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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 14 septembre 2023, n° 22/14203

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Entraide Funéraire (EURL)

Défendeur :

Service Catholique des Funérailles (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gérard

Conseillers :

Mme Combrie, Mme Vincent

Avocats :

Me Chaillol, Me de Haut de Sigy

T. com. Aix-en-Provence, du 17 oct. 2022…

17 octobre 2022

EXPOSE DU LITIGE

La société Entraide Funéraire exploite un établissement secondaire de services et articles funéraires à [Adresse 4] depuis le 2 janvier 2013.

Le 20 juillet 2022, reprochant à la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5], installée au numéro 66 de la même rue, une concurrence déloyale et une atteinte à l'ordre public de par l'usage du mot « catholique » dans son nom commercial, la société Entraide Funéraire a saisi le juge des référés du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence.

La société Entraide Funéraire a sollicité la suspension sous astreinte du mot «'catholique'» dans l'activité commerciale, administrative, d'information ou de publicités en général de la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] dans sa marque et son nom commercial.

Par ordonnance en date du 17 octobre 2022 le juge des référés du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a statué en ces termes :

- Déboutons la société ENTRAIDE FUNERAIRE de l'ensemble de ses demandes,

- Condamnons la société ENTRAIDE FUNERAIRE à verser à la société SERVICE CATHOLIQUE DES FUNERAILLES D'[Localité 3] ET [Localité 5] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamnons la société ENTRAIDE FUNERAIRE aux dépens, qui comprennent notamment le coût des frais de greffe liquidés à la somme de 40,65 euros TTC dont TVA 6,77 euros,

- Rappelons que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit

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Par acte du 26 octobre 2022 la société Entraide Funéraire a interjeté appel.

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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 22 novembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Entraide Funéraire (EURL) fait valoir que':

- l'organisation des obsèques est une mission de service public aux termes des articles 2223-19 et 2223-40 du code général des collectivités territoriales de sorte que le principe de laïcité s'applique ; le préfet n'est pas chargé de contrôler le nom des sociétés habilitées, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge,

- la mention du mot « catholique » dans l'activité commerciale est donc contraire à la loi,

- la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] est à l'origine d'une concurrence déloyale ; elle contrevient à l'interdiction de démarchage, notamment dans les édifices religieux, et se présente comme une association à but non lucratif et non comme une société commerciale'; le juge des référés est compétent pour faire cesser les actes de concurrence déloyale en l'état du risque de confusion dans l'esprit de la clientèle.

Ainsi, la société Entraide Funéraire demande à la cour, au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, 873 du code de procédure civile, de :

- ordonner la suspension du mot « Catholique » dans l'activité commerciale, administrative, d'information ou de publicités en général de la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] dans sa marque, nom commercial,

- enjoindre à la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] de signifier à l'entreprise Entraide Funéraire requérante un constat d'huissier à ses frais, confirmant qu'elle a enlevé le mot catholique de toute sa communication commerciale et administrative inscrite sur :

- la façade du bureau commercial [Adresse 2] à [Localité 3],

- les cartes de visite,

- tous les documents présents dans les églises et établissements religieux de type/document publicitaire/document de contrat obsèques,

- site internet,

- publicité internet et sites référenceurs pro (pages jaunes et meilleures pompes funèbres),

- sur les adresses électroniques,

:https://s-c-f.org

:https://s-c-f.org/prévoirsesobsèques/nous-contacter

:https://s-c-f.org/le-scf/nos-équipes/nos-agences-en-France/[Localité 3]

- sur le nom du domaine du site internet,

- toute communication administrative avec les organes de contrôle et d'habilitation préfectorale

et ce,

- sous astreinte de 2.000 euros HT à compter de la signification de la décision à venir,

- dire que la liquidation de l'astreinte se fera devant le même magistrat, par la présentation d'une décision définitive ou avec l'accord des parties,

- condamner la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] à payer à la concluante une provision de 12.000 euros HT à valoir sur le préjudice subi, et par précaution pour liquider l'astreinte au vu du faible capital social de 800 euros de l'intimée,

- condamner la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] à payer à la concluante la somme de 6.280 euros toutes taxes comprises en application de l'article 700 du code de procédure civile au vu des frais déjà exposé qui comprendront les frais de constat d'huissier, ainsi qu'à la somme de 2.000 euros réglés en première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

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Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 13 décembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5], société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) réplique que :

- la société Entraide Funéraire ne démontre pas l'existence d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 873 du code de procédure civile ; elle n'a pas à respecter les principes de laïcité et de neutralité du service public dès lors qu'il ne s'agit pas d'une «'délégation de service public » ; à défaut l'habilitation ne lui aurait pas été donnée par le préfet ; d'autres sociétés de pompes funèbres font référence à une appartenance religieuse ;

- l'article L. 2223-28 du code général des collectivités territoriales ne lui est pas applicable'; le procès-verbal de constat produit par la requérante n'établit pas l'existence d'une promotion indirecte de ses services dans un édifice religieux et cet édifice ne peut être considéré en tout état de cause comme un édifice « public » ; les pièces dont fait état l'huissier de justice ont été fournies par son gérant lui-même,

- la société Entraide Funéraire ne démontre pas en quoi le mot «'catholique'» créerait une confusion dans l'esprit de la clientèle,

- la demande de dommages et intérêts est infondée en l'absence de faute de sa part'; aucune urgence n'est démontrée dans la mesure où elle exerce depuis 2018 et n'a commis aucun acte de concurrence déloyale depuis.

La société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] demande ainsi à la cour de :

Vu l'article 873 du Code de procédure civile,

Vu les articles L. 2223-19, L. 2223-23, L. 2223-28 et L. 2223-33 du Code Général des collectivités territoriales,

Vu les jurisprudences et pièces versées aux débats,

- RECEVOIR le SERVICE CATHOLIQUE DES FUNERAILLES dans ses conclusions, les disant bien fondées ;

- CONSIDERER que le SERVICE CATHOLIQUE DES FUNERAILLES n'a commis aucune violation de la règle de droit ;

- CONSIDERER qu'ENTRAIDE FUNERAIRE ne démontre l'existence d'aucun trouble manifestement illicite de la part du SERVICE CATHOLIQUE DES FUNERAILLES ;

- CONSIDERER qu'ENTRAIDE FUNERAIRE ne démontre l'existence d'aucune obligation qui ne serait pas sérieusement contestable ;

- DEBOUTER ENTRAIDE FUNERAIRE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

- CONFIRMER en conséquence l'ordonnance du Président du Tribunal de commerce du 17 octobre 2022 en ce qu'elle a :

o Débouté la société ENTRAIDE FUNERAIRE de l'ensemble de ses demandes ;

o Condamné la société ENTRAIDE FUNERAIRE à verser à la société SERVICE CATHOLIQUE DES FUNERAILLES D'[Localité 3] ET D'[Localité 5] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

o Condamné la société aux dépens, qui comprennent notamment le coût des frais de greffe liquidés à la somme de 40,65 euros TTC dont TVA 6,77 euros.

- CONDAMNER ENTRAIDE FUNERAIRE à payer au SERVICE CATHOLIQUE DES FUNERAILLES la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER ENTRAIDE FUNERAIRE aux entiers dépens ;

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article 872 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Par ailleurs, en application de l'article 873 du même code, le président peut, dans les mêmes limites et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans tous les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

En l'espèce, il apparaît que le trouble invoqué par la société Entraide Funéraire ne revêt pas un caractère «manifestement'» illicite au sens de l'article 873 du code de procédure civile.

En effet, d'une part, la question relative à l'application des principes de laïcité et de neutralité aux sociétés de pompes funèbres, en ce qu'elle suppose une interprétation des articles L. 2223-19 et suivants du code général des collectivités ainsi qu'une analyse de la notion de « délégation de service public », relève d'un débat au fond.

Le juge des référés, juge de l'évidence, et pas davantage la cour statuant en sa formation des référés, n'ont compétence à l'effet de trancher le litige, a fortiori s'agissant d'une juridiction commerciale.

En outre, le trouble ne peut être qualifié de manifeste alors même que l'intimée établit que d'autres sociétés funéraires se revendiquent d'une confession religieuse sous des intitulés du type « Pompes funèbres israélites », « Pompes funèbres musulmanes », attestant que le débat soulevé par la société Entraide Funéraire devant le juge des référés revêt une portée incontestablement plus générale que le conflit opposant les deux parties en la cause (pièces 1, 2, 3, 4 et 5 de l'intimée).

D'autre part, au visa de l'article 1240 du code civil, est prohibée la concurrence déloyale entre sociétés, laquelle est caractérisée par des agissements s'écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicable dans les activités économiques et régissant la vie des affaires.

En l'espèce, la société Entraide Funéraire ne démontre pas en quoi le terme « catholique » inséré dans la dénomination de la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] constituerait une manœuvre déloyale.

En tout état de cause, à supposer que la société Entraide Funéraire établisse le détournement potentiel de clientèle du seul fait de cette mention et qu'elle établisse le caractère déloyal de l'apposition de cette mention, les éléments fournis au juge des référés ne permettent pas à ce stade de caractériser un trouble évident et contraire aux règles.

Par ailleurs, la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] est elle-même installée depuis le 1° octobre 2018 dans la même rue que la société Entraide Funéraire sous la même enseigne, de sorte que les deux sociétés ont cohabité à minima pendant plusieurs années, excluant une situation d'urgence relevant du juge des référés.

La société Entraide Funéraire ne démontre pas davantage en quoi la suppression du terme «'catholique'» serait de nature à faire cesser la confusion qu'elle allègue entre les deux dénominations alors même qu'a contrario, le retrait d'une mention présentant un caractère distinctif est de nature à accroître la ressemblance entre les deux enseignes.

Enfin, il convient de rappeler qu'en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui est libre dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal.

A cet égard, la société Entraide Funéraire ne démontre pas en quoi le dépôt de cartes de visites au nom de son concurrent dans certaines églises constituerait un démarchage illicite, étant relevé que le procès-verbal établi le 3 décembre 2021 ne procède pas directement au constat de ce dépôt mais recueille les pièces remises par M. [U], gérant de la société Entraide Funéraire (pièce 17 de l'appelante).

A supposer même que la diffusion de prospectus et cartes de visites de la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] soit établie, le débat relatif à la question de savoir si les édifices religieux relèvent d'édifices « publics » ou non, et par suite, peuvent accueillir la diffusion d'offres commerciales, excède de la même façon les pouvoirs du juge des référés, l'avis délivré le 22 mars 2022 par M. [J] [F], agrégé des Facultés de droit, attestant du questionnement existant sur ce point (pièce 6 de l'intimée).

En tout état de cause, la proximité implicitement reprochée par la société Entraide Funéraire entre des membres de l'Église catholique et la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5], telle qu'elle ressort de la plainte pénale déposée le 27 avril 2022 par M. [U] (pièce 4 de l'appelante) s'inscrit dans une problématique excédant la compétence du juge des référés.

En conséquence, il y a lieu de confirmer l'ordonnance contestée en toutes ses dispositions.

La société Entraide Funéraire, partie succombante en cause d'appel, conservera la charge des dépens et sera tenue de payer à la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] la somme de 2.000 euros à la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5].

PAR CES MOTIFS

La cour, par arrêt contradictoire,

Confirme l'ordonnance rendue le 17 octobre 2022 par le juge des référés du tribunal de commerce d'[Localité 3]-en-Provence,

Y ajoutant,

Condamne la société Entraide Funéraire aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la société Entraide Funéraire à payer à la société Service Catholique des Funérailles d'[Localité 3] et [Localité 5] la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.