CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 9 novembre 2023, n° 19/17775
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Chateau Salettes (SARL)
Défendeur :
Diffusion Maisons et Domaines (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gérard
Conseillers :
Mme Combrie, Mme Vincent
Avocats :
Me Cabrespines, Me Angelico
EXPOSÉ DU LITIGE
La SARL Chateau Salettes exploite un domaine viticole et commercialise ses produits en faisant appel à des agents commerciaux.
La SAS Diffusion maisons et domaines (SAS DMD) exerce une activité de commerce de gros de boissons.
Les deux sociétés se sont rapprochées à compter de 2013 et ont convenu, selon un accord purement verbal, d'une part, que la SAS DMD développerait la clientèle de la SARL Château Salettes dans le département du Var et que, d'autre part, la SARL Château Salettes autorisait la SAS DMD à travailler avec le réseau clients de la SARL Château Salettes pour développer sa propre clientèle en contrepartie de paiement de commissions.
Selon un courrier du 26 octobre 2015, la SARL Château Salettes faisait part à la SAS DMD d'un certain nombre de difficultés survenues dans le cadre de cet accord, déniait toute exclusivité consentie à la SAS DMD et proposait, si un terme à l'accord devait survenir, que l'indemnité due à la SAS DMD soit calculée sur la base de 50% des commissions perçues l'année précédente, tout en affirmant que le contrat n'était pas rompu.
Par courriers recommandés des 15 décembre 2015, 7 mars 2016 et 2 mai 2016 la SAS DMD contestait l'intégralité des propos tenus par la SARL Château Salettes et indiquait que le montant proposé de l'indemnité n'était pas conforme à la jurisprudence.
Par acte du 22 septembre 2017, la SAS DMD, soutenant que le contrat d'agent commercial avait été rompu, a fait assigner la SARL Château Salettes en paiement de l'indemnité compensatrice et de dommages et intérêts dus.
Par jugement du 22 mai 2019, le tribunal de commerce de Toulon a :
- débouté la SARL Château Salettes de sa demande in limine litis soulevant l'irrecevabilité de la demande d'indemnité compensatrice au titre de la prescription,
- prononcé la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial existant entre la SARL Château Salettes et la SAS Diffusion maisons et domaines à effet du prononcé du jugement,
- condamné la SARL Château Salettes au paiement de la somme de 6 280 euros à la SAS Diffusion maisons et domaines au titre de l'indemnité compensatrice de fin de contrat,
- débouté la SAS Diffusion maisons et domaine du surplus de ses demandes,
- débouté la SARL Château Salettes du surplus de ses demandes,
- condamné chacune des parties à supporter la moitié des dépens.
La SARL Château Salette a interjeté appel par déclaration du 21 novembre 2019.
* * *
Par conclusions notifiées et déposées le 17 février 2020, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SARL Chateau Salettes demande à la Cour de :
- dire que par application de l'article L. 134-12 du code de commerce, la demande d'indemnité compensatrice formée par la société DMD est irrecevable et réformer le jugement,
Au surplus
- dire et juger que les relations contractuelles ont cessé à compter du 30 octobre 2015, date de la dernière intervention de DMD au profit de Château Salettes,
- dire et juger que remonte à cette date la cessation des relations de l'agent commercial avec le mandant,
- constater que la première demande de réparation du préjudice allégué par application de l'article L. 134-12 du code de commerce apparait dans l'assignation délivrée le 22 septembre 2017, soit plus de 23 mois après la cessation des relations contractuelles,
- dire et juger au visa de l'article L. 134-12 du code de commerce que la société DMD est privée de tout droit à réparation,
- constater que le contrat n'est pas rompu à ce jour,
- dire et juger que l'attitude de la SAS DMD ne permet plus sa poursuite,
- prononcer la résiliation du contrat à effet de l'arrêt à intervenir par voie de confirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Toulon en date du 22 mai 2019,
- dire et juger que cette résolution sera prononcée aux torts exclusifs de la société DMD,
subsidiairement,
- dire et juger que l'indemnité compensatrice doit correspondre au chiffre d'affaires réalisé pendant les deux années précédant la date de résiliation du contrat,
- constater que le contrat n'est pas résolu à ce jour,
- constater que le chiffre d'affaires réalisé par la société DMD dans les deux années précédant la date de résiliation du contrat est inexistant,
- dire et juger qu'aucune activité n'ayant été exercée par la société DMD dans les deux années précédant la date de la résiliation du contrat, il n'est dû aucune indemnité compensatrice à la société DMD,
au surplus,
- constater qu'il n'existe aucun contrat écrit, mais uniquement un engagement verbal,
- dire et juger qu'aucune exclusivité n'a été consentie par Château Salettes à DMD,
- dire la société DMD mal fondée en ses demandes,
- rejeter les demandes formées par la SAS DMD au titre des sommes versées pour le licenciement de M. [S] [N],
- condamner la Sas Diffusion maisons et domaines à régler à la SARL Château Salettes la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- laisser à sa charge les entiers dépens.
Elle fait valoir que :
- que la demande de paiement de l'indemnité compensatrice est tardive et irrecevable pour ne pas avoir été faite dans l'année de la cessation du contrat, c'est-à-dire de la date de cessation effective des relations contractuelles soit le 30 octobre 2015,
- que l'indemnité n'est en tout état de cause pas due puisque la cessation a été provoquée par la faute grave de l'agent commercial qui n'a plus d'activité de prospection depuis le 30 octobre 2015 et qu'elle est à son initiative,
- qu'en tout état de cause, l'indemnité ne peut ne peut être fixée que sur la base des deux années précédant la résiliation ou la résolution du contrat et qu'en l'espèce, aucun chiffre d'affaires n'a été réalisé par la SAS DMD dans les deux années précédant la date de résolution judiciaire,
- qu'aucune exclusivité n'a été consentie à la SAS DMD,
- que la demande de dommages et intérêts pour l'embauche d'un salarié est injustifiée.
* * *
Par conclusions notifiées et déposées le 15 mai 2020, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS Diffusion maisons et domaines demande à la Cour de :
- infirmer partiellement le jugement de première instance querellé, et, statuant à nouveau sur le tout pour plus de clarté (sic) :
- débouter la SARL Château de Salettes de sa demande in limine litis soulevant l'irrecevabilité de la demande d'indemnité compensatrice au titre de la prescription ;
- dire et juger que la SARL Château de Salettes a violé ses obligations découlant du contrat d'agent commercial exclusif existant entre la SARL Château de Salettes et la SAS Diffusion maisons et domaines
- prononcer la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial existant entre la SARL Château de Salettes et la SAS Diffusion maisons et domaines aux torts de la SARL Château de Salettes,
- condamner la SARL Château de Salettes au paiement de la somme de 24 330,00 € à la SAS Diffusion maisons et domaines au titre de l'indemnité compensatrice de fin de contrat ;
- débouter la SARL Château de Salettes de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SARL Château de Salettes au paiement de la somme de 1 200,00 € à la SAS Diffusion maisons et domaines au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause de première instance,
- condamner la SARL Château de Salettes au paiement de la somme de 1 200,00 € à la SAS Diffusion maisons et domaines au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner la SARL Château de Salettes à l'intégralité des dépens de première instance,
- condamner la SARL Château de Salettes à l'intégralité des dépens d'appel,
Elle soutient que :
- contrairement à ce que soutient l'appelante, elle a bien formé une demande d'indemnité dans l'année de la cessation des relations contractuelles,
- qu'à compter du 26 octobre 2015, la SARL Château Salettes ne lui a plus confié aucune mission de prospection,
- que le caractère exclusif du mandat est démontré par les attestations des clients produites aux débats,
- que les manquements qui lui sont imputés sont infondés et qu'ainsi aucune faute grave n'est démontrée,
- que le principe de la rupture est établi sans que son imputabilité fautive ait un quelconque effet sur son droit à indemnisation,
- que l'indemnité qui lui est due doit être calculée sur deux années de commissionnement et être fixée à la somme de 20 000 euros,
- qu'elle doit être indemnisée du préjudice financier constitué par le licenciement de son salarié rendu nécessaire par la rupture du contrat d'agent commercial.
MOTIFS
Les deux parties s'accordent pour considérer qu'il y a lieu de prononcer la résiliation du contrat d'agence commerciale et le jugement déféré est confirmé sur ce point.
Elles s'accordent également pour considérer que la SAS DMD a cessé toute activité d'agent commercial au profit de la SARL Château Salette à compter du 30 octobre 2015.
A ce titre, l'appelante ne peut, sans contradiction, prétendre à la fois que les relations contractuelles ont cessé à cette date mais que le contrat n'était pas rompu.
La résiliation du contrat sera prononcée par conséquent avec effet au 30 octobre 2015, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
En application de l'article L. 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.
Il résulte des pièces produites aux débats que dès la lettre recommandée avec accusé de réception du 15 décembre 2015, la SAS DMD a manifesté son désaccord avec le montant proposé par le mandant et s'est prévalue d'une indemnité de rupture égale à 200% des commissions perçues, réitérant cette demande dans les lettres recommandées avec accusé de réception postérieures des 7 mars et 2 mai 2016.
Valablement faite dans l'année qui a suivi la cessation effective des relations contractuelle entre les parties, la demande formée par la SAS DMD est recevable et le jugement déféré est confirmé de ce chef.
L'existence d'une clause d'exclusivité est sans aucune incidence sur le mode de calcul de l'indemnité compensatrice réclamée en application de ce texte, laquelle a pour objet de réparer le préjudice qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon leur nature.
Il appartient à la SARL Château Salettes qui conteste le droit à l'indemnité de son agent commercial de démontrer l'existence de l'un des trois cas énoncés à l'article L. 134-13 du code de commerce.
En premier lieu, contrairement à ce que soutient l'appelante, il ne peut être considéré que la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent commercial, quand, dans son courrier du 26 octobre 2015, celle-ci invoque des manquements commis par la SAS DMD dans le cadre de son activité d'agent commercial, annonce la reprise de sa clientèle et formule une proposition d'indemnisation pour la rupture du contrat.
En second lieu, la faute grave de nature à priver l'agent commercial de son indemnité de rupture est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.
Tel n'est pas le cas des manquements invoqués dans la lettre du 26 octobre 2015, au demeurant contestés par la SAS DMD, et qui ne sont en tout état de cause justifiés par aucune des pièces produites aux débats.
C'est exactement que les premiers juges, en considération de la durée du contrat, ont pris pour base de calcul la moyenne des commissions perçues pendant toute la durée dudit contrat et c'est tout aussi exactement qu'ils ont énoncé que la moyenne annuelle des commissions perçues s'établissait ainsi à la somme de 6 280 euros.
En revanche, compte tenu de la durée du contrat, l'indemnité doit être fixée à deux années de commissions, soit 12 560 euros et le jugement déféré est réformé de ce chef.
L'activité d'agent commercial étant une activité indépendante dont les modalités d'exercice sont librement choisies par l'agent, il ne peut lui être alloué aucune somme en raison du licenciement d'un salarié, étant observé au surplus qu'il n'est nullement démontré que ce licenciement ait été causé par la rupture du contrat d'agence commerciale conclu avec la SARL Château Salettes.
Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
La SARL Château Salettes succombant pour la plus grande part, elle est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Toulon du 22 mai 2019 en ce qu'il a :
- prononcé la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial existant entre la SARL CHATEAU SALETTES et la SAS DIFFUSION MAISONS ET DOMAINES à effet du prononcé du jugement,
- condamné la SARL CHATEAU SALETTES au paiement de la somme de 6 280 euros à la SAS DIFFUSION MAISONS ET DOMAINES au titre de l'indemnité compensatrice de fin de contrat ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat d'agent commercial existant entre la SARL CHATEAU SALETTES et la SAS DIFFUSION MAISONS ET DOMAINES à effet du 30 octobre 2015 ;
CONDAMNE la SARL CHATEAU SALETTES au paiement de la somme de 12 560 euros à la SAS DIFFUSION MAISONS ET DOMAINES au titre de l'indemnité compensatrice de fin de contrat ;
CONFIRME pour le surplus le jugement déféré ;
CONDAMNE la SARL CHATEAU SALETTES aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, CONDAMNE la SARL CHATEAU SALETTES à payer à la SAS DIFFUSION MAISONS ET DOMAINES la somme de 3 000 euros.