Cass. 2e civ., 18 février 2010, n° 09-13.745
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., salarié de la société Aluminium Péchiney (la société) d'octobre 1951 à octobre 1954, en qualité d'apprenti chaudronnier, puis de mars 1959 à mars 1986 au service entretien des locotracteurs, chargeurs, voitures, ateliers-garages, a déclaré à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône une affection pulmonaire que celle-ci a prise en charge au titre du tableau n°30 des maladies professionnelles ; que l'intéressé a saisi la juridiction de sécurité sociale d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de réformer le jugement ayant reconnu l'existence d'une faute inexcusable, alors, selon le moyen :
1°/ que la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs ; que la portée de l'appel est déterminée d'après l'état des dernières conclusions ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, la société s'était contentée de demander à la cour d'appel de «réformer la décision entreprise en ce qu'elle a estimé la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle de M. X... opposable» à son égard ; que dès lors en confirmant le jugement entrepris quant à cette opposabilité de la décision de prise en charge précitée, et, le réformant pour le surplus, en excluant la faute inexcusable de l'employeur, la cour d'appel, qui a méconnu la portée de l'appel de la société telle que déterminée par l'état des dernières conclusions, a violé l'article 562, alinéa 2, du code de procédure civile ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent méconnaître l'objet du litige, tel que déterminé par les conclusions respectives des parties ; que dès lors, en l'espèce, en confirmant le jugement entrepris quant à l'opposabilité à l'égard de la société de la décision de prise en charge de la maladie de M. X... au titre de la législation professionnelle, et, le réformant pour le surplus, en excluant la faute inexcusable de cet employeur, quand dans ses écritures d'appel, celui-ci s'était contenté de demander à la cour d'appel de «réformer la décision entreprise en ce qu'elle a estimé la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle de M. X... opposable» à son égard, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article 410 du code de procédure civile que le fait pour une partie de s'en rapporter à justice sur le mérite d'une demande implique de sa part non un acquiescement mais une contestation de cette demande ;
Et attendu qu'il ressort de la procédure que dans ses conclusions déposées devant la cour d'appel, la société a déclaré, sur la faute inexcusable, s'en rapporter à la sagesse de la cour ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches :
Vu l'article 1147 du code civil, ensemble les articles L. 230-2 devenu l'article L. 4121-1 du code du travail, L. 461-1 et L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
Attendu qu'il résulte de ces textes qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits frabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Attendu que pour dire que la société n'a pas commis de faute inexcusable, l'arrêt relève que M. X... n'était pas chargé de travaux de calorifugeage au sens du tableau n° 30 dans sa rédaction de 1951 et retient, d'abord, que la société ne participait pas au processus de fabrication ou de transformation de l'amiante qu'elle n'utilisait que pour protéger ses salariés de la chaleur intense inhérente à leur activité ; qu'ensuite, il ne peut être déduit à partir des considérations générales tirées de l'énoncé des divers rapports scientifiques classiquement cités dans ce type de procédure la preuve exigible de la nécessaire conscience du danger pour cette entreprise, laquelle doit être caractérisée par des éléments objectifs ; qu'enfin, l'employeur pouvait penser que les mesures prises depuis 1954 pour éviter les dangers de silicose étaient suffisantes dès lors que les travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant de l'amiante, la conduite d'un four, les travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenane effectués sur des matériaux revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante, ne figuraient au tableau numéro 30 que depuis 1996 ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé plusieurs témoignages indiquant que l'intéressé maintenait en état des installations calorifugées par l'amiante, manipulait des pièces mécaniques revêtues d'amiante et utilisait des éléments de protection en amiante et qu'elle n'a pas recherché si, compte tenu de son importance, de son organisation et de la nature de son activité, la société n'aurait pas dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé le jugement en ce qu'il avait dit que la décision de prise en charge de la maladie à titre professionnel était opposable à l'employeur, l'arrêt rendu le 22 janvier 2009, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Aluminium Péchiney aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Aluminium Péchiney ; la condamne à payer à M. Marcel X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille dix.