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Décisions

CJUE, 6e ch., 16 novembre 2023, n° C-472/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

NO

Défendeur :

Autoridade Tributária e Aduaneira

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. von Danwitz (rapporteur)

Juges :

M. Xuereb, M. Kumin

Avocat général :

M. Collins

Avocats :

Me Avelino, Me Pedroso de Melo, Me Sarabando Pereira

CJUE n° C-472/22

15 novembre 2023

LA COUR (sixième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 63 TFUE ainsi que du principe général du droit de l’Union d’interdiction des pratiques abusives.

2 Cette demande a été introduite dans le cadre d’un litige opposant NO, ressortissant français résidant au Portugal, à l’Autoridade Tributária e Aduaneira (administration des contributions et des douanes, Portugal) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet d’une demande d’annulation d’un acte de liquidation de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (ci-après l’« IRS »), concernant les revenus perçus par NO en 2019.

Le cadre juridique

Le code IRS

3 L’article 10 du Código do Imposto sobre o Rendimento das Pessoas Singulares (code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, ci après le « code IRS »), intitulé « Plus-values », dispose :

« 1. Constituent des plus-values les gains obtenus qui, sans être considérés comme des revenus d’entreprise et professionnels, de capitaux ou immobiliers, résultent de :

[...]

b) la cession à titre onéreux de parts sociales et d’autres titres ;

[...]

4. Le gain soumis à l’IRS est constitué :

a) de la différence entre la valeur de réalisation et la valeur d’acquisition, nettes de la partie qualifiée de revenu de capitaux, le cas échéant, dans les cas prévus aux points a), b) et c) du paragraphe 1 ;

[...] »

4 L’article 43 de ce code, intitulé « Plus-values », prévoit :

« 1. Le montant des revenus qualifiés de plus-values correspond au solde résultant de la différence entre les plus-values et les moins-values réalisées la même année, déterminées conformément aux articles suivants.

[...]

3. Le solde visé au paragraphe 1, relatif aux opérations visées à l’article 10, paragraphe 1, sous b), concernant des micro et petites entreprises non cotées sur des marchés boursiers réglementés ou non réglementés, est également pris en considération, lorsqu’il est positif, à concurrence de 50 % de sa valeur.

4. Aux fins du paragraphe précédent, on entend par micro et petites entreprises les entités définies comme telles dans l’annexe du Decreto Lei no 372/2007 [(décret-loi no 372/2007), du 6 novembre 2007 (Diário da República, 1re série, no 213, du 6 novembre 2007]. »

5 L’article 44, paragraphe 1, dudit code, intitulé « Valeur de réalisation », énonce :

« Aux fins de la détermination des gains soumis à l’IRS, on entend par valeur de réalisation :

[...]

f) dans les autres cas, la valeur de la contrepartie. »

6 L’article 48 du même code, intitulé « Valeur de l’acquisition à titre onéreux de parts sociales et d’autres valeurs mobilières », dispose :

« Dans le cas de l’article 10, paragraphe 1, sous b), la valeur d’acquisition, lorsque celle-ci est effectuée à titre onéreux, est la suivante :

[...]

b) pour les actions, les autres parts sociales, les warrants autonomes, les certificats visés à l’article 10, paragraphe 1, sous g), ou les autres valeurs mobilières non cotées sur un marché réglementé, le coût établi par des documents ou, à défaut, la valeur nominale ;

[...] »

Le décret-loi no 372/2007

7 L’article 2 de l’annexe du décret-loi no 372/2007, intitulé « Effectifs et plafonds financiers définissant les catégories d’entreprises », dispose :

« 1. La catégorie des micro, petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des entreprises qui emploient moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan annuel n’excède pas 43 millions d’euros.

2. Dans la catégorie des PME, une petite entreprise est définie comme une entreprise qui emploie moins de 50 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total du bilan annuel n’excède pas 10 millions d’euros.

3. Dans la catégorie des PME, une microentreprise est définie comme une entreprise qui emploie moins de 10 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total du bilan annuel n’excède pas 2 millions d’euros. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 NO, ressortissant français dont la résidence fiscale était établie au Portugal en 2019, a vendu la même année à Prince Vert SAS, société de droit français, 29 222 parts d’une autre société de droit français, Château de La Bourdaisière SARL (ci-après « CLB »). Ces parts correspondaient à 47,5 % du capital social de CLB. NO, qui avait acquis lesdites parts au cours des années 2011 et 2012 pour un montant de 279 129 euros, les a cédées pour un prix de 850 000 euros, que Prince Vert a acquitté en souscrivant un emprunt.

9 À la date de cette cession, NO détenait également 86 % du capital social de Prince Vert. Ni CLB ni Prince Vert n’avaient distribué de dividendes entre l’année 2013 et l’année 2019. Alors qu’avant ladite cession, NO détenait, directement et indirectement, 99,71 % des parts de CLB, il possédait encore, directement et indirectement, 93,06 % de ces parts à l’issue de celle-ci. En d’autres termes, par cette opération, il n’a effectivement cédé le contrôle que de 6,65 % du capital social de CLB, dont il est demeuré le gérant et l’actionnaire majoritaire.

10 En 2019, CLB était une « petite entreprise », au sens de l’article 2 de l’annexe du décret-loi no 372/2007, car elle présentait un effectif égal à quinze personnes et un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan annuel n’excédant pas 10 millions d’euros. CLB avait son siège effectif et sa résidence fiscale en France et n’exerçait pas d’activité économique sur le territoire portugais.

11 NO a fait état, dans la déclaration à l’IRS qu’il a déposée au titre de l’année 2019, de la cession de parts sociales de CLB et de la plus-value résultant de celle-ci. Sur la base de cette déclaration, l’administration fiscale lui a notifié un acte de liquidation de l’IRS. Cette administration a calculé l’impôt dû par NO au titre de cette cession en retenant la totalité de la plus-value résultant de ladite cession, sans faire application de la réduction de 50 %, prévue à l’article 43, paragraphe 3, du code IRS, pour les cessions de parts des micro et petites entreprises non cotées sur des marchés boursiers réglementés ou non réglementés.

12 Le 17 juin 2021, NO a saisi le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif – CAAD), Portugal], la juridiction de renvoi, aux fins de faire constater l’illégalité de la liquidation de l’IRS par l’administration fiscale, au motif que celle-ci avait erronément omis de faire application de l’avantage fiscal prévu à l’article 43, paragraphe 3, du code IRS. L’administration fiscale fait valoir, quant à elle, que cette disposition a pour objectif de soutenir les entreprises portugaises et de stimuler l’activité économique au Portugal. Par conséquent, les cessions de parts de sociétés établies en dehors du territoire portugais devraient en être exclues, dès lors que de telles opérations ne contribueraient pas à l’activité économique portugaise.

13 La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité d’une pratique administrative qui consiste à refuser aux contribuables détenant des participations dans des sociétés étrangères l’avantage fiscal prévu à l’article 43, paragraphe 3, du code IRS, avec le droit de l’Union. En particulier, la juridiction de renvoi relève que cette pratique pourrait entraîner une restriction injustifiée à la liberté d’établissement énoncée à l’article 49 TFUE, en ce qu’elle a pour effet de dissuader les résidents portugais de participer, de manière stable et continue, à la vie économique d’un autre État membre, ainsi qu’à la libre circulation des capitaux visée à l’article 63 TFUE, en ce qu’elle pourrait dissuader les résidents portugais d’investir leurs capitaux dans un autre État membre.

14 En outre, la juridiction de renvoi relève, de sa propre initiative, qu’il existerait des indices sérieux et objectifs d’après lesquels la cession des parts de CLB à Prince Vert pourrait être une opération artificielle, soit une opération dont la forme ne reflète pas la réalité économique ou le résultat effectivement produit, et pourrait avoir été réalisée dans le but essentiel d’obtenir un avantage fiscal. Il s’agirait, selon cette juridiction, non pas d’une véritable cession de parts ayant généré une plus-value, mais d’un versement de dividendes déguisé. Or, un tel versement de dividendes aurait dû être soumis, en vertu du droit national, à un impôt plus élevé qu’une plus-value sur cession de parts. La juridiction de renvoi s’interroge donc sur le point de savoir si, dans une telle situation, un contribuable peut se prévaloir des articles 49 et 63 TFUE afin de bénéficier d’un avantage fiscal institué par le droit national.

15 C’est dans ce contexte que le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa – CAAD) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif – CAAD)] a décidé de surseoir à statuer et de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 49 (droit d’établissement) ou l’article 63 (libre circulation des capitaux) TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition légale ou à une pratique fiscale d’un État membre qui, aux fins de l’application de l’impôt sur le revenu des personnes physiques dans cet État membre, prévoit qu’un avantage fiscal, consistant à imposer 50 % des profits découlant de la cession de parts de sociétés, s’applique aux cessions de parts de sociétés de droit national, mais non aux cessions de parts de sociétés constituées dans un autre État membre ?

2) L’article 49 (droit d’établissement) ou l’article 63 (libre circulation des capitaux) TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition légale ou à une pratique fiscale d’un État membre qui, aux fins de l’application de l’impôt sur le revenu des personnes physiques dans cet État membre, prévoit qu’un avantage fiscal, consistant à imposer 50 % des profits découlant de la cession de parts de sociétés, s’applique aux cessions de parts de sociétés dont l’administration centrale est située sur le territoire national, mais non aux cessions de parts de sociétés dont l’administration centrale est située sur le territoire d’un autre État membre ?

3) L’article 49 (droit d’établissement) ou l’article 63 (libre circulation des capitaux) TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition légale ou à une pratique fiscale d’un État membre qui, aux fins de l’application de l’impôt sur le revenu des personnes physiques dans cet État membre, prévoit qu’un avantage fiscal, consistant à imposer 50 % des profits découlant de la cession de parts de sociétés, s’applique aux cessions de parts de sociétés dont la résidence fiscale est établie sur le territoire national, mais non aux cessions de parts de sociétés dont la résidence fiscale est établie sur le territoire d’un autre État membre ?

4) L’article 49 (droit d’établissement) ou l’article 63 (libre circulation des capitaux) TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une disposition légale ou à une pratique fiscale d’un État membre qui, aux fins de l’application de l’impôt sur le revenu des personnes physiques dans cet État membre, prévoit qu’un avantage fiscal, consistant à imposer 50 % des profits découlant de la cession de parts de sociétés, s’applique aux cessions de parts de sociétés exerçant leur activité sur le territoire national, mais non aux cessions de parts de sociétés exerçant leur activité sur le territoire d’un autre État membre ?

5) Dans des circonstances telles que celles de l’espèce, dans lesquelles la reconnaissance au contribuable de l’avantage fiscal en cause dépend de la possibilité pour celui-ci d’invoquer et d’exercer le droit d’établissement, prévu à l’article 49 TFUE, ou la libre circulation des capitaux, prévue à l’article 63 TFUE, le principe de l’interdiction des pratiques abusives doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique à une cession de parts sociales telle que celle en cause au principal, dont le résultat est, en substance, équivalent à celui d’un versement de dividendes et dont la forme juridique a été choisie par le contribuable en vue, essentiellement, d’obtenir un avantage fiscal découlant du droit national et strictement applicable aux plus-values mobilières ?

6) Le principe de l’interdiction des pratiques abusives doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un contribuable invoque et exerce le droit d’établissement (au sens de l’article 49 TFUE) ou la libre circulation des capitaux (au sens de l’article 63 TFUE) afin de bénéficier d’un avantage fiscal prévu par la législation nationale pour les plus-values découlant de cessions de parts sociales, lorsque, dans le but principal de bénéficier de cet avantage fiscal, ledit contribuable a formalisé une transaction, telle qu’une cession d’actions, dont le résultat est, en substance, équivalent à celui d’un paiement de dividendes ?

7) En cas de réponse affirmative à la question précédente, un contribuable peut-il invoquer la sécurité juridique ou la confiance légitime pour s’opposer à un refus de reconnaissance du droit d’établissement ou de la libre circulation des capitaux fondé sur l’application du principe de l’interdiction des pratiques abusives et, ce faisant, légitimer cette pratique abusive ?

8) Le principe de l’interdiction des pratiques abusives doit-il être interprété en ce sens que son application dépend de la réunion des conditions d’application de la règle générale anti-abus nationale ?

9) Le principe de l’interdiction des pratiques abusives doit-il être interprété en ce sens qu’il doit être invoqué par les autorités nationales pour pouvoir être appliqué ?

10) Le principe de l’interdiction des pratiques abusives doit-il être interprété en ce sens que son application dépend du respect, par les autorités fiscales nationales, de la procédure prévue pour l’application de la règle générale anti-abus nationale ?

11) Dès lors que la compétence de la juridiction nationale se limite à apprécier la légalité des actes fiscaux et à décider de les annuler ou de les maintenir dans l’ordre juridique, sans se substituer à l’administration fiscale, le principe de l’interdiction des pratiques abusives doit-il être interprété en ce sens que le tribunal arbitral de céans est compétent pour redéfinir ou requalifier l’opération abusive et appliquer la législation nationale pertinente à l’opération qui existerait à sa place ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première à quatrième questions

16 Par ces questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et/ou 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique fiscale d’un État membre, en matière d’impôt sur le revenu des personnes physiques, qui prévoit qu’un avantage fiscal, consistant à diminuer de moitié la taxation des plus-values générées par la cession de parts de sociétés, est réservé aux seules cessions de parts de sociétés établies dans cet État membre, à l’exclusion de celles de parts de sociétés établies dans d’autres États membres.

 Sur la liberté de circulation applicable

17 Les questions posées faisant référence à la fois aux dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux, il importe de déterminer la liberté applicable dans le litige au principal [arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C 342/20, EU:C:2022:276, point 34].

18 Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour déterminer si une législation nationale relève de l’une ou de l’autre des libertés fondamentales garanties par le traité FUE, il convient de prendre en considération l’objet de la législation concernée (arrêt du 16 décembre 2021, UBS Real Estate, C 478/19 et C 479/19, EU:C:2021:1015, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

19 À cet égard, il convient de rappeler qu’une législation nationale qui a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci relève du champ d’application de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement. En revanche, des dispositions nationales qui trouvent à s’appliquer à des participations effectuées dans la seule intention de réaliser un placement financier, sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise, doivent être examinées exclusivement au regard de la libre circulation des capitaux [arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C 342/20, EU:C:2022:276, point 45 et jurisprudence citée].

20 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal, telle que mise en œuvre par l’administration fiscale, vise à avantager fiscalement les plus-values générées par la cession de parts de micro et de petites entreprises non cotées sur des marchés boursiers réglementés ou non réglementés, pour autant que celles-ci exercent une activité économique au Portugal. Ainsi que la Commission européenne l’a observé, cette réglementation s’applique à toutes les cessions de parts de ces sociétés, indépendamment de l’ampleur des participations concernées.

21 Ainsi, sans exclure de son champ d’application des situations relevant de la liberté d’établissement, la réglementation nationale en cause au principal vise de manière générale des participations, sans que soit pertinent le fait que celles-ci ont été acquises dans l’intention d’influer sur la gestion et le contrôle d’une entreprise. Cette réglementation est, par conséquent, susceptible d’affecter de manière prépondérante la libre circulation des capitaux. L’éventuelle restriction à la liberté d’établissement résultant de ladite réglementation constitue une conséquence inévitable de la restriction à la libre circulation des capitaux et ne justifie pas, dès lors, un examen autonome au regard de l’article 49 TFUE [voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C 342/20, EU:C:2022:276, point 47 et jurisprudence citée].

Sur la restriction à la libre circulation des capitaux

22 En vertu de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

23 Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents d’en faire dans d’autres États (arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 36 et jurisprudence citée).

24 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal, telle que mise en œuvre par l’administration fiscale, instaure une différence de traitement entre les résidents fiscaux portugais détenant des participations dans des entreprises qui exercent une activité économique au Portugal et ceux détenant des participations dans des entreprises exerçant une activité économique en dehors du Portugal, les plus-values réalisées sur les cessions des parts de ces dernières étant plus lourdement imposées. Ainsi, cette réglementation rend plus attractif l’investissement dans des entreprises établies sur le territoire portugais, au détriment de celles établies dans d’autres États membres.

25 Or, une telle différence de traitement en fonction du lieu d’investissement des capitaux a pour effet de dissuader un résident fiscal portugais d’investir ses capitaux dans une société établie dans un autre État et produit également un effet restrictif à l’égard des sociétés établies dans d’autres États en ce qu’elle constitue à leur encontre un obstacle à la collecte de capitaux au Portugal (voir, par analogie, arrêts du 6 juin 2000, Verkooijen, C 35/98, EU:C:2000:294, points 34 et 35 ; du 15 juillet 2004, Weidert et Paulus, C 242/03, EU:C:2004:465, points 13 et 14, et du 18 décembre 2007, Grønfeldt, C 436/06, EU:C:2007:820, point 14 et jurisprudence citée). Elle constitue, dès lors, une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 63 TFUE.

26 Cela étant, en vertu de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, l’article 63 TFUE ne porte toutefois pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis.

27 Il résulte d’une jurisprudence constante que l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, en tant qu’il constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, cette disposition ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État dans lequel ils investissent leurs capitaux est automatiquement compatible avec le traité [arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C 342/20, EU:C:2022:276, point 67 et jurisprudence citée].

28 En effet, les différences de traitement autorisées par l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE ne doivent constituer, selon le paragraphe 3 de cet article, ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée. La Cour a jugé, dès lors, que de telles différences de traitement ne sauraient être autorisées que lorsqu’elles concernent des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou, dans le cas contraire, lorsqu’elles sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général [arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C 342/20, EU:C:2022:276, point 68 et jurisprudence citée].

29 Selon la jurisprudence de la Cour, la comparabilité d’une situation transfrontalière avec une situation interne de l’État membre doit être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause, ainsi que de l’objet et du contenu de ces dernières. Seuls les critères de distinction pertinents établis par la réglementation concernée doivent être pris en compte afin d’apprécier si la différence de traitement résultant d’une telle réglementation reflète une différence de situations objective (arrêt du 16 décembre 2021, UBS Real Estate, C 478/19 et C 479/19, EU:C:2021:1015, points 47 et 48 ainsi que jurisprudence citée).

30 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la pratique fiscale en cause au principal a pour objectif de soutenir les entreprises nationales et de stimuler l’activité économique au Portugal en diminuant de moitié la charge fiscale qui pèse sur les plus-values réalisées par les contribuables ayant leur résidence fiscale au Portugal, lorsqu’ils cèdent des parts de sociétés établies dans cet État membre. Les plus-values réalisées par ces contribuables sur les cessions de parts de sociétés établies au sein d’autres États membres sont, en revanche, soumises à une imposition au taux plein.

31 La réglementation nationale en cause au principal, telle que mise en œuvre par l’administration fiscale, s’applique donc indistinctement à toute personne physique ayant sa résidence fiscale au Portugal et emporte un traitement différencié fondé exclusivement sur le lieu d’établissement des sociétés dans lesquelles les capitaux sont investis, en vue d’encourager l’investissement dans l’activité économique au Portugal, au détriment de l’investissement au sein des autres États membres.

32 Or, d’une part, un contribuable qui procède à des investissements dans des parts d’une société portugaise et un contribuable qui procède à des investissements dans des parts d’une société étrangère investissent tous les deux leurs capitaux dans des sociétés en vue de réaliser des bénéfices (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2021, Real Vida Seguros, C 449/20, EU:C:2021:721, point 33).

33 D’autre part, admettre que des contribuables ayant investi dans des entreprises qui exercent une activité économique au Portugal seraient placés dans une situation différente des contribuables ayant investi dans des entreprises exerçant une activité économique en dehors du Portugal, alors que l’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit précisément les restrictions aux mouvements de capitaux transfrontaliers, viderait cette disposition de son contenu (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2021, Real Vida Seguros, C 449/20, EU:C:2021:721, point 36 et jurisprudence citée).

34 Ainsi, la différence de traitement résultant d’une telle réglementation ne repose pas sur une différence de situations objective.

35 Par conséquent, il convient d’examiner si cette restriction à la libre circulation est susceptible d’être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. En effet, selon la jurisprudence, une restriction à la libre circulation des capitaux peut être admise si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN, C 545/19, EU:C:2022:193, point 75 et jurisprudence citée).

36 En l’occurrence, d’après la juridiction de renvoi, la pratique fiscale en cause au principal vise à soutenir les entreprises nationales et à stimuler l’activité économique au Portugal.

37 Or, conformément à une jurisprudence constante, un objectif de nature purement économique ne peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité FUE (arrêts du 6 juin 2000, Verkooijen, C 35/98, EU:C:2000:294, point 48, et du 25 février 2021, Novo Banco, C 712/19, EU:C:2021:137, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

38 En tout état de cause, même à supposer qu’un tel objectif soit considéré comme admissible, aucune indication n’a été présentée pour suggérer que celui-ci ne serait pas atteint si l’avantage fiscal prévu par la réglementation nationale en cause au principal était également appliqué aux plus-values générées par la cession de parts de micro et de petites entreprises qui exercent une activité économique en dehors du Portugal (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2021, Real Vida Seguros, C 449/20, EU:C:2021:721, point 40).

39 Si, sans contester ledit objectif de nature purement économique, le gouvernement portugais affirme, dans ses observations écrites, que la différence de traitement en cause serait directement liée à la protection de la cohérence du régime fiscal, il convient de rappeler que, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé, le caractère direct de ce lien devant être apprécié au regard de l’objectif de la législation en cause [arrêt du 7 avril 2022, Veronsaajien oikeudenvalvontayksikkö (Exonération des fonds d’investissement contractuels), C 342/20, EU:C:2022:276, point 92 et jurisprudence citée].

40 Or, force est de constater que le gouvernement portugais ne développe aucune argumentation juridique pour étayer son affirmation. Dès lors, ce gouvernement n’a pas démontré que l’avantage fiscal octroyé aux contribuables détenant des participations dans des entreprises qui exercent une activité économique au Portugal était compensé par un prélèvement fiscal déterminé, justifiant ainsi l’exclusion des contribuables détenant des participations dans des entreprises qui exercent une activité économique en dehors du Portugal du bénéfice de cet avantage.

41 Ainsi, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il semble que la réglementation en cause au principal, telle que mise en œuvre par l’administration fiscale, ne soit pas justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.

42 Par conséquent, l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique fiscale d’un État membre, en matière d’impôt sur le revenu des personnes physiques, qui prévoit qu’un avantage fiscal, consistant à diminuer de moitié la taxation des plus-values générées par la cession de parts de sociétés, est réservé aux seules cessions de parts de sociétés établies dans cet État membre, à l’exclusion de celles de parts de sociétés établies dans d’autres États membres.

Sur les cinquième à onzième questions

43 Par ces questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation du principe général du droit de l’Union relatif à l’interdiction des pratiques abusives, au motif que le requérant au principal aurait prétendument cherché à se prévaloir abusivement du droit de l’Union, en ce compris des libertés fondamentales prévues aux articles 49 et 63 TFUE, afin de bénéficier du traitement prévu à l’article 43, paragraphe 3, du code IRS.

44 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci respecte scrupuleusement les exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle et figurant de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, dont la juridiction de renvoi est censée avoir connaissance. Ces exigences sont, par ailleurs, rappelées dans les recommandations de la Cour à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C 561/19, EU:C:2021:799, point 68 ainsi que jurisprudence citée).

45 Ainsi, il est indispensable, comme l’énonce l’article 94, sous c), du règlement de procédure, que la décision de renvoi contienne l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal (arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi, C 561/19, EU:C:2021:799, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

46 En l’occurrence, s’agissant des cinquième à onzième questions, il y a lieu de constater que la juridiction de renvoi ne fournit qu’un exposé lacunaire du cadre réglementaire et factuel et, en particulier, de l’avantage que le requérant au principal aurait cherché à obtenir en procédant à la cession de parts en cause au principal, au lieu d’une distribution de dividendes. CLB et Prince Vert étant des sociétés de droit français, la juridiction de renvoi n’a pas fait état de l’ensemble de la charge fiscale qui aurait pesé sur une telle distribution de dividendes, notamment à la lumière des dispositions du code IRS sur les dividendes d’origine étrangère ainsi que de la convention préventive de double imposition conclue entre la République française et la République portugaise, qui ont été citées par le requérant au principal dans ses observations écrites, mais qui ne figurent pas dans la demande de décision préjudicielle.

47 En outre, la juridiction de renvoi reste en défaut d’exposer en quoi le requérant au principal aurait fait un exercice abusif des libertés prévues aux articles 49 et 63 TFUE. De même, elle n’expose pas le lien qu’elle prétend établir entre l’avantage fiscal allégué, lequel résulterait du seul droit national, et non du droit de l’Union, et l’interprétation sollicitée du principe général du droit de l’Union d’interdiction des pratiques abusives.

48 Dans ces conditions, la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées, et celles-ci ne satisfont donc pas aux conditions de recevabilité énoncées à l’article 94 du règlement de procédure.

49 Par conséquent, il convient de constater que les cinquième à onzième questions sont irrecevables, la juridiction de renvoi conservant toutefois la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle lorsqu’elle sera en mesure de fournir à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (voir, par analogie, ordonnance du 1er octobre 2020, Inter Consulting, C 89/20, EU:C:2020:771, point 34 et jurisprudence citée).

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique fiscale d’un État membre, en matière d’impôt sur le revenu des personnes physiques, qui prévoit qu’un avantage fiscal, consistant à diminuer de moitié la taxation des plus-values générées par la cession de parts de sociétés, est réservé aux seules cessions de parts de sociétés établies dans cet État membre, à l’exclusion de celles de parts de sociétés établies dans d’autres États membres.