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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 20 décembre 2006, n° 06/02554

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ballandras

Défendeur :

Pillet, Boscher, LB Créations (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Frank

Conseillers :

Mme Louys, Mme Andrich

Avoués :

SCP Bommart Minault, SCP Jullien, Lecharny, Rol et Fertier

Avocats :

Me Chapelin-Viscardi, Me Prou Ceresol, Me Roux

TGI Nanterre, du 15 mars 2006, n° 06/576

15 mars 2006

FAITS ET PROCEDURE,

Madame Françoise BALLANDRAS épouse BERSON et Madame Martine BALLANDRAS sont propriétaires indivises de locaux situés [...] qui ont été donnés à bail commercial par acte du 1er avril 1991 à Madame DUBREUIL, qui y exploitait un fonds de commerce de coiffure mixte, soins de beauté et petite parfumerie.

Le contrat de bail prévoit que le preneur ne pourra céder ses droits, si ce n'est après obtention de l'autorisation expresse et par écrit du bailleur, à l'acquéreur de son fonds de commerce, et encore, à charge de rester garant et caution solidaire avec renonciation au bénéfice de l'article 2037 du code civil, de son cessionnaire et de tous autres successifs, tant pour le paiement des loyers que pour l'entière exécution des charges et conditions du bail.

Suivant acte sous-seing privé du 1er décembre 2005, Madame DUBREUIL a conclu une promesse synallagmatique de vente de son fonds de commerce avec Monsieur BOSCHER qui a une faculté de substitution, sous réserve de rester garant solidaire des obligations de son substitué. Cette promesse a été consentie sous conditions suspensive d'obtenir l'accord des bailleresses.

Monsieur BOSCHER a fait part de son intention de substituer la société LB CREATIONS dont il est associé et gérant dans les droits qu'il tient de la promesse de vente.

Les 8 et 16 décembre 2005, Madame DUBREUIL a notifié à chacune des propriétaires indivises et bailleresses, son intention de céder les droits qu'elle tient de son bail à Monsieur BOSCHER, les bailleresses ont notifié leur refus d'agrément de la cession du bail par exploit du 3 février 2006.

Sur une assignation délivrée aux bailleresses à la demande de la locataire, le tribunal de grande instance de Nanterre devant lequel sont intervenus volontairement le bénéficiaire de la promesse de vente du fonds de commerce et la société s'y substituant, statuant par ordonnance de référé du 15 mars 2006 a autorisé Madame DUBREUIL à céder les droits qu'elle tient du bail du 1er avril 1991 et condamné solidairement les bailleresses à verser à Madame DUBREUIL la somme de 750 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le premier juge a relevé que Monsieur BOSCHER s'était porté caution personnelle et solidaire des obligations de la société LB CREATION ; que Madame DUBREUIL restait garante et caution solidaire de toutes les obligations découlant du bail ; qu'un dépôt de garantie correspondant à cinq mois de loyer était entre les mains des bailleresses dont le refus, dans ces conditions, constituait un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809 du nouveau code de procédure civile.

Mesdames BALLANDRAS ont fait appel de cette décision, elles demandent son infirmation, le donné acte de ce que Madame BALLANDRAS épouse BERSON s'engagera en cas d'infirmation à reprendre le bail et le fonds de commerce de Madame DUBREUIL pour la somme de 76 000 € prévue dans la promesse du 1er décembre 2005 qui lui a été notifiée et la condamnation des intimés à leur verser 3000€ de dommages et intérêts, ainsi que 3000€ en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A l'appui de leur appel, après avoir rappelé que la clause qui soumet la personne du cessionnaire à l'agrément du bailleur est licite, elles soutiennent que l'action de la locataire fondée sur l'article 809 du nouveau code de procédure civile ne vise ni au prononcé d'une mesure conservatoire, ni de remise en état ; qu'en l'espèce, le juge des référés est incompétent dès lors que l'appréciation de la pertinence et du bien-fondé des motifs du refus de l'agrément appartient au seul juge du fond et qu'il ne lui appartient pas de se substituer aux bailleresses en autorisant la cession du bail.

Elles font valoir que la cession envisagée est au profit d'une société en cours de formation lourdement endettée n'offrant aucune garantie de paiement des loyers ; que les bilans adressés concernent une société MYLENN qui n'est pas concernée par cette cession ; qu'au jour où la demande d'agrément a été faite, aucune promesse de cautionnement n'avait été proposée et aucun justificatif de la consistance du patrimoine, du régime matrimonial de Monsieur Boscher n'avait été communiqué ; que dès lors, le juge des référés ne pouvait se fonder sur la proposition de cautionnement formulée postérieurement au refus pour juger illicite ce refus d'agrément qui, au reste, ne répondant pas aux exigences articles 1326 et 2015 du code civil n'apporte aucune garantie.

Elles dénient que les conditions de l'article 808 du nouveau code de procédure civile soient remplies du seul fait de la proximité de la date de caducité de la promesse, puisque les intimés ont d'eux-même prorogé cette date au 31 mars 2006, révélant ainsi l'absence d'urgence, ce qui aurait du permettre une négociation amiable sur les garanties que pouvaient offrir Monsieur BOSCHER ou la délivrance d'une assignation au fond à jour fixe.

Elles contestent que le dépôt de garantie soit considéré comme pouvant assurer le paiement de loyers et font valoir que l'acte de cession définitif ne correspond pas à la promesse de cession qui leur a été signifiée, dans la mesure où le personnel en place n'a pas été repris.

Les intimés concluent à la confirmation de l'ordonnance de référé et à la condamnation des appelantes à leur verser la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Ils opposent que si le refus de consentir à la cession du bail n'est pas justifié par les seuls objectifs de la clause exigeant l'autorisation expresse du bailleur, à savoir permettre un contrôle de la régularité de la cession, de la moralité, de la solvabilité et de la compétence du cessionnaire, il constitue un trouble manifeste qu'il y a urgence à réparer.

Ils soulignent subsidiairement que l'autorisation pouvait être également accordée sur le fondement de l'article 808 du code civil, Madame DUBREUIL ayant déjà ouvert ses droits à la retraite, devait subir une opération de la main lui interdisant de poursuivre son activité de coiffeuse.

Ils font valoir que fondé sur une prétendue insolvabilité du cessionnaire, le refus est injustifié et illicite les cautions personnelles et solidaires tant de Madame DUBREUIL que de Monsieur BOSCHER retirant tout fondement à ce motif de refus.

Enonçant les biens immobiliers et mobiliers dont Monsieur BOSCHER est propriétaire, ils entendent démonter que ce dernier répond à l'exigence de solvabilité prévue par l'article 2018 du code civil ;

Ils exposent qu'en outre la société LB CREATIONS a accepté amiablement une révision du loyer, porté à la somme annuelle de 7 463, 25 €, qui est régulièrement réglée ; que ce montant peut être utilement comparé au chiffre d'affaires généré au cours des trois dernières années d'exploitation de Madame DUBREUIL et au chiffre d'affaires réalisé par la société LB CREATIONS après une activité de quatre mois.

Ils révèlent que projeté sur douze mois ce chiffre d'affaires permet de retenir que le loyer actuel ne représentera qu'une charge de 6, 33 % très inférieure aux ratios habituels dans ce type de commerce et soulignent que le chiffre d'affaires réalisé est de 30 % supérieur au chiffre d'affaires que réalisait Madame DUBREUIL.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Considérant que la clause insérée au bail dérogeant au principe de libre cession par le locataire commerçant des droits au bail à l'acquéreur de son fonds de commerce en soumettant celle-ci à l'autorisation du bailleur, ne peut avoir pour effet d'interdire cette cession ;

Considérant que le juge des référés est compétent pour ordonner toute mesure de nature à faire cesser un trouble manifestement illicite et à le réparer ;

Considérant que constitue un trouble manifestement illicite le refus infondé d'agrément ;

Considérant que Mesdames BALLANDRAS se prévalent de leur impossibilité de s'assurer de la solvabilité de la Société LB CREATIONS qui est cessionnaire du fonds de commerce ayant appartenu à Madame DUBREUIL pour justifier leur refus ;

Considérant qu'en cause d'appel, Monsieur BOSCHER et la société LB CREATIONS produisent un acte de caution personnelle et solidaire au profit des Mesdames BALLANDRAS pour le règlement des sommes pouvant être dues par la société LB CREATIONS au titre du bail commercial ;

Que cet acte est entièrement manuscrit émanant de Monsieur BOSCHER et répond à l'évidence aux dispositions des articles 1326 et 2015 du code civil ;

Que Monsieur BOSCHER verse en outre aux débats les documents relatifs à son patrimoine immobilier, les documents comptables de la société MYLENN, la justification du chiffre d'affaires réalisé ;

Qu'eu égard aux explications données dès le 6 janvier 2006, aux justifications apportées devant le premier juge et complétées devant la cour d'appel par les éléments permettant de constater que les premiers mois d'activité sont satisfaisants et permettront à la Société LB CREATIONS ou à Monsieur BOSCHER à titre de caution de faire face aux montant du loyer annuel, le refus d'agrément notifié le 3 février 2006 n'est pas fondé sur un motif sérieux et constitue un trouble manifestement illicite ;

Que l'ordonnance de référé sera confirmée en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais non compris dans les dépens qu'ils ont du exposer à l'occasion de la présente instance ; qu'il y a lieu de condamner Mesdames BALLANDRAS à leur verser 3000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort

Confirme l'ordonnance de référé rendue entre les parties par le tribunal de grande instance de Nanterre le 15 mars 2006

Y Ajoutant

Condamne Madame Françoise BALLANDRAS ép. BERSON et Madame Martine BALLANDRAS à verser aux intimés 3 000 € (trois mille euros) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne Madame Françoise BALLANDRAS ép. BERSON et Madame Martine BALLANDRAS aux dépens, autorisation étant donnée à la SCP JULIEN LECHARNY ROL FERTIER, avoués, de les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.