CA Lyon, 1re ch. civ. A, 12 octobre 2023, n° 21/06334
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Maison Marie (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wyon
Conseillers :
M. Goursaud, M. Gauthier
Avocats :
Selarl De Fourcroy Avocats Associes, Selarl Candé - Blanchard - Ducamp, Me Boyer, Me Dimeglio
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société Fromagerie de [Localité 3] (la société Sofrose), commercialise des produits laitiers et fromagers pour laquelle elle se prévaut d'une exploitation constante de la dénomination « LE [Localité 5] » depuis l'année 2000, associée à la commercialisation d'un fromage, cet usage ayant été autorisé par le maire de la commune de « [Localité 3] ».
Le 18 février 2009, M. [I] a procédé au dépôt de la marque française « [Localité 5] », n° 3630625, pour divers produits et services des classes 29 et 31.
Le 23 avril 2013, était fondée la société European Food Corner, dont M. [I] était gérant.
Le 29 avril 2013, la société European Food Corner a procédé au dépôt de la marque française « MARIE [Localité 5] », n° 4001851, pour divers produits et services des classes 29, 30 et 33.
Le 25 août 2013, la marque « [Localité 5] » était transmise par M. [I] à la société European food corner.
Par lettre du 10 juin 2014 adressée à la société Sofrose, la société European Food Corner a entendu faire valoir auprès de la société Sofrose ses droits sur les marques [Localité 5] et MARIE [Localité 5] et exigé la cessation immédiate de l'usage de la dénomination LE [Localité 5] sur des étiquettes désignant des fromages.
Par lettre du 17 septembre 2014, la société Sofrose a mis en demeure M. [I] et la société European Food Corner de justifier de la validité de leurs marques et de la réalité de leur exploitation.
Par acte d'huissier du 16 décembre 2014, la société Sofrose a fait assigner la société European Food Corner devant le tribunal de grande instance de Lyon, principalement, en annulation des marques [Localité 5] et MARIE [Localité 5] et en versement d'indemnités au titre de la concurrence déloyale.
Le 21 juillet 2015, la société European Food Corner, devenu la société Maison Marie [Localité 5], a procédé au dépôt de la marque semi-figurative « LE [Localité 5] », n° 4198186.
Par jugement rendu le 18 février 2020, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- dit que le dépôt de la marque [Localité 5] n° 3630625 était entaché de fraude en ce qu'elle visait les fromages, le lait, les produits laitiers et les boissons lactées où le lait prédomine;
- prononcé, en conséquence, la nullité de la marque [Localité 5] n° 3630625 pour les fromages, le lait, les produits laitiers et les boissons lactées où le lait prédomine ;
- dit que le dépôt de la marque MARIE [Localité 5] n° 4001851 était entaché de fraude en ce qu'il vise les fromages, le lait et les produits laitiers, le beurre et les boissons lactées où le lait prédomine ;
- prononcé, en conséquence, la nullité de la marque MARIE [Localité 5] n° 4001851 pour les fromages, le lait et les produits laitiers, le beurre et les boissons lactées où le lait prédomine;
- dit que le dépôt de la marque LE [Localité 5] n° 4198186'était entaché de fraude en ce qu'il visait les fromages, le lait et les produits laitiers ;
- prononcé,'en conséquence, la nullité de la marque LE [Localité 5] n° 4198186';
- débouté la société SOFROSE de sa demande en nullité de la marque [Localité 5] n° 3630625 pour atteinte à un droit antérieur et en ce qu'elle vise les oeufs et les produits agricoles, horticoles et forestiers ni préparés ni transformés ;
- débouté la société SOFROSE de sa demande en nullité de la marque MARIE [Localité 5] n° 400185 pour atteinte à un droit antérieur et en ce qu'elle vise les oeufs ;
- dit qu'il n'était pas justifié d'une exploitation sérieuse de la marque [Localité 5] n° 3630625 pour les 'ufs et les produits agricoles, horticoles et forestiers ni préparés ni transformés;
- prononcé, en conséquence, la déchéance de la marque [Localité 5] n° 3630625 pour les 'ufs et les produits agricoles, horticoles et forestiers ni préparés ni transformés, avec effet au 27 mars 2014';
- débouté la société Sofrose de sa demande visant à la publication de la décision au Bulletin officiel de la propriété intellectuelle ;
- condamné la SARL MAISON MARIE [Localité 5] à verser à la SARL FROMAGERE DE [Localité 5] LE CHATEAU les sommes de':
- 5'000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice découlant de l'enregistrement des marques [Localité 5] n° 3630625, MARIE [Localité 5] n° 4001851 et LE [Localité 5] n° 4198186,
- 10'000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale résultant de la création d'un risque de confusion,
- 8'000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile';
- interdit à la SARL MAISON MARIE [Localité 5] d'utiliser, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée, les signes «'LE [Localité 5]'» et «'MARIE [Localité 5]'» pour désigner des fromages, sous quelque forme et support que ce soit et ce, dans un délai de huit mois à compter de la signification du présent jugement;
- débouté la société MAISON MARIE [Localité 5] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- condamné la société MAISON MARIE [Localité 5] à verser à la société SOFROSE la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- rejeté les autres demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration au greffe du 12 mars 2020, la société Maison Marie [Localité 5] a formé appel de ce jugement.
Par ordonnance de référé du 22 juin 2020, le premier président de la cour d'appel de Lyon a rejeté la demande de la société Maison Marie [Localité 5] tendant à obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement frappé d'appel.
Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 8 décembre 2020, l'affaire a été radiée, pour défaut d'exécution par la société Maison Marie [Localité 5].
Dans ses dernières conclusions, n° 3, déposées le 6 décembre 2021, la société Maison Marie [Localité 5] demande à la cour de :
- in limine litis, déclarer irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile la demande de la société Sofrose concernant le nom « [H] », comme prétention nouvelle présentée pour la première fois en cause d'appel ;
- infirmer le jugement ;
- statuant à nouveau :
A titre principal :
- débouter la société Sofrose de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- reconnaître la parfaite validité des marques dénominatives n° 3630625 [Localité 5], n° 4001851 MARIE [Localité 5] et semi-figurative n° 4198186 [Localité 5] ;
dire et juger le grief de concurrence déloyale mal fondé ;
A titre additionnel :
- dire et juger que la demande de la société Sofrose concernant le nom [H] est mal fondée ;
A titre reconventionnel :
- dire et juger que la commercialisation par la société Sofrose d'un fromage sous la dénomination « LE [Localité 5] » constitue un acte de contrefaçon des marques n°3630625 « [Localité 5] », n°4001851 « MARIE [Localité 5] » et n°4198186 « LE [Localité 5] » au sens des articles L. 713-2 et L. 716-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ;
- en conséquence :
- interdire à la société Sofrose de détenir et/ou d'offrir la vente et/ou de vendre tous fromages revêtus illicitement de la marque « [Localité 5] » et, ce, sous astreinte définitive de 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- condamner la société Sofrose à lui payer la somme de 50 000 euros pour le préjudice subi d'atteinte à la valeur distinctive des marques n°3630625 « [Localité 5] », n°4001851 « MARIE [Localité 5] » et n°4198186 « LE [Localité 5] » ;
- condamner la société Sofrose à lui payer la somme de 50 000 euros au titre du préjudice commercial subi ;
- condamner la société Sofrose à lui payer la somme de 15 000 euros pour procédure abusive ;
- condamner la société Sofrose à lui payer la somme de 10 000 euros correspondant aux frais qu'elle a dû engager et au préjudice subi du fait du changement de nom exigé avant qu'une décision définitive ne soit intervenue ;
- condamner la société Sofrose à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens, avec distraction au profit de son conseil, sur son affirmation de droit.
Dans ses conclusions déposées le 28 janvier 2022, la société Sofrose demande à la cour de :
- in limine litis, juger que sa demande concernant le nom « LE SALERAC » est recevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile ;
- à titre principal, confirmer le jugement, sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts qui lui été alloué au titre de la concurrence déloyale et le montant de l'astreinte à laquelle la société Maison Marie [Localité 5] a été condamnée ;
- à titre subsidiaire :
- prononcer la nullité des marques [Localité 5], MARIE [Localité 5] et LE [Localité 5] en raison de l'antériorité et en conséquence :
- la nullité de la marque [Localité 5] n° 3630625 en ce qu'elle vise les fromages, le lait, les produits laitiers et les boissons lactées où le lait prédomine ;
- la nullité de la marque MARIE [Localité 5] n°4001851 en ce qu'elle vise les fromages, le lait et les produits laitiers, le beurre et les boissons lactées où le lait prédomine ;
- la nullité de la marque LE [Localité 5] n°4198186, en ce qu'elle vise les formages, le lait et les produits laitiers ;
- sur son appel incident et statuant à nouveau :
- juger que l'utilisation du nom [H] par la société Maison Marie [Localité 5] pour désigner ses fromages crée un risque de confusion dans l'esprit du public avec le fromage LE [Localité 5] qu'elle commercialise, ce qui est constitutif de concurrence déloyale et lui crée un préjudice ;
- condamner la société Maison Marie [Localité 5] à lui communiquer dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, les éléments comptables et fiscaux relatifs à la vente de ses fromages LE [Localité 5], [Localité 5], MARIE [Localité 5] et LE SALERAC pour les années 2019 à nos jours, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard;
- condamner la société Maison Marie [Localité 5] à cesser toute exploitation des signes LE [Localité 5], [Localité 5], MARIE [Localité 5] et LE SALERAC pour désigner des fromages, à l'identique ou similaire, sous quelque forme, et support que ce soit, et, ce, dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et infraction constatée ;
- condamner la société Maison Marie [Localité 5] à lui verser la somme de 150 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice lié à la concurrence déloyale, somme à parfaire en fonction des documents comptables et fiscaux qui devront être communiqués par l'appelante à l'intimée ;
- condamner la société Maison Marie [Localité 5] à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 février 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se reporter aux conclusions des parties ci-dessus visées, pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de la demande de la société Sofrose concernant la dénomination « LE SALERAC »
La société Maison Marie [Localité 5] soutient que la demande de la société Sofrose, concernant la nouvelle dénomination que l'appelante a donné à ses fromages : « [H] », est nouvelle et irrecevable sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile.
Elle considère que si l'usage par elle de cette dénomination est postérieur au jugement dont appel, c'est un acte distinct de ceux visés dans le cadre de la procédure de première instance. Elle écarte toute application de l'article 566 du code de procédure civile.
En réplique, la société Sofrose allègue de l'utilisation de cette dénomination par la société Maison Marie [Localité 5] depuis le 27 juillet 2021, ce qui constitue un fait nouveau survenu postérieurement au jugement attaqué, ce qui est prévu par l'article 564 du code de procédure civile.
La cour relève que la société Sofrose sollicite, dans le cadre de l'infirmation de la décision attaquée, qu'il soit jugé que l'utilisation par la société Maison Marie [Localité 5] de la dénomination LE SALERAC créée un risque de confusion dans l'esprit du public avec les fromages LE [Localité 5], commercialisés par la demanderesse. L'intimée demande en conséquence la communication sous astreinte des pièces comptables notamment relatives à la commercialisation par la société Maison Marie [Localité 5] du fromage LE SALERAC et la cessation sous astreinte de toute exploitation de cette dénomination par l'appelante. L'intimée étaye en outre le préjudice qu'elle estime avoir subi au titre de la concurrence déloyale - et la demande d'indemnisation qu'elle présente à ce titre - par l'utilisation de la dénomination LE SALERAC.
Il y a ainsi lieu de relever, en premier lieu, que ces demandes sont manifestement nouvelles, et ne sauraient être accueillies dans le cadre de l'infirmation de la décision attaquée, les premiers juges n'en ayant pas été saisis.
En second lieu, s'il n'est pas contesté que le fait de la commercialisation d'un fromage par l'appelante sous la dénomination litigieuse soit survenu postérieurement au jugement attaqué, ce fait ne se rapporte pas directement au litige initial, engagé par la société Sofrose en raison de ce qu'elle reprochait à la société Maison Marie [Localité 5] d'avoir déposé des marques en contravention avec l'usage antérieur de la dénomination « LE [Localité 5] », qu'elle utilise pour la commercialisation de ses produits, demandant à titre principal l'annulation des trois marques litigieuses.
Il convient de noter que c'est ainsi en conséquence de l'annulation de ces marques que la société Sofrose a présenté une demande d'indemnisation pour concurrence déloyale.
Or, le litige que cette société entend soumettre à la cour sur l'usage de la dénomination LE [Localité 5] par la société Maison Marie [Localité 5] ne se rapporte pas à la validité d'une marque déposée par l'appelante et constitue exclusivement un grief de concurrence déloyale.
A cet égard, il ne suffit pas que la société Sofrose ait présenté une demande au titre de la concurrence déloyale devant le premier juge, dans les conditions particulières ci-dessus rappelées, pour qu'elle puisse prétendre que l'ensemble des atteintes dont elle se prévaut à ce titre, qui plus est postérieurement au jugement, se rapportent au litige initial.
En l'ensemble de ces éléments, il doit être retenu que les demandes nouvelles, qui ne sont pas la conséquence des demandes présentées en première instance, reposant sur un point de litige originel consistant dans des dépôts de marques litigieux, et ne tendent dès lors pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, n'en constituent pas plus l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Cette demande est ainsi irrecevable.
Sur la nullité des marques litigieuses pour dépôt frauduleux
À titre infirmatif, la société Maison Marie [Localité 5] fait valoir qu'il n'est pas établi qu'elle devait nécessairement connaître le fromage commercialisé par la société Sofrose dénommé LE [Localité 5]. Elle indique que s'il est démontré que ce fromage est commercialisé depuis le début des années 2000, la quantité de produits vendus dont se prévaut la société Sofrose n'est pas importante, au regard du marché français. Elle se prévaut du caractère distinctif des réseaux de distribution impliqués dans la commercialisation du produit de l'intimée et les siens.
À titre confirmatif, la société Sofrose fait valoir que la preuve de la mauvaise foi dans le dépôt de la marque peut résulter de présomptions, résultant d'indices pertinents et concordants. Elle considère que l'intention de nuire de l'appelante se déduit, en fonction des circonstances temporelles, géographiques et sectorielle de la distribution de son produit, de la présomption de connaissance par l'appelante du nom de produit antérieur, du comportement de M. [I] et de celui de la société Maison Marie [Localité 5].
Sur ce,
Par combinaison du principe « fraus omnia corrumpit » et des dispositions de l'article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle, toute marque déposée en fraude des droits d'autrui, étant nécessairement de mauvaise foi, peut être annulée.
L'annulation d'un dépôt de marque, pour fraude, ne suppose pas la justification de droits antérieurs de la partie plaignante sur le signe litigieux, mais la preuve de l'existence d'intérêts sciemment méconnus par le déposant.
Particulièrement, un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu'il est effectué dans l'intention de priver autrui d'un signe nécessaire à son activité.
Pour apprécier la mauvaise foi, la connaissance qu'a ou doit avoir le demandeur des droits antérieurs du tiers affectés par l'enregistrement ne suffit pas, à elle seule, pour que soit établie l'existence de la mauvaise foi du demandeur dont il doit être en outre apprécié l'intention au moment du dépôt de la demande d'enregistrement.
En l'espèce, la cour relève qu'il n'est pas discuté que la société Sofrose distribuait ses fromages sous dénomination LE [Localité 5] depuis le début des années 2000, tandis que les marques litigieuses ont été déposées entre 2009 et 2015.
Ce laps de temps concourt à présumer la connaissance que la société Maison Marie [Localité 5] avait ou devait avoir des droits antérieurs de l'intimée.
Par ailleurs, il est suffisamment justifié par l'intimée, ce que démontre au demeurant l'analyse des quantités de fromage commercialisées par elle et à laquelle se prête l'appelante - reposant sur l'examen des factures produites par l'intimée depuis 2004 -, que la commercialisation du fromage de l'intimée a procédé de distributeurs nationaux (Carrefour, Champion, Casino, Intermarché) et de la distribution directe dont la société Sofrose se prévaut. Celle-ci justifie de la vente, entre 2001 et 2009, de plus de 365 tonnes de fromages, période durant laquelle il peut être ainsi retenu que la commercialisation de ce produit a été continue et est représentative d'une activité économique emportant diffusion de ses produits, notamment, pour le grand public.
Il sera relevé que ces éléments sont renforcés par ceux faisant notamment état des opérations commerciales engagées par l'intimée autour de ses produits (pièces n° 7 et 9 ter).
De plus, il sera relevé que l'intimée justifie suffisamment de ce que son produit était commercialisé, notamment entre 2007 et 2008, dans des fromageries situées dans le Cantal, en des lieux proches de ceux où M. [I] - qui a déposé la première marque litigieuse avant de la céder à la société qu'il a créée - revendique des attaches, particulièrement le lieu d'habitation de sa grand-mère. Il doit être relevé à cet égard que la société Maison Marie [Localité 5] dispose de son siège social dans ce secteur géographique, ce qui ajoute à la présomption de connaissance du produit litigieux par l'appelante.
En outre, cette connaissance par l'appelante, avant les dépôts de marque litigieux, de la dénomination utilisée par l'intimée est évidemment accréditée par l'identité de nature des produits concernés, en l'occurrence le fromage, ainsi par le fait que les deux parties interviennent dans le même secteur de l'agro-alimentaire, ce qui conduit notamment à écarter l'objection soulevée par la société Maison Marie [Localité 5] tirée de ce que l'étude préalable qu'elle a fait réaliser par un conseil en propriété intellectuelle n'avait révélé aucun droit sur le nom LE [Localité 5].
A cet égard, en ce qui concerne particulièrement la marque semi-figurative LE [Localité 5], qui comprend ainsi à la fois un élément verbal et un élément figuratif, il est manifeste que l'appelante avait connaissance de la dénomination utilisée par l'intimée puisque cette marque a été déposée le 21 juillet 2015, tandis que la société de conseil en propriété industrielle de l'appelante avait adressé à l'intimée, le 11 juin 2014, une lettre lui demandant de cesser toute utilisation de cette dénomination et que la procédure judiciaire était en cours.
Il doit être rappelé qu'il peut être tenu compte d'un faisceau d'indices concordants pour établir la connaissance par l'appelante des droits de l'intimée.
Ainsi, alors qu'il convient d'apprécier cette connaissance au moment du dépôt des marques litigieuses, la cour considère comme inopérantes les considérations invoquées par l'appelante concernant l'absence de caractère important du volume des produits commercialisés, notamment lorsqu'elle entreprend une comparaison avec la quantité globale de fromage commercialisée en France, ou détaille le circuit de distribution de l'intimée en distinguant les ventes auxquelles elle a procédé elle-même ou celles qui sont intervenues par le biais d'une société tierce (Distrisud).
A cet égard, tout aussi inopérant est le moyen tiré de ce que les réseaux de distribution des produits des deux sociétés pouvaient être différents, étant en outre précisé que son argumentation sur ce point est dépourvue d'offre suffisante de preuve, ce qui est le cas également du moyen par lequel l'appelante entend démontrer le caractère restreint de la commercialisation des produits de l'intimée, qui ne repose que sur sa seule enquête (pièce n° 54).
De même, le fait que l'intimée n'ait pu justifier en première instance que le signe « LE [Localité 5] » était une marque notoire est indifférent pour caractériser le défaut de connaissance par l'appelante des produits commercialisés par l'intimé, au moment du dépôt des marques.
Il résulte ce qui précède que M. [I], lorsque celui-ci a déposé ce nom à titre de marque en 2009, et l'appelante, lorsqu'elle est devenue titulaire de cette marque par cession, le 27 août 2013, ou lorsqu'elle a déposé successivement les marques MARIE [Localité 5], le 29 avril 2013, LE [Localité 5], le 11 juillet 2015 avaient ou auraient dû avoir connaissance de l'usage antérieur de la dénomination [Localité 5] par l'intimée.
Par ailleurs, l'intimée soutient, sans être contestée sur ce point, qu'en dépit du dépôt de la marque en 2009 par M. [I], aucun fromage n'a été fabriqué ou distribué par la société Maison Marie [Localité 5] sous cette dénomination avant 2014. Alors que ce fait aurait pu être facilement contredit par la justification d'une exploitation de la marque entre 2009 et 2014, l'appelante n'en justifie pas. Il est au demeurant corroboré par la propre description, par l'appelante, de la commercialisation de ses produits sous marque [Localité 5] (§ 327 des écritures).
L'intimée produit en outre une lettre de la société de conseil en propriété industrielle de l'appelante du 10 juin 2014, dans laquelle il a été fait injonction à l'intimée de cesser l'usage de la dénomination LE [Localité 5] sur ses fromages.
Il ne peut ainsi qu'être relevé la concomitance entre le moment où l'appelante s'est prévalue, en 2014, des marques [Localité 5] et MARIE [Localité 5], enregistrées en 2009 et 2013, la demande en cessation d'utilisation de la dénomination LE [Localité 5] adressée à l'intimée et l'exploitation réelle de ces marques par l'appelante.
Il peut être ajouté sur ce point que si l'appelante se prévaut de l'écho positif de ses produits, et particulièrement de son fromage LE [Localité 5], dans le public ou chez les professionnels (§ 127 des conclusions), elle fait état de distinctions qui ne lui ont été reconnues qu'à partir de 2017, soit près de 17 ans après le début d'utilisation de la dénomination LE [Localité 5], 8 ans après le dépôt de la marque [Localité 5], et bien postérieurement à la cession de cette marque à l'appelante et le dépôt de la marque LE [Localité 5] par l'appelante.
Ainsi, l'appelante, informée de l'existence du fromage commercialisé par l'intimée, était titulaire d'une marque correspondant à la dénomination de celui-ci ([Localité 5]) qu'elle n'a exploitée que de nombreuses années après son dépôt. C'est ainsi dans ce contexte que l'appelante a déposé la marque « Marie [Localité 5] » en 2013, qui n'a été exploitée que l'année suivante.
Il en résulte que l'intention de l'appelante, informée de la dénomination du produit de l'intimée lors du dépôt de ces marques, n'était pas de soutenir ou développer une activité économique préalable, qui ne s'est développée que de nombreuses années après le premier dépôt de marque litigieux.
Il est en outre patent que l'appelante a déposé la marque LE [Localité 5], le 21 juillet 2015, dans le cours de la procédure, en sachant pertinemment que cette exacte dénomination était jusque-là utilisée par l'intimée et alors que celle-ci lui contestait la validité des deux marques antérieures dont l'appelante se prévalait jusqu'à alors.
Ce dépôt de marque, concernant la classe 29 et dès lors les produits fromagers, venait contrecarrer l'utilisation de la dénomination utilisée par l'intimée. Il n'est en outre ni soutenu ni justifié de l'intérêt particulier que pouvait procurer ce dépôt à l'appelante, par rapport à la marque [Localité 5] déposée en 2009, ce qui ne peut résulter du seul fait qu'elle était une marque semi-figurative.
Ce dépôt nourrit la caractérisation d'un dessein poursuivi par l'appelante, à compter du dépôt de la première marque en 2009, visant à contrecarrer l'activité économique de l'intimée, ce qui n'est évidemment pas exclusif de ce que l'appelante ait réellement poursuivi la finalité économique de développement dont elle fait état.
Au regard de l'ensemble des faits et circonstances précédemment relevés, dont il ressort que les dépôts de marque litigieux avaient pour finalité de priver l'intimée d'utiliser le signe distinctif qu'elle utilisait jusqu'alors, la mauvaise foi de l'appelante lors du dépôt des trois marques litigieuses doit être considérée comme suffisamment caractérisée par l'intimée.
L'appelante se prévaut du lien personnel existant entre le patronyme [Localité 5], porté par la grand-mère et l'arrière grand-mère du fondateur de la société, M. [I], et le choix des dénominations de marques. Toutefois, il ne peut qu'être constaté que ce même patronyme correspond également au nom de la commune de [Localité 3], à laquelle se réfère l'intimée pour justifier du choix du nom de son produit et soutient, sans être contredite, avoir obtenu pour ce faire l'accord du maire de la commune.
Il est par ailleurs affirmé mais non établi au demeurant que les aïeules de M. [I] aient fabriqué ou commercialisé le produit litigieux, étant relevé que l'appelante indique que les parents de M. [I] étaient commerçants à [Localité 6].
Le lien patronymique invoqué par l'appelante est ainsi inopérant pour justifier, au regard des éléments apportés par l'intimée, de la bonne foi de l'appelante.
En conséquence de ce qui précède, le jugement doit être confirmé, conformément à la demande de l'intimée sur ce point, en ce qu'il a retenu la nullité, par des motifs que la cour adopte en ce qui concerne le périmètre de l'annulation, de la marque [Localité 5] n° 3630625 en ce qu'elle vise les fromages, le lait, les produits laitiers et les boissons lactées où le lait prédomine, de la marque MARIE [Localité 5] n°4001851 en ce qu'elle désigne les fromages, le lait et les produits laitiers, le beurre et les boissons lactées où le lait prédomine et de la marque LE [Localité 5] n°4198186, pour le fromage, le lait et les produits laitiers.
Sur la nullité des marques litigieuses pour défaut d'antériorité
Il sera relevé que ce n'est qu'à titre subsidiaire, en cas de réformation de la décision attaquée, que la société Sofrose soutient le moyen, déjà élevé devant les premiers juges, qui l'ont écarté, tiré de l'absence de validité des marques litigieuses en raison de leur défaut d'antériorité.
Il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur ce point et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la déchéance de la marque [Localité 5] n° 3630625 pour défaut d'exploitation
À titre infirmatif, la société Maison Marie [Localité 5] estime que les conditions de la déchéance prévues par l'article L. 714-5, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle ne sont pas réunies, précisant que ce texte exige que le délai de cinq ans de non-exploitation soit acquis et n'ait pas été interrompu par un usage sérieux, ce qui ne résulte pas nécessairement d'un usage quantitativement important et peut résider dans des actes préparatoires à l'exploitation de la marque, dont elle estime justifier en l'espèce (listés par le § 327 des conclusions). Elle soutient que si ces actes préparatoires ne sont pas quantitativement importants, ils sont réels et correspondent aux premiers actes de commercialisation des fromages de marque [Localité 5].
Elle fait valoir que des actes postérieurs à la période de cinq ans - pertinente - peuvent être pris en cause. Elle soutient que ces actes s'inscrivent dans un projet défini, comme en atteste la reconnaissance de la qualité de ses produits.
À titre confirmatif, la société Sofrose soutient qu'en application de l'article L. L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, la période de référence de cinq ans court à compter de la publication de l'enregistrement de la marque, soit depuis le 27 mars 2009, jusqu'au 27 mars 2014. Elle conteste la valeur de tous les actes invoqués par l'appelante durant cette période.
Elle écarte également tout caractère probant aux actes intervenus durant la période intermédiaire courant entre le 27 mars 2014 et le 16 septembre 2014, soulignant que l'appelante ne fait état que de la vente de douze fromages, le 2 septembre 2014, dont elle suspecte qu'elle ne corresponde à aucune vente réelle, et indique qu'il ne constitue qu'un acte isolé.
Concernant les trois mois précédant l'assignation, dite « période suspecte », elle indique que le commencement d'usage de la marque [Localité 5] n'a aucun effet, entendant rappeler que le 18 septembre 2014, son conseil a adressé une lettre à l'appelante pour l'aviser du risque de déchéance de sa marque.
Elle conteste toute portée utile aux actes postérieurs à la demande de déchéance, dans la mesure où il n'y a eu aucun usage de la marque durant la période pertinente.
Sur ce,
Selon l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, en sa rédaction applicable au litige :
Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans.
Est assimilé à un tel usage :
a) L'usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque ou, pour les marques collectives, dans les conditions du règlement ;
b) L'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif ;
c) L'apposition de la marque sur des produits ou leur conditionnement exclusivement en vue de l'exportation.
La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée. Si la demande ne porte que sur une partie des produits ou des services visés dans l'enregistrement, la déchéance ne s'étend qu'aux produits ou aux services concernés.
L'usage sérieux de la marque commencé ou repris postérieurement à la période de cinq ans visée au premier alinéa du présent article n'y fait pas obstacle s'il a été entrepris dans les trois mois précédant la demande de déchéance et après que le propriétaire a eu connaissance de l'éventualité de cette demande.
La preuve de l'exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tous moyens.
La déchéance prend effet à la date d'expiration du délai de cinq ans prévu au premier alinéa du présent article. Elle a un effet absolu.
En outre, il résulte de l'application des dispositions de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle et de celles de l'article R. 712-23 du même code, qui en précise la portée, que le délai de cinq ans prévu par le premier de ces textes court à compter de la date d'enregistrement de la marque, lorsque celle-ci n'a pas été exploitée, qui est déterminée par sa publication au bulletin officiel de la propriété industrielle.
Par ailleurs, une marque fait l'objet d'un usage sérieux lorsqu'elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l'identité d'origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, ce qui suppose l'utilisation de la marque sur le marché pour désigner chacun des produits ou services couverts par son enregistrement.
L'usage sérieux doit ainsi s'entendre d'un usage qui n'est pas effectué à titre symbolique, aux seules fins du maintien des droits conférés par la marque.
En l'espèce, il est constant que l'enregistrement de la marque litigieuse, [Localité 5], a été publiée le 27 mars 2009. La période de référence a ainsi couru du 27 mars 2009 au 27 mars 2014.
Il doit être relevé que l'appelante n'invoque aucun acte d'exploitation durant les quatre premières années suivant l'enregistrement de la marque litigieuse.
Par ailleurs, étant rappelé que la nullité de la marque [Localité 5], à raison de la fraude constatée, a été prononcée pour les fromages, le lait, les produits laitiers et les boissons lactées ou le lait prédomine, l'enjeu de la déchéance de cette marque porte sur les autres produits visés par les classes 29 et 31 et particulièrement, les oeufs, les produits agricoles, horticoles et forestiers ni préparés, ni transformés.
Or, il ne peut qu'être constaté que l'appelante n'invoque d'usage sérieux de la marque litigieuse, durant la période de référence, que pour le fromage [Localité 5].
Il en résulte, d'une part, qu'il faut considérer que la marque, pour les produits concernés, n'a pas fait l'objet d'une exploitation. D'autre part, les moyens que l'appelante invoque pour justifier d'un usage sérieux de la marque, qui ne concernent que le fromage sous dénomination [Localité 5] et non les autres produits pour lesquels la déchéance de marque est demandée, sont inopérants.
Le seul acte notable concernant plus généralement la marque est la cession de celle-ci, intervenue entre le titulaire initial de la marque, M. [I], et la société Maison Marie [Localité 5] le 1er juillet 2013.
Cependant, il doit être relevé que, la société (antérieurement European Food Corner) a été créée par M. [I] qui est le dirigeant.
Ainsi, en l'absence de tout acte antérieur, cet acte isolé ne traduit aucune utilisation de la marque sur le marché effectué aux fins de maintenir l'identification du produit auprès des consommateurs ou utilisateurs finaux et ne peut être considéré comme un usage sérieux. Il ne constitue qu'un acte de gestion, lié à la volonté du titulaire de la marque de modifier les conditions juridiques d'exploitation de la marque.
Dès lors, il doit être retenu que l'appelante ne justifie d'aucun usage sérieux de la marque durant la période de cinq années suivant la publication de l'enregistrement de la marque.
Il y a ainsi lieu de confirmer les premiers juges, en ce qu'ils ont prononcé la déchéance de la marque [Localité 5], à effet du 27 mars 2014, pour les oeufs, les produits agricoles, horticoles et forestiers ni préparés, ni transformés.
Sur l'indemnisation en raison de l'enregistrement des marques litigieuses
Par un chef de dispositif qui est critiqué par l'appelante, mais sans qu'elle ne soutienne de moyens de droit ou de fait à l'appui de sa demande, le tribunal - dont l'intimée demande la confirmation sur ce point - a condamné la société Maison Marie [Localité 5] à payer à la société Sofrose la somme de 5 000 euros au titre du préjudice résultant du seul enregistrement des marques litigieuses.
La cour approuve le tribunal, en ses motifs et en sa décision sur ce point, qui sera confirmée.
Sur l'action en concurrence déloyale
À titre infirmatif, l'appelante soutient que les produits en cause ont une identité propre en ce qu'ils n'ont pas la même composition, ne s'adressent pas à la même clientèle et qu'ils répondent de réseaux de distribution distincts. Elle soutient que la marque ombrelle Marie [Localité 5] exclut tout risque de confusion sur le terrain de la concurrence déloyale, le patronyme correspondant aux aïeux de M. [I] et le nom de Marie [Localité 5] étant ceux de ses grand-mère et arrière-grand-mère, cet ancrage familial étant rappelé dans sa communication. Elle indique que d'autres sociétés utilisent le terme [Localité 5] et que ce nom fait davantage référence à une commune qu'au nom du produit. Elle écarte ainsi tout risque de confusion ou toute volonté de s'immiscer dans le sillage de la société Sofrose. Elle demande ainsi l'infirmation du jugement, tant pour les mesures d'interdiction sous astreinte qu'il prescrit, que pour les dommages-intérêts alloués.
À titre confirmatif, l'intimée estime qu'il estime un risque de confusion majeur du fait de l'identité de son produit avec celui de l'appelante. Elle estime que si la marque a été déposée pour la dénomination [Localité 5], cela n'illustre que la volonté de l'appelante de créer une confusion. Elle estime que l'appelante, lorsqu'elle demande à titre reconventionnel sa condamnation pour contrefaçon, reconnaît le risque de confusion pour cette marque, comme pour la marque MARIE [Localité 5], estimant que l'élément dominant de celle-ci est [Localité 5], ainsi que pour la marque LE [Localité 5], à raison de l'identité ou de la similitude des signes en cause, ainsi que de l'identité des produits visés. Elle estime que les produits présentent le risque d'une confusion à raison de leurs présentations, leurs modes de commercialisation et des circonstances géographiques de l'affaire.
À titre infirmatif, sur le quantum, l'intimée demande que son préjudice soit indemnisé par l'allocation de la somme de 150 000 euros, en considération de l'évolution des chiffres d'affaires respectifs des parties quant à la commercialisation du fromage et de la persistance de l'appelante dans son comportement déloyal.
Sur ce,
La cour rappelle que constitue notamment un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale et, particulièrement, tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n'importe quel moyen avec l'établissement, les produits ou l'activité industrielle ou commerciale d'un concurrent.
Comme l'a rappelé le tribunal, cette confusion peut ainsi résulter de l'adoption de signes distinctifs identiques ou similaires à ceux utilisés antérieurement par un concurrent.
En application des articles 1382 et 1383, devenus les articles 1240 et 1241, du code civil, il appartient à celui qui invoque l'existence d'actes de concurrence déloyale, de caractériser notamment la ou les fautes qui auraient été commises par son concurrent.
En l'espèce, il est constant que les parties sont des concurrents, comme ayant pour activité, notamment, la commercialisation de produits fromagers. Comme l'a indiqué le tribunal, il est tout aussi établi que l'appelante a commercialisé un fromage, en l'occurrence une tomme, sous la dénomination LE [Localité 5] alors que l'intimée exploitait antérieurement, et depuis plusieurs années, ce signe pour vendre un produit de nature identique.
Préalablement, la cour ne peut ainsi que constater, comme le suggère l'intimée, qu'il résulte de l'analyse même de l'appelante, développée au titre de sa demande reconventionnelle en contrefaçon, que la dénomination LE [Localité 5], utilisée par l'intimée, et les marques [Localité 5], MARIE [Localité 5] et LE [Localité 5], dont l'appelante est titulaire, créent un risque de confusion en raison de l'identité, de la similitude des signes en cause, ainsi que de l'identité des produits visés, en l'occurrence le fromage (conclusions de l'appelante, § 249 et 250).
Le risque de confusion, au sens de l'article L 713-2°) du code de la propriété intellectuelle, tel que soutenu par la société Maison Marie [Localité 5], peut être constitutif de faits de concurrence déloyale.
Par ailleurs, le litige entre les parties résulte de l'utilisation de la dénomination et de marques concernant des produits fromagers. S'il peut être entendu que la composition de ceux-ci n'est pas la même (le produit de l'appelante étant issu selon elle uniquement du lait de la vache de Salers alors celui de l'intimée alliait trois variétés de lait), cette différence de composition, en l'état des présentations produites par l'appelante, n'était pas mise en avant lors de la commercialisation de ces produits.
En raison de l'identité de nature des produits, la différence de conditionnement entre eux (tomme « individuelle », pour l'appelante, commercialisation à la coupe pour l'intimée), n'est pas plus discriminante.
Il en résulte que, pour l'un ou pour l'autre de ces produits, le consommateur avait comme référence principale de distinction le nom des produits, qui étaient les mêmes.
Dans ces conditions, le consommateur, moyennement avisé, était ainsi confronté à deux produits, de même nature, et portant le même nom (LE [Localité 5]).
En outre, si l'appelante se prévaut de différences dans les circuits de distribution, son offre de preuve n'est pas satisfaisante, se prévalant pour l'essentiel d'une enquête qu'elle a réalisée elle-même (pièce n° 54). Le seul fait que son fromage apparaisse dans certaines références de magazine ou de salon n'est à cet égard pas probant. En conséquence, il ne peut retenu que les deux produits s'adressaient nécessairement à des clientèles différentes.
L'utilisation de la marque « ombrelle » Marie [Localité 5], en ce qu'elle comporte le même patronyme que le produit fromager du concurrent, ne peut en outre être considéré comme un facteur de différenciation permettant d'écarter la confusion.
Le critère géographique, invoqué par l'appelante, ne parait par ailleurs pas suffisamment distinctif, l'intimée n'étant pas démentie lorsqu'elle indique que les deux sociétés sont situées à une centaine de kilomètres l'une de l'autre, étant précisé que l'une et l'autre des parties invoquent des critères de rattachement géographique (à la commune de [Localité 3], pour l'une, aux origines familiales de son dirigeant dans le Cantal pour l'autre) qui ne sauraient influer sur la perception des produits par le consommateur achetant le produit, en l'état des emballages reproduits par les parties dans leurs conclusions qui ne font aucune allusion précise à ces origines.
Il convient de relever en outre les conditions dans lesquelles l'appelante a déposé ses marques, ce qui a amené le tribunal, puis la cour, à considérer ces dépôts comme frauduleux, en ce qu'ils visaient à priver l'intimée de la possibilité d'exploiter la dénomination sous laquelle elle commercialisait son fromage depuis l'année 2000.
Au vu de ce qui précède, il doit être retenu l'existence d'un risque d'association entre le produit de l'appelante et celui de l'intimée et, dès lors, d'un risque de confusion constitutif de faits de concurrence déloyale.
Sur le préjudice, il convient de relever que l'intimée demande de manière contradictoire l'allocation d'une indemnité à ce titre, élevée à la somme de 150 000 euros, et la condamnation de son adversaire à produire sous astreinte les documents justificatifs des éléments comptables et fiscaux relatifs à la vente des fromages [Localité 5], [Localité 5], MARIE [Localité 5] et LE SALERAC, étant rappelé qu'en ce qui concerne ce dernier produit, le présent arrêt a déclaré l'intimée irrecevable en sa demande.
La cour, tenue par le dispositif des écritures de l'intimée, d'une demande en versement d'une indemnité, et non d'une provision, considère que la demande en communication de pièces, dont il convient au demeurant de préciser qu'elle aurait dû être présentée utilement dans le cadre de la mise en état de l'affaire, est dès lors sans objet et la rejettera.
Pour la fixation du préjudice, dont il convient de rappeler que son existence résulte nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, il y a lieu de prendre en compte le chiffre d'affaires attaché au produit litigieux réalisé par l'appelante et l'évolution de celui de l'intimée, tels que celle-ci les décrit. A cet égard, sans susciter de critique utile de l'appelante sur ce point, il résulte des éléments produits par l'intimée un infléchissement des ventes de cette dernière à partir de 2014, tandis que celles de l'appelante croissent pour atteindre 77 % de son chiffre d'affaires, étant toutefois noté que le chiffre d'affaires réalisé ne correspond pas au profit qui en résulte.
Au vu de ces éléments, il convient d'élever le montant des dommages-intérêts dus à l'intimée à la somme de 40 000 euros.
Le jugement sera ainsi réformé, sur le quantum, en ce qu'il a condamné l'appelante à verser à l'intimée la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Par ailleurs, afin de faire cesser la concurrence déloyale, le jugement sera confirmé - ce qui correspond à la demande de l'intimée - en ce qu'il a interdit à l'appelante, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée, d'utiliser les signes « LE [Localité 5] » et « MARIE [Localité 5] » pour désigner des fromages, sous quelque forme que ce soit et ce, dans un délai de huit mois à compter de la signification du présent arrêt.
Sur l'action en contrefaçon de la société Maison Marie [Localité 5]
L'appelante forme des demandes au titre de la contrefaçon, qui reposent sur les trois marques dont elle est titulaire. Elle précise dans ses écritures (p. 69) que sa demande se fonde spécifiquement sur les produits « laits et produits laitiers, fromages, relevant de la classe 29 pour la marque [Localité 5] n° 3630625, le « lait et produits laitiers, fromages », relevant de la classe 29 pour la marque MARIE [Localité 5] n°4001851 et les « laits et produits laitiers, formages » pour la marque LE [Localité 5] n°4198186.
Pour ce qui concerne les marques MARIE [Localité 5] et LE [Localité 5], la portée de l'annulation prononcée par le présent arrêt, confirmant le jugement, écarte tout fondement à la demande de l'appelante.
Il en est de même pour ce qui concerne la marque [Localité 5], en raison de l'annulation de la marque pour le fromage, le lait et les produits laitiers.
Comme le tribunal, la cour retient ainsi que les demandes relatives à la contrefaçon formée par la société Maison Marie [Localité 5] ne sont pas fondées.
Sur les autres demandes
La demande principale de l'intimée concernant les faits de concurrence déloyale liés à l'utilisation par l'appelante de la dénomination Le SALERAC étant irrecevable, sa demande visant à enjoindre l'appelante à communiquer des éléments comptables et fiscaux relatifs à la vente de son fromage Le SALERAC est sans objet.
La demande reconventionnelle, indemnitaire, de l'appelante correspondant aux frais qu'elle a dû engager et au préjudice subi du fait du changement de nom exigé avant qu'une décision définitive ne soit intervenue est, en raison de la confirmation du jugement de première instance, pour l'essentiel, n'est pas fondée.
L'appelante, qui perd en cette instance, sera condamnée à en supporter les dépens, avec distraction au profit du conseil de l'intimée.
Au vu de l'équité, la demande de l'appelante au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée et elle sera condamnée de verser à ce titre à l'intimée la somme de 8 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Déclare la société Fromagerie de [Localité 3] (Sofrose) irrecevable en ses demandes se rapportant à l'utilisation du nom [H] par la société Maison Marie [Localité 5] ;
Confirme le jugement, sauf, sur le quantum, en ce qu'il a condamné la société Maison Marie [Localité 5] à payer à la société Sofrose la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts représentative des dommages-intérêts dus au titre de la concurrence déloyale ;
L'infirmant de ce chef et, STATUANT À NOUVEAU :
Condamne la société Maison Marie [Localité 5] à payer la somme de 40 000 euros à la société Sofrose, représentative des dommages-intérêts dus au titre de la concurrence déloyale résultant de la création d'un risque de confusion ;
Y AJOUTANT,
Précise que l'astreinte fixée par le jugement court à compter d'un délai de huit mois suivant la signification du présent arrêt ;
Rejette le surplus des demandes des parties ;
Condamne la société Maison Marie [Localité 5] aux dépens ;
Condamne la société Maison Marie [Localité 5] à payer à la société Sofrose la somme de 8 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejette sa demande.