Décisions
CA Douai, ch. 2 sect. 2, 7 septembre 2023, n° 22/04705
DOUAI
Arrêt
Autre
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 07/09/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 22/04705 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UQX2
Jugement (RG 21/03496) rendu le 13 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer
APPELANTE
S.A.R.L. Proqua
ayant son siège [Adresse 3]
représentée par Me Benoît Callieu, substitué par Me Claire Lasuen, avocats au barreau de Boulogne-sur-mer, avocat constitué
INTIMÉE
S.C. MH, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège [Adresse 1]
représentée par Me Jean Aubron, avocat au barreau de Boulogne-sur-mer, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 09 mai 2023 tenue par Agnès Fallenot magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 07 septembre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 avril 2023
****
FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 1er mars 2010, la société civile MH a donné à bail commercial à la SARL Proqua le lot n°2 d'une surface de 125 m2 au 1er étage d'un immeuble situé à [Adresse 2], et par avenant du 1er octobre 2012, il a été adjoint au bail le lot n°4 d'une superficie de 117 m2 également situé au 1er étage.
Par acte sous seing privé du 1er mars 2019, modifié par un avenant signé entre les parties le 14 janvier 2021, ce bail commercial a été renouvelé.
Le 3 février 2021, la société MH a adressé à la société Proqua une facture correspondant à une refacturation d'électricité pour la période du 1er décembre 2016 au 1er février 2021.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 mai 2021, elle l'a mise en demeure de lui régler cette somme, en vain.
Par acte d'huissier du 22 septembre 2021, la société MH lui a en conséquence fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire.
Par acte d'huissier du 7 octobre 2021, la société Proqua a fait assigner la société MH devant le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer afin de faire:
- déclarer nul et de nul effet le commandement de payer signifié le 22 septembre 2021,
à titre subsidiaire :
- juger que la mauvaise foi du bailleur entraîne la paralysie de la clause résolutoire,
à titre très subsidiaire :
- lui accorder un délai de trois mois à compter de la signification de la décision à intervenir pour régler le montant des sommes dues au titre du commandement signifié le 22 septembre 2021,
- suspendre les effets de la clause résolutoire jusqu'à l'expiration du délai de trois mois suivant la signification de la décision à intervenir,
en toute hypothèse :
- débouter la société MH de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens de l'instance.
En réponse, la société MH a demandé au tribunal de :
- débouter la société Proqua de l'intégralité de ses demandes,
- la condamner à lui payer la somme de 6 918,81 euros au titre de sa consommation d'électricité pour la période du 1er décembre 2016 au 1er février 2021,
- la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens qui comprendront les frais de commandement de payer du 22 septembre 2021.
Par jugement rendu le 13 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a statué en ces termes :
« ANNULE le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021 ;
CONDAMNE la SARL Proqua à payer à la SCI MH la somme de 6 918,91 euros ;
REJETTE la demande de délais de paiement de la SARL Proqua ;
LAISSE à chaque partie la charge de ses dépens ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. »
Par déclaration du 10 octobre 2022, la société Proqua a relevé appel de l'ensemble des chefs de cette décision, à l'exception de celui ayant annulé le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions régularisées par le RPVA le 23 janvier 2023, la société Proqua demande à la cour de :
« Infirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de BOULOGNE SUR MER le 13 septembre 2022 en ce qu'il a :
- Condamné la SARL PROQUA à payer à la SCI MH la somme de 6 918,91 €,
- Rejeté la demande de délai de paiement de la SARL PROQUA,
- Laissé à chaque partie de la charge de ses dépens,
- Débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de BOULOGNE SUR MER le 13 septembre 2022 en ce qu'il a :
- Annulé le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021.
Et, statuant à nouveau,
A titre principal,
Déclarer nul et de nul effet, le commandement de payer signifié le 22 septembre 2021,
A titre subsidiaire,
Juger que la mauvaise foi du bailleur entraîne la paralysie de la clause résolutoire,
A titre très subsidiaire,
Accorder à la Société PROQUA un délai de trois mois à compter de la signification de la décision à intervenir, pour régler le montant des sommes dues au titre du commandement de payer signifié le 22 septembre 2021,
Suspendre les effets de la clause résolutoire jusqu'à l'expiration du délai de trois mois suivant la signification de la décision à intervenir,
En toute hypothèse,
Débouter la société MH de sa demande de condamnation de la société PROQUA à lui verser la somme de 6 918,91 euros,
Débouter la Société MH de l'ensemble de ses demandes,
Condamner la Société MH à verser à la Société PROQUA la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamner la Société MH aux entiers dépens de l'instance, avec distraction au profit de la SELARL CALLIEU AVOCATS, société d'avocats constituée. ».
La locataire fait valoir que le domaine d'application de l'article L. 145-41 du code de commerce a été étendu à toutes les infractions au bail. La société MH doit donc justifier de la violation d'une obligation expressément visée. Or elle ne démontre pas que le bail liant les parties prévoit la refacturation de l'électricité par le bailleur au preneur et qu'ainsi une obligation contractuelle aurait été violée.
Même dans l'hypothèse où le bail comprendrait une telle clause, celle-ci serait nulle et de nul effet. En effet, la refacturation par un bailleur à son locataire de la consommation d'électricité de ce dernier, fût-elle sur la base du tarif pratiqué par EDF, est contraire aux dispositions d'ordre public instituant le monopole d'EDF qui bénéficie aussi aux tiers qui peuvent se voir priver, par le biais d'une rétrocession d'électricité prohibée, de la faculté d'avoir un accès direct à la fourniture d'énergie à un tarif librement négocié. La société MH ne peut donc solliciter le règlement de la société Proqua d'une somme à ce titre.
L'appelante précise ne pas s'opposer au règlement de sa consommation sous réserve que cette dernière soit justifiée par des éléments probants. Or les factures qui sont établies ne correspondent pas à sa consommation. Elle démontre que la consommation facturée correspond en réalité à la consommation des parties communes, outre la consommation de locaux occupés par d'autres locataires.
Dans l'hypothèse où, à la suite de l'appel incident de la société MH, il serait considéré que le commandement de payer est valable, il convient d'ordonner la paralysie de la mise en jeu de la clause résolutoire en raison de la mauvaise foi du bailleur.
Antérieurement au 19 janvier 2021, les associés de la société Proqua étaient constitués notamment des associés de la société MH. Ce n'est que par pur opportunisme, suite à la cession de leurs parts, qu'ils ont fait état d'une prétendue refacturation d'électricité.
Dans l'hypothèse où la juridiction considérerait que le commandement de payer est valide et que le bailleur est de bonne foi, la société Proqua demande des délais de paiement au regard de l'importance de la somme mise injustement à sa charge.
Par conclusions régularisées par le RPVA le 4 avril 2023, la société MH demande à la cour de :
« Par infirmation,
Déclarer valable le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021.
Par confirmation,
Condamner la SARL PROQUA à payer à la Société MH la somme de 6.918,81 € au titre de sa consommation d'électricité pour la période du 1er décembre 2016 au 1er février 2021.
Débouter la SARL PROQUA de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.
Condamner SARL PROQUA à payer à la Société MH la somme de 4.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'en tous les dépens, lesquels comprendront les frais du commandement délivré le 22 septembre 2021. ».
La société MH plaide que jusqu'au 1er décembre 2016, la société Proqua avait toujours réglé les factures d'électricité qui lui étaient présentées sans protester. Les parties avaient donc admis que le locataire devait remboursement au bailleur des factures d'électricité. Sur le fondement de l'exception d'inexécution, le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021 est parfaitement valide.
S'il est posé par la jurisprudence le principe que le bailleur n'est pas autorisé à refacturer l'électricité, la Cour de cassation rappelle toutefois que le locataire qui a bénéficié d'une prestation en nature qu'il ne peut pas restituer doit payer une indemnité équivalente à cette prestation. La société Proqua ne peut donc pas contester être redevable au profit du bailleur des factures d'électricité.
Elle prétend à titre subsidiaire, pour s'y opposer, que les factures établies ne correspondent pas à sa consommation et concernent également la consommation de tiers. Or la cellule de la société Proqua dispose d'un décompteur dédié à sa seule consommation, lequel a permis d'établir les factures qui lui ont été adressées.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 avril 2023.
SUR CE
Sur la validité du commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021
Aux termes des dispositions de l'article L145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Aux termes de l'article L331-du code de l'énergie, tout client qui achète de l'électricité pour sa propre consommation ou qui achète de l'électricité pour la revendre a le droit de choisir son fournisseur d'électricité.
Aux termes de l'article 1 aux articles annexes du décret du 23 décembre 1994 approuvant le cahier des charges type de la concession à Électricité de France du réseau d'alimentation générale en énergie électrique, toute rétrocession d'énergie par un client direct, à quelque titre que ce soit, à un ou plusieurs tiers est interdite, sauf autorisation du concessionnaire donnée par écrit.
Aux termes de l'article L. 145-40-2 du code de commerce, tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôt, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l'indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. (...)
Dans un ensemble immobilier comportant plusieurs locataires, le contrat de location précise la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires occupant cet ensemble. Cette répartition est fonction de la surface exploitée. Le montant des impôts, taxes et redevances pouvant être imputés au locataire correspond strictement au local occupé par chaque locataire et à la quote-part des parties communes nécessaires à l'exploitation de la chose louée. En cours de bail, le bailleur est tenu d'informer les locataires de tout élément susceptible de modifier la répartition des charges entre locataires.
Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.
Aux termes des dispositions des articles 1188 et 1189 du code civil, le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.
En l'espèce, le contrat de bail prévoit :
- en son article 22, que : « sauf dispositions légales contraires, le locataire supportera la "quote-part" des charges récupérables sur le locataire au prorata des surfaces louées », et que : « ces remboursements seront faits au bailleur en même temps que chacun des termes de loyer au moyen d'acomptes provisionnels, le compte étant soldé une fois l'an » ;
- en son article 28, que : « à défaut de paiement à son échéance exacte d'un seul terme de loyer ou de remboursements de frais, charges ou prestations qui en constituent l'accessoire, ou de l'une ou l'autre des conditions d'exécution du présent bail, et un mois après un commandement de payer -le délai d'un mois pouvant être mis à profit par le locataire pour demander au juge l'octroi de délais et la suspension des effets de la clause - ou d'exécuter resté sans effet, et contenant déclaration par le bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, le présent bail sera résilié de plein droit si bon semble au bailleur, sans qu'il soit besoin de former une demande en justice » ;
-en sa clause « inventaire des charges locatives »: « conformément aux dispositions du décret 2014-1317 du 3 novembre 2014, le montant des charges locatives se décompose comme suit : impôt foncier et les taxes additionnelles à la taxe foncière, les charges locatives, les taxes et redevances liées à l'usage du local et au service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement ».
Il n'est pas contestable que les dépenses courantes d'électricité entrent dans la catégorie des charges locatives, étant observé que le décret n°87-713 du 26 août 1987 auquel s'est référé le premier juge n'est pas applicable aux baux commerciaux.
Il doit par ailleurs être retenu que ce sont bien ces charges qui sont visées, dans l'article 22 du bail, sous l'appellation "charges récupérables", sous peine de priver de l'acte de cohérence.
Enfin, il sera rappelé qu'une refacturation à un locataire de ses consommations d'électricité en fonction des surfaces louées, et non de sa consommation réelle, ne constitue pas une rétrocession d'électricité et n'est pas interdite en matière de bail commercial.
Pour autant, il ressort des termes mêmes de la facture adressée à la société Proqua par son bailleur que la société MH n'a pas appliqué l'article 22 du bail mais a refacturé à sa locataire sa consommation réelle.
Cette violation tant de la loi des parties que de l'interdiction de la rétrocession de l'énergie électrique sans accord écrit du fournisseur entache la validité du commandement de payer délivré à la locataire.
Par ces motifs substitués, la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a annulé le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré à la société Proqua le 22 septembre 2021.
Sur la demande en paiement
Ainsi qu'il a été précédemment jugé, l'article 22 du bail prévoit une répartition des charges d'électricité en fonction de la surface utilisée par la société locataire, indépendamment de ses consommations réelles, et non pas une rétrocession d'électricité.
Il n'est donc pas nul, aucune des parties n'ayant d'ailleurs présenté de demande en ce sens, et rien ne justifie de procéder aux restitutions réciproques sollicitées par la société MH lorsqu'elle argue que le locataire qui a bénéficié d'une prestation en nature qu'il ne peut pas restituer doit payer une indemnité équivalente à cette prestation.
La facture adressée par la société MH à la société Proqua le 3 février 2021 ne respectant pas les stipulations du bail, il ne peut qu'être constaté que la société locataire n'en est pas redevable.
La société MH sera donc déboutée de sa demande en paiement. La décision entreprise sera réformée de ce chef.
Sur les dépens
Aux termes des articles 696 et 699 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.
L'équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel, la décision entreprise étant confirmée en ce qu'elle a statué dans le même sens concernant les dépens de première instance.
En conséquence, il convient de débouter la SELARL Callieu avocats de sa demande d'obtenir le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Le sort des dépens et l'équité commandent de débouter les parties de leurs demandes respectives au titre de leurs frais irrépétibles.
La décision entreprise sera confirmée du chef des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu le 13 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer, sauf en ce qu'il a condamné la société Proqua à payer à la société MH la somme de 6 918,91 euros ;
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Déboute la société civile MH de sa demande en paiement au titre de sa facture n°1/2021 ;
Et y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel.
Le greffier
Marlène Tocco
Le président
[S] [B]
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 07/09/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 22/04705 - N° Portalis DBVT-V-B7G-UQX2
Jugement (RG 21/03496) rendu le 13 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-mer
APPELANTE
S.A.R.L. Proqua
ayant son siège [Adresse 3]
représentée par Me Benoît Callieu, substitué par Me Claire Lasuen, avocats au barreau de Boulogne-sur-mer, avocat constitué
INTIMÉE
S.C. MH, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
ayant son siège [Adresse 1]
représentée par Me Jean Aubron, avocat au barreau de Boulogne-sur-mer, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 09 mai 2023 tenue par Agnès Fallenot magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Samuel Vitse, président de chambre
Nadia Cordier, conseiller
Agnès Fallenot, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 07 septembre 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Samuel Vitse, président et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 avril 2023
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FAITS ET PROCEDURE
Par acte sous seing privé du 1er mars 2010, la société civile MH a donné à bail commercial à la SARL Proqua le lot n°2 d'une surface de 125 m2 au 1er étage d'un immeuble situé à [Adresse 2], et par avenant du 1er octobre 2012, il a été adjoint au bail le lot n°4 d'une superficie de 117 m2 également situé au 1er étage.
Par acte sous seing privé du 1er mars 2019, modifié par un avenant signé entre les parties le 14 janvier 2021, ce bail commercial a été renouvelé.
Le 3 février 2021, la société MH a adressé à la société Proqua une facture correspondant à une refacturation d'électricité pour la période du 1er décembre 2016 au 1er février 2021.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 mai 2021, elle l'a mise en demeure de lui régler cette somme, en vain.
Par acte d'huissier du 22 septembre 2021, la société MH lui a en conséquence fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire.
Par acte d'huissier du 7 octobre 2021, la société Proqua a fait assigner la société MH devant le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer afin de faire:
- déclarer nul et de nul effet le commandement de payer signifié le 22 septembre 2021,
à titre subsidiaire :
- juger que la mauvaise foi du bailleur entraîne la paralysie de la clause résolutoire,
à titre très subsidiaire :
- lui accorder un délai de trois mois à compter de la signification de la décision à intervenir pour régler le montant des sommes dues au titre du commandement signifié le 22 septembre 2021,
- suspendre les effets de la clause résolutoire jusqu'à l'expiration du délai de trois mois suivant la signification de la décision à intervenir,
en toute hypothèse :
- débouter la société MH de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux dépens de l'instance.
En réponse, la société MH a demandé au tribunal de :
- débouter la société Proqua de l'intégralité de ses demandes,
- la condamner à lui payer la somme de 6 918,81 euros au titre de sa consommation d'électricité pour la période du 1er décembre 2016 au 1er février 2021,
- la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens qui comprendront les frais de commandement de payer du 22 septembre 2021.
Par jugement rendu le 13 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a statué en ces termes :
« ANNULE le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021 ;
CONDAMNE la SARL Proqua à payer à la SCI MH la somme de 6 918,91 euros ;
REJETTE la demande de délais de paiement de la SARL Proqua ;
LAISSE à chaque partie la charge de ses dépens ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. »
Par déclaration du 10 octobre 2022, la société Proqua a relevé appel de l'ensemble des chefs de cette décision, à l'exception de celui ayant annulé le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions régularisées par le RPVA le 23 janvier 2023, la société Proqua demande à la cour de :
« Infirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de BOULOGNE SUR MER le 13 septembre 2022 en ce qu'il a :
- Condamné la SARL PROQUA à payer à la SCI MH la somme de 6 918,91 €,
- Rejeté la demande de délai de paiement de la SARL PROQUA,
- Laissé à chaque partie de la charge de ses dépens,
- Débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de BOULOGNE SUR MER le 13 septembre 2022 en ce qu'il a :
- Annulé le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021.
Et, statuant à nouveau,
A titre principal,
Déclarer nul et de nul effet, le commandement de payer signifié le 22 septembre 2021,
A titre subsidiaire,
Juger que la mauvaise foi du bailleur entraîne la paralysie de la clause résolutoire,
A titre très subsidiaire,
Accorder à la Société PROQUA un délai de trois mois à compter de la signification de la décision à intervenir, pour régler le montant des sommes dues au titre du commandement de payer signifié le 22 septembre 2021,
Suspendre les effets de la clause résolutoire jusqu'à l'expiration du délai de trois mois suivant la signification de la décision à intervenir,
En toute hypothèse,
Débouter la société MH de sa demande de condamnation de la société PROQUA à lui verser la somme de 6 918,91 euros,
Débouter la Société MH de l'ensemble de ses demandes,
Condamner la Société MH à verser à la Société PROQUA la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamner la Société MH aux entiers dépens de l'instance, avec distraction au profit de la SELARL CALLIEU AVOCATS, société d'avocats constituée. ».
La locataire fait valoir que le domaine d'application de l'article L. 145-41 du code de commerce a été étendu à toutes les infractions au bail. La société MH doit donc justifier de la violation d'une obligation expressément visée. Or elle ne démontre pas que le bail liant les parties prévoit la refacturation de l'électricité par le bailleur au preneur et qu'ainsi une obligation contractuelle aurait été violée.
Même dans l'hypothèse où le bail comprendrait une telle clause, celle-ci serait nulle et de nul effet. En effet, la refacturation par un bailleur à son locataire de la consommation d'électricité de ce dernier, fût-elle sur la base du tarif pratiqué par EDF, est contraire aux dispositions d'ordre public instituant le monopole d'EDF qui bénéficie aussi aux tiers qui peuvent se voir priver, par le biais d'une rétrocession d'électricité prohibée, de la faculté d'avoir un accès direct à la fourniture d'énergie à un tarif librement négocié. La société MH ne peut donc solliciter le règlement de la société Proqua d'une somme à ce titre.
L'appelante précise ne pas s'opposer au règlement de sa consommation sous réserve que cette dernière soit justifiée par des éléments probants. Or les factures qui sont établies ne correspondent pas à sa consommation. Elle démontre que la consommation facturée correspond en réalité à la consommation des parties communes, outre la consommation de locaux occupés par d'autres locataires.
Dans l'hypothèse où, à la suite de l'appel incident de la société MH, il serait considéré que le commandement de payer est valable, il convient d'ordonner la paralysie de la mise en jeu de la clause résolutoire en raison de la mauvaise foi du bailleur.
Antérieurement au 19 janvier 2021, les associés de la société Proqua étaient constitués notamment des associés de la société MH. Ce n'est que par pur opportunisme, suite à la cession de leurs parts, qu'ils ont fait état d'une prétendue refacturation d'électricité.
Dans l'hypothèse où la juridiction considérerait que le commandement de payer est valide et que le bailleur est de bonne foi, la société Proqua demande des délais de paiement au regard de l'importance de la somme mise injustement à sa charge.
Par conclusions régularisées par le RPVA le 4 avril 2023, la société MH demande à la cour de :
« Par infirmation,
Déclarer valable le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021.
Par confirmation,
Condamner la SARL PROQUA à payer à la Société MH la somme de 6.918,81 € au titre de sa consommation d'électricité pour la période du 1er décembre 2016 au 1er février 2021.
Débouter la SARL PROQUA de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires.
Condamner SARL PROQUA à payer à la Société MH la somme de 4.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'en tous les dépens, lesquels comprendront les frais du commandement délivré le 22 septembre 2021. ».
La société MH plaide que jusqu'au 1er décembre 2016, la société Proqua avait toujours réglé les factures d'électricité qui lui étaient présentées sans protester. Les parties avaient donc admis que le locataire devait remboursement au bailleur des factures d'électricité. Sur le fondement de l'exception d'inexécution, le commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021 est parfaitement valide.
S'il est posé par la jurisprudence le principe que le bailleur n'est pas autorisé à refacturer l'électricité, la Cour de cassation rappelle toutefois que le locataire qui a bénéficié d'une prestation en nature qu'il ne peut pas restituer doit payer une indemnité équivalente à cette prestation. La société Proqua ne peut donc pas contester être redevable au profit du bailleur des factures d'électricité.
Elle prétend à titre subsidiaire, pour s'y opposer, que les factures établies ne correspondent pas à sa consommation et concernent également la consommation de tiers. Or la cellule de la société Proqua dispose d'un décompteur dédié à sa seule consommation, lequel a permis d'établir les factures qui lui ont été adressées.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 avril 2023.
SUR CE
Sur la validité du commandement de payer visant la clause résolutoire du 22 septembre 2021
Aux termes des dispositions de l'article L145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Aux termes de l'article L331-du code de l'énergie, tout client qui achète de l'électricité pour sa propre consommation ou qui achète de l'électricité pour la revendre a le droit de choisir son fournisseur d'électricité.
Aux termes de l'article 1 aux articles annexes du décret du 23 décembre 1994 approuvant le cahier des charges type de la concession à Électricité de France du réseau d'alimentation générale en énergie électrique, toute rétrocession d'énergie par un client direct, à quelque titre que ce soit, à un ou plusieurs tiers est interdite, sauf autorisation du concessionnaire donnée par écrit.
Aux termes de l'article L. 145-40-2 du code de commerce, tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôt, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l'indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. (...)
Dans un ensemble immobilier comportant plusieurs locataires, le contrat de location précise la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires occupant cet ensemble. Cette répartition est fonction de la surface exploitée. Le montant des impôts, taxes et redevances pouvant être imputés au locataire correspond strictement au local occupé par chaque locataire et à la quote-part des parties communes nécessaires à l'exploitation de la chose louée. En cours de bail, le bailleur est tenu d'informer les locataires de tout élément susceptible de modifier la répartition des charges entre locataires.
Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.
Aux termes des dispositions des articles 1188 et 1189 du code civil, le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
Toutes les clauses d'un contrat s'interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l'acte tout entier.
En l'espèce, le contrat de bail prévoit :
- en son article 22, que : « sauf dispositions légales contraires, le locataire supportera la "quote-part" des charges récupérables sur le locataire au prorata des surfaces louées », et que : « ces remboursements seront faits au bailleur en même temps que chacun des termes de loyer au moyen d'acomptes provisionnels, le compte étant soldé une fois l'an » ;
- en son article 28, que : « à défaut de paiement à son échéance exacte d'un seul terme de loyer ou de remboursements de frais, charges ou prestations qui en constituent l'accessoire, ou de l'une ou l'autre des conditions d'exécution du présent bail, et un mois après un commandement de payer -le délai d'un mois pouvant être mis à profit par le locataire pour demander au juge l'octroi de délais et la suspension des effets de la clause - ou d'exécuter resté sans effet, et contenant déclaration par le bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause, le présent bail sera résilié de plein droit si bon semble au bailleur, sans qu'il soit besoin de former une demande en justice » ;
-en sa clause « inventaire des charges locatives »: « conformément aux dispositions du décret 2014-1317 du 3 novembre 2014, le montant des charges locatives se décompose comme suit : impôt foncier et les taxes additionnelles à la taxe foncière, les charges locatives, les taxes et redevances liées à l'usage du local et au service dont le locataire bénéficie directement ou indirectement ».
Il n'est pas contestable que les dépenses courantes d'électricité entrent dans la catégorie des charges locatives, étant observé que le décret n°87-713 du 26 août 1987 auquel s'est référé le premier juge n'est pas applicable aux baux commerciaux.
Il doit par ailleurs être retenu que ce sont bien ces charges qui sont visées, dans l'article 22 du bail, sous l'appellation "charges récupérables", sous peine de priver de l'acte de cohérence.
Enfin, il sera rappelé qu'une refacturation à un locataire de ses consommations d'électricité en fonction des surfaces louées, et non de sa consommation réelle, ne constitue pas une rétrocession d'électricité et n'est pas interdite en matière de bail commercial.
Pour autant, il ressort des termes mêmes de la facture adressée à la société Proqua par son bailleur que la société MH n'a pas appliqué l'article 22 du bail mais a refacturé à sa locataire sa consommation réelle.
Cette violation tant de la loi des parties que de l'interdiction de la rétrocession de l'énergie électrique sans accord écrit du fournisseur entache la validité du commandement de payer délivré à la locataire.
Par ces motifs substitués, la décision entreprise sera confirmée en ce qu'elle a annulé le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré à la société Proqua le 22 septembre 2021.
Sur la demande en paiement
Ainsi qu'il a été précédemment jugé, l'article 22 du bail prévoit une répartition des charges d'électricité en fonction de la surface utilisée par la société locataire, indépendamment de ses consommations réelles, et non pas une rétrocession d'électricité.
Il n'est donc pas nul, aucune des parties n'ayant d'ailleurs présenté de demande en ce sens, et rien ne justifie de procéder aux restitutions réciproques sollicitées par la société MH lorsqu'elle argue que le locataire qui a bénéficié d'une prestation en nature qu'il ne peut pas restituer doit payer une indemnité équivalente à cette prestation.
La facture adressée par la société MH à la société Proqua le 3 février 2021 ne respectant pas les stipulations du bail, il ne peut qu'être constaté que la société locataire n'en est pas redevable.
La société MH sera donc déboutée de sa demande en paiement. La décision entreprise sera réformée de ce chef.
Sur les dépens
Aux termes des articles 696 et 699 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.
L'équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel, la décision entreprise étant confirmée en ce qu'elle a statué dans le même sens concernant les dépens de première instance.
En conséquence, il convient de débouter la SELARL Callieu avocats de sa demande d'obtenir le droit de recouvrer directement ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Le sort des dépens et l'équité commandent de débouter les parties de leurs demandes respectives au titre de leurs frais irrépétibles.
La décision entreprise sera confirmée du chef des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu le 13 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer, sauf en ce qu'il a condamné la société Proqua à payer à la société MH la somme de 6 918,91 euros ;
Statuant à nouveau de ce seul chef,
Déboute la société civile MH de sa demande en paiement au titre de sa facture n°1/2021 ;
Et y ajoutant,
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de leurs frais irrépétibles d'appel ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel.
Le greffier
Marlène Tocco
Le président
[S] [B]