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Décisions

CA Nancy, 1re ch., 6 novembre 2023, n° 22/02837

NANCY

Arrêt

Autre

CA Nancy n° 22/02837

6 novembre 2023

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE NANCY

Première Chambre Civile

ARRÊT N° /2023 DU 06 NOVEMBRE 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02837 - N° Portalis DBVR-V-B7G-FC7V

Décision déférée à la Cour : décision de l' Institut National de la Propriété Industrielle,

n° OP22-0241/AVP, en date du 21 novembre 2022,

DEMANDERESSE AU RECOURS :

AARPI LEGASPHERE AVOCATS, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié [Adresse 2]

Représentée par Me Michaël DECORNY de la SCP MOUKHA DECORNY, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant

Plaidant par Me Sophie BOUCHARD, avocat au barreau de DIJON

DÉFENDEUR AU RECOURS :

Monsieur [O] [B]

né le 30 avril 1974 à [Localité 4] ([Localité 4])

domicilié [Adresse 3]

Représenté par Me Raoul GOTTLICH de la SCP D'AVOCATS RAOUL GOTTLICH PATRICE LAFFON, avocat au barreau de NANCY

En présence de :

INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE (INPI), pris en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié [Adresse 1]

Représenté par Madame [I] [N], chargée de mission, régulièrement munie d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Septembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, Présidente d'audience, et Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire, chargée du rapport,

Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Mélina BUQUANT, Conseiller, Présidente d'audience,

Monsieur Jean-Louis FIRON, Conseiller,

Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,

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Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à

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A l'issue des débats, le Président a annoncé que l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 06 Novembre 2023, en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 06 Novembre 2023, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame BUQUANT, Conseiller, Présidente d'audience, et par Madame PERRIN, Greffier ;

EXPOSÉ DU LITIGE

L'association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle (AARPI) Légasphère Avocats a déposé le 10 novembre 2021, auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), la demande d'enregistrement n°4816331 portant sur le signe complexe LEGA SPHERE AVOCATS.

Le 14 janvier 2022, Monsieur [O] [B] a formé opposition à l'enregistrement de cette marque sur la base des droits antérieurs suivants :

- la marque complexe française IP SPHERE déposée le 30 octobre 2003, enregistrée et renouvelée sous le n° 3254321, sur le fondement d'un risque de confusion,

- le nom de domaine ipspherefr, réservé le 22 avril 2008.

L'opposition a été formée contre la totalité des produits et services visés dans la demande d'enregistrement. En cours de procédure, le titulaire de la demande a procédé à un retrait partiel des produits et services visés de sorte qu'elle ne porte plus que sur les 'Services juridiques rendus par des avocats'.

Par décision du 21 novembre 2022, Monsieur le directeur général de l'INPI a rejeté la demande d'enregistrement.

Pour statuer ainsi, il a relevé :

- que l'opposant justifiait d'un usage sérieux de sa marque sur le territoire français pour considérer qu'il s'étend du 10 novembre 2016 au 10 novembre 2021 inclus peu important les modifications apportées au signe qui n'en altèrent pas le caractère distinctif,

- que cet usage concerne les 'services juridiques de recherche, d'assistance de gestion, de surveillance, de protection, d'enquête en matière de propriété intellectuelle',

- que les services désignés dans la demande d'enregistrement, à savoir des 'services juridiques rendus par des avocats' sont identiques ou à tout le moins similaires à ceux de la marque antérieure, sans qu'il y ait lieu de retenir dans le présent cadre les conditions d'exploitation de la marque, par un avocat ou par un conseil en propriété industrielle,

- que les signes en présence, IP SPHERE et LEGA SPHERE sont similaires,

- qu'en conséquence, il existe un réel risque de confusion,

-qu'il n'y a pas lieu en conséquence d'examiner l'opposition au regard du nom de domaine Ipsphere.fr.

Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 16 décembre 2022, l'AARPI Légasphère Avocats a formé recours contre cette décision.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 4 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, l'AARPI Légasphère Avocats demande à la cour, au visa de l'article L. 411-4 du code de la propriété intellectuelle, des articles R. 411-19, R. 411-29 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de :

- dire et juger son appel recevable et fondé,

- annuler la décision du Directeur Général de l'INPI du 21 novembre 2022 (OP22-0241/AVP) en ce qu'elle a reconnu l'opposition justifiée et a rejeté la demande d'enregistrement de la marque complexe Légasphère Avocats,

En conséquence,

- accepter l'enregistrement de la demande de marque LEGA SPHERE Avocats n°4816331 pour l'ensemble des services qu'elle désigne en classes 45,

- condamner Monsieur [B] à lui payer la somme de 5000 euros conformément aux termes de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, conformément à l'article l'article 699 du code de procédure civile.

Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 1er septembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [B] demande à la cour, au visa du code de la propriété intellectuelle et notamment ses articles L. 411-4, L. 411-5, L. 711-3, L. 712-3, L. 712-5-1, L. 712-7, L. 713-2, L. 713-3, R. 411-17, R. 712-4, R. 712-13 à R. 712-19, R. 712-21, R. 712-26 et R. 718-2 à R. 718-5, de :

- confirmer purement et simplement la décision d'opposition OPP 22-0241 rendue le 21 novembre 2022 par le Directeur Général de l'INPI,

Ce faisant,

- débouter l'Association Légasphère Avocats de son recours en annulation et de l'ensemble de ses prétentions plus amples ou contraires,

- condamner l'Association Légasphère Avocats à lui régler la somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de l'instance.

L'audience de plaidoirie a été fixée le 12 septembre 2023 et le délibéré au 6 novembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les dernières conclusions déposées par l'association AARPI Légasphère Avocats le 4 août 2023 et par Monsieur [B] le 1er septembre 2023 et visées par le greffe auxquelles il convient de se référer expressément en application de l'article 455 du code de procédure civile ;

Vu la clôture de l'instruction prononcée par ordonnance du 12 septembre 2023 après communication du dossier au ministère public ;

Aux termes des dispositions de l'article L. 711-3, 1° b) du code de la propriété intellectuelle, ' Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d'être annulée, une marque portant atteinte à des droits antérieurs ayant un effet en France, notamment une marque antérieure lorsque'elle est identique ou similaire à la marque antérieure et que les produits et services qu'elle désigne sont identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée, s'il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d'association avec la marque antérieure '.

Sur l'usage de la marque antérieure IP SPHERE n° 3254321

Conformément aux dispositions des articles L. 712-5-1 et L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, la décision contestée a statué sur l'usage sérieux de la marque au cours des cinq années précédant la date de dépôt ou la date de priorité de la demande d'enregistrement contestée, dans les territoires où elle est protégée et au regard des produits et services pour lesquels elle est enregistrée et sur lesquels l'opposition est fondée.

Le recours ne remet pas en cause la décision sur cette appréciation et admet donc l'existence de l'usage sérieux de la marque de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce point.

Sur la comparaison des produits et services en cause

Ainsi qu'il a été dit, la requérante a limité sa demande d'enregistrement aux 'Services juridiques rendus par des avocats'. La marque IP SPHERE est quant à elle enregistrée pour désigner des 'Services juridiques de recherche, d'assistance, de gestion, de surveillance, de protection, d'enquêtes en matière de propriété intellectuelle'.

Dans sa décision l'Institut national de la propriété industrielle a retenu que les activités de la demande d'enregistrement étaient identiques et similaires à certains de ceux de la marque antérieure en ce qu'il s'agissait de prestations d'assistance et de conseils juridiques.

La requérante relève que dans ses observations devant la cour, l'Institut ne retient plus que la seule similarité des services de sorte qu'il contredit sa propre décision, laquelle devrait de ce fait être annulée.

La société IP SPHERE estime quant à elle que les services effectivement exploités sont identiques, dans la mesure où ils appartiennent à la catégorie générale des services juridiques.

La cour retient que si l'activité de la société IP SPHERE est cantonnée à la matière spécifique des droits de propriété intellectuelle, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit par essence d'activités relevant du domaine juridique en général incluant le conseil, l'assistance et la représentation des entreprises et des particuliers ; qu'il s'agit dès lors de services identiques à ceux rendus par les avocats.

Il y a lieu de relever en outre que la nature de recours en annulation de la présente procédure a pour effet de rendre irrecevables l'introduction de nouveaux moyens ainsi que la production de nouvelles pièces qui n'auraient pas été débattus au cours de la procédure d'opposition. Tel n'est pas le cas en l'espèce. La circonstance que l'Institut, qui n'est pas partie à la procédure de recours, développe, dans ses observations devant la cour, une argumentation plus nuancée que celle retenue dans sa décision, sans qu'elle conduise à une solution différente au fond, n'est pas de nature à entraîner la nullité de cette décision.

Sur la comparaison des signes

Il est constant que la comparaison des signes en présence procède d'une appréciation globale des similitudes existant sur les plans visuels, auditifs et conceptuels, et de l'impression générale d'ensemble produite sur le public concerné, en tenant compte notamment des éléments distinctifs et dominants.

La demande d'enregistrement porte sur le signe complexe LEGA SPHERE AVOCATS

alors que la marque antérieure protège le signe semi-figuratif IP SPHERE.

Visuellement, dans le signe LEGA SPHERE AVOCATS les trois mots sont inscrits en capitales d'imprimerie, les uns au dessus des autres dans des caractères décroissants de telle sorte que l'ensemble forme un rectangle dans lequel le terme LEGA est dominant alors que les 7 lettres d' AVOCATS sont caligraphiées dans une police beaucoup plus petite pour occuper la même longueur que celle des 4 lettres de LEGA et donc peu lisibles. Le A de LEGA et le terme avocats, sont de couleur bleue, les autres lettres étant noires. Le A de LEGA est par ailleurs stylisé par une barre transversale oblique.

Dans la marque antérieure, ' IP SPHERE' est inscrit en capitales d'imprimerie de couleur bleue, précédé d'un large cercle rose, l'ensemble étant inscrit dans un rectangle représenté par un trait du même ton de rose.

La nuance de bleu est identique dans les deux signes en présence, de même que la taille de la police du mot sphère.

Sur le plan auditif le signe antérieur se compose des deux lettres IP et du mot SPHERE, alors que la demande d'enregistrement comporte trois mots, le terme commun étant SPHERE.

Sur le plan conceptuel, le terme 'Sphère' évoque un ensemble, une globalité et donc un monde.

Associé à 'Lega'et le terme 'Sphère' renvoie au monde du droit. Le terme 'avocats', purement descriptif de l'activité exercée, ne présente pas de caractère distinctif et sera donc écarté aux fins de comparaison.

Associé à 'IP' le terme ' Sphère' évoque ou bien le domaine de l'internet, si IP est compris comme signifiant 'Internet Protocol' comme le suggère la requérante, ou au domaine de la propriété intellectuelle si IP est compris comme Industrial ou Intellectual Property.

Cependant, force est de constater que, si l'idée d'une 'sphère de l'internet' est porteuse de sens, celle de 'sphère du protocole internet' en est pratiquement dépourvue du moins pour désigner une activité économique, s'agissant d'un ensemble de règles afférentes au transport des données. Il y a donc lieu de retenir que IP SPHERE sera compris comme Industrial ou Intellectual Property par le public concerné, à savoir les entreprises ou les particuliers recherchant des services juridiques dans ce domaine du droit.

Ainsi, le terme commun étant 'Sphère', la comparaison porte bien sur Lega Sphère d'une part et IP Sphère d'autre part, ainsi que l'a retenu la décision contestée.

Les signes présentent une structure semblable composés chacun d'un premier terme à connotation juridique, de sorte qu'il y a lieu de les considérer comme similaires.

Sur le risque de confusion

Il est de principe que l'appréciation globale du risque de confusion doit tenir compte d'une certaine interdépendance entre les facteurs retenus de telle sorte qu'un faible ou moindre degré de similarité des signes en présence peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les produits et inversement et que le risque de confusion inclut le risque d'association.

En l'espèce, les services considérés étant jugés identiques de part et d'autre et les signes similaires, il y a lieu de considérer qu'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public concerné tel qu'il a été ci-dessus défini. En effet, il est à craindre que le signe antérieur soit perçu comme une déclinaison spécifique de la marque LEGA SPHERE dans le domaine particulier de la propriété intellectuelle, si celle-ci devait être enregistrée.

Le recours sera dès lors rejeté.

Sur le nom de domaine invoqué

L'opposition à l'enregistrement de la marque étant jugée bien fondée sur le risque de confusion avec la marque antérieure dont Monsieur [B] est titulaire, c'est à juste raison que la décision contestée a dit n'y avoir lieu d'examiner si le nom de domaine ipsphere.fr constituait également un droit antérieur opposable. En effet, quelle que soit l'issue de ce débat, il est manifeste que l'issue du recours aurait été identique.

Sur les frais et dépens

La présente procédure ne comportant pas de dépens, les demandes formées de ce chef sont sans objet.

Il y a lieu d'allouer à Monsieur [O] [B] la somme de deux mille euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,

Rejette le recours,

Condamne l'AARPI LEGASPHERE Avocats à payer à Monsieur [O] [B] la somme de 2000 euros (DEUX MILLE EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec avis de réception par les soins du greffier aux parties et à Monsieur le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle.

Le présent arrêt a été signé par Madame BUQUANT, Conseiller à la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. PERRIN.- Signé : M. BUQUANT.-

Minute en huit pages.