CA Toulouse, 2e ch., 4 octobre 2023, n° 22/00458
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pharmacorp (SAS)
Défendeur :
Maxipharma (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
M. Balista, M. Penavayre
Avocats :
Me Remaury, Me Beaugendre, Me Beaugendre
EXPOSE DU LITIGE
La Sas Pharmacorp est un groupement de pharmacies qui anime un réseau d'officine depuis 18 ans sur [Localité 4], la Sas Maxipharma étant également un groupement de pharmacies né à [Localité 4] plus récemment.
Suivant constat d'huissier du 12 décembre 2019, a été relevé, à la diligence de la Sas Pharmacorp, le nom des adhérents au groupement de pharmacies de la Sas Maxipharma, figurant sur le site internet de celle- ci.
Arguant du fait que son concurrent se prévalait faussement d'un nombre supérieur d'affiliés à la réalité et qu'une pharmacie référencée par son concurrent ne faisait pas partie de son groupement, la Sas Pharmacorp a, par acte du 19 février 2020, fait assigner devant le tribunal de commerce de Toulouse la Sas Maxipharma en communication déloyale et trompeuse, au visa des articles 1240 du Code civil et L. 121-1 du Code de la consommation.
La Sas Maxipharma a conclu en première instance au débouté de la partie adverse.
Par jugement du 10 janvier 2022, le tribunal de commerce de Toulouse a :
- débouté la société Pharmacorp de ses demandes à l'encontre de la société Maxipharma au titre de dommages et intérêts ;
- débouté la société Maxipharma de ses demandes à l'encontre de la société Pharmacorp à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive;
- débouté les parties de toutes autres demandes, fins ou prétentions, plus amples ou contraires ;
- condamné la société Pharmacorp à payer à la société Maxipharma la somme de 2500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;
- condamné la société Pharmacorp aux entiers dépens de l'instance.
La Sas Pharmacorp a interjeté appel de cette décision le 28 janvier 2022.
La clôture de la procédure est intervenue le 15 mai 2023.
Vu les conclusions notifiées par Rpva le 12 mai 2023 auxquelles il est fait référence pour l'exposé de l'argumentaire de la Sas Pharmacorp demandant à la cour de :
- infirmer en son entier le jugement du Tribunal de commerce de Toulouse du 10 janvier 2022 et statuer à nouveau comme suit,
- déclarer que la société Maxipharma a commis au préjudice de la société Pharmacorp des actes de concurrence déloyale en violation de l'article 1240 du Code civil ;
- déclarer qu'elle a également, par sa communication déloyale et trompeuse, porté' atteinte aux articles L. 121-1 et L. 121-2 du Code de la consommation;
- condamner la société Maxipharma à payer la somme de 30.000 € à la société Pharmacorp en réparation des préjudices économique et moral causés par le comportement déloyal de ce concurrent ;
- condamner la société Maxipharma à supporter les frais de publication d'un communiqué judiciaire reprenant les termes du dispositif de l'arrêt à intervenir, sur tout support (papier et/ou électronique), au choix de la société Pharmacorp, dans la limite de 3 parutions (presse économique, presse professionnelle, presse spécialisée dans les réseaux) et pour un montant maximal de 5.000 € ht par insertion ;
- condamner la société Maxipharma à publier ce communiqué judiciaire en page d'accueil de son site internet, sous le titre "PUBLICATION JUDICIAIRE", en caractères Arial de taille 14, ce pendant deux mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, la cour se réservant la liquidation de l'astreinte ;
- débouter la société Maxipharma de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Maxipharma à payer à la société Pharmacorp la somme de 513,20 euros au titre des frais d'huissier que celle- ci a été contrainte d'exposer ;
- condamner la société Maxipharma aux entiers dépens, de première instance et d'appel, à rembourser à la société Pharmacorp la somme de 2.500 € par elle réglée au titre des frais irrépétibles en exécution du jugement entrepris et à payer à la société Pharmacorp la somme de 7.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile pour couvrir les frais irrépétibles par elle exposés en première instance et en appel ;
Vu les conclusions notifiées par Rpva le 9 mai 2023 auxquelles il est fait référence pour l'exposé de l'argumentaire de la Sas Maxipharma demandant à la cour de :
- juger que l'action intentée par la société Pharmacorp est bien fondée sur l'articulation combinée des dispositions de l'article 1240 du Code civil et des articles L.121-1 et suivants du Code de la consommation ;
- déclarer que la société Pharmacorp échoue à démontrer que les mentions querellées du site Internet de la société Maxipharma seraient de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique des pharmacies, laboratoires et/ou patients au sens des dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;
- déclarer par conséquent que les mentions querellées du site Internet de la société Maxipharma ne constituent pas des pratiques commerciales trompeuses au sens des dispositions des articles L. 121-1 et suivants du Code de la consommation ;
- déclarer par conséquent qu'aucun acte de concurrence déloyale ne peut être reproché à la société Maxipharma au sens des dispositions de l'article 1240 du Code civil ;
- déclarer au surplus que la société Pharmacorp échoue à faire la moindre démonstration d'une faute de concurrence déloyale distincte et autonome au sens des dispositions de l'article 1240 du Code civil ;
- débouter la société Pharmacorp de sa demande d'indemnisation à hauteur de 30.000 €, comme étant infondée, et en tout état de cause sans objet et manifestement disproportionnée ;
- débouter la société Pharmacorp de sa demande de publication, comme étant infondée, et en tout état de cause sans objet et manifestement disproportionnée ;
- débouter au surplus, la société Pharmacorp de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société Pharmacorp à verser à la société Maxipharma la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Pharmacorp aux entiers dépens par application de l'article 699 du Code de procédure civile ;
MOTIFS DE LA DECISION
L'appelante fonde son action à la fois sur les dispositions de l'article 1240 du Code civil, anciennement 1382 du même code, pour concurrence déloyale, et sur les dispositions de l'article 121-1 du Code de la consommation qui prohibe les pratiques commerciales trompeuses.
Aux termes de l'article L. 121-2 du Code de la consommation, dans sa version applicable à la date du constat d'huissier produit, une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :
1°Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent;
2°Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service;
c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;
d) Le service après-vente, la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation ;
e) La portée des engagements de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;
f) L'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;
3°Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n'est pas clairement identifiable.
Au visa de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, pour qu'une pratique commerciale soit qualifiée de trompeuse, elle doit être contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altérer ou être de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique des personnes, consommateurs ou professionnels, qu'elle vise.
Au visa de l'article 1240 du Code civil, l'action en concurrence déloyale suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
En l'espèce, au visa d'un constat d'huissier du 12 décembre 2019, il est reproché à la société Maxi Pharma d'avoir faussement mentionné sur son site internet « 20 ans d'expertise », d'avoir faussement référencé sur son site internet la pharmacie du centre, située à [Localité 3], comme faisant partie de ses adhérents, d'avoir faussement mentionné sur le même site qu'elle bénéficiait d'un nombre d'adhérents supérieur à 50 pharmacies alors que seuls 32 officines y étaient listées et qu'il n'est pas établi que plus de 50 officines étaient affiliées à Maxi Pharma, à la date du constat.
La page d'accueil du site litigieux porte en gros caractères, la mention « Quel avenir pour votre officine », sa consultation établissant que le site est essentiellement destiné aux professionnels de la pharmacie, en premier lieu les pharmaciens, en second les laboratoires, dans le cadre d'accords commerciaux à venir.
Le constat établit également que 32 officines sont listées comme adhérentes au 12 décembre 2019, les pages consultées par l'huissier ne mentionnant pas l'affirmation d'un nombre d'adhérents supérieur à 50 (pièce n° 6).
Maxi Pharma produit 76 bulletins d'adhésion à son groupement dont 37 sont antérieurs au constat d'huissier.
La cour observe que l'affirmation d'un nombre d'adhérents supérieur à 50 ne ressort que d'un extrait du site internet de Maxi Pharma, avec mention d'une impression le 20 janvier 2020 (pièce n° 5 de l'appelante), qui n'a aucune date certaine et n'est pas contemporain des constatations de l'huissier.
En conséquence, les pièces produites n'établissent pas que Maxi Pharma revendiquait au moins 50 adhérents au 12 décembre 2019.
Par ailleurs, comme l'a relevé à bon droit le jugement, la simple consultation effectuée par l'huissier en décembre 2019 permettait de dénombrer précisément les adhérents listés de sorte que l'utilisateur du site pouvait parfaitement se faire une idée de l'ampleur du groupement Maxi Pharma.
Il n'est donc pas établi que les affirmations de Maxi Pharma sur l'ampleur de son réseau étaient de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique des utilisateurs du site, d'autant que ces utilisateurs étaient principalement des professionnels et que la conclusion d'un partenariat avec Maxi Pharma par ces professionnels, par nature avisés, supposait le recueil de nombre d'informations supplémentaires qui ne figuraient pas sur le site.
De surcroît, la société Pharmacorp n'établit pas qu'elle a subi un préjudice, ne démontrant par aucune pièce une perte d'adhérents en lien avec la faute qu'elle impute à Maxi Pharma, étant acquis que la mention d'un nombre d'adhérents supérieur à 50 ne figure plus sur le site internet de la société Maxi Pharma.
Concernant la revendication de « 20 ans d'expérience », qui figure non dans le constat d'huissier mais dans l'extrait du site internet produit pas Pharmacorp, il y est indiqué que « Forts d'expériences réussies de plus de 20 ans, les fondateurs [de Maxi Pharma] allient à la fois vision stratégique du marché et mise en 'œuvre d'un concept efficace et reconnu ».
Comme à bon droit relevé par le jugement, le grief de fausse allégation n'est pas caractérisé en ce que la mention d'une expérience de 20 ans ne fait pas référence à la date de création de la société Maxi Pharma mais au cursus de ses membres, dont il est justifié, M. [C] ayant notamment été employé par le laboratoire Vichy de 1986 à 1999 avant de devenir directeur commercial à compter de 1999.
Concernant l'affirmation, relevée par l'huissier en décembre 2019, de l'adhésion de la Pharmacie du Centre au groupement Maxi Pharma, le grief de fausse allégation est établi par la production de l'attestation du gérant de cette pharmacie (pièce n° 8 de l'appelante) et du bulletin d'adhésion correspondant à Pharmacorp (pièce n° 4), qui démontre que cette pharmacie était adhérente du réseau concurrent.
Le fait que cette mention résulte, au visa d'une attestation du gérant de la société informatique Itekcom, en charge de la maintenance du site Maxi Pharma, d'une erreur technique, n'a pas un caractère exonératoire.
Il appartient toutefois à l'appelante de démontrer que cette affirmation était de nature à altérer de manière substantielle le comportement des professionnels ou particuliers pouvant consulter le site.
Le fait qu'une seule pharmacie, sur un total de 32 officines listées par l'huissier, soit faussement désignée comme adhérente du groupement Maxi Pharma n'est pas significatif d'une tromperie et ne peut, à lui seul, démontrer une telle altération substantielle ni l'existence d'un préjudice en lien avec cette affirmation.
Maxi Pharma produit les statistiques de consultation de son site qui établissent la consultation sur la France entière par 213 utilisateurs sur la période courant du 01 juillet 2020 au 29 septembre 2020, ce qui représente une moyenne d'un peu plus de deux utilisateurs par jour et démontre un périmètre assez limité de consultation.
La société Pharmacorp ne démontre pas une perte d'adhérents alors qu'elle revendiquait, en mai 2022 (pièce n° 16 de l'intimée), 400 pharmacies adhérentes, soit un nombre bien supérieur à sa concurrente.
Il n'est donc pas établi que la mention erronée de l'affiliation de la Pharmacie du Centre, qui ne figure plus sur le site de la société intimée, a pu induire en erreur les utilisateurs du site en les déterminant à contracter avec Maxi Pharma ou qu'elle a occasionné un préjudice à l'appelante.
Dès lors, faute de démontrer l'existence des griefs ou une altération substantielle et un préjudice, c'est à bon droit que le jugement a débouté l'appelante de ses demandes en concurrence déloyale et pratiques commerciales trompeuses et de la demande complémentaire en publication de la décision.
Sur les demandes annexes
L'équité commande d'allouer à la société Maxi Pharma la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.
Partie perdante, la société Pharmacorp supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 10 janvier 2022.
Y ajoutant,
Condamne la Sas Pharmacorp à payer à la Sas Maxi Pharma la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel.
Condamne la Sas Pharmacorp aux dépens d'appel.