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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 18 octobre 2023, n° 22/03500

TOULOUSE

Arrêt

Autre

CA Toulouse n° 22/03500

18 octobre 2023

18/10/2023

ARRÊT N°551/2023

N° RG 22/03500 - N° Portalis DBVI-V-B7G-PAVV

CBB/IA

Décision déférée du 21 Juillet 2022 - Président du TJ de TOULOUSE ( 22/00657)

[B][R]

[L] [N] EPOUSE [J]

C/

S.A.R.L. BENEL

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D'APPEL DE TOULOUSE

3ème chambre

***

ARRÊT DU DIX HUIT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT TROIS

***

APPELANTE

Madame [L] [N] EPOUSE [J]

[Adresse 4]

[Localité 2] / FRANCE

Représentée par Me Sophie AZAM, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉE

S.A.R.L. BENEL représentée par ses mandataires statutaires ou légaux domiciliés en cette qualité audit siège social

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Marion LAVAL, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Septembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant C. BENEIX-BACHER, Présidente, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

C. BENEIX-BACHER, président

E.VET, conseiller

P. BALISTA, conseiller

Greffier, lors des débats : I. ANGER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

- signé par C. BENEIX-BACHER, président, et par I. ANGER, greffier de chambre

FAITS

Suivant acte en date du 16 octobre 2019 Mme [N] a confié à la Sarl Benel alors en formation la location à usage commercial d'un local situé [Adresse 3] à [Localité 2] moyennant un loyer mensuel de 2300€ charges comprises.

Des retards de paiement s'étant accumulés, Mme [N] a proposé en vain un échelonnement de la dette les 10 et 22 avril 2020.

Par acte du 13 avril 2021, Mme [N] a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire pour un montant de 4761,76€.

Puis, le 17 janvier 2022 elle a fait délivrer un second commandement visant la même clause pour obtenir paiement de la somme de 7224,06€.

PROCEDURE

Par acte en date du 24 mars 2022, Mme [N] épouse [J] a fait assigner la SARL Benel devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse pour obtenir, sur le fondement des articles 834 et 835 du code de procédure civile, R145-23 et L145-41 alinéa 1 du code de commerce, l'expulsion de la SARL Benel sous astreinte de 200€ par jour de retard à compter du trentième jour suivant le prononcé de l'ordonnance, sa condamnation à lui verser la somme provisionnelle de 7224,06€ au titre des loyers et charges impayés et des frais d'huissier engagés, ainsi qu'à titre provisionnel, une indemnité journalière d'occupation de 150 euros, jusqu'à libération des lieux et remise des clés.

Par ordonnance contradictoire en date du 21 juillet 2022, le juge a':

- constaté que la SARL Benel a apuré les sommes causes du commandement de payer,

- dit ne pas y avoir à constater la résiliation de plein droit du bail commercial,

- condamné la SARL Benel à payer à Mme [L] [N] épouse [J] la somme de neuf cents euro (900 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL Benel aux dépens, y compris le coût du commandement de payer

- rappelé que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit en application de l'article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 3 octobre 2022, Mme [N] épouse [J] a interjeté appel de la décision. L'ordonnance est critiquée en ce que le juge a dit ne pas y avoir à constater la résiliation de plein droit du bail commercial et limité la condamnation de la SARL Benel à verser à Mme [L] [N] épouse [J] la somme de 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES

Mme [N] épouse [J], dans ses dernières écritures en date du 24 juillet 2023 demande à la cour au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, R145-23 alinéa 3 et L 145-41 du code de commerce, de':

- confirmer l'ordonnance de référé du 21 juillet 2022 (RG n°22/00657) en ce qu'elle a :

* constaté que la SARL Benel a apuré les sommes causes du commandement de payer ;

* condamné la SARL Benel aux dépens, y compris le coût du commandement de payer ;

* rappelé que la décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit.

- infirmer l'ordonnance pour le surplus et en ce qu'elle a :

* dit ne pas y avoir à constater la résiliation de plein droit du bail commercial ;

* limité la condamnation de la SARL Benel à payer à Mme [L] [N] épouse [J] la somme de 900 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

statuant à nouveau :

- juger que le Président du tribunal judiciaire n'avait pas le pouvoir de suspendre les effets de la clause résolutoire en l'absence d'octroi à la SARL Benel d'un quelconque délai de paiement ;

- juger acquise la clause résolutoire contenue dans le bail commercial consenti à la SARL Benel à compter du 15 octobre 2019, portant sur le local commercial situé [Adresse 3] à [Localité 2], correspondant au lot n°9 de l'ensemble immobilier en copropriété figurant au cadastre sous les références [Cadastre 5] [Adresse 3] 01 a 40 ca et ce, suite au commandement de payer délivré le 17 janvier 2022 et donc à compter du 17 février 2022 ;

- prendre acte de la résiliation dudit bail de plein droit à compter 17 février 2022 ;

- ordonner l'expulsion de la SARL Benel et de tous occupants de son chef du local précité dans le mois de la décision à intervenir, avec, au besoin, l'assistance de la force publique et d'un serrurier ; et ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant le prononcé de la décision à intervenir,

- condamner la SARL Benel à verser à Mme [L] [N] épouse [J], à titre provisionnel, la somme journalière de 150 euros à titre d'indemnité d'occupation à compter du 17 février 2022 et jusqu'à justification de la libération totale des lieux et remise des clés à la bailleresse ou tout mandataire de son choix ; soit une somme provisoire de 84.600 euros (= 150 x 564), en deniers ou quittances, somme arrêtée au 4 septembre 2023 (date des plaidoiries) et à parfaire à date de restitution effective des lieux loués et déduction faite des loyers éventuellement perçus dans l'intervalle ;

- débouter la SARL Benel de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la SARL Benel à verser à Mme [L] [N] épouse [J] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 de première instance et 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- la condamner aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de l'avocat constitué sur son affirmation de droit.

Elle expose que':

- le juge n'a pas constaté la résiliation du bail,

- or, elle maintient cette demande et s'oppose à la suspension de la clause résolutoire au vu de la mauvaise foi de la Sarl Benel qui est toujours apparue en retard de paiement avant le commandement et qui recommence à ne pas payer à temps,

- peu importe les travaux d'esthétique réalisés 6 mois après l'entrée dans les lieux qui ne justifient pas les impayés dès l'origine du bail';

- elle indique avoir perdu confiance dans le locataire.

La SARL Benel, dans ses dernières écritures en date du 19 juillet 2023 portant appel incident, demande à la cour au visa des articles L.145-41 du code de commerce, 1104 et 1343-5 du code civil, de':

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

* constaté que la SARL Benel a apuré les sommes causes du commandement de payer,

* dit ne pas y avoir à constater la résiliation de plein droit du bail commercial,

- débouter Mme [L] [N] épouse [J] de l'ensemble de ses demandes,

- l'infirmer pour le surplus

et statuant a nouveau, si celle-ci l'estime nécessaire,

- suspendre les effets de la clause résolutoire en accordant rétroactivement à la SARL BENEL des délais de paiement,

- condamner Mme [L] [N] épouse [J] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle expose que':

- elle a réglé les causes du commandement,

- elle conteste l'existence d'un impayé actuel,

- elle ne reconnaît que le retard de paiement du loyer qu'elle n'a pas effectué au 5 du mois comme prévu au bail.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 août 2023.

MOTIVATION

Sur la résiliation du bail

L'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Il résulte des termes de l'article L 145-41 al1 du code de commerce que':

«'Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai'».

En l'espèce, le bail à effet au 15 octobre 2019 prévoit en son article XIII une clause résolutoire conforme à l'article L 145-41 sus-visé.

Mme [N] a fait délivrer le 17 janvier 2022 à la Sarl Benel un commandement de payer la somme de 6900€ à titre principal correspondant aux loyers et charges impayés de novembre 2021 à janvier 2022.

La preuve du paiement des loyers dans le mois de l'acte incombe au locataire débiteur des obligations du bail.

A défaut pour la Sarl Benel de rapporter la preuve de la justification du paiement total de la somme réclamée dans le délai prescrit expirant le 17 février 2022, l'arriéré locatif est réputé être dû et dès lors, la clause résolutoire contractuelle produit ses effets.

En effet, il n'est pas contesté le décompte produit par Mme [N] démontrant que le loyer de novembre 2021 a été payé en janvier, dans le délai, mais que les loyers de décembre 2021 et janvier 2022 n'ont été payés que postérieurement, les 15 mars et 6 avril 2022.

Le juge des référés, juge de l'évidence, ne peut que constater la résiliation du bail acquise à la date du 18 février 2022, dès lors que la dette n'est pas régularisée dans le délai du commandement de payer, sans possibilité pour lui d'apprécier la gravité des manquements reprochés.

Mme [N] ne conteste pas les paiements qui ont soldé la dette visée au commandement de payer courant 2022. Toutefois, les paiements postérieurs à l'expiration du délai légal ne peuvent faire obstacle au constat de la résiliation du bail.

En effet, la clause résolutoire insérée au bail a un caractère automatique ; elle est acquise au profit du bailleur par l'expiration du délai du commandement, le juge n'ayant plus le pouvoir d'accorder des délais pour régulariser.

En cet état, la Sarl Benel est occupante sans droit des locaux appartenant à Mme [N] depuis la résiliation du bail ; une telle occupation caractérise un trouble manifestement illicite que le juge des référés doit faire cesser en ordonnant l'expulsion requise, qui n'apparaît pas une sanction disproportionnée aux droits protégés.

Dans ces conditions la décision qui, constatant le règlement de la dette postérieurement à l'expiration du délai de régularisation du commandement de payer, a rejeté le constat du jeu de la clause résolutoire doit être infirmée.

L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Considérant l'occupation sans droit des lieux depuis la résiliation du 18 février 2022, Mme [N] est en droit d'obtenir paiement d'une indemnité d'occupation au delà de cette date dont le montant peut être fixé à celui du loyer courant provision pour charges comprise.

Sur la suspension de la clause résolutoire

Selon l'article L145-41 al2 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.'

Et la demande de suspension de la clause résolutoire est recevable même après l'expiration du délai d'un mois du commandement, voire après l'assignation, la demande devant seulement être antérieure à toute décision judiciaire passée en force de chose jugée.

Le juge accorde des délais dans la limite de trois années au locataire en mesure de régler sa dette locative'; il tient compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier.

En l'espèce, au vu du décompte produit il apparaît que'la Sarl Benel a soldé l'arriéré locatif sollicité par le commandement de payer, en avril 2022 soit postérieurement au délai de l'article L 145-41 du code de commerce. Elle a donc réglé les causes du commandement visant la clause résolutoire du'17 janvier 2022, avant que le premier juge ne statue. Elle est donc débitrice malheureuse de bonne foi.

Il convient donc de :

-constater que les conditions de l'application de la clause résolutoire étaient acquises, faute de paiement de l'arriéré locatif au 17 février 2022,

-accorder cependant un délai de paiement du 17 février au 6 avril 2022,

-suspendre les effets de la clause résolutoire pendant ce délai,

-constater qu'à l'issue de ce délai la locataire a régularisé les causes du commandement et est à jour du paiement de ses loyers courant.

-dire que la clause résolutoire est réputée ne pas avoir joué.

Le contentieux soulevé par Mme [N] relatif aux retards systématiques de la locataire dans le paiement mensuel du loyer prévu au 5 de chaque mois, ne peut concerner le contentieux du constat de la clause résolutoire s'agissant de la faute invoquée du locataire dans le respect de ses obligation qui relève du pouvoir du juge du fond.

En revanche, au regard de la violation par la Sarl Benel de son obligation de régulariser les causes du commandement de payer dans le délai légal justifiant la présente instance en constat de la résiliation du bail, la décision sera confirmée en ce qu'elle l'a condamnée au versement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens en ce compris le coût du commandement de payer du 17 janvier 2022.

Les parties succombant toutes deux partiellement, les dépens d'appel seront répartis entre elles pour moitié chacune.

PAR CES MOTIFS

La cour

- Infirme l'ordonnance du juge des référés du Tribunal Judiciaire de Toulouse en date du 21 juillet 2022 sauf en ce qu'elle a condamné la Sarl Benel à verser à Mme [N] la somme de 900€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens en ce compris le coût du commandement de payer du 17 janvier 2022.

Statuant à nouveau':

- Constate la résiliation de plein droit du bail à effet au 15 octobre 2019 par l'effet de l'acquisition de la clause résolutoire à compter du 18 février 2022.

- Accorde cependant à la Sarl Benel un délai de paiement du 17 février au 6 avril 2022, pour se libérer du paiement de l'arriéré de loyers et charges en même temps et aux mêmes conditions que la somme représentant l'indemnité d'occupation courante.

- Constate qu'à l'issue de ce délai le locataire a régularisé les causes du commandement et est à jour du paiement de ses loyers courant.

- Dit en conséquence que la clause résolutoire est réputée ne pas avoir joué.

- Vu l'article 700 du code de procédure civile déboute Mme [N] de sa demande.

- Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

I.ANGER C. BENEIX-BACHER