner la société E-Sysoft devant le tribunal de grande instance de Nanterre en contrefaçon de la marque "Sysoft" ainsi qu'en concurrence déloyale.

En cours d'instance, les marques successives "Sysoft" ont été cédées à M. [R] selon acte de cession du 30 août 2015 enregistré à l'INPI le 17 septembre 2015, et la société Sysoft a été radiée du registre du commerce et des sociétés après clôture des opérations de liquidation.

M. [R] est intervenu volontairement à l'instance, reprenant en son nom l'ensemble des demandes de la société Sysoft.

Par jugement du 22 février 2018, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

- dit M. [R] recevable en son intervention volontaire s'agissant de l'action en contrefaçon de la marque déposée le 13 juin 2013 et enregistrée sous le numéro 13 4 012 300, par l'immatriculation de la défenderesse sous la dénomination sociale "E-Sysoft", et irrecevable pour le surplus de ses demandes,

- débouté la société E-Sysoft de sa demande en nullité de la marque "Sysoft" n° 13 4 012 300 pour absence de caractère distinctif ou dépôt frauduleux,

- débouté M. [R] de sa demande en contrefaçon de la marque "Sysoft" déposée le 13 juin 2013 et enregistrée sous le numéro 13 4 012 300, par l'immatriculation de la défenderesse sous la dénomination sociale "E-Sysoft",

- débouté la société E-Sysoft de ses demandes au titre de la dénonciation d'une action judiciaire en cours,

- débouté la société E-Sysoft de ses demandes au titre de l'abus d'ester en justice,

- condamné M. [R] à payer à la société E-Sysoft une indemnité de 10.000 € outre le coût du constat d'huissier de justice dressé le 6 octobre 2015, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [R] aux dépens, lesquels pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.

Par un arrêt du 12 mars 2019, la cour d'appel de Versailles a :

- confirmé en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y ajoutant,

- condamné M. [R] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- condamné M. [R] à payer à la société Label Agence la somme de 10.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel,

- rejeté toutes autres demandes.

Par un arrêt du 26 janvier 2022, la Cour de cassation a :

- cassé et annulé, mais seulement

/ en ce qu'il confirme le jugement

// en ce qu'il avait déclaré M. [R] irrecevable

/// en sa demande en contrefaçon de la marque n° 01 3 110 289 pour la période du 19 novembre 2010 au 9 juillet 2011,

/// et en concurrence déloyale, pour actes de parasitisme et pour atteintes à "la marque" et aux noms de domaine,

// en ce qu'il l'avait débouté de sa demande en contrefaçon de la marque n° 13 4 012 300,

/ et en ce qu'il statue sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

l'arrêt rendu le 12 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

- condamné la société Label Agence aux dépens ;

- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société Label Agence et l'a condamnée à payer à M. [R] la somme de 3.000 € ;

- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, l'arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.

M. [R] a saisi la cour d'appel de Versailles le 21 juin 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 29 mars 2023, M. [R] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

/ dit M. [R] irrecevable pour le surplus de ses demandes,

/ condamné M. [R] à payer à la société E-Sysoft une indemnité de 10.000 € outre le coût du constat d'huissier de justice dressé le 6 octobre 2015, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

/ condamné M. [R] aux dépens,

Et statuant à nouveau :

- déclarer M. [R] recevable à agir en contrefaçon de la marque Sysoft n° 013110289,

- déclarer M. [R] recevable à agir en concurrence déloyale et parasitisme,

- prononcer la nullité de la marque E-Sysoft n° 09 3 692 408,

- interdire à la société Label Agence de poursuivre l'exploitation du signe E-Sysoft ou tout signe similaire, de quelque manière, sur quelque support et par quelque média que ce soit, sous astreinte de 50.000 € par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, dont la cour se réservera la liquidation,

- condamner la société Label Agence à payer à M. [R] la somme de 378.395 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ses actes de contrefaçon des marques Sysoft n° 013110289 et n° 134012300,

- condamner la société Label Agence à payer à M. [R] la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ses actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

A titre subsidiaire, s'il n'était pas fait intégralement droit aux demandes de M. [R] au titre de la contrefaçon,

- condamner la société Label Agence à payer à M. [R] la somme complémentaire de 378.395 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ses actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

En tout état de cause,

- débouter la société Label Agence de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Label Agence à payer à M. [R] la somme de 40.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Label Agence aux entiers dépens d'instance et d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 4 avril 2023, la société Label Agence demande à la cour de :

- rejeter toutes les demandes de M. [R] ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a dit M. [R] recevable en son intervention volontaire s'agissant de l'action en contrefaçon de la marque déposée le 13 juin 2013 et enregistrée sous le numéro 13 4 012 300, et sauf en ce qu'il a débouté l'intimée de sa demande en nullité de la marque "Sysoft" n° 13 4 012 300 ;

- infirmer le jugement entrepris seulement sur ces deux points ;

Et statuant à nouveau et sur appel incident :

- prononcer la nullité de la marque n° 4012300 pour dépôt frauduleux ou pour défaut de caractère distinctif ;

Subsidiairement, prononcer la déchéance pour défaut d'usage sérieux de la marque n° 4012300 à compter du 20 décembre 2018 ;

- prononcer la nullité de la marque n° 3110289 pour défaut de caractère distinctif ;

Subsidiairement, prononcer la déchéance pour défaut d'usage sérieux de la marque n° 3110289 à compter du 13 septembre 2007 ;

- dire M. [R] également irrecevable en son intervention volontaire s'agissant de l'action en contrefaçon de la marque déposée le 13 juin 2013 et enregistrée sous le numéro 13 4 012 300 ;

Subsidiairement :

- juger M. [R] mal fondé en chacune de ses demandes, l'en débouter ;

Et en tout état de cause :

- condamner M. [R] à verser à la société Label Agence 15.000 € au titre de son appel abusif ;

- condamner M. [R] à verser à la société Label Agence 40.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens pour les frais exposés successivement par la société Label Agence dans le cadre des deux appels successifs de M. [R] ;

- condamner M. [R] aux entiers dépens de ses deux appels successifs.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 avril 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la portée de la cassation,

L'article 624 du code de procédure civile indique que la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

M. [R] a saisi la juridiction de 1ère instance de demandes tendant à voir déclarer la marque 408 nulle, à voir constater la contrefaçon des marques 289 et 300, et à voir reconnaitre des faits de concurrence déloyale et parasitaire.

Le jugement l'a déclaré recevable s'agissant de sa demande de contrefaçon de la marque 300, et irrecevable pour le surplus de ses demandes.

Ce jugement a été confirmé par l'arrêt du 12 mars 2019.

Celui-ci a été cassé seulement en ce qu'il confirme le jugement

- en ce qu'il avait déclaré M. [R] irrecevable

// en sa demande en contrefaçon de la marque n°289 pour la période du 19 novembre 2010 au 9 juillet 2011,

// et en concurrence déloyale, pour actes de parasitisme et pour atteintes à "la marque" et aux noms de domaine,

- en ce qu'il l'avait débouté de sa demande en contrefaçon de la marque n° 300,

et en ce qu'il statue sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Ainsi, le jugement n'a pas été remis en cause par l'arrêt de la Cour de cassation en ce qu'il a déclaré M. [R] recevable à agir en contrefaçon de la marque 300, et irrecevable à agir en nullité de la marque 408.

Si la société Label Agence soutient qu'elle peut former devant la cour de renvoi des demandes qui n'avaient été présentées auparavant, cette possibilité n'existe que pour les chefs atteints par la cassation, comme cette société le reconnait.

Un appel incident ne peut être présenté devant la cour de renvoi sur des chefs non atteints par la cassation partielle, et qui sont désormais définitifs, et la société Label Agence ne peut invoquer l'existence d'une indivisibilité ou d'une dépendance nécessaire pour présenter devant la cour de renvoi de telles demandes.

La recevabilité de la demande de M. [R] à agir en contrefaçon de la marque 300 et son irrecevabilité à agir en nullité de la marque 408 n'étant pas affectés par la cassation, il s'en déduit que la cour de renvoi n'est saisie que des demandes d'irrecevabilité relatives à la demande en contrefaçon de la marque n°289 pour la période du 19 novembre 2010 au 9 juillet 2011, et relatives à la demande en concurrence déloyale, pour actes de parasitisme et pour atteintes à "la marque" et aux noms de domaine.

Sur la recevabilité de la demande de contrefaçon de la marque "sysoft" n° 289 et la demande de nullité de cette marque

La société Label Agence soutient que la demande reposant sur cette marque est irrecevable car sa cession n'a pas été enregistrée jusqu'au 27 décembre 2022, et que l'enregistrement du contrat de cession d'une autre marque n'était pas opposable.

Elle ajoute qu'aucune inscription n'est intervenue pour cette marque au 4 avril 2023, que le prétendu contrat de cession est un photomontage informatique, et elle conteste la réalité de l'inscription au registre national des marques.

Elle fait état de la nullité de la marque, et de son inopposabilité. Subsidiairement, elle invoque la prescription pour la période comprise entre son dépôt (9 juillet 2001) et le 12 mars 2011 (soit moins de trois ans avant la réforme de la prescription), la demande ne pouvant porter que sur la période entre le 13 mars 2011 et le 8 juillet 2011 (date d'expiration de ladite marque).

M. [R] déclare être investi, par la cession du 30 août 2015, des droits du titulaire de la marque, et rappelle que la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 12 mars 2019 en ce qu'il avait retenu que la marque était tombée dans le domaine public pour déclarer la demande irrecevable, alors qu'elle était recevable pour la période précédant l'expiration de la validité de la marque. Il fait état de l'exploitation effective du signe e-sysoft par la société E-Sysoft avant l'expiration de la marque. Il indique que le contrat de cession de marque a été inscrit au registre national des marques, et que l'absence de modification de la fiche de la marque est indifférente, ce d'autant qu'au surplus la société Label Agence était informée de cette cession. Il ajoute avoir fait à nouveau inscrire le contrat de cession au registre national des marques. Il soutient que le jugement est définitif en ce qu'il a débouté la société Label Agence de sa demande de nullité de la marque pour défaut de caractère distinctif, et que le signe sysoft est arbitraire pour désigner les produits et services visés dans l'enregistrement de la marque. Il conteste la prescription partielle de la demande pour la période concernée par la contrefaçon.

*****

Toute transmission ou modification des droits attachés à une marque doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au Registre national des marques.

Le contrat de cession de marque, qui vise l'enregistrement de la marque n° 289, a été enregistré au registre national des marques, avec le n° d'inscription 0654164 et la date d'inscription le 17 septembre 2015, la cour relevant que la société Label Agence fait état d'un défaut d'enregistrement de cette cession en se fondant sur la production de la fiche INPI de la marque n° 134012300 et non de la marque n° 013110289.

Si la société Label Agence produit un rapport d'expertise au vu duquel elle déduit que ce contrat constitue un photomontage informatique et souligne que l'original n'a pas été produit, elle n'a pas déposé plainte à l'encontre de M. [R] pour les faits en cause, et la seule production d'un rapport d'expertise non contradictoire, commandé par une partie, ne peut à lui seul établir que le contrat en cause a été trafiqué, l'examen des pièces ne permettant pas de conclure à l'existence d'un photomontage.

M. [R] justifie au surplus avoir présenté une nouvelle demande d'inscription de la cession portant sur cette marque auprès de l'INPI le 17 mars 2023, quand bien même celle-ci n'avait pas été inscrite au 4 avril 2023.

Concernant le caractère descriptif de la marque, la société Label Agence soutient que la combinaison "sysoft" n'était lors du dépôt des marques pas distinctive et qu'il était habituel en matière de logiciel de combiner le terme "sys", abréviation de "système", avec un autre nom commun, et que le mot "soft" est connu dans la langue française dès 1971 pour désigner un logiciel. Elle conclut à la nullité de la marque pour défaut de distinctivité.

Dans sa version applicable au litige, l'article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit que « le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés.

Sont dépourvus de caractère distinctif :

a) Les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ;... ».

C'est par une analyse pertinente que la cour partage, que le jugement a indiqué, s'agissant de l'appréciation de la validité de la marque sysoft n° 300 portant sur un signe identique à la marque n° 289, que la présence dans la langue française du mot soft depuis 1971 comme abréviation de "software" pour désigner un logiciel, et l'utilisation de l'abréviation "sys" pour désigner un système, ne permettait pas de considérer que l'association de ces deux abréviations réunies dans le terme sysoft correspondait à la désignation nécessaire, générique et usuelle des produits visés au dépôt de la marque, soit notamment les supports d'enregistrements magnétiques, disques, bandes et cartes magnétiques, logiciels (programmes enregistrés, ordinateurs...).

Le jugement est définitif en ce qu'il a débouté la société E-Sysoft de sa demande de nullité de la marque n° 300 identique à la marque n° 289, il n'a pas été remis en cause par l'arrêt du 12 mars 2019 sur ce point, entérinant ainsi cette analyse.

A titre surabondant, la cour apprécie aussi que le choix d'associer dans un signe ces deux abréviations de langue anglaise apparaît arbitraire pour désigner les produits et services visés par l'enregistrement de la marque. Aussi la demande de la société Label Agence tendant à l'annulation de la marque n°289 pour défaut de distinctivité, sera rejetée.

Enfin, la société Label Agence reconnaît que la prescription ne pourrait porter que sur une période comprise allant du 13 mars 2011 au 8 juillet 2011.

Au vu de ce qui précède, la demande présentée au titre de la contrefaçon de la marque "sysoft" n° 289 est recevable.

Sur la recevabilité de la demande de contrefaçon de la marque "sysoft" n° 300 et la demande de nullité de cette marque

Comme indiqué précédemment, la recevabilité de l'action en contrefaçon présentée sur le fondement de la marque 300 a été reconnue par le jugement, qui a également débouté la société E-Sysoft de sa demande en nullité de cette marque pour absence de caractère distinctif ou dépôt frauduleux.

Aussi, ces dispositions n'ayant pas été atteintes par la cassation partielle, la cour de renvoi ne peut être saisie de ces demandes.

Sur la recevabilité de la demande en nullité de la marque "e-sysoft" n° 3692408

Comme indiqué précédemment, le jugement a constaté l'irrecevabilité de la demande de M. [R] tendant à la nullité de la marque "e-sysoft" n° 09692408, et n'a pas été affecté par l'arrêt de la Cour de cassation sur ce point, de sorte que la cour de renvoi ne peut être saisie d'une telle demande.

Sur la recevabilité des demandes en concurrence déloyale et parasitisme.

La société Label Agence relève que dans l'assignation comme dans l'intervention volontaire de M. [R], la société Sysoft était présentée comme titulaire des noms de domaine, étant alors précisé qu'elle les avait enregistrés et qu'elle les exploitait. Elle en déduit que, nul ne pouvant se contredire au préjudice d'autrui, et M. [R] ne justifiant pas en appel qu'il était cessionnaire des noms de domaine 'sysoft.fr' et "sysoft.eu", il est irrecevable à agir au titre des noms de domaine.

Elle dénonce l'impossibilité pour l'appelant d'invoquer une marque d'usage, le dépôt de la 1ère marque ayant été effectué le 18 mars 1987 au nom et pour le compte de la société Sysoft, avec la mention que celle-ci était en formation, mention erronée puisque la société avait été immatriculée le 9 mars 1987, de sorte que cette marque en était bénéficiaire. Elle en déduit que M. [R] n'est pas recevable à invoquer lui-même cette marque.

M. [R] soutient que la marque sysoft, indépendamment des dépôts effectués, constitue une marque d'usage dont il a effectué le 1er dépôt en 1987 et dont il n'a jamais cessé l'usage, de sorte qu'il doit en être reconnu propriétaire. Il ajoute être titulaire des noms de domaine sysoft.fr et sysoft.eu, lesquels constituent des signes distinctifs dont l'imitation peut fonder une action en responsabilité délictuelle, au titre de la concurrence déloyale ou du parasitisme, de sorte qu'il est fondé à agir sur ce fondement.

*****

Comme l'a indiqué la Cour de cassation, il ressort du site Gandi-net que les noms de domaine sysoft.fr et sysoft.eu ont été enregistrés au nom de M. [R], ainsi recevable à agir, quand bien même l'assignation et les premières conclusions de 1ère instance de la société Sysoft indiquaient qu'elle avait enregistré ces noms de domaine.

Par ailleurs, le dépôt de la marque "sysoft", à l'INPI le 18 mars 1987, non renouvelé, a été effectué par M [R] lui-même, même s'il était précisé 'agissant au nom et pour le compte de la SA « SYSOFT » en formation », laquelle avait commencé son activité le 26 décembre 1986 et a été immatriculée le 9 mars 1987.

Il sera au surplus ajouté que cette marque enregistrée le 18 mars 1987 est visée par le contrat de cession des marques de 2015, même si elle n'avait pas été renouvelée.

Aussi, M. [R] sera déclaré recevable à faire état de cette marque au titre du droit d'usage.

Sur la demande de déchéance des marques 289 et 300,

La société Label Agence indique avoir sollicité dès la 1ère instance la déchéance des marques qui lui sont opposées pour défaut d'exploitation ; elle rappelle que doit être justifié un usage sérieux pour les produits ou services désignés par l'enregistrement des marques, et qu'un usage à titre de dénomination sociale ne peut être retenu.

Elle soutient que les pièces versées pour justifier d'un usage de la marque n° 289 ne visent qu'un usage à titre de dénomination sociale, et non un usage à titre de marque, garantissant l'identité d'origine des produits et services.

Elle soutient que la marque n° 300 ayant été publiée le 20 décembre 2013, elle ne pouvait demander sa déchéance en 1ère instance, faute d'expiration du délai de cinq années, mais qu'elle peut le faire devant la cour d'appel de renvoi. Elle relève que les éléments versés par M. [R] ne sont pas postérieurs à l'année 2012, et sont affectés de vices.

M. [R] soutient que la demande de déchéance de la marque n° 289 a été présentée en 1ère instance mais n'a pas été reprise en appel, de sorte que ce point n'est pas atteint par la cassation et se heurte au principe de concentration des moyens. Il ajoute avoir apporté en 1ère instance des preuves de cet usage sérieux, et produire de nouveaux éléments en appel.

S'agissant de la demande de déchéance de la marque n° 300, M. [R] relève qu'aucune demande n'a été présentée devant le tribunal et la 1ère cour d'appel, de sorte que ce point n'est pas atteint par la cassation et se heurte au principe de concentration des moyens. Il relève que la société Label Agence est irrecevable à demander la déchéance de cette marque à compter du 20 décembre 2018, au vu de l'article 910-4 du code de procédure civile, et fait état des preuves d'usage sérieux de la marque qu'il produit.

*****

L'article 954 du code de procédure civile prévoit notamment que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Or le dispositif des conclusions de M. [R] ne contient pas de demande d'irrecevabilité des demandes de déchéance de la société Label Agence.

Au surplus, la société E-sysoft / Label Agence avait sollicité en 1ère instance que soit constatée l'inopposabilité de la marque 289 pour défaut d'usage sérieux, demande qui s'analyse en une demande de déchéance de la marque pour défaut d'usage sérieux, et le jugement n'a pas statué sur cette déchéance, retenant une irrecevabilité des demandes de M. [R] reposant sur cette marque.

Si M. [R] soutient que cette demande de déchéance n'a pas été soutenue devant la cour d'appel ayant rendu l'arrêt du 12 mars 2019, il ne produit pas les conclusions d'appel de l'intimée qui aurait permis de le constater.

Enfin, s'il fait état du principe de concentration des moyens, il est à rappeler que la procédure devant la cour de renvoi n'est pas figée, et que les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux à l'appui de leurs prétentions.

La demande de déchéance de la marque 289 est donc recevable.

S'agissant de la marque n° 300, déposée le 13 juin 2013, aucune demande de déchéance n'a pu être présentée devant le tribunal de grande instance de Nanterre, et les premières conclusions déposées devant la cour d'appel de renvoi de la société E-sysoft / Label Agence contenaient bien une demande de déchéance de cette marque, qui est donc aussi recevable.

L'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que :

« Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.

Est assimilé à un tel usage :

a) L'usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;

b) L'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif ;

c) L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l'exportation.

La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l'enregistrement, la déchéance ne s'étend qu'aux produits ou aux services concernés.

L'usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visés au premier alinéa du présent article n'y fait pas obstacle s'il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l'éventualité de cette demande.

La preuve de l'exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.

La déchéance prend effet à la date d'expiration du délai de cinq ans prévus au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu. »

S'agissant de la marque n° 289, déposée le 9 juillet 2001, sa déchéance est sollicitée à compter du 13 septembre 2007, la société Label Agence affirmant sans être contestée que son enregistrement a été publié au BOPI du 13 septembre 2002.

Une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée.

Si le titulaire d'une marque enregistrée peut, aux fins d'établir l'usage de celle-ci, se prévaloir de son utilisation dans une forme modifiée qui n'en altère pas le caractère distinctif, c'est à la condition qu'il rapporte la preuve de son usage sérieux à titre de marque pendant une période ininterrompue de cinq ans ; les pièces ayant pour objet la désignation de sociétés ne peuvent justifier de l'usage du signe à titre de marque.

En l'espèce, si l'intimée souligne que de nombreuses pièces versées par M. [R] pour justifier d'un usage sérieux du signe en tant que marque ne sont pas datées, ou sont antérieures au dépôt de la marque n°289, il est cependant justifié de l'utilisation du signe sysoft en tant que marque, dans une forme stylisée dans laquelle chacune des lettres du signe est représentée en couleur noire dans un losange rouge, notamment sur plusieurs courriers adressés à une société Ase Consulting (6 mars 2004).

Il est aussi justifié de l'utilisation du signe sysoft en tant que marque sur le stand d'un forum qui s'est tenu à [Localité 4] en 2005, et le dossier de presse de la société Sysoft réalisé pour ce salon porte bien le signe sysoft qui apparaît alors comme révélant l'identité d'origine des services. Sont versées une proposition commerciale du 3 septembre 2011 porteuse du signe sysoft utilisé en tant que marque, plusieurs lettres adressées entre le 2 décembre 2005 et le 20 septembre 2006 portant le même signe à des interlocuteurs commerciaux (comité régional de tourisme d'Ile de France, sociétés Microsoft, Tetlintrans, Canam), dans lesquelles le signe est utilisé comme révélant l'origine des services proposés.

Tant le salon de 2005 que les propositions commerciales, et les autres documents versés, justifient de l'utilisation du signe pour les services visés par l'enregistrement, pendant la période visée par la demande de déchéance. Sont au surplus aussi produits plusieurs courriers portant ce signe adressé à des partenaires étrangers (USA, Belgique, Royaume-Uni), ainsi qu'à des interlocuteurs institutionnels (INPI, URSSAF, experts comptables).

Ces pièces versées par M. [R] suffisent à démontrer un usage sérieux du signe à titre de marque, au sens de l'article 714-5, de sorte que la société Label Agence sera déboutée de sa demande de déchéance de la marque sysoft n° 289.

S'agissant de la marque n° 300, déposée le 13 juin 2013, et dont la société Label Agence n'est pas contestée lorsqu'elle indique qu'elle a été publiée au BOPI le 20 décembre 2013, ce qui explique sa demande de déchéance à compter du 20 décembre 2018, aucun des documents constituant la pièce 29 de M. [R] ne peut justifier de son usage sérieux, soit parce qu'ils ne sont pas datés, soit parce qu'ils portent une date antérieure à son enregistrement.

Il en est de même de plusieurs documents figurant sous la pièce 32 de M. [R], les rares courriers versés portant ce signe étant au surplus adressé dans le cadre d'échanges administratifs (courriers au greffe du tribunal de commerce, à la banque Fortuneo pour la fermeture d'un compte titre) n'intervenant pas dans le cadre de la vie des affaires.

La production de deux courriels avec une adresse électronique finissant par "@sysoft.eu", ou l'utilisation de cette adresse ne peut justifier un usage sérieux du signe «SYSOFT» à titre de marque, révélant l'origine des services proposés, ce d'autant que les conditions de leur captation sont inconnues.

Les captures d'écran versées par M. [R], dressées hors de tout procès-verbal d'huissier, ne présentent pas d'assurance quant aux conditions dans lesquelles elles ont été effectuées ni de garantie quant à la stabilité de leur contenu, et ne peuvent justifier d'un usage sérieux de la marque, quand bien même elles proviendraient d'un autre site que le site "sysoft.eu". Dès lors, quand bien même ces documents portent le signe « SYSOFT » utilisé en tant que marque et que l'un d'eux précise expressément "sysoft est maintenant une marque détenue par M. [T] [M] [R]", ils ne seront pas retenus comme moyen de preuve, étant au surplus relevé que seules trois captures d'écran portent sur la période en cause (20 décembre 2013 - 20 décembre 2018).

Les pièces suivantes versées ne portent pas de datation certaine, les mentions de "copyright" "sysoft - 2004 – 2023", ou "copyright@sysoft-[R] 2010-2021" ou "copyright@sysoft2016"... dans des fenêtres informatiques étant insusceptibles de justifier pendant la période considérée d'un usage sérieux de la marque en tant qu'indicateur de l'origine des services proposés, ni d'un usage sérieux du signe sysoft dans la vie des affaires et avec les intervenants du marché.

Au vu de ce qui précède, M. [R] ne démontre pas l'usage sérieux du signe à titre de marque, au sens de l'article 714-5 précité, pour la marque sysoft n° 300, de sorte qu'il sera fait droit à la demande de déchéance de cette marque présentée par la société Label Agence pour cette marque, et ce à compter du 20 décembre 2018.

Sur la contrefaçon,

Sur la contrefaçon de la marque n° 289,

M. [R] reproche à la société Label Agence d'avoir utilisé le signe « SYSOFT » seulement précédé d'un 'e-« à titre de dénomination sociale et de nom de domaine, pour désigner ses services en développement informatique et création de sites internet, et d'avoir déposé ce signe à titre de marque pour ces services. Il souligne la forte similitude entre les signes en cause, le seul ajout du signe 'e-' n'étant pas de nature à écarter le risque de confusion alors qu'il est perçu comme signifiant électronique. Il fait état de l'identité ou de la similarité des services proposés.

La société Label Agence relève que le signe de la marque n° 289 n'a pas été exploité dans la vie des affaires avant son expiration le 8 juillet 2011, et écarte l'existence d'un risque de confusion au vu des différences conceptuelles entre les signes. Elle met en avant la présence du préfix 'e-' faisant ainsi référence à l'adjectif "easy" largement compris par le public anglophile en matière informatique, accolé au mot 'soft'. Elle fait état de la faible distinctivité du signe sysoft et d'une impression d'ensemble différente donnée par les deux signes, excluant toute confusion.

*****

Dans sa version applicable au litige, l'article L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que l'atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4.

L'article L. 713-3 prévoyait que « sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public :

a) La reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ;

b) L'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ».

En l'espèce, le nom de domaine "e-sysoft.fr" a été réservé par la société Label Agence le 5 novembre 2009 ; la société Label Agence ayant pour nom commercial "e-sysoft" a été immatriculée le 19 novembre 2010.

L'usage d'un signe dans une dénomination sociale, un nom commercial ou une enseigne peut constituer une contrefaçon « lorsque le tiers utilise ledit signe de telle façon qu'il s'établit un lien entre le signe constituant la dénomination sociale, le nom commercial et l'enseigne du tiers et les produits ou les services fournis par le tiers... il en est ainsi lorsque le signe est utilisé par le tiers pour ses produits ou ses services de telle manière que les consommateurs sont susceptibles de l'interpréter comme désignant la provenance des produits ou des services en cause. »

L'appréciation globale de l'existence d'un risque de confusion doit, en ce qui concerne leur similitude visuelle, auditive ou conceptuelle, être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants.

En l'espèce, la dénomination sociale e-sysoft -modifiée le 5 juin 2017 pour devenir Label Agence- contient, comme le nom de domaine e-sysoft.fr, la reprise intégrale de la marque sysoft n° 289 pré-existante.

La dénomination sociale commence par la lettre 'e' suivie d'un trait d'union, placés avant le signe sysoft. Pour autant, la position en préfix de 'e-' sera comprise comme évoquant l'électronique et le réseau électronique à l'instar d'e-mail, e-commerce.

Le trait d'union fait de plus ressortir « SYSOFT », qu'il individualise au sein du signe.

D'un point de vue visuel, les signes sont ainsi très proches ; il en est de même d'un point de vue auditif, car même si le son d'attaque 'e' est absent de la marque antérieure, les deux signes partagent les sonorités correspondant à « SYSOFT » qui constitue la marque dans son entièreté.

D'un point de vue conceptuel, si l'intimée avance que la dénomination sociale e-sysoft contient la notion de facilité "easy" qui serait comprise du public, les deux signes en cause présentent le signe "soft" correspondant au logiciel, et contiennent "sys" qui évoque le système, de sorte qu'ils font tous les deux références à un système de logiciel. Ils présentent donc une grande proximité conceptuelle.

Les services visés sont identiques ou similaires, la marque n° 289 proposant la conception et l'élaboration de logiciels et de sites internet, et la société Label Agence ayant pour activité la création de sites internet, e-vitrine, réalisation de tous supports de communication mutimédia, réseaux sociaux. L'existence d'un risque de confusion est ainsi avérée.

En conséquence, le signe sysoft constituant l'élément dominant de l'ancienne dénomination sociale de la société Label Agence, qui échoue à établir au vu des développements antérieurs son absence de distinctivité, la reprise de ce signe dans cette dénomination sociale constitue une contrefaçon de la marque pré-existante n° 289.

Il en est de même du nom de domaine « e-sysoft.fr », la présence du suffixe 'fr' n'étant pas de nature à écarter l'existence d'un risque de confusion, au vu de ce qui précède, ce suffixe ne retenant pas l'attention du public dans l'appréciation de la proximité des signes, ni n'étant de nature à modifier son appréciation quant à l'origine des produits.

En conséquence, la contrefaçon par le nom de domaine «e-sysoft.fr» et par la dénomination sociale e-sysoft à la marque pré-existante n° 289 sera retenue, pour la période allant du 19 novembre 2010 (date de l'immatriculation de la société intimée) au 9 juillet 2011.

Sur la contrefaçon de la marque n° 300

M. [R] indique que la dénomination sociale de l'intimée a été modifiée le 5 juin 2017 pour devenir Label Agence, mais qu'elle a dans le même temps adopté e-sysoft comme nom commercial. Il soutient qu'une telle attitude visait à lui nuire, la société Label Agence étant informée de ses droits sur la marque n° 300. Il ajoute qu'elle a continué d'éditer son site, qu'elle a mis à jour après l'enregistrement de la marque n° 300, entretenant ainsi une confusion renforcée par l'exploitation sous sa nouvelle dénomination d'un nouveau site internet. Il souligne la similarité des services.

La société Label Agence soutient que M. [R] doit être débouté de sa demande de contrefaçon de la marque n° 300 pour poursuivre des actes d'exploitation d'une dénomination sociale commencés avant le dépôt de cette marque.

Elle ajoute contester la validité du constat d'huissier du 9 janvier 2015, faute de respecter les prérequis techniques minimaux pour qu'un constat soit probant, et dénonce une atteinte au principe de la contradiction. Surabondamment, elle fait état de l'absence de risque de confusion entre les signes.

*****

La marque n° 300 a été enregistrée postérieurement à l'immatriculation de la société E-Sysoft.

Pour autant, M. [R] reproche à l'intimée d'avoir, après l'enregistrement de la marque n°300, décidé le 5 juin 2017, soit postérieurement à cet enregistrement et avant la date de déchéance de cette marque, de prendre "E-sysoft" comme nom commercial.

L'utilisation par l'intimée du nom commercial «e-sysoft» n'étant pas antérieure à l'enregistrement de la marque n°300, l'intimée ne peut utilement invoquer l'article L. 713-6 du code de procédure intellectuelle pour prétendre que l'enregistrement de cette marque ne peut lui être opposé, dès lors que l'enregistrement de la marque est intervenu en 2013 et que l'adoption de « e-sysoft » par la société Label Agence comme nom commercial est intervenu en 2017.

L'adoption de ce nom commercial est survenue près de trois années après l'envoi de courriers de mise en demeure par la société Sysoft et près de deux années après l'assignation introductive d'instance, de sorte que l'intimée ne pouvait ignorer l'existence de la marque n°300 invoquée par la partie adverse.

Si M. [R] invoque un procès-verbal dressé le 9 janvier 2015, celui-ci ne peut être utilement retenu, faute pour l'huissier d'avoir respecté les pré-requis techniques minimales pour assurer sa probité. Par ailleurs, le procès-verbal de constat du 20 octobre 2022 ne peut être invoqué, ayant été dressé alors après la date de déchéance de la marque.

Aussi, seul sera retenu l'adoption d'un nom commercial similaire à celui de la marque n° 300, tel qu'il résulte du procès-verbal de l'assemblée générale de la société E-Sysoft du 5 juin 2017.

La marque n° 300 étant notamment enregistrée pour les logiciels, gestion des affaires commerciales, gestion des fichiers informatiques, conception et développements d'ordinateurs et de logiciels, élaboration, installation, maintenance, mise à jour ou location de logiciels, conseils en technologie de l'information, et parmi les activités principales de la société Label Agence figurent la création de site internet, e-commerce, conseil et gestion de tous supports de communication, création de sites web, de sorte que les services visés apparaissent identiques ou similaires.

Au vu de la grande proximité des signes et de l'identité de certains services, l'existence d'un risque de confusion est établie entre la marque n° 300 et le nom commercial adopté par l'intimée, et la contrefaçon sera retenue pour la période allant du 5 juin 2017 au 20 décembre 2018, date retenue de la déchéance de la marque.

Sur la réparation des actes de contrefaçon,

M. [R] fait état de l'importance de son préjudice du fait des actes de contrefaçon, qui l'ont empêché de transmettre son entreprise lors de sa retraite, et estime son manque à gagner à une année de chiffre d'affaires. Il ajoute qu'il aurait probablement accompagné le repreneur, et perçu ainsi un complément de rémunération. Il fait état de son préjudice moral, qu'il estime à 150.000 €, et des bénéfices réalisés par la société Label Agence en termes d'économie d'investissement, qu'il évalue à 100.000 €.

La société Label Agence relève que M. [R] n'évoquait pas la possibilité de céder sa société lors de l'assignation, avant de prétendre que c'était le litige qui l'en avait empêché.

Elle fait état de l'absence de fait dommageable au détriment de M. [R], qui a concouru à la liquidation de sa société, qu'il a sollicité alors que l'intimée elle-même a cherché à l'empêcher.

Elle souligne les comptes non tronqués de la société Sysoft qu'elle a dû produire, et qui démontrent l'absence d'activité réelle de la société Sysoft en dehors de la mise à disposition de M. [R]. Elle relève l'absence d'investissements, et l'inexistence de tout préjudice.

*****

Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

- les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

- le préjudice moral causé à cette dernière ;

- les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

En l'espèce, si M. [R] fait état de l'impossibilité dans laquelle il se serait trouvé de vendre sa société du fait des agissements contrefaisants de l'intimée, il ne produit aucune pièce témoignant de démarches entreprises en vue d'une telle cession.

Par ailleurs, il peut être observé de l'analyse des pièces versées une corrélation entre l'évolution du chiffre d'affaires de la société Sysoft d'une part, l'activité de M. [R] et le taux journalier pratiqué pour cette activité d'autre part, les résultats de cette société étant dépendants de cette activité.

Si la réalité des faits de contrefaçon est en soi de nature à causer au titulaire des marques un préjudice, il convient de considérer les périodes pour lesquelles la contrefaçon de la marque n°289, soit du 19 novembre 2010 au 9 juillet 2011, et celle de la marque n° 300 du 5 juin 2017 au 20 décembre 2018, ont été retenues, de sorte que le préjudice doit être apprécié dans son montant au vu de ces deux périodes relativement brèves.

Par ailleurs, M. [R] ne verse aucune pièce justifiant du préjudice moral qu'il aurait subi du fait des actes de contrefaçon dénoncés, ni ne produit une analyse permettant de fonder sa demande tendant à se voir octroyer la somme de 100.000 € au titre de l'économie des investissements que la société Label Agence aurait réalisés.

Aussi, la cour fera une juste estimation des préjudices causés par les faits de contrefaçon commis par l'intimée en la condamnant au paiement à M. [R] de la somme totale de 20.000 €.

Sur la concurrence déloyale et parasitaire,

M. [R] rappelle avoir réservé les noms de domaine sysoft.fr et sysoft.eu en 2003 et 2006 et les exploiter depuis, de sorte que l'utilisation par l'intimée du nom de domaine e-sysoft.fr pour y présenter des services similaires, outre l'adoption de la dénomination sociale E-sysoft puis de ce nom commercial, crée un risque de confusion dans l'esprit du public, au vu de la très forte similitude entre les signes. Il fait état des économies d'investissements réalisées par l'intimée, qui s'est placée dans son sillage, et avance que tout acte de concurrence déloyale cause un préjudice. Subsidiairement il sollicite, s'il n'était pas fait droit même partiellement aux demandes en contrefaçon des marques, la condamnation de la société Label Agence au titre de l'imitation de la marque d'usage.

La société Label Agence écarte toute confusion possible du fait de l'absence de distinctivité du signe sysoft, et relève qu'il importe de justifier d'une altération substantielle du comportement économique du consommateur pour sanctionner une concurrence déloyale, ce qui n'est pas établi en l'espèce.

Elle souligne le défaut d'investissement et de notoriété de l'appelant, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de se placer dans son sillage, retenant un chiffre d'affaires moyen mensuel de 330 € excluant tout parasitisme. Elle dénonce le non-respect par l'appelant des règles de conception web et d'ergonomie, de sorte qu'elle n'aurait tiré aucun profit d'un tel accaparement. Elle conteste toute volonté de s'inscrire dans le sillage de la société Sysoft.

*****

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un produit puisse être librement reproduit sous réserve de l'absence de faute induite par la création d'un risque de confusion dans l'esprit du public sur l'origine du produit.

Comme la concurrence déloyale, le parasitisme se fonde sur l'article 1240 du code civil, mais s'en distingue car la concurrence déloyale repose sur l'existence d'un risque de confusion, critère étranger au parasitisme qui requiert la circonstance qu'une personne morale ou physique s'inspire ou copie, à titre lucratif et de manière injustifiée, une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. Il consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements réalisés.

Les noms de domaine sysoft.fr et sysoft.eu ont été déposés par M. [R], les 25 septembre 2003 et 7 juillet 2006, le fait qu'il ait été indiqué en début de procédure que ces noms de domaine appartenaient à la société Sysoft n'étant pas susceptible de l'empêcher d'agir au titre de la concurrence déloyale.

Les pièces versées prouvent que la société Label Agence a enregistré le nom de domaine «e-sysoft.fr» postérieurement, le 5 novembre 2009, ainsi que le montre notamment le procès-verbal d'huissier du 20 octobre 2022 établissant que le site à l'adresse http://e-sysoft.fr/ est celui de l'intimée.

Au seul vu de ce qui précède, alors que la proximité des signes a été précédemment analysée et que les activités développées par M. [R] et celles proposées par la société Label Agence à cette adresse sont très proches, l'existence d'un risque de confusion, constitutif de concurrence déloyale, sera retenu.

Il s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale un trouble commercial constitutif d'un préjudice, fût-il seulement moral.

S'agissant du parasitisme, et faute pour M. [R] de justifier de ses investissements, il ne saurait établir que la société Label Agence s'est placée dans son sillage pour profiter de ses investissements sans bourse délier, et il sera débouté de sa demande au titre du parasitisme.

Il sera précisé que la demande de M. [R] au titre de la marque d'usage n'a été présentée que subsidiairement, s'il n'était pas fait droit en tout ou partie aux demandes de contrefaçon des marques n° 289 et 300, demandes auxquelles il a été fait droit.

Au vu de la durée des faits de concurrence déloyale, la société Label Agence sera condamnée au versement à M. [R] de la somme de 10.000 €.

Sur les autres demandes,

Si M. [R] sollicite une mesure d'interdiction, cette demande n'est pas soutenue dans le corps de ses conclusions comme le prévoit l'article 954 du code de procédure civile. Aussi, et la marque n°289 n'ayant pas été renouvelée et la déchéance de la marque n° 300 étant prononcée, il ne sera pas fait droit à la demande d'interdiction sollicitée par M. [R].

Au vu de la décision, la société Label Agence sera déboutée de sa demande au titre de l'appel abusif.

La société Label Agence succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens de 1ère instance et d'appel, ainsi qu'au versement de la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de la cassation,

Rejette les demandes d'irrecevabilité présentées par la société Label Agence,

Infirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande en contrefaçon de la marque "sysoft" n° 134012300, et l'a condamné au paiement des frais irrépétibles et dépens,

Prononce la déchéance de la marque "sysoft" n° 134012300 à compter du 20 décembre 2018,

Dit que la société Label Agence a commis des actes de contrefaçon de la marque "sysoft" n° 013110289 du 19 novembre 2010 au 9 juillet 2011, et de la marque n° 134012300 du 5 juin 2017 au 20 décembre 2018,

Dit que la société Label Agence a commis des actes de concurrence déloyale,

Condamne la société Label Agence au paiement des sommes de 20.000 € en réparation des faits de contrefaçon, et de 10.000 € au titre des faits de concurrence déloyale,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Label Agence au paiement des dépens de 1ère instance et d'appel, ainsi qu'au versement de la somme de 8.000 € à M. [R] en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.