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Décisions

TUE, 9e ch., 15 novembre 2023, n° T-167/21

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Annulation

PARTIES

Demandeur :

European Gaming and Betting Association

Défendeur :

Commission européenne, Royaume des Pays-Bas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Truchot

Juges :

M. Kanninen, Mme Perišin

Avocats :

Me De Meese, Me Bourgeois, Me Van Nieuwenborgh

Comm. UE, du 18 déc. 2020, C-2020/8965

18 décembre 2020

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, European Gaming and Betting Association, demande l’annulation de la décision C(2020) 8965 final de la Commission, du 18 décembre 2020, relative à l’affaire SA.44830 (2016/FC) – Pays-Bas – Prolongation des licences de jeux de hasard aux Pays-Bas (ci-après la « décision attaquée »), dont il est fait mention au Journal officiel de l’Union européenne du 15 janvier 2021 (JO 2021, C 17, p. 1).

 Antécédents du litige

2 La réglementation néerlandaise relative aux jeux de hasard est fondée sur un système d’autorisations exclusives, ou licences, selon lequel il est interdit d’organiser ou de promouvoir des jeux de hasard, à moins qu’une autorisation administrative n’ait été délivrée à cet effet.

3 La requérante est une association sans but lucratif, dont les membres sont des opérateurs européens de jeux et de paris en ligne. Le 8 mars 2016, elle a déposé une plainte auprès de la Commission européenne, au titre de l’article 24 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), concernant une aide prétendument illégale et incompatible avec le marché intérieur accordée par le Royaume des Pays-Bas à plusieurs exploitants de loteries et autres activités de paris et de jeux de hasard dans cet État membre.

4 La plainte visait, d’une part, une règle de politique générale adoptée par le secrétaire d’État néerlandais à la Sécurité et à la Justice le 7 octobre 2014 concernant la prolongation, jusqu’au 1er janvier 2017, des licences délivrées pour les paris sportifs, les paris sur les courses hippiques, les loteries et les casinos aux titulaires de licences ainsi que, d’autre part, les décisions adoptées par la Nederlandse Kansspelautoriteit (Autorité néerlandaise des jeux de hasard, Pays-Bas) le 25 novembre 2014 en application de cette règle, qui renouvelaient six licences arrivant à expiration pour des loteries caritatives, des paris sur les événements sportifs, de la loterie instantanée, le loto et des paris sur les courses hippiques (ci-après, prises ensemble, la « mesure contestée »).

5 Dans sa plainte, la requérante alléguait, en substance, que, en application de la mesure contestée, les autorités néerlandaises avaient accordé une aide d’État aux exploitants titulaires de ces licences. Elle soutenait que ladite aide avait été accordée sous la forme d’une prolongation des licences existantes sur une base exclusive, sans que les autorités néerlandaises aient demandé le paiement d’une rémunération au prix du marché et sans qu’elles aient organisé de procédure d’attribution des licences ouverte, transparente et non discriminatoire.

6 Le 30 mars 2016, la Commission a transmis une version non confidentielle de la plainte aux autorités néerlandaises, qui y ont répondu par lettre du 22 juillet 2016. Par la suite, la Commission a, par lettre du 16 août 2016, adressé une demande de renseignements aux autorités néerlandaises, qui y ont répondu par lettre du 11 octobre 2016.

7 La requérante a présenté des observations complémentaires à la Commission les 4 mai, 28 juin et 17 novembre 2016.

8 Le 30 mai 2017, la Commission a informé la requérante du résultat de son évaluation préliminaire. Elle a estimé que la prolongation des licences des titulaires de licences en place sur une base exclusive n’impliquait pas de transfert de ressources d’État. Dès lors, elle a considéré que la mesure contestée ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il était toutefois explicitement indiqué que cette position n’était pas une position définitive de la Commission elle-même, mais seulement un premier avis des services de la direction générale « Concurrence », fondé sur les informations disponibles et dans l’attente d’autres observations complémentaires que la requérante pourrait souhaiter présenter.

9 La requérante a répondu par lettre du 30 juin 2017, dans laquelle elle a contesté l’appréciation de la Commission et fourni des informations complémentaires.

10 Le 1er septembre 2017, la Commission a adressé aux autorités néerlandaises une demande de renseignements complémentaires, lesquels lui ont été fournis le 7 décembre 2017.

11 Le 9 novembre 2018, la Commission a demandé aux autorités néerlandaises des informations sur la réforme en cours de la législation sur les jeux de hasard aux Pays-Bas.

12 Le 19 février 2019, le Sénat néerlandais a adopté une nouvelle loi sur les jeux de hasard, qui est entrée en vigueur le 1er avril 2021.

13 Le 1er mars 2019, la Commission a invité la requérante à donner son avis sur l’évolution récente de la législation régissant le secteur des jeux de hasard aux Pays-Bas.

14 Par lettre du 5 avril 2019, la requérante a communiqué ses observations sur l’adoption de la nouvelle loi sur les jeux de hasard. Dans cette lettre, la requérante a soutenu que l’adoption de cette loi n’avait pas modifié ou supprimé l’illégalité de l’aide d’État visée par la plainte.

15 Par lettre du 27 juin 2019, la Commission a informé la requérante de sa conclusion préliminaire selon laquelle la prolongation des licences exclusives concernées ne conférait pas d’avantage aux opérateurs en place et que, par conséquent, la mesure contestée ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

16 Le 22 août 2019, la requérante a écrit à la Commission pour lui faire savoir qu’elle maintenait sa position selon laquelle la mesure contestée constituait une aide d’État.

17 La Commission a adressé aux autorités néerlandaises des demandes de renseignements par lettres du 2 décembre 2019 et du 16 juin 2020 auxquelles celles-ci ont répondu par lettres des 7 février et 18 septembre 2020.

18 La procédure a été clôturée par l’adoption de la décision attaquée.

19 Dans cette décision, la Commission a relevé que, en vertu de l’article 1, paragraphe 1, sous a), de la wet houdende nadere regelen met betrekking tot kansspelen (loi portant réglementation complémentaire en matière de jeux de hasard), du 10 décembre 1964 (Stb. 1964, no 483), l’offre d’activités de jeux de hasard était interdite aux Pays-Bas, à moins qu’une licence n’ait été octroyée au titre de cette loi. En vertu de l’article 3 de ladite loi, ces licences ne pouvaient être octroyées que si les recettes générées par les activités de jeux étaient versées au profit d’organisations œuvrant pour l’intérêt général.

20 Par ailleurs, la Commission a constaté que l’article 2, sous b), du besluit tot vaststelling van de algemene maatregel van bestuur, bedoeld in artikel 6 van de Wet op de kansspelen (Kansspelenbesluit) [décret fixant la mesure générale d’administration visée à l’article 6 de la loi sur les jeux de hasard (décret sur les jeux de hasard)], du 1er décembre 1997 (Stb. 1997, no 616), prévoyait, notamment, que les opérateurs de jeux ayant obtenu une licence au titre de la loi néerlandaise sur les jeux de hasard étaient tenus de verser les recettes générées par la vente des billets de participation aux bénéficiaires spécifiés dans les licences. Ce versement devait s’élever à au moins 50 % de la valeur nominale des billets de participation vendus.

21 La Commission a considéré que, si l’État membre accordait un droit exclusif à un opérateur économique ou prolongeait ce droit et ne permettait pas au titulaire de ce droit de percevoir plus que le rendement minimal nécessaire pour couvrir les coûts d’exploitation et d’investissement liés à l’exercice du droit, plus un bénéfice raisonnable, cette mesure ne conférait pas d’avantage au bénéficiaire. Dans de telles circonstances, le bénéficiaire du droit exclusif ne pouvait être considéré comme ayant tiré un avantage qu’il n’aurait pas pu obtenir dans des conditions normales de marché.

22 La Commission a constaté que les titulaires de licences étaient tenus de verser la totalité du produit de leurs activités de jeux de hasard, à savoir leurs recettes après déduction des dépenses relatives aux prix attribués et des coûts raisonnables, à des organismes d’intérêt général et que, dès lors, ces opérateurs ne pouvaient pas réaliser de bénéfices ou pouvaient seulement réaliser un bénéfice qui n’était pas supérieur à un bénéfice raisonnable. La Commission a en outre considéré que les données financières des titulaires de licences pour la période 2015-2016, fournies par les autorités néerlandaises, confirmaient cette analyse.

23 Par conséquent, la Commission a conclu que la mesure contestée ne conférait pas d’avantage à ses bénéficiaires et ne constituait donc pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

 Conclusions des parties

24 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler la décision attaquée ;

– condamner la Commission aux dépens.

25 La Commission, soutenue par le Royaume des Pays-Bas, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

 En droit

26 À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, de la violation de ses droits procéduraux en raison du refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (ci-après la « procédure formelle d’examen »), alors que l’examen préliminaire au sens de l’article 108, paragraphe 3, TFUE (ci-après l’« examen préliminaire ») ne permettait pas d’éliminer tous les doutes quant à l’existence d’une aide et, le second, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que la Commission a conclu que la mesure contestée n’accordait pas d’avantage, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, aux titulaires de licences.

27 Il convient d’examiner tout d’abord le premier moyen.

28 Par son premier moyen, la requérante soutient que la Commission a violé ses droits procéduraux en n’ouvrant pas la procédure formelle d’examen, alors que l’examen préliminaire ne permettait pas d’éliminer tous les doutes quant à l’existence d’une aide. Ce moyen se divise en trois branches, tirées, la première, de la durée et des circonstances de l’examen préliminaire, la deuxième, de la modification substantielle de l’analyse de la Commission au cours de l’examen préliminaire et, la troisième, du fait que la Commission a conclu à tort, dans la décision attaquée, qu’aucun doute ne subsistait quant à la question de savoir si la mesure contestée conférait un avantage aux titulaires de licences.

 Sur les principes applicables

29 Selon la jurisprudence, la légalité d’une décision de ne pas soulever d’objections, fondée sur l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589, dépend de la question de savoir si l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait, lors de la procédure d’examen préliminaire, aurait dû objectivement susciter des doutes quant à la compatibilité d’une mesure d’aide avec le marché intérieur, étant donné que, s’ils existent, ces doutes doivent donner lieu à l’ouverture d’une procédure formelle d’examen à laquelle peuvent participer les parties intéressées visées à l’article 1er, sous h), de ce règlement (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 38 et jurisprudence citée).

30 Cette obligation est confirmée par l’article 4, paragraphe 4, du règlement 2015/1589, en vertu duquel la Commission est tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen lorsque la mesure en cause suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, sans disposer à cet égard d’une marge d’appréciation (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, points 113 et 185 et jurisprudence citée ; ordonnance du 25 juin 2019, Fred Olsen/Naviera Armas, C‑319/18 P, non publiée, EU:C:2019:542, point 30, et arrêt du 20 juin 2019, a&o hostel and hotel Berlin/Commission, T‑578/17, non publié, EU:T:2019:437, point 57).

31 Lorsqu’un requérant demande l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections, il met en cause essentiellement le fait que la décision prise par la Commission à l’égard de l’aide en cause a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen, violant, ce faisant, ses droits procéduraux. Afin qu’il soit fait droit à sa demande d’annulation, le requérant peut invoquer tout moyen de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. L’utilisation de tels arguments ne saurait, pour autant, avoir pour conséquence de transformer l’objet du recours ni d’en modifier les conditions de recevabilité. Au contraire, l’existence de doutes sur cette compatibilité est précisément la preuve qui doit être rapportée pour démontrer que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 39 et jurisprudence citée).

32 La preuve de l’existence de doutes sur la compatibilité avec le marché intérieur de l’aide en cause, qui doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de la décision de ne pas soulever d’objections que dans son contenu, doit être rapportée par le demandeur en annulation de cette décision, à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 40 et jurisprudence citée).

33 En particulier, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de l’existence de difficultés sérieuses dans l’appréciation de la mesure en cause, dont la présence oblige celle-ci à ouvrir la procédure formelle d’examen (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 41 et jurisprudence citée).

34 En outre, la légalité d’une décision de ne pas soulever d’objections prise au terme de la procédure d’examen préliminaire doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction non seulement des éléments d’information dont la Commission disposait au moment où elle l’a arrêtée, mais aussi des éléments dont elle pouvait disposer (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 42 et jurisprudence citée).

35 Or, les éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » incluent ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer conformément à la jurisprudence citée au point 29 ci-dessus et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la procédure administrative (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 43 et jurisprudence citée).

36 En effet, la Commission est tenue de conduire la procédure d’examen des mesures en cause de manière diligente et impartiale afin de disposer, lors de l’adoption d’une décision finale établissant l’existence et, le cas échéant, l’incompatibilité ou l’illégalité de l’aide, des éléments les plus complets et fiables possible pour ce faire (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 44 et jurisprudence citée).

37 Toutefois, si la Cour a jugé que, lors de l’examen de l’existence et de la légalité d’une aide d’État, il pouvait être nécessaire que la Commission aille, le cas échéant, au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, il ne saurait être déduit de cette jurisprudence qu’il incombe à la Commission de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie, quand bien même de telles informations se trouveraient dans le domaine public (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 45 et jurisprudence citée).

38 Il en découle que le contrôle, par le Tribunal, de la légalité d’une décision de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen en raison de l’absence de difficultés sérieuses ne peut se limiter à la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation. En effet, une décision adoptée par la Commission sans ouverture de la procédure formelle d’examen peut être annulée, en raison de l’omission de l’examen contradictoire et approfondi prévu par l’article 108, paragraphe 2, TFUE, même s’il n’est pas établi que les appréciations portées sur le fond par la Commission étaient erronées en droit ou en fait (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2020, První novinová společnost/Commission, T‑316/18, non publié, EU:T:2020:489, points 88, 90 et 91 et jurisprudence citée). Le contrôle exercé par le Tribunal n’est donc pas restreint (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2019, a&o hostel and hotel Berlin/Commission, T‑578/17, non publié, EU:T:2019:437, point 66).

39 C’est à la lumière de ces principes jurisprudentiels et de ces considérations qu’il convient d’examiner l’argumentation de la requérante visant à établir l’existence de doutes qui auraient dû amener la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.

40 Le Tribunal estime opportun d’examiner en premier lieu la troisième branche du premier moyen.

 Sur la troisième branche du premier moyen, relative à l’existence d’un avantage conféré aux titulaires de licences

41 Par la troisième branche du premier moyen, la requérante soutient, en substance, que la Commission a conclu à tort dans la décision attaquée qu’aucun doute ne subsistait quant à la question de savoir si la mesure contestée conférait un avantage à ses bénéficiaires. Cette branche comporte, en substance, deux griefs, tirés, le premier, d’un avantage prétendument accordé aux titulaires de licences et, le second, de l’absence d’évaluation de la question de savoir si les licences en cause ne conféraient pas un avantage indirect aux organismes auxquels les titulaires desdites licences devaient reverser une partie de leurs recettes générées par les activités de jeux de hasard.

42 S’agissant du second grief, la requérante estime que la Commission disposait d’informations et d’éléments de preuve qui permettaient de suspecter l’existence d’un avantage indirect au bénéfice des organismes auxquels les titulaires de licences devaient verser une partie de leurs recettes générées par les activités de jeux de hasard. Or, en omettant d’examiner cette circonstance, la Commission n’aurait pas été à même de lever tous les doutes quant à l’existence d’une aide d’État, et ce d’autant plus qu’elle s’est largement appuyée, dans la décision attaquée, sur l’obligation imposée aux titulaires de licences de verser une partie des recettes des activités de jeux de hasard aux associations caritatives concernées pour conclure à l’absence d’avantage à l’égard des titulaires de licences. Selon la requérante, le fait que ces associations caritatives soient des organismes sans but lucratif n’empêche pas de les considérer comme des bénéficiaires indirects de l’aide étant donné que les entités sans but lucratif peuvent également proposer des biens et des services sur un marché et donc être considérées comme des entreprises.

43 La Commission conteste cet argument, au motif que les organismes en cause ne sauraient être considérés comme des entreprises opérant à des niveaux d’activité ultérieurs à ceux des titulaires des licences de jeux de hasard, au sens du point 115 de sa communication relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, [TFUE] (JO 2016, C 262, p. 1). En outre, elle estime que l’argumentation de la requérante relative à ce grief n’a pas été soulevée dans sa plainte ou dans le cadre de ses observations ultérieures. Dans ce contexte, la Commission soutient qu’il ne lui appartenait pas de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pouvaient présenter un lien avec l’affaire dont elle était saisie, quand bien même de telles informations se seraient trouvées dans le domaine public.

44 À cet égard, il convient de relever, ainsi que cela a, notamment, été constaté aux points 19 et 20 ci-dessus, qu’il ressort de la réglementation néerlandaise relative aux jeux de hasard soumise à l’appréciation de la Commission qu’une partie des recettes générées par les activités de jeux de hasard devait être reversée, par les titulaires des licences, exclusivement à des organismes d’intérêt général, tels que désignés dans les licences. Dans ces conditions, la Commission ne pouvait pas ignorer l’existence d’une telle obligation dans la réglementation néerlandaise en cause.

45 Au demeurant, il convient d’observer que, dans la décision attaquée, la Commission a fondé son analyse de l’absence d’avantage pour les titulaires de licences précisément sur l’obligation leur incombant de reverser une partie de leurs recettes à des organismes d’intérêt général, ainsi que cela ressort, notamment, des points 49 et 54 à 57 de la décision attaquée. En effet, au point 49 de la décision attaquée, la Commission a considéré que l’octroi de droits spéciaux ou exclusifs sans une rémunération adéquate conforme aux tarifs du marché pouvait constituer un abandon de recettes étatiques et l’octroi d’un avantage. En outre, il ressort du point 54 de la décision attaquée que, selon la Commission, le fait que la mesure contestée subordonne l’octroi de licences permettant d’exercer des activités de jeux de hasard à l’obligation pour les titulaires de celles-ci de verser une partie des recettes résultant de ces activités exclusivement à des organismes d’intérêt général garantit que lesdits titulaires ne percevront pas plus que le rendement minimal nécessaire pour couvrir leurs coûts, plus un bénéfice raisonnable. Dès lors, compte tenu de l’existence de l’obligation qui repose sur les titulaires de licences de verser une partie de leurs recettes aux organismes d’intérêt général, la Commission a conclu que la mesure contestée ne conférait pas d’avantage et, partant, ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (points 56 et 57 de la décision attaquée).

46 Ainsi, lors de l’adoption de la décision attaquée, la Commission disposait d’informations sur la mesure contestée qui auraient dû la conduire à se demander si la réglementation néerlandaise relative aux jeux de hasard n’était pas conçue de manière à orienter le versement des recettes générées par l’activité des titulaires de licences en cause essentiellement vers des organismes d’intérêt général désignés par ces licences.

47 En effet, il convient de rappeler qu’il a déjà été jugé que, lors de l’examen d’une mesure, la Commission pouvait être amenée à examiner si un avantage pouvait être considéré comme étant indirectement accordé à des opérateurs autres que le récipiendaire immédiat du transfert de ressources d’État. À ce titre, le juge de l’Union a également admis qu’un avantage directement accordé à certaines personnes physiques ou morales pouvait constituer un avantage indirect et, partant, une aide d’État pour d’autres personnes morales qui étaient des entreprises (voir arrêt du 13 mai 2020, Germanwings/Commission, T‑716/17, EU:T:2020:181, point 75 et jurisprudence citée).

48 À cet égard, il y a lieu, par ailleurs, de relever que le point 115 de la communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » précise qu’un avantage indirect peut être procuré à une entreprise autre que celle à laquelle les ressources d’État ont été directement transférées. En outre, le point 116 de ladite communication prévoit que la notion d’« avantage indirect » couvre la situation dans laquelle la mesure est conçue de manière à orienter ses effets secondaires vers des entreprises ou des groupes d’entreprises identifiables. Dès lors, la Commission aurait dû se poser la question de savoir si la mesure contestée ne procurait pas un avantage indirect aux organismes d’intérêt général.

49 Or, il ne peut qu’être observé que, nonobstant la circonstance selon laquelle la Commission était informée de cette partie de la réglementation néerlandaise relative aux jeux de hasard, la décision attaquée est restée muette sur cette question.

50 Par ailleurs, s’agissant de l’argument de la Commission selon lequel, en obligeant les titulaires de licences à verser une partie de leurs recettes à des organismes d’intérêt général, les autorités néerlandaises poursuivent des objectifs directement liés à l’ordre public et à la moralité publique, il convient de souligner que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas examiné si les organismes associés à la mesure contestée constituaient des entreprises ou poursuivaient des missions de service public.

51 Par conséquent, il doit être constaté que, aux fins de l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’a pas examiné la question de savoir si la mesure contestée ne procurait pas un avantage indirect aux organismes auxquels les titulaires de licences devaient verser une partie de leurs recettes. Ce faisant, elle a exclu sans plus de précisions que cette question puisse susciter des difficultés sérieuses dans la qualification de la mesure contestée en tant qu’aide d’État, que seule la procédure formelle d’examen aurait permis d’élucider. Or, du fait de l’absence totale d’instruction appropriée par la Commission, au stade de l’examen préliminaire, de la question de savoir si la mesure contestée ne procurait pas un avantage indirect à ces organismes, et ce alors même que le versement d’une partie des recettes générées par l’activité des titulaires de licences à des organismes d’intérêt général désignés par ces licences constituait l’une des caractéristiques principales de la réglementation litigieuse, l’absence d’examen de cette question dans la décision attaquée ne permet pas d’exclure l’existence de difficultés sérieuses en ce qui la concerne.

52 Dans ces circonstances, la troisième branche du premier moyen doit être accueillie en ce qu’elle concerne le grief tiré des avantages indirects accordés aux organismes auxquels les titulaires de licences doivent verser une partie de leurs recettes générées par les activités de jeux de hasard, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments avancés par la requérante dans le cadre des première et deuxième branches.

53 La décision attaquée doit, dès lors, être annulée sans qu’il soit besoin d’examiner le second moyen invoqué.

 Sur les dépens

54 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

55 Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

56 Il convient donc de juger que le Royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1) La décision C(2020) 8965 final de la Commission, du 18 décembre 2020, relative à l’affaire SA.44830 (2016/FC) – Pays-Bas – Prolongation des licences de jeux de hasard aux Pays-Bas, est annulée.

2) La Commission européenne est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par European Gaming and Betting Association.

3) Le Royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens.