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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 novembre 2023, n° 22/20535

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Teleco (SAS), Teleco (SPA)

Défendeur :

Electronics (SAS), Societe Archibald (Selarl), SR Mecatronic (SRL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Rohart, M. Richaud

Avocats :

Me Guyonnet, Me Massot, Me Ingold, Me Vion

T. com., Sens, du 24 janv. 2017, n° 2015…

24 janvier 2017

EXPOSE DU LITIGE

Le groupe Teleco, qui conçoit, fabrique et commercialise depuis les années 1970 des antennes paraboles satellites pour véhicules de loisir, tels les camping-cars et les caravanes, est constitué notamment de la société de droit italien Teleco SpA, sa société-mère, et de la SAS Teleco, distributeur exclusif de ses produits en France depuis 2011, tels la gamme d'antennes "Flat Sat" lancée en 2007.

La société de droit italien SR Mecatronic, créée en 2008, exerce la même activité et commercialise ses produits en France depuis février 2012 par l'intermédiaire de la SAS DMS Electronics, son distributeur exclusif jusqu'à à sa liquidation judiciaire prononcée par jugement du 17 décembre 2019 rendu par le tribunal de commerce de Sens désignant la Selarl Archibald, prise en la personne de Maître [F] [N], en qualité de liquidateur judiciaire.

Reprochant aux sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics de commercialiser en France des antennes similaires aux siennes dans leur architecture ainsi que dans leurs caractéristiques techniques, d'utiliser les termes "Flat Sat" et "Flat Sat Skew" et de diffuser des publicités trompeuses portant atteinte à son image et créant un risque de confusion, notamment par association, la SAS Teleco a :

- fait dresser un procès-verbal de constat par huissier de justice le 11 octobre 2013 et a diligenté une expertise privée le 19 novembre 2013 ;

- fait dresser par huissier de justice d'autres procès-verbaux de constat les 11 juillet et 26 aout 2014 ;

- été autorisée, par ordonnance du 17 septembre 2014 rendue sur requête par le président du tribunal de commerce de Sens sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, à faire pratiquer par huissier de justice des opérations de constat dans les locaux de la SAS DMS Electronics. Ces dernières se déroulaient le 9 octobre 2014.

C'est dans ces circonstances que la SAS Teleco a, par acte d'huissier signifié les 30 décembre 2014 et 21 janvier 2015, assigné les sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics devant le tribunal de commerce de Sens en réparation des préjudices causés par leurs actes de concurrence déloyale et parasitaire et de publicité trompeuse. La société Teleco SpA intervenait volontairement à l'audience et les organes de la procédure collective étaient assignés en intervention forcée le 29 janvier 2020.

Par jugement du 24 janvier 2017, le tribunal de commerce de Sens a :

- déclaré la demande de la société Teleco recevable ;

- débouté la société Teleco de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté partiellement les sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics de leurs demandes reconventionnelles ;

- condamné la SAS Teleco à payer à la SAS DMS Electronics la somme de 7 500 euros et à la société SR Mecatronic Srl celle de 7 500 euros à sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la SAS Teleco aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise et de traduction.

Sur appel des sociétés Teleco SAS et Teleco SpA du 24 mars 2017, la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 4 novembre 2020 rectifié le 13 janvier 2021, confirmé le jugement en toutes ses dispositions, débouté les sociétés Teleco SAS et Teleco SpA de leurs demandes et condamné in solidum ces dernières à payer à la société SR Mecatronic la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.

Cependant, par arrêt du 19 octobre 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, elle rejette la demande en réparation fondée sur une pratique commerciale trompeuse au titre de l'année 2016, et en ce qu'elle statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, et ce pour les motifs suivants :

Vu l'article L. 121-1, devenu L. 121-2, du code de la consommation :

15. Aux termes de ce texte, une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes : ['] 2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : [']

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service.

16. Pour rejeter la demande des sociétés Teleco fondée sur l'existence de pratiques déloyales et trompeuses au sens des articles L. 120-1 et L. 121-2 du code de la consommation, l'arrêt se prononce par des moyens vainement critiqués par les deux premières branches du troisième moyen.

17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Mecatronic n'avait pas continué à affirmer cette même spécificité en 2016 et si cette affirmation n'était pas trompeuse à cette date, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision.

Par déclaration reçue au greffe le 5 décembre 2022, les sociétés Teleco SAS et Teleco SpA ont saisi la cour de renvoi.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 2 février puis le 4 avril 2023 par la voie électronique et signifiées le 8 février 2023 à la société SR Mecatronic , les sociétés Teleco SAS et Teleco SpA demandent à la cour, au visa des articles L. 120-1 et L. 121-1 et suivants du code de la consommation :

- de déclarer sociétés Teleco et Teleco SpA recevables en leur appel et bien fondées en leurs demandes ;

- de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé les demandes de la SAS Teleco recevables, mais de l'infirmer en ce qu'il a :

* débouté la SAS Teleco de l'ensemble de ses demandes ;

* condamné la SAS Teleco à payer la somme de 7500 euros à la SAS DMS Electronics et à payer la somme de 7500 euros à la société SR Mecatronic sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamné la SAS Teleco aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise et de traduction et les frais de greffe liquidés à la somme de 93,60 euros ;

- et statuant à nouveau :

* de dire et juger que les sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics se sont livrées à des pratiques commerciales déloyales et trompeuses au sens des articles L 120-1 et L 121-1 du code de la consommation ;

* en conséquence, d'ordonner aux sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics, prise en la personne de la Selarl Archibald représentée par Maître [N] ès qualités de liquidateur judiciaire, la cessation immédiate de l'utilisation, dans tous documents, et notamment dans tous documents publicitaires et commerciaux, de pratiques commerciales déloyales et trompeuses, notamment l'utilisation d'une ou plusieurs des allégations suivantes, selon lesquelles :

° les produits SR Mecatronic seraient "robustes et de très haute qualité" ;

° les produits SR Mecatronic seraient des produits "de très haute qualité et solidité" ;

° la société SR Mecatronic aurait "sélectionné les meilleurs fournisseurs de composants en Europe" ;

° les produits SR Mecatronic seraient "volontairement légèrement surdimensionnés en termes de performance, ce qui permet d'utiliser les antennes dans des conditions extrêmes" ;

° les produits SR Mecatronic seraient "pilotés par des process et des logiciels des plus avancés" ;

° les produits SR Mecatronic seraient "haut de gamme" ;

° les produits SR Mecatronic seraient "à la pointe de la technologie" et "le plus à l'avant-garde sur le marché au point de vue technologique" ;

° les produits SR Mecatronic seraient "au sommet de leur catégories de référence" ;

° les produits SR Mecatronic seraient des produits qui garantiraient "des performances exceptionnelles" ;

° "les antennes SR Mecatronic continueront de fonctionner normalement lors du passage au DVB-S2. Pour les autres antennes, il sera nécessaire de changer le positionneur pour retrouver la compatibilité avec le DVB-S2 et donc pour pointer le satellite" ;

° un des atouts de ses produits "est le système DVB-S2 MP4 Full HD aux performances absolument supérieures grâce à sa sensibilité de signal et sa vitesse extraordinaire de transmission des données par rapport aux systèmes normalement utilisés sur le marché" ;

* de dire et juger que les actes litigieux ont causé un préjudice à la SAS Teleco d'un montant de 150 000 euros au titre des pratiques commerciales déloyales ;

- en conséquence, de condamner la société SR Mecatronic à payer à la SAS Teleco la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes litigieux ;

- de fixer la créance des sociétés Teleco et Teleco SpA à l'égard de la SAS DMS Electronics prise en la personne de son liquidateur à la somme de 180 000 euros en principal et se composant comme suit :

* 150 000 euros au titre des pratiques commerciales déloyales et trompeuses ;

* 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* 15 000 euros au titre des publications judiciaire ;

- d'ordonner l'inscription de cette créance des sociétés Teleco et Teleco SpA au passif de la SAS DMS Electronics ;

- d'ordonner la publication par extraits de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil des sites internet de la société SR Mecatronic (srmecatronic.com) sur un espace égal à un quart de l'écran, pendant une durée d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard ;

- d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues au choix de la SAS Teleco, notamment dans "Lyonne", et aux frais de la société SR Mecatronic, dans la limite d'un plafond hors taxes global de 15 000 euros pour l'ensemble des trois publications, et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

- de dire et juger qu'en application de l'article L 131-3 du code des procédures civiles d'exécution, les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par la cour ayant statué sur la présente demande ;

- de condamner la société SR Mecatronic à payer à la SAS Teleco la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de dire et juger l'ensemble des demandes des sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics irrecevables et mal fondées, et de les en débouter ;

- condamner la société SR Mecatronic aux entiers dépens, y compris les frais de constat, dont distraction au profit de la SCP AFG, avocat au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 21 septembre 2023, la société SR Mecatronic demande à la cour, au visa des articles 624 et 638 du code de procédure civile et L. 121-1 du code de la consommation, de :

- déclarer irrecevables comme se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de paris en date du 4 novembre 2020 rectifié par l'arrêt du 13 janvier 2021 les demandes des sociétés Teleco et Teleco SpA tendant à :

* infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Sens le 24 janvier 2017 en ce qu'il a débouté la SAS Teleco de l'ensemble de ses demandes et condamné la SAS Teleco aux frais d'expertise et frais de traduction ;

* ordonner aux sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la cessation immédiate de l'utilisation, dans tous documents, et notamment dans tous documents publicitaires et commerciaux, de pratiques commerciales déloyales et trompeuses, notamment l'utilisation des allégations visées pages 21 et 22 du dispositif de leurs écritures ;

- débouter sociétés Teleco et Teleco SpA de leurs demandes ;

- statuant dans les limites de la cassation partielle :

* juger que la société SR Mecatronic n'a commis aucun acte constitutif de publicité trompeuse au titre de l'année 2016 au préjudice des sociétés Teleco et Teleco SpA ;

* confirmer le jugement du tribunal de commerce ayant débouté les sociétés Teleco et Teleco SpA de leurs demandes formées à l'encontre de la société SR Mecatronic au titre de la publicité déloyale et trompeuse ;

- à titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour infirmait le jugement sur les actes prétendus de publicité trompeuse en 2016, confirmer le jugement du tribunal ayant débouté les sociétés Teleco et Teleco SpA de leurs demandes formées à l'encontre de la société SR Mecatronic en l'absence de preuve d'un quelconque préjudice subi par la SAS Teleco ;

- confirmer la condamnation in solidum des sociétés Teleco et Teleco SpA aux frais d'expertise et de traduction ;

- confirmer la condamnation in solidum des sociétés Teleco et Teleco SpA à verser à la société SR Mecatronic les sommes de 7 500 euros et 6 000 euros respectivement octroyées par le tribunal de commerce et la cour d'appel de Paris au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeter toutes autres demandes des sociétés Teleco et Teleco SpA ;

- y ajoutant :

* condamner in solidum les sociétés Teleco et Teleco SpA à verser à la société SR Mecatronic la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner sociétés Teleco et Teleco SpA aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Frédéric Ingold, avocat au Barreau de Paris conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 21 septembre 2023, la SAS DMS Electronics, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, demande à la cour, au visa des articles 623, 624, 631 et 638 du code de procédure civile et L. 121-1 du code de la consommation, de :

- déclarer irrecevables comme se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 novembre 2020 rectifié par l'arrêt du 13 janvier 2021 les demandes des sociétés Teleco et Teleco SpA tendant à :

* infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Sens le 24 janvier 2017 en ce qu'il a débouté la SAS Teleco de l'ensemble de ses demandes et condamné la SAS Teleco aux frais d'expertise et frais de traduction ;

* ordonner aux sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la cessation immédiate de l'utilisation, dans tous documents, et notamment dans tous documents publicitaires et commerciaux, de pratiques commerciales déloyales et trompeuses, notamment l'utilisation des allégations visées pages 21 et 22 du dispositif de leurs écritures ;

- statuant dans les limites de la cassation partielle :

* juger que la SAS DMS Electronics n'a commis aucun acte constitutif de publicité trompeuse au titre de l'année 2016 au préjudice des sociétés Teleco et Teleco SpA ;

* confirmer le jugement du tribunal de commerce ayant débouté les sociétés Teleco et Teleco SpA de leurs demandes formées à l'encontre de la SAS DMS Electronics au titre de la publicité déloyale et trompeuse ;

* à titre subsidiaire, confirmer le jugement du tribunal de commerce ayant débouté sociétés Teleco et Teleco SpA de leurs demandes formées à l'encontre de la SAS DMS Electronics au titre de la publicité déloyale et trompeuse en l'absence de preuve de la diffusion par la SAS DMS Electronics, en 2016, de propos relatifs aux antennes Mecatronic mensongers ;

* à titre infiniment subsidiaire, confirmer le jugement du tribunal de commerce ayant débouté sociétés Teleco et Teleco SpA de leurs demandes formées à l'encontre de la SAS DMS Electronics en l'absence de preuve d'un quelconque préjudice subi par les sociétés Teleco et Teleco SpA ;

* en toute hypothèse :

° débouter les sociétés Teleco et Teleco SpA de leurs demandes formées à l'encontre de la SAS DMS Electronics ;

° confirmer le jugement du tribunal de commerce dans les limites de la cassation partielle en ce qu'il a débouté les sociétés Teleco et Teleco SpA de l'intégralité de leurs demandes formées à l'encontre des sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics ;

° condamner in solidum les sociétés Teleco et Teleco SpA à verser à la SAS DMS Electronics, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

° condamner in solidum les sociétés Teleco et Teleco SpA aux entiers dépens, dontdistraction au profit de Maître Frédéric Ingold, avocat au barreau de Paris conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 octobre 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur le périmètre de l'appel

Moyens des parties

Les sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics, qui développent une argumentation identique sur ce point, exposent que la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 4 novembre 2020 uniquement en ce qu'il a rejeté la demande en réparation fondée sur une pratique commerciale trompeuse unique au titre de l'année 2016 (i.e. la mention relative à l'utilisation du tuner DVB-S2 Full HD), et en ce qu'il a statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile. Elles en déduisent que les demandes relatives aux actes de concurrence déloyale et parasitaire et aux faits de publicité trompeuse portant sur les autres allégations visées ainsi que celles touchant aux frais d'expertise et de traduction sont définitivement jugées et rejetées.

Les sociétés Teleco et Teleco SpA ne répondent pas spécifiquement sur ce point.

Réponse de la Cour

En application des articles 623, 631, 638 et 639 du code de procédure civile, devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation, qui peut être totale ou partielle, et l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation, la juridiction de renvoi statuant sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.

Aux termes de l'arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2022, l'arrêt du 4 novembre 2020 rectifié le 13 janvier 2021 n'est partiellement cassé qu'en ce que, "confirmant le jugement, il rejette la demande en réparation fondée sur une pratique commerciale trompeuse au titre de l'année 2016, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile".

Ainsi, les demandes des sociétés Teleco et Teleco SpA formées au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, objet des premier et deuxième moyens jugés infondés, ainsi que celles portant sur des pratiques commerciales déloyales et trompeuses en 2014, visées par le troisième moyen pris en ses deux premières branches à nouveau estimé non fondé par la Cour de cassation, sont définitivement rejetées. Concernant ces dernières, le moyen des sociétés Teleco et Teleco SpA était limité à la présentation des antennes de la société SR Mecatronic comme les seules à être pourvues d'un pointeur doté d'un équipement respectant la norme DVB-S2. Aussi, les autres allégations, divisibles et non soumises à la Cour de cassation qui a d'ailleurs cassé l'arrêt exclusivement pour une pratique de 2016 envisagée au singulier, ne peuvent plus aujourd'hui être discutées, qu'elles aient été publiées en 2014 ou en 2016 (en ce sens, cité par les intimées, 2ème Civ., 21 février 2002, n° 99-20.711, rendu au visa de l'article 624 du code de procédure civile : "la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire").

Il en est de même des frais de traduction et d'expertise privée, peu important que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, ils ne relèvent effectivement pas des dépens, faute d'être des frais afférents à l'instance au sens de l'article 695 du code de procédure civile, mais des frais irrépétibles non visés par l'article 639 du code de procédure civile. En effet, alors que la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions, chef de dispositif qui, seul, intègre celles relatives à ces frais spécifiques, le pourvoi ne les critiquait pas et la Cour de cassation, à qui ils n'étaient de ce fait pas soumis, n'a pu prononcer sur ce point de cassation. Sa référence aux dépens et aux frais irrépétibles ne concerne dans cette logique que ceux engagés en appel et en première instance, hors cette inclusion.

Or, en vertu de l'article 1351 devenu 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée, qui n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, la chose demandée devant être la même, la demande fondée sur la même cause et formée entre les mêmes parties, par elles et contre elles en la même qualité, constitue une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile.

Aussi, sont irrecevables les demandes des sociétés Teleco et Teleco SpA qui tendent à l'infirmation du jugement en ce qu'il les a déboutées de l'ensemble de leurs demandes ainsi qu'au prononcé d'une injonction de cesser l'emploi de diverses allégations tenues en 2014 et en 2016, à l'exception de celle portant sur l'utilisation du tuner DVB-S2 Full HD publiée en 2016, et la cour d'appel de renvoi n'est saisie que des demandes indemnitaires et de publications judiciaires fondées sur une pratique commerciale déloyale et trompeuse en 2016 tenant à la référence au tuner DVB-S2 Full HD et des prétentions au titre des frais irrépétibles et des dépens d'appel et de première instance en tant qu'ils ne portent pas sur les frais de traduction et d'expertise privée.

2°) Sur la pratique commerciale déloyale et trompeuse

Moyens des parties

Au soutien de leurs prétentions, les sociétés Teleco et Teleco SpA exposent que, en 2016, les sociétés SR Mecatronic et DMS Electronics ont publié des allégations mensongères consistant à présenter leurs produits comme les "seules antennes qui utilisent toujours un tuner DVB-S2 Full HD", alors que la SAS Teleco utilise cette technologie au moins depuis 2010, notamment pour les antennes de sa gamme FLAT SAT, les autres allégations étant fausses tant sur les performances propres du système DVB-S2 que sur la qualité et le positionnement sur le marché des produits commercialisés par la société SR Mecatronic et son distributeur exclusif. Elles précisent que ces actes leur causent un préjudice résidant, d'une part, dans une chute de leur chiffre d'affaires en 2012 et 2013 alors que le marché était en pleine croissance et que leurs résultats étaient par ailleurs en progression, et, d'autre part, dans le ternissement de leur image.

En réponse, la société SR Mecatronic expose qu'elle a cessé, en 2016, de déclarer auprès de la clientèle qu'elle était la seule à lui proposer des antennes paraboliques dotées d'un dispositif DVB-S2, comme elle le faisait avant 2014, l'unique mention persistante sur son site internet français à cet égard étant noyée dans un texte de 35 lignes et consistant à préciser à la clientèle que ses antennes étaient les seules à être "toujours" dotées d'un tel pointeur, ce qui est exact. Elle ajoute que l'altération du comportement du consommateur n'est pas établie. Subsidiairement, elle explique que le préjudice allégué, qui n'a pas varié en son quantum en dépit du rejet de l'essentiel des demandes des sociétés Teleco et Teleco SpA, n'est pas démontré, les pièces produites, qui n'ont en elles-mêmes pas de force probante, portant sur des exercices antérieurs aux faits allégués.

La SAS DMS Electronics, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, explique que la publication d'allégations sur le site exploité par la société SR Mecatronic ne lui est pas imputable. Subsidiairement, elle conteste le principe et la mesure du préjudice allégué dans les mêmes termes que la société SR Mecatronic.

Réponse de la cour

En application de l'article L. 121-1 (anciennement L. 120-1) du code de la consommation dans sa version applicable aux faits litigieux, les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7.

Et, conformément à l'article L. 121-2 2°b du code de la consommation dans sa version applicable aux faits litigieux, une pratique commerciale est trompeuse lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service.

Ces dispositions doivent, conformément au principe posé par l'arrêt Von Colson et Kamann c. Land Nordhein-Westfalen du 10 avril 1984, être interprétées à la lumière de l'article 6§1 de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 qu'elles transposent en droit interne. A ce titre, la CJUE a précisé que le caractère trompeur d'une pratique commerciale dépend uniquement de la circonstance qu'elle est mensongère en ce qu'elle contient des informations fausses ou que, d'une manière générale, elle est susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen à propos, notamment, de la nature ou des caractéristiques principales d'un produit ou d'un service et que, de ce fait, elle est susceptible d'amener celui-ci à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise en l'absence d'une telle pratique. Elle a ajouté que les éléments constitutifs d'une pratique commerciale trompeuse sont conçus essentiellement dans l'optique du consommateur en tant que destinataire de pratiques commerciales déloyales et correspondent en substance à la seconde condition caractérisant une pratique de cette nature, telle qu'elle est énoncée à l'article 5§2 b de cette directive, mais sans référence à la contrariété de la pratique avec les exigences de la diligence professionnelle (CHS Tour Services GmbH c. Team4 Travel GmbH, 19 septembre 2013, C-435/11, §42 et 43).

Aux termes du procès-verbal de constat du 6 avril 2016 (pièce 6.6 des sociétés Teleco et Teleco SpA), la société SR Mecatronic, qui exploite seule le site accessible sous le nom de domaine srmecatronic.com, publiait à cette date sur ce dernier, dans un argumentaire laudatif de 33 lignes introduit par le titre "Une technologie d'avant-garde à votre service", la phrase suivante : "A présent nos antennes satellites à pointage automatique sont le produit le plus à l'avant-garde sur le marché au point de vue technologique, les seules antennes qui utilisent toujours un tuner DVB-S2 Full HD pour pointer le satellite [']".

Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Teleco et Teleco SpA, la société SR Mecatronic ne prétend pas dans cette communication promotionnelle être la seule à utiliser ce dispositif en 2016, à l'exclusion de tous ses concurrents qui ne l'exploiteraient pas, mais que ses antennes sont "toujours" dotées de ce tuner spécifique. Cet adverbe, qui signifie en son sens premier, la totalité du temps sur une période considérée, comporte trois dimensions : la permanence, la systématicité et l'actualité. Aussi, leur argument tiré de leur usage personnel de cette technologie depuis 2010 n'est pas pertinent, seul comptant l'exactitude de l'assertion selon laquelle la société SR Mecatronic est l'unique acteur du marché à en avoir pourvu toutes ses antennes de manière continue depuis leur première commercialisation jusqu'en 2016.

Or, alors qu'elles supportent la charge de la preuve de la fausseté de l'allégation, comme celle de la démonstration de son aptitude à induire le consommateur en erreur et à déterminer son acte d'achat, les sociétés Teleco et Teleco SpA ne prouvent pas qu'elles ont, à la différence de la société SR Mecatronic (ses pièces 14.1 à 14.17, 14 bis, 15 et 15 bis, et la pièce 6.4 des sociétés Teleco et Teleco SpA), doté tous leurs dispositifs du tuner évoqué dès l'origine et systématiquement, les mentions informatives figurant sur le site internet du groupe révélant l'abandon en juillet 2017, pour certaines antennes, de la technologie antérieure DVB-S (pièce 16 non contestée en sa teneur de la société SR Mecatronic), dont l'emploi est confirmé par le procès-verbal de constat du 11 octobre 2013 (pièce 6.2 des sociétés Teleco et Teleco SpA). Elles ne démontrent pas non plus que les concurrents utilisaient de manière continue depuis les premières commercialisations le dispositif en cause, les pièces produites ne concernant d'ailleurs pas des antennes paraboles pour véhicules de loisirs (leur pièce 7.10) ou ne disant rien des équipements antérieurs à ceux promus (leur pièce 7.11). Enfin, elles ne fournissent aucun élément susceptible d'établir l'aptitude du message à altérer substantiellement le comportement du consommateur, la seule ambiguïté de l'adverbe "toujours", étant sur ce point très insuffisante.

Ce constat vaut pour les autres mentions, évoquées à titre contextuel faute d'être intégrées dans le périmètre de saisine de la Cour. A supposer qu'elles le soient, elles relèvent d'une exagération commerciale usuelle et de ce fait admissible, qu'elles portent sur les mérites d'une technologie standard conçue par un tiers ou sur la qualité de ses propres antennes, présentées non comme les meilleurs produits du marché mais comme appartenant avec d'autres à cette catégorie.

En conséquence, aucune pratique commerciale déloyale et trompeuse n'étant prouvée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes des sociétés Teleco et Teleco SpA, qui ne produisent de surcroît pas la moindre pièce permettant d'imputer à la SAS DMS Electronics l'allégation en débat.

Surabondamment, la Cour constate que, s'il s'infère nécessairement d'actes de publicité mensongère constitutifs de concurrence déloyale un trouble commercial générant un préjudice, fût-il seulement moral (en ce sens, Com., 28 septembre 2010, n° 09-69272), encore faut-il que le lien de causalité entre le préjudice allégué et la faute soit caractérisé et qu'une indemnisation au titre d'un préjudice moral, distinct par nature d'un préjudice matériel avec lequel il ne peut se confondre au sein d'une réparation globalement déterminée, soit, le cas échéant, sollicitée. Or, les sociétés Teleco et Teleco SpA poursuivent l'indemnisation d'un préjudice commercial, et non moral, qu'elles évaluent en considération d'une chute de leur chiffre d'affaires durant les années 2012 et 2013 (ou 2014 selon leur pièce 8.3), soit antérieurement aux faits litigieux. Elles y intègrent sans ventilation un préjudice d'image que rien n'étaye. Aussi, elles ne démontrent l'existence d'aucun préjudice réparable.

2°) Sur les demandes accessoires

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance, les frais de traduction et d'expertise privée étant pour leur part définitivement jugés.

Succombant en leur appel, les sociétés Teleco et Teleco SpA, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, seront condamnées in solidum à supporter les entiers dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société SR Mecatronic et à la SAS DMS Electronics, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 4 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Déclare irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée les demandes des sociétés Teleco et Teleco SpA qui tendent à l'infirmation du jugement en ce qu'il les a déboutées de l'ensemble de leurs demandes ainsi qu'au prononcé d'une injonction de cesser l'emploi de diverses allégations tenues en 2014 et en 2016, à l'exception de celle portant sur l'utilisation du tuner DVB-S2 Full HD publiée en 2016, et dit que la cour d'appel de renvoi n'est saisie que des demandes indemnitaires et de publications judiciaires fondées sur une pratique commerciale déloyale et trompeuse en 2016 tenant à la référence au tuner DVB-S2 Full HD et des prétentions au titre des frais irrépétibles et des dépens d'appel ;

Confirme, dans les limites de sa saisine sur renvoi après cassation, le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette la demande des sociétés Teleco et Teleco SpA au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum les sociétés Teleco et Teleco SpA à payer à la société SR Mecatronic et à la SAS DMS Electronics, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 4 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés Teleco et Teleco SpA aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés directement par Maître Frédéric Ingold conformément à l'article 699 du code de procédure civile.