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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-6, 2 novembre 2023, n° 22/07096

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

XL Insurance Compagny (SE)

Défendeur :

CH7 Helicopters Heli-Sport (SRL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Noel

Conseillers :

Mme Toulouse, M. Baïssus

Avocats :

Me Juriens, Me Potier, Me Chevrel, Me Duraud

T. com. Manosque, du 26 avr. 2022, n° 20…

26 avril 2022

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Hélisport SRL société italienne, fabrique et commercialise des hélicoptères ultra-légers vendus assemblés ou en kit à destination des particuliers et des professionnels.

Elle commercialise notamment des hélicoptères modèle CH 77 Ranabot classé ULM en France.

Le 19 juin 2018 un hélicoptère de ce dernier modèle immatriculé 86 QF et propriété de la société Héliloisirs, s'est écrasé au sol à [Localité 4] (86). L'appareil a perdu alors qu'il était en vol la porte droite qui s'est ouverte et arrachée. Elle a heurté le rotor et a entraîné la perte de contrôle de l'appareil qui s'est écrasé au sol.

Le pilote de l'appareil M.[P] et son passager M.[Z], sont tous deux décédés dans l'accident.

La compagnie d'assurance Catlin Insurance company Ltd devenue XL Insurance company SE était l'assureur de la société Heliloisirs.

Elle a indemnisé la société Héliloisirs pour le corps de l'appareil à hauteur de 120 000 euros, et Mme [U] es-qualités et en qualité de représentant légal de sa fille mineure [D] à hauteur de la somme de 115 000 euros en indemnisation de leurs préjudices résultant du décès de M. [Z].

Estimant que l'arrachement de la porte en plein vol relevait d'un défaut de sécurité de l'appareil, elle a exercé son recours subrogatoire contre le fabricant et vendeur de l'aéronef.

Elle a ainsi assigné devant le tribunal de commerce de Manosque la SARL Hélisport France par acte du 10 novembre 2020, société domiciliée en France, qui est le distributeur exclusif des ULM de Hélisport en France, puis a assigné en intervention forcée le 9 mars 2021 la société CH7 Hélicopter Hélisport SRL (dénommée ensuite Hélisport SRL).

Par jugement du 26 avril 2022, le tribunal de commerce de Manosque a prononcé la jonction des deux procédures, dit l'exception de nullité soulevée par la SARL Hélisport recevable et prononcé sa mise hors de cause, dit l'exception de prescription soulevée par la société Hélisport SRL au titre de la garantie des vices cachés recevable et bien fondée, débouté cette dernière de ses autres fins de non-recevoir et débouté la société XL Insurance company SE de la totalité de ses demandes.

Il a également condamné la compagnie d'assurance au paiement de sommes au titre des frais irrépétibles à la société Hélisport SRL et à la SARL Hélisport France.

Pour débouter l'assureur de ses demandes, le tribunal a considéré que la compagnie d'assurance ne démontrait pas que la société Hélisport France était le vendeur de l'appareil.

Il a par ailleurs retenu la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action engagée contre la société Hélisport SRL fondée sur la garantie des vices cachés par écoulement du délai de 5 ans de l'action résultant d'un contrat de vente.

Enfin, le tribunal a considéré que la compagnie d'assurance ne rapportait pas la preuve d'un défaut du produit.

Par déclaration au greffe du 16 mai 2022, la compagnie XL Insurance company SE a interjeté appel du jugement, en ce qu'il a :

- dit l'exception soulevée par la société CH7 Hélicopters Hélisport SRL au titre de la prescription de l'action en garantie des vices cachés, recevable et bien fondée ;

- débouté la compagnie d'assurance XL Insurance company SE de la totalité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamné la compagnie d'assurance XL Insurance company SE à payer à la société CH7 Hélicopters Hélisport SRL la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Hélisport SRL a formé appel incident.

L'instruction de l'affaire a été clôturée le 5 septembre 2023.

EXPOSE DES MOYENS ET PRETENTIONS

Moyens

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er septembre 2023, la compagnie d'assurance XL Insurance company SE demande à la cour aux visas des articles 1245 et suivant du Code civil et de l'article 1641 du Code civil, d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

- déclaré l'action au titre de la garantie des vices cachés prescrite ;

- débouté la société XL Insurance Company SE de ses demandes contre Hélisport SRL ;

- condamné la société XL Insurance Company SE à payer 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Hélisport SRL ;

Statuant à nouveau et y ajoutant, elle demande à la cour de :

- juger que l'ULM était, au jour de l'accident du 19 juin 2018, affecté d'un vice caché le rendant impropre à l'usage auquel il était destiné ;

- juger que l'accident du 19 juin 2018 résulte d'un défaut de l'aéronef modèle Ranabot

CH77 ;

- juger que la Société Hélisport SRL est responsable de l'accident ;

- la débouter de l'intégralité de ses demandes ;

- la condamner à lui à payer la somme de 235 000 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation ;

- débouter la société Helisport SRL de toutes ses demandes et notamment de sa demande de nullité et d'irrecevabilité des assignations ;

En tout état de cause,

- condamner cette dernière à lui payer la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de ses prétentions, elle fait valoir en substance et en premier lieu que son action en garantie des vices cachés n'est pas prescrite en se fondant sur l'arrêt du 21 juillet 2023 de la chambre mixte de la Cour de cassation qui a adopté la position de la 3ème chambre civile, considérant que le seul délai butoir est le délai de 20 ans de l'article 2232 du Code civil et que le point de départ de la prescription sur le fondement de la garantie des vices cachés est glissant.

Elle soutient ainsi que la vente par Hélisport SRL a eu lieu en mars 2015 et que c'est la publication du rapport du BEA sur l'accident, en mai 2019, qui lui a permis de connaître le vice de conception de l'aéronef dans toute son étendue et qui a fait courir le délai de prescription de deux ans de l'article 1648 du Code civil et n'était donc pas expiré en mars 2021 date de l'assignation.

En second lieu et au fond, s'agissant de l'existence du vice, elle considère qu'il n'est pas normal qu'une porte d'ULM s'arrache en plein vol et aille percuter le rotor. Elle estime en conséquence que le tribunal aurait dû retenir que l'accident résulte bien d'un défaut de sécurité du produit car les occupants de l'ULM sont en droit d'attendre que les portières ne s'arrachent pas en plein vol et ne viennent pas heurter le rotor, déstabilisant l'ULM, et cela même si l'autre occupant, passager ou pilote, a oublié de fermer et de verrouiller sa portière ou même s'il l'ouvre en plein vol.

Selon elle, l'accident provient du fait que le système de fixation des portes n'est pas assez robuste pour résister en cas d'ouverture intempestive de la porte en plein vol et ce sont ben les fixations de l'appareil qui n'étaient pas suffisamment robustes. Elle rappelle que par deux fois les portes se sont ouvertes en faisant référence à un autre accident survenu en 2019 et ajoute que la société venderesse reconnaît sa défaillance en imposant aux propriétaires un loquet de fermeture supplémentaire dans ses préconisations d'assemblage.

Elle conteste également toute faute humaine car aucune faute du pilote n'est démontrée peu important que le système ait été trouvé en position déverrouillage, et même à supposer que le pilote ait oublié de fermer la porte, ce qui serait à l'origine de l'ouverture intempestive en vol, cet oubli n'est pas la cause du dommage car cet oubli aurait dû rester sans conséquence dès lors que pour elle l'ouverture d'une porte en vol peut perturber un pilote, mais n'occasionne pas d'accident.

Elle estime donc que seul son arrachement et son heurt avec le rotor principal sont les causes de l'accident.

De plus, la conception de tout aéronef doit prendre en compte le fait que des inattentions arrivent, tout comme des maladresses ou des erreurs de pilotage (il y a de multiples raisons pour lesquelles l'attention d'un pilote peut être distraite en cours de vol, et une action oubliée).

Elle se considère dès lors parfaitement fondée à ce que la cour reconnaisse que le producteur de l'appareil est responsable de plein droit du dommage causé par un défaut de son produit et ne peut donc pas invoquer le fait d'un tiers (le fait du pilote) pour réduire, même partiellement, sa responsabilité à l'égard de la victime ou de son assureur, subrogé dans ses droits.

S'agissant de l'appel incident, elle soutient qu'il n'existe aucune irrégularité de l'assignation en intervention forcée et qu'il existe un lien suffisant entre les deux assignations : même accident et demandes d'indemnisation identiques, et subsidiairement, elle rappelle que les irrégularités des assignations sont couvertes par les conclusions postérieures.

Par conclusions n° 3 notifiées par la voie électronique le 2 septembre 2023, la société Hélisport SRL demande à la cour de :

*à titre principal :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

dit l'exception soulevée par elle au titre de la prescription de l'action en garantie des vices cachés recevable et bien fondée ;

débouté la société XL Insurance company de la totalité de ses demandes ;

condamné la société XL Insurance company à lui payer la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rejeté pour infondées les demandes de XL Insurance company ;

et en conséquence :

constater que si la vente initiale a eu lieu le 3 mars 2015, par application de l'article L.110-4 du code de commerce le vendeur pouvait exercer son action sur le fondement de l'article 1641 dans un délai qui ne saurait excéder 5 ans à compter de cette vente soit jusqu'au 3 mars 2020 ;

Dans tous les cas :

faute pour le rapport du BEA de viser un quelconque vice caché de conception ou de fabrication, en l'occurrence la prétendue « fragilité du système de fixation des portières», constater la prescription et dans tous les cas la forclusion, de l'action de XL Insurance company initiée par assignation du 9 mars 2021 sur le fondement de l'article 1641 du Code civil ;

débouter XL Insurance company de son action sur le fondement de l'article 1641 du Code civil ;

débouter XL Insurance company de son action sur le fondement de l'article 1245 du Code civil ;

En tout état de cause,

- condamner XL Insurance company à verser à Hélisport SRL en cause d'appel la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens, en ce compris 225 euros au titre du timbre fiscal acquitté par Hélisport SRL;

*à titre incident et subsidiairement :

In limine litis :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que l'assignation de la société XL,

Insurance company en intervention forcée à son encontre recevable ;

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de ses autres fins de non-recevoir ;

- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande formulée à titre de dommages intérêts ;

En conséquence :

- constater que l'assignation initiale signifiée à la SARL Hélisport ne contient pas un exposé des moyens de droit et souffre d'imprécision au regard des articles 6, 9 et 15 du code de procédure civile ; par conséquence :

- prononcer son annulation au visa des dispositions de l'article 56 - 2° du code de procédure civile ;

-de ce fait dire que l'assignation signifiée à elle ne peut se rattacher à l'assignation principale annulée, ou subsidiairement, faute de démontrer un lien suffisant avec cette dernière ;

- prononcer l'irrecevabilité de l'action en intervention forcée dirigée par XL Insurance company contre elle ;

Et dans tous les cas, nonobstant la validité ou non de l'assignation initiale signifiée à la

SARL Hélisport :

- constater que l'assignation d'appel en cause signifiée à elle ne contient pas un exposé des moyens de droit et souffre d'imprécision au regard des articles 6, 9 et 15 du code de procédure civile ;

Par conséquence :

- prononcer son annulation au visa des dispositions de l'article 56 2° du code de procédure civile ;

Puis au fond :

- dire que la présente procédure est abusive, dès lors que la responsabilité délictuelle de XL Insurance est engagée, et en conséquence :

- condamner XLInsurance company à lui payer la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.

Elle soutient en résumé que l'action sur la garantie des vices cachés est prescrite, le délai de 2 ans commençant à courir à compter de la découverte du vice dans la limite du délai de 5 ans (cf. CIV Ier 8 avril 2021 20-13493) et que le caractère commercial du litige renvoie aux dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce.

Elle précise ainsi que selon la chambre commerciale de la Cour de cassation le délai de 5 ans commence à courir à compter de la date de la vente initiale.

S'agissant du délai biennal, le point de départ est la connaissance du vice et le rapport du BEA en mai 2019 ne l'évoque pas contrairement à ce qu'il est soutenu et au surplus parle de faute humaine, de sorte que le point de départ ne peut-être la date du rapport.

Elle ajoute que quand bien même le vice viendrait d'un défaut de conception de l'appareil, l'ULM a été utilisé pendant plus de 3 ans par la société Heliloisirs (achat en 2015) et la fragilité du système de fixation des portières ne pouvait être inconnue après 3 années d'utilisation. Enfin, elle rappelle que l'appareil a été vendu en kit.

Subsidiairement, elle estime que les conditions de la garantie des vices cachés ne sont pas réunies de même, que l'appelante ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage. Elle n'est donc pas fondée à agir contre elle.

Elle prétend que le rapport du BEA et les constatations de l'OPJ lors de l'enquête initiale constatent que la porte droite n'était pas verrouillée ou l'était partiellement et le loquet supplémentaire n'était pas quant à lui verrouillé.

Elle en déduit que c'est donc une erreur humaine et non un défaut de conception ou de fabrication qui est la cause de l'accident et que l'assureur dénature les conclusions du BEA lorsqu'il affirme que la porte était fermée et verrouillée.

Elle plaide également que l'inattention du pilote est fondamentale, ne peut être considérée comme un élément annexe et les consignes de vérifier la fermeture des portes et de ne pas tenter de refermer la porte ouverte en vol, démontrent que la maladresse a des conséquences.

Elle demande à la cour de constater en plus que le système de verrouillage a été mis en place avant l'accident, constaté par le BEA et que l'existence d'un autre accident (pièce n° 8) ne démontre pas le défaut de conception et cela encore plus dans ce cas précis qui retient le facteur humain.

Il ne saurait par ailleurs être tiré des conséquences en matière de responsabilité des mesures prises par après les accidents dès lors qu'elles l'ont été dans le but de faire obstacle au facteur humain non pas de reconnaître une défaillance de son système.

Elle ajoute enfin qu'il existe de nombreux éléments mettant en cause une cause humaine de l'accident (l'âge du pilote ; pratique insuffisante diplôme acquis sur ULM depuis 2 ans ; M.[P] était pilote d'avion ce qui présente un risque face à des réactions instinctives) et que les portes en élytre (ouverture vers le haut) ont obtenu une certification de l'agence européenne de la sécurité aérienne. Ses appareils possèdent une chek-list vocale attirant l'attention du pilote sur la fermeture des portes (point 31) au surplus.

A titre incident, et à titre subsidiaire, elle reprend ses conclusions de première instance sur la nullité de l'assignation en intervention forcée du fait de la nullité de l'assignation initiale pour absence de respect des dispositions de l'article 56 du code de procédure civile, absence d'exposé des moyens en fait et en droit, identité du défendeur, imprécision de l'assignation initiale, non-respect de l'article 9 du code de procédure civile ;

Elle soutient également l'absence de lien suffisant avec les prétentions initiales, de l'intervention forcée et subsidiairement elle ajoute que l'assignation d'appel en cause ne rappelle aucun fondement.

Il est fait renvoi aux écritures des parties pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Motivation

MOTIVATION

La société XL Insurance fonde son action sur la garantie des vices cachés et la défectuosité du produit.

Il est admis que si le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage ou son subrogé peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents, telle la garantie des vices cachés de sorte qu'en l'espèce, la compagnie XL Insurance subrogé dans les droits des victimes indirectes ce qui n'est pas contesté, peut invoquer les deux fondements sans les hiérarchiser en principal et subsidiaire, l'action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux mettant en cause la qualité de fabricant de la société Hélisport SRL et celle fondée sur la garantie des vices cachés mettant en cause sa qualité de vendeur.

1-Sur la recevabilité de l'action en garantie des vices cachés

Pour déclarer irrecevable l'action en garantie des vices cachés engagée par la compagnie d'assurance XL Insurance à l'encontre de la société Hélisport SRL fabricant et venderesse de l'aéronef, le tribunal a retenu que le point de départ de la prescription de l'assureur subrogé dans les droits de l'acheteur était la date de la vente initiale et qu'il était enfermé dans le délai de 5 ans. Il a ainsi jugé que l'assureur disposait jusqu'au 10 novembre 2020 pour agir et que son assignation en intervention forcée était tardive pour avoir été signifiée le 9 mars 2021.

Or, en application des dispositions des articles 1648 alinéa 1er et 2232 du Code civil, l'action en garantie des vices cachés doit être exercée dans les deux ans à compter de la découverte du vice sans pouvoir dépasser le délai butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.

En l'espèce, la vente ayant eu lieu le 3 mars 2015, le délai butoir applicable aux ventes commerciales ou mixtes expirera donc le 10 novembre 2035 soit postérieurement à l'action déjà engagée.

Pour dire si l'action de la compagnie d'assurance à l'encontre du fabricant vendeur est recevable, il appartient donc à la cour de déterminer à quelle date XL Insurance subrogée dans les droits de l'acheteur a eu connaissance du vice invoqué.

Il ne saurait être retenu comme le soutient la société Hélisport SRL la date de la vente sauf à considérer sans aucun élément que connaissant le vice le propriétaire a tout de même acheté cet ULM.

L'assureur retient quant à lui, la date du rapport du BEA de mai 2019. C'est en effet à partir de ce rapport d'enquête de sécurité qui n'établit aucune responsabilité mais qui expose les faits et identifie les causes de l'événement pour proposer des recommandations de sécurité dans un but de prévention, qu'il s'est forgé la conviction d'un défaut de conception de l'appareil s'agissant du verrouillage des portes de l'appareil.

C'est donc cette date qui doit être retenue et l'assignation en intervention forcée de la société Hélisport SRL ayant été délivrée le 9 mars 2021, il s'est écoulé moins de 2 ans de sorte que l'action n'est pas prescrite et la décision de première instance sera infirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action en garantie des vices cachés formée à l'encontre de la société Hélisport SRL.

2-Au fond, sur le fondement de la garantie des vices cachés et la responsabilité des produits défectueux

Aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné un moindre prix s'ils les avaient connus.

Selon l'article 1245 du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit lié ou non par un contrat avec la victime.

Selon l'article 1245-3 du Code civil, un produit est défectueux au sens du présent chapitre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation.

Enfin, selon l'article 1245-9 du Code civil, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

L'appelante assimile le vice caché et le vice de conception ignoré de l' acheteur et reposant sur la fragilité du système de fixation des portières révélée par l'arrachement en plein vol, au jour de l'accident, de la porte et existant donc antérieurement à la vente.

Il sera en premier lieu noté que l'appareil a été acheté en 2015 et que son propriétaire dont il ne paraît pas raisonnable de discuter qu'il s'agit bien de la société Héliloisirs en l'état de la facture produite (pièce n° 15) émanant de la société Hélisport SRL Italie et la signature par son représentant en France de la fiche d'identification (pièce n° 1), a pu l'utiliser plus de 3 années avant tout accident de sorte que la porte et son verrouillage ont pu fonctionner sans incident.

Pour écarter toute responsabilité du vendeur fabricant le tribunal a retenu qu'en l'absence d'expertise technique du matériel accidenté, ni le rapport du BEA, ni les bulletins d'information de la DGCA ou de la société Hélisport SRL émis à l'attention des pilotes, ne sont de nature à démontrer un défaut de fabrication des portes en élytres de l'ULM CH 77.

Il a également considéré que l'accident postérieur dont fait état la compagnie d'assurance ne permet pas plus d'établir que si les portes se sont ouvertes en vol cela résulte d'une défaillance matérielle des dites portes.

L'appelante fait grief aux premiers juges d'avoir ainsi à tort considérer que le rapport du BEA de mai 2019 ne permettait pas d'établir le vice de conception alors même que ce dernier relève que la porte droite de l'aéronef s'est ouverte, sans que l'enquête n'ait permis d'établir avec certitude la cause de cette ouverture intempestive et qu'elle s'est désolidarisée du fuselage, heurtant ainsi le rotor principal et endommageant au moins l'une des pales, ce qui a contribué à la perte de contrôle de l'aéronef.

Pour elle, c'est le fait même que la porte ait pu s'ouvrir en vol qui révèle le défaut de conception de l'aéronef et elle rappelle que l'enquête de gendarmerie a également conclu que l'accident avait pour cause l'ouverture de la porte droite et le fait qu'elle soit venue percuter le rotor. C'est donc à tort selon elle que le tribunal s'est concentré uniquement sur la question des portes en élytre qui ne sont qu'un problème annexe.

Elle ajoute que la société fabricante prenant conscience de la fragilité de son système de verrouillage des portes a publié deux mises en garde à l'attention des propriétaires et pilotes de Ranabot CH77 dont l'une préconise l'ajout d'un loquet supplémentaire.

Elle s'appuie également sur l'accident qui a suivi survenu quelques mois plus tard sur le même type d'ULM en novembre 2019 et qui a confirmé par l'ouverture en vol des deux portes en position fermée, la fragilité du système de verrouillage.

Enfin, elle produit une note technique du cabinet MacLarens qui explique que le design des portes du modèle Ranabot CH 77 portes en élytre qui s'ouvre du bas vers le haut est exceptionnel et qu'il entraîne un risque considérable d'arrachement des portières.

Toutefois, si le risque d'ouverture des portes en vol constitue un danger pour les occupants de l'aéronef, il ne se transforme en vice de conception que si alors que le verrouillage de la porte a été parfaitement opéré en respectant les consignes du fabricant, celle-ci est tout de même susceptible de s'ouvrir et de s'arracher, dans des conditions normales de navigation et en dehors de toute cause extérieure.

De même le fait de positionner des portes modèle elytre ne devient un défaut de conception que si ce type d'ouverture a eu un rôle dans le déroulement de l'accident soit qu'il l'a provoqué soit qu'il a favorisé l'arrachement de la porte et a concouru à la réalisation de l'accident.

Or en l'espèce, aucun élément ne permet d'affirmer que la porte droite était correctement verrouillée et que malgré un verrouillage deux points, elle s'est ouverte et arrachée.

Le rapport du BEA qui retranscrit l'enquête de sécurité menée et cherchant à déterminer les causes de l'incident, mentionne ainsi que :

- la porte gauche est restée solidaire de l'épave principale. Sa poignée de verrouillage est bloquée en position fermée et ses trois pênes sont déformés. Le loquet supplémentaire est rompu. La poignée de verrouillage de la porte droite est fonctionnelle et retrouvée en position ouverte ; les trois pênes et loquet ne sont pas endommagés ;

- l'absence d'endommagement des mécanismes de verrouillage de la porte droite indique que le mécanisme principal n'était pas verrouillé ou l'était partiellement ; le loquet supplémentaire n'était pas verrouillé.

Deux accidents antérieurs avec ouverture de portes sont rappelés mais ne correspondent pas à l'appareil litigieux et aucun témoin n'a pu indiquer si le pilote qui a verrouillé la porte de son passager, a fermé ensuite la sienne.

La conclusion du BEA est ainsi que l'enquête n'a pas permis de déterminer la cause de l'ouverture de la porte. Aucune remarque n'est faite sur le système de verrouillage des portes et sa conception.

L'enquête de gendarmerie mentionne pour sa part les éléments suivants :

- lors du vol la porte droite s'est ouverte, a percuté une des pâles du rotor principal. La structure s'est désagrégée en trois morceaux principaux et plusieurs morceaux de verrière rendant à l'issue l'appareil incontrôlable.

(...) L'état des verrous de la porte droite (absence de déformation) et la position de la poignée de commande indiquent qu'elle n'était pas verrouillée, fermée par rapport à la porte gauche qui quant à elle présente à ces endroits des traces de déformation consécutives au choc.

Un doigt de verrouillage supplémentaire actionné par une gachette de couleur rouge située sur l'avant supérieur de la structure de la porte droite n'est pas enclenchée (gâchette parallèle à la structure de la porte).

Le PV de synthèse conclut ainsi que le facteur humain (oubli de verrouiller la porte droite (...)) semble être à l'origine de cet accident.

Il en résulte que contrairement à ce que plaide la société XL Insurance ni le rapport du BEA ni l'enquête de gendarmerie n'évoquent de défaut de conception ni ne démontrent que même fermées les portes de par leur mauvaise conception pourraient s'ouvrir et s'arracher lors du vol et provoquer l'accident.

Par ailleurs, dans le rapport du BEA instruisant l'accident postérieur du 30 novembre 2019, il est indiqué que "l'examen des alèsages et des pênes de verrouillage n'a pas permis de déterminer la configuration exacte (fermeture et verrouillage) des portes avant leur séparation de la cellule" et que "les données collectées au cours de l'enquête ne permettent pas d'expliquer les raisons de la séparation successive des deux portes".

Le rapport précise enfin qu 'au cours des essais au sol par le BEA durant l'enquête, il a été constaté que le loquet en position 'fermé' peut donner l'impression que la porte est fermée correctement alors qu'elle peut ne pas être verrouillée. Dans un tel cas il est possible que la vitesse de déplacement de l'ULM engendre sur la porte des effets aérodynamiques suffisants pour provoquer son ouverture en vol.'

De ces derniers éléments l'assureur appelant croit pouvoir tirer la conclusion que même fermées les portes ont pu s'ouvrir. Or, outre que le BEA n'affirme rien, il indique dans son paragraphe utilisation du dispositif d'ouverture et de fermeture des portes qu'une porte plaquée, pênes déployées et introduits dans les alésages (porte fermé) dispositif verrouillé (poignée rabattue) ne peut pas être ouverte par une pression sur la surface intérieure même si le loquet est en position ouvert.

En revanche, si la porte est plaquée, pênes rétractés (poignée en position ouverte) et loquet en position fermée, la porte peut s'ouvrir de quelques centimètres en la basculant vers l'arrière (...). dans cette configuration une pression du coude sur la surface intérieure de la porte ne suffit pas à son ouverture, ce qui peut donner l'impression que la porte est verrouillée.

De même, lorsque les pênes sont déployés à l'extérieur des alésages (poignée en position fermée mais porte ouverte) et loquet en position "fermé", il n'est pas possible de fermer correctement la porte car les pênes métalliques du dispositif d'ouverture et de fermeture sont déployés et empêchent de replacer la porte dans son montant. Le loquet peut être en position fermé et maintenir la porte mais il reste un jour entre la porte et la cellule visible de la place du pilote. Dans cette situation le vérin de porte n'est pas assez puissant pour ouvrir la porte.

Ainsi, bien loin d'affirmer que même double verrouillées les portes peuvent s'ouvrir ce qui caractériserait le vice de conception, le BEA émet des hypothèses et semble plutôt indiquer qu'alors que l'on pourrait croire avoir correctement verrouillé les portes, celles-ci ne le seraient pas complètement et auraient la possibilité de s'ouvrir de quelques centimètres.

Dès lors que l'action de l'homme est nécessaire à la fermeture des portes, il ne peut en être déduit comme le revendique l'appelante un seul et unique défaut de conception de la fermeture.

Enfin, il ne peut non plus être déduit des précisions et recommandations qu'a faites après chaque accident la société fabricante, un aveu de reconnaissance de sa responsabilité dès lors que rappeler les consignes de sécurité ou ajouter un système d'alarme sonore pour attirer un peu plus l'attention du pilote et du passager sur la nécessité de vérifier la fermeture des portes comme acte fondamental de sécurité, ne démontrent pas à eux seuls l'existence d'un défaut de conception du système de verrouillage des portes.

Il n'est pas nécessaire d'aller plus avant dans la recherche de la cause du sinistre et d'examiner comme le font les parties les causes humaines qui auraient pu conduire à l'accident (défaut de formation du pilote, inattention, impulsivité etc...) ou leur absence. Il sera en effet rappelé qu'il appartient à la société appelante non seulement d'établir l'existence du vice ou du défaut de conception de l'appareil ce qu'elle ne fait pas même en excluant toute défaillance du pilote ou de son passager.

Ainsi, à défaut d'établir par les pièces qu'elle produit, la défaillance technique de l'appareil et du système de verrouillage des portes, la société XL Insurance échoue à rapporter la preuve d'un vice caché ou d'un défaut de conception en lien avec le dommage subi et le jugement de première instance mérite confirmation en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ces demandes.

La société Hélisport SRL obtenant gain de cause au principal son appel incident formé à titre subsidiaire ne sera pas examiné.

3-Sur la demande de dommages et intérêts et les demandes accessoires.

La société Hélisport sollicite la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive. Cependant, elle ne rapporte pas la preuve que l'assureur appelant a agi avec légèreté dans l'exercice de son droit d'appel dès lors qu'il a fait valoir à l'appui de son appel des moyens de droit et de fait qui s'ils n'ont pas abouti à la réformation n'en étaient pas pour le moins sérieux.

Par voie de conséquence elle sera déboutée de cette demande.

Partie perdante, la cour confirme la décision déférée qui a condamné la société XL Insurance aux dépens de la procédure de 1ère instance et à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 2000 euros à la société Hélisport.

La société XL Insurance company supportera la charge des dépens d'appel et sera nécessairement débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité enfin commande d'allouer à la société Hélisport SRL la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit prescrite l'action engagée sur le fondement de la garantie légale des vices cachés ;

Statuant du seul chef infirmé et y ajoutant,

Déclare recevable l'action de la société CH7 Hélicopter Hélisport SRL engagée sur le fondement de la garantie légale des vices cachés ;

Déboute la société CH7 Hélicopter Hélisport SRL de sa demande de ce chef ;

Condamne la Société XL Insurance Company SE à supporter les charges des dépens d'appel qui comprennent le timbre d'appel ;

La condamne à payer à la société CH7 Hélicopter Hélisport SRL la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.