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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 14 septembre 2023, n° 23/00096

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

SNC ALTA CRP (SNC)

Défendeur :

Dexe (P) Groupe (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme De Rocquigny Du Fayel

Conseillers :

Mme Igelman, Mme Chaumet

Avocats :

Me Dupuis, Me Alves, Me Cohen-Trumer, Me Atlar

TJ Versailles, 15 décembre 2022, n° 22/0…

15 décembre 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous-seing privé du 6 août 2014, la société Alta Crp [Localité 2] a donné à bail à M. [M] [P], agissant à titre personnel ainsi qu'en qualité de représentant légal de la société Dexe [P] devenue Dexe [P] Groupe, un local d'une surface d'environ 182 m² accompagné d'une terrasse de 60 m² environ, dépendant du centre commercial[4]3 à [Localité 2], pour y exercer une activité de : « Café, thé, à déguster sur place et à emporter, ainsi que peitte restauration vendu par l'enseigne COLUMBUS CAFE ».

Le contrat de bail prévoit un loyer fixe d'un montant de 54 600 euros hors taxe et hors charges ainsi qu'un loyer variable additionnel fixé à 0,75% du chiffre d'affaires annuel réalisé par le preneur.

Dans la nuit du 31 août au 1er septembre 2019, un incendie s'est déclenché dans le local donné à bail à la société Dexe [P] Groupe.

Le 11 septembre 2020, la société Alta Crp [Localité 2] a procédé à la remise des clefs du local après reconstruction au locataire, qui a repris son activité le 1er juin 2021 après des travaux d'aménagement.

Par acte d'huissier de justice délivré le 1er juillet 2022, la société Alta Crp [Localité 2] a fait assigner en référé la société Dexe [P] Groupe aux fins d'obtenir principalement sa condamnation au paiement de la somme provisionnelle de 246 985,92 euros au titre des loyers impayés.Par ordonnance contradictoire rendue le 15 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- dit n'y avoir lieu à référé,

- débouté la société Alta Crp [Localité 2] de sa demande provisionnelle,

- débouté la société Alta Crp [Localité 2] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Alta Crp [Localité 2] aux dépens de l'instance,

- condamné la Alta Crp [Localité 2] à verser à la société Dexe [P] Groupe la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue au greffe le 5 janvier 2023, la société Alta Crp [Localité 2] a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.

Dans ses dernières conclusions déposées le 16 mai 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Alta Crp [Localité 2] demande à la cour, au visa des pièces, des articles 700 et 835 du code de procédure civile et 1134 du code civil, de :

'infirmer l'ordonnance de référé du 15 décembre 2022 en ce qu'elle a :

- dit n'y avoir lieu à référé ;

par conséquent,

- déboute la société Snc Alta Crp [Localité 2] de sa demande provisionnelle ;

- déboute la société Snc Alta Crp [Localité 2] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la société Snc Alta Crp [Localité 2] aux dépens de l'instance ;

- condamne la Snc Alta Crp [Localité 2] à verser à la société Dexe [P] Groupe la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de

et, statuant à nouveau :

à titre principal

- débouter la société Dexe [P] Groupe de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Dexe [P] Groupe, à payer à titre provisionnel à la société Snc Alta Crp [Localité 2] une somme de 362 138,93 euros ttc, au titre de son arriéré de loyers, charges et accessoires arrêtée au 15 mai 2023 ;

à titre subsidiaire

- condamner la société Dexe [P] Groupe, à payer à la société Snc Alta Crp [Localité 2], à titre de provision, une somme de 237 113,47 euros ttc, au titre de son arriéré de loyers, charges et accessoires arrêté au 15 mai 2023 ;

- subsidiairement et dans l'hypothèse où des délais étaient accordés, juger que les sommes qui seront versées par la société Dexe [P] Groupe s'imputeront en priorité sur les loyers, charges et accessoires courants, puis sur les termes venus à échéance postérieurement à la délivrance de l'assignation, l'arriéré dû au titre de l'assignation n'étant apuré qu'en outre;

- dans cette hypothèse, juger que faute par la société Dexe [P] Groupe de respecter les délais accordés, et de régler, dans le même temps, les loyers, charges et accessoires courants, l'intégralité des sommes dues deviendra immédiatement exigible ;

en tout état de cause

- condamner la société Dexe [P] Groupe, à payer à la société Snc Alta Crp [Localité 2] une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

- condamner la société Dexe [P] Groupe en tous les dépens, de première instance et de l'appel.'.

Dans ses dernières conclusions déposées le 19 mai 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Dexe [P] Groupe demande à la cour, au visa des articles 835 du code de procédure civile, 1353, 1722 et 1343-5 du code civil, de :

' à titre principal

- confirmer l'ordonnance rendue le 15 décembre 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles dans toutes ses dispositions,

- débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de la société Dexe [P] Groupe,

à titre subsidiaire, en cas de condamnation mise à la charge de l'intimée :

- autoriser la société Dexe [P] Groupe à se libérer de son éventuelle dette en vingt-quatre mensualités égales en sus des échéances courantes, le premier versement devant être effectué le 12ème jour du mois suivant la signification de l'ordonnance et tout paiement étant imputé en priorité sur les loyers et charges en cours, puis le 12 de chaque mois.

- rappeler que les délais de paiement suspendent toutes les voies d'exécution éventuellement engagées par le créancier ;

en tout état de cause

- condamner la société Alta Crp [Localité 2] à verser à la société Dexe [P] Groupe la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'appelante aux dépens.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la demande de provision

L'appelante sollicite l'infirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de condamnation de l'intimée au paiement d'une provision au titre des loyers impayés.

Elle réfute l'existence de toute contestation sérieuse, faisant valoir que la société Dexe [P] Group, qui entend se prévaloir de la résiliation de plein droit du bail en vertu des dispositions de l'article 1722 du code civil, ne saurait prétendre à la fois que le local litigieux a été détruit totalement par l'incendie et poursuivre son exploitation.

Elle ajoute que la question de l'existence du bail commercial ne nécessite d'être tranchée au fond qu'en cas de désaccord entre les parties, alors que d'une part, elle a toujours considéré que la destruction du local n'a été que partielle et que d'autre part, la société locataire a formulé une demande de diminution de prix sur le fondement de l'article précité, exprimant ainsi la même position.

La société Alta Crp [Localité 2] expose que par courrier du 13 février 2023, la société Dexe [P] Groupe a demandé une annulation totale des loyers pour la période du 1er septembre 2019 au 1er juin 2021 et une baisse de 60% à compter du 1er juin 2021 jusqu'à la fin du bail.

Elle indique ne pas remettre en cause la circonstance selon laquelle la locataire n'a pas eu la jouissance du local à compter du 1er septembre 2019, date de l'incendie, et affirme l'avoir restitué après travaux le 11 septembre 2020, contestant le refus de la société Dexe [P] Groupe de régler les loyers, alors qu'elle aurait perçu une indemnité de la part de son assureur destinée justement à en couvrir le paiement.

L'appelante soutient par ailleurs que l'intimée ne justifie pas du bien-fondé de sa demande de réduction des loyers pour la période postérieure au 1er juin 2021, date à laquelle elle estime avoir récupéré la jouissance du local, celui-ci ayant été remis à neuf et étant composé de la même surface que celle prévue par le bail.

Elle fait valoir que nonobstant les affirmations de la société Dexe [P] Groupe sur la nécessité de trancher au fond la question de la réduction des loyers, les dispositions du contrat de bail doivent continuer à s'appliquer et conclut à sa condamnation au paiement à titre principal d'une somme provisionnelle de 362 138,93 euros correspondant aux loyers, charges et accessoires impayés arrêtés au 15 mai 2023 et, à titre subsidiaire, d'une somme de 237 113,47 au titre des loyers, charges et accessoires arrêtés à la même date, excepté la période du 1er septembre 2019 au 31 août 2020.

L'intimée sollicite la confirmation de l'ordonnance critiquée en toutes ses dispositions au motif qu'il existe plusieurs contestations sérieuses faisant obstacle à sa condamnation au paiement des loyers réclamés par l'appelante.

Elle soutient en premier lieu que la question de validité du contrat de bail dont se prévaut l'appelante doit être tranchée par le juge du fond, faisant valoir qu'il appartient à celui-ci de déterminer en amont si le local litigieux a subi une destruction partielle ou totale, cette dernière hypothèse devant nécessairement conduire à constater la résiliation du bail 'de plein droit' conformément aux dispositions de l'article 1722 du code civil.

Elle affirme que contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, aucun accord n'est intervenu entre les parties sur le caractère total ou partiel de la destruction et explique sa demande de réduction des loyers par sa volonté de mettre fin aux allégations du bailleur selon lesquelles ' elle n'aurait jamais demandé à son bailleur de réduction du montant du loyer' et de le mettre devant ses responsabilités face au refus de respecter les termes de l'article précité.

Elle rappelle que le bailleur a d'ores et déjà saisi au fond le tribunal judiciaire de Versailles de cette question.

En deuxième lieu, l'intimée conteste les montants de la provision sollicitée par l'appelante, faisant valoir que dans l'hypothèse où la destruction totale du local serait écartée, le constat d'une destruction partielle induit pour elle la faculté de demander la résiliation du bail ou la diminution du montant du loyer, qui serait alors calculé en fonction de la partie de la chose louée dont elle continue de jouir depuis l'incendie.

Elle ajoute que si elle n'a pas sollicité la résiliation du contrat de bail, elle a formulé depuis le début du litige une demande de réduction du montant du loyer, considérant que celle-ci doit être intégrale du 1er septembre 2019 au 1er juin 2021, étant dans l'impossibilité de jouir du local pendant toute cette période.

Elle soutient que contrairement aux allégations de la société bailleresse, la livraison du local 'béton brut' le 1er septembre 2020 ne lui a pas permis de recouvrer l'usage de la chose louée identique à celui d'avant la survenance de l'incendie, ayant encore à sa charge la réalisation des travaux d'aménagement, ainsi que l'achat du matériel et des marchandises.

Elle indique qu'elle n'a pu reprendre l'exploitation de son fonds de commerce et donc la jouissance des locaux qu'à compter du 1er juin 2021.

En réponse aux arguments de l'appelante selon lesquels elle aurait été indemnisée par son assureur pour la période comprise entre le 1er septembre 2019 et le 1er septembre 2020, la société Dexe [P] Groupe souligne que la société bailleresse est totalement étrangère aux rapports de droit qui existent entre elle et sa compagnie d'assurance, d'autant plus que le contrat de bail prévoit une clause de renonciation réciproque à tout recours contre l'autre partie et son assureur au titre des risques garantis.

S'agissant de la période postérieure au 1er juin 2021, l'intimée indique solliciter la réduction du montant des loyers sur le fondement de l'article 1722 du code civil.

Elle ajoute qu'au regard du désaccord des parties sur le montant des loyers, la compétence du juge des référés doit être écartée au profit du juge du fond, seul compétent pour trancher cette question.

L'appelante soutient en dernier lieu que la société bailleresse a ignoré la situation particulière née du sinistre, en réclamant les loyers, charges et accessoires sans répondre à ses demandes de réduction.

Elle reproche également à l'appelante d'avoir successivement soutenu plusieurs argumentations contradictoires quant à l'exigibilité des loyers.

Elle en déduit la mauvaise foi contractuelle de la société bailleresse qui agirait en violation des dispositions de l'article 1722 du code civil, étant par ailleurs informée de la situation d'endettement de sa locataire qui bénéficie d'un plan de redressement depuis 2018 et dont le respect serait mis en péril par le comportement de l'appelante.

Elle sollicite que soit constatée la mauvaise foi contractuelle de la société Alta Crp [Localité 2] dans sa demande de paiement et qu'il soit dit n'y avoir lieu à référé sur ses demandes.

Sur ce,

Selon l'alinéa 2 de l'article 835 du code de procédure civile :'Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il (le président ) peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire'.

Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision: celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Doivent être précisés les éléments de la contestation qui rendent celle-ci sérieuse.

Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

À l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle. Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

L'article 1722 du code civil prévoit que « si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement. »

L'appelante verse aux débats le contrat de bail daté du 6 août 2014, dont les parties ne contestent pas l'existence, selon lequel ' le preneur devra régler un loyer fixe établi sur la base annuelle hors taxes et hors charges de 54 600 euros' et 'devra en outre régler un loyer variable additionnel, dû en complément du loyer fixe susvisé, fixé à 0,75% hors taxe du chiffre d'affaires annuel hors taxe réalisé par le preneur, dans, sur ou à partir d'une partie quelconque des lieux loués'.

Pour contester la demande de paiement à titre de provision des loyers impayés formée par l'appelante, l'intimée soutient que compte tenu du sinistre survenu dans la nuit du 31 août et 1er septembre 2019 la question de la destruction totale ou partielle du local loué et partant de la poursuite du contrat de bail précité, doit être tranchée par le juge du fond.

Si l'article 1722 du code civil prévoit la résiliation de plein droit du bail en cas de la destruction totale de la chose louée, c'est à bon droit que l'appelante fait valoir que la société locataire n'est pas fondée à se prévaloir d'une telle résiliation alors qu'elle en poursuit l'exploitation du local objet du contrat de location.

Ainsi, au jour où la cour statue et nonobstant la saisine d'une juridiction du fond, la poursuite du contrat de bail, à tout le moins verbal, entre les parties, ne saurait être sérieusement contestée, sans qu'il ait lieu d'examiner les autres arguments tirés de ce moyen.

En conséquence, les obligations contractuelles, parmi lesquelles figure celle de régler les loyers, continuent à s'imposer aux bailleur et preneur.

Il n'est pas contesté par les parties que la société Dexe [P] Groupe n'a pas pu exploiter les locaux donnés à bail entre le 1er septembre 2019 et le 11 septembre 2020, date à laquelle la société bailleresse a procédé à la remise des clés des locaux litigieux 'brut de béton', comme en atteste par ailleurs le procès-verbal de mise à disposition daté du même jour, ainsi que les courriels des 24 juillet 2020, 12 mars et 17 novembre 2021 versés aux débats.

La société bailleresse soutient à l'appui de sa demande de paiement provisionnel de l'intégralité des loyers à compter de la date du sinistre que l'intimée a été indemnisée par sa compagnie d'assurance destinée à en couvrir le montant et verse aux débats un courriel de Maître Altar, conseil de l'intimée, daté du 9 mars 2021, en guise de preuve de ses affirmations.

Il ressort des termes de ce courriel que la société locataire conteste l'opposition sur l'indemnité d'assurance perte d'exploitation effectuée par la société Alta Crp [Localité 2] entre les mains de son assureur et soulève le caractère non exigible des loyers pendant la période d'indisponibilité du local loué, de sorte que l'argument de l'appelante ne saurait prospérer à ce titre.

L'intimée soutient encore que le local ainsi livré a nécessité des travaux d'aménagement retardant la reprise de son exploitation, ce qui ne lui aurait pas permis de jouir de la chose louée avant le mois de juin 2021, estimant qu'aucun loyer ne peut être dû pour cette période.

Le procès-verbal de remise à disposition précité mentionne que: '... les travaux d'aménagement, de décoration intérieure et d'installations techniques pour l'activité du preneur, seront exécutés par ce dernier, à ses frais, dans les conditions indiquées dans le bail et les autorisations administratives du preneur'.

La société Dexe [P] Groupe produit par ailleurs aux débats une attestation établie par son expert comptable, aux termes de laquelle elle a repris son activité en juin 2021.

Ces éléments ne permettent pas de déterminer avec la certitude requise en matière de référé que l'intimée a pu bénéficier d'une jouissance totale du bien loué à compter de la date du 11 septembre 2020.

Il existe ainsi une contestation sérieuse faisant obstacle à l'octroi d'une provision au bailleur sur la période entre le 1er septembre 2019 et 21 juin 2021.

En revanche, c'est à juste titre que l'appelante fait valoir que l'intimée ne justifie par du bien-fondé de sa demande de réduction des loyers contractuels à compter du mois de juin 2021, dès lors que celle-ci se contente de se prévaloir des dispositions de l'article 1722 du code civil, sans expliquer en quoi elles seraient applicables en l'espèce, s'agissant d'un local à la surface identique remis en l'état après l'incendie dont elle ne conteste pas poursuivre la jouissance et l'exploitation.

Il sera en outre relevé que l'existence d'un éventuel désaccord entre les parties sur le montant ou le principe même de diminution des loyers n'emporte pas de conséquences sur la compétence du juge des référés et de la cour à sa suite, d'octroyer une provision au titre des sommes dues dès lors que les éléments versés aux débats permettent de définir le montant de la créance non sérieusement contestable.

En l'espèce, il n'est pas contestable que la société locataire a repris l'exploitation du local concerné à compter du mois de juin 2021.

L'appelante verse aux débats des relevés et des décomptes sur lesquels figurent les appels de loyers, charges et accessoires du 1er avril 2021 au 30 juin 2021 d'un montant de 23 238,40 euros qu'il convient de ramener à 7 746, 13 euros pour déterminer la somme due au titre du mois de juin seul.

Sont par ailleurs produits les mêmes justificatifs pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2023 :

- appel du 3ème trimestre 2021- 25 879,53 euros,

- appel du 4ème trimestre 2021- 25 879, 53 euros,

- appel du 1er trimestre 2022 - 25 995,29 euros,

- appel du 2ème trimestre 2022 - 24 940,92 euros,

- appel du 3ème trimestre 2022 - 26 599,17 euros,

- appel du 4 ème trimestre 2022- 26 599,17 euros,

- appel du 1er trimestre 2023 - 26 597, 52 euros

- appel de 2 ème trimestre 2023 - 29 686,58 euros, étant précisé que seul le montant de 14 843,29 euros sera retenu au prorota des sommes arrêtées au 15 mai 2023 conformément à la demande formulée par la société bailleresse dans le dispositif de ses conclusions.

Sera ainsi retenu un montant total de 205 080,55 euros, dont il convient de déduire la somme de 56 783,98 euros correspondant aux règlements effectués par l'intimée figurant sur les relevés précités, à savoir deux virements des 26 août et 18 novembre 2021 de 25 879,53 euros chacun et un virement du 28 janvier 2022 d'un montant de 5 024,92 euros.

La créance non sérieusement contestable au titre des loyers, charges et accessoires pour la période du 1er juin 2022 au 15 mai 2023 sera ainsi fixée à la somme de 148 296,57euros ( 205 080,55 - 56 783,98).

Il sera par ailleurs précisé qu'il n'y a pas lieu d'examiner le moyen de l'intimée tiré de la mauvaise foi alléguée de la société bailleresse, sans effet sur la faculté du juge des référés d'octroyer une provision au créancier.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu'elle a débouté la société Alta Crp [Localité 2] de sa demande provisionnelle et la société Dexey [P] Groupe sera condamnée à lui verser une provision d'un montant de 148 296,57euros au titre des loyers, charges et accessoires impayés.

Sur les délais de paiement

La société Alta Crp [Localité 2] s'oppose à l'octroi des délais de paiement sollicités par l'intimée, arguant que celle-ci a de fait bénéficié de plus de 24 mois de délai, les impayés remontant à l'année 2019, tout au moins au mois de septembre 2020.

A titre subsidiaire et dans l'hypothèse où elle serait condamnée, la société Dexe [P] Groupe demande l'octroi de délais de paiement de 24 mois et la fixation de la date du premier versement au 12 ème jour du mois suivant la signification de l'arrêt avec imputation en priorité sur les loyers et charges en cours.

Elle argue que l'échéancier sollicité est nécessaire au respect du plan de redressement précité et considère que sa bonne foi est d'autant plus établie que c'est la société bailleresse qui est à l'origine de la situation d'impayés compte tenu de ses revendications, selon elle, infondées.

Sur ce,

Le premier alinéa de l'article 1343-5 visé dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

En l'espèce, s'il n'est pas contestable au vu de l'échéancier versé aux débats que la société Dexe [P] Groupe bénéficie d'un plan de redressement depuis 2018, son respect ne la dispense pas d'honorer également le paiement des créances postérieures, en l'occurrence celles qui sont nées du bail en cours.

Or, il résulte des relevés produits par l'appelante non contredits par la société locataire que cette dernière n'a effectué que trois règlements, le dernier datant de janvier 2022, laissant ainsi la dette locative s'accumuler, depuis la reprise de l'exploitation du local en juin 2021.

A l'appui de sa demande de délais de paiement, l'intimée produit aux débats les bilans et comptes de résultats des exercices 2019-2020, 2020-2021 et 2021-2022, aux termes desquels il apparaît qu'elle est déficitaire à hauteur de 92 956 euros et 42 796 euros s'agissant des deux derniers exercices, ce qui n'est pas de nature à démontrer sa capacité à apurer sa dette selon les modalités sollictées et à s'acquitter en parallèle du paiement des loyers courants.

Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande d'octroi de délais de paiement formée par la société Dexe [P] Groupe.

Sur les demandes accessoires

L'appelante étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Partie perdante, la société Dexe [P] Groupe ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande en outre de la condamner à verser à la société Alta Crp [Localité 2] une somme totale de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme l'ordonnance du 15 décembre 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Dexe [P] Groupe à verser à la société Alta Crp [Localité 2] la somme provisionnelle de 148 296,57euros au titre des loyers, charges et accessoires impayés pour la période du 1er juin 2021 au 15 mai 2023 ;

Rejette la demande de délais de paiement de la société Dexe [P] Groupe ;

Condamne la société Dexe [P] Groupe à payer à la société Alta Crop [Localité 2] la somme totale de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel ;

Rejette le surplus des demandes ;

Condamne la société Dexe [P] Groupe aux dépens de première instance et d'appel.