CA Bordeaux, 4 eme ch. civ., 20 février 2019, n° 18/04897
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
EGIDE (SELAS)
Défendeur :
PMP (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. CHELLE
Conseillers :
Mme FABRY, M. PETTOELLO
Avocats :
SCP Annie TAILLARD, SELARL BOISSY AVOCATS
Selon acte sous seing privé du 20 mars 2012, la SCI PMP (le bailleur) a consenti à la SNC Lodel un bail commercial portant sur un local situé zone du Perget, 2-4 avenue André Marie Ampère à Colomiers (31) pour une durée de 9 années.
La société Lodel (la locataire) était autorisée à exercer dans les lieux un commerce de presse. Il était stipulé une autorisation de cession isolée du droit au bail pour l'exercice d'une activité donnant vocation au bénéfice du statut des baux commerciaux, à l'exception d'une activité déjà présente au sein du centre commercial.
Par jugement du 29 août 2013, le tribunal de commerce de Toulouse a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée de la société Lodel et désigné maître Liliane Vinceneux en qualité de mandataire.
Par acte d'huissier du 11 juillet 2014, la société Lodel a fait assigner la société PMP devant le tribunal de grande instance de Toulouse en paiement de dommages et intérêts pour refus abusif, par son silence, de la cession du droit au bail.
Par jugement du 14 mars 2016, le tribunal de grande instance de Toulouse a ainsi statué :
Déboute la SNC Lodel de l'ensemble de ses demandes,
Condamne la SNC Lodel à verser à la SCI PMP la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SNC Lodel aux entiers dépens de l'instance.
Pour statuer ainsi le tribunal a retenu que la locataire ne démontrait pas avoir soumis l'offre de cession du droit au bail du 3 juin 2013 et que pour la seconde offre le bailleur justifiait d'un motif légitime de refus.
Saisie sur appel de Maître Vinceneux ès qualités, la cour d'appel de Toulouse, par arrêt du 29 mars 2017, a confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse et rejeté les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant sur pourvoi de Maître Vinceneux ès qualités, la Cour de cassation par arrêt du 12 juillet 2018 a ainsi statué :
Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.
La Cour de cassation a retenu que la cour d'appel n'avait pas donné de base légale à sa décision sans rechercher si la lettre du 12 décembre 2013 présentait un caractère officiel. Elle a également retenu que l'arrêt n'avait pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile en ne répondant pas aux conclusions selon lesquelles la réponse tardive du bailleur avait à tout le moins fait perdre une chance de cession.
Par acte du 27 août 2018, Maître Vinceneux ès qualités a déclaré saisir la cour d'appel de Bordeaux en tant que cour de renvoi désignée par la Cour de cassation.
En application de l'article 1037-1 du code de procédure civile, un avis de fixation au 23 janvier 2019 à 14 heures a été adressé le 11 septembre 2018 à l'avocat de l'auteur de la déclaration de saisine, qui a signifié sa déclaration d'appel et l'avis de fixation à l'intimée le 14 septembre 2018.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures en date du 3 janvier 2019 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la SELARL Egide ès qualités venant aux lieu et place de Maître Vinceneux demande à la cour de :
Vu les articles 1134 et 1146 du Code Civil ;
Vu les articles L145-1 et suivants du Code de Commerce ;
Vu l'arrêt de cassation en date du 18 juillet 2018 ;
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées.
Y venir la susnommée,
A titre principal
Constater l'inertie de la société PMP en sa qualité de bailleur ;
Dire et juger que le courrier confidentiel du entre avocats du 12 décembre 2013 ne pouvait s'analyser en une réponse du bailleur ;
Dire et juger que le silence opposé par la société PMP est constitutif d'un abus de droit de nature à engager sa responsabilité ;
Constater le préjudice subi par la SNC Lodel caractérisé par la perte de chance de céder son bail commercial et le préjudice moral subi ;
A titre subsidiaire
- Dire et juger que le motif de refus opposé par la société PMP est illégitime ;
En conséquence
- Réformer le Jugement du Tribunal de Grande Instance de Toulouse en date du 14 mars 2016 en toutes ses dispositions ;
Condamner la société PMP à payer la somme de 150 000 euros à la SNC Lodel prise en la personne de son liquidateur judiciaire correspondant au prix qu'elle aurait perçu si la SCI PMP n'avait pas abusivement refusé son agrément;
Condamner la société PMP à payer la somme de 20 000 euros correspondant au préjudice moral subi ;
Condamner la société PMP à payer la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;
La condamner aux entiers dépens de la présente instance
Elle soutient que le bailleur ne peut prétendre avoir été informé uniquement le 27 novembre 2013 de la volonté de cession du droit au bail alors qu'il existait des offres antérieures auxquelles le bailleur n'avait pas répondu. Elle s'explique sur chacune des offres et fait valoir que celle du 28 juin 2013 a fait l'objet d'une transmission par télécopie et qu'elle a été maintenue après la liquidation judiciaire sans que le bailleur réponde par écrit comme le stipulait le contrat de bail alors que la correspondance entre avocats était confidentielle. Elle invoque un silence fautif du bailleur engageant sa responsabilité et en tout état de cause une réponse tardive. Elle s'explique sur le préjudice faisant valoir qu'elle n'a pas pu adapter ses recherches ou discuter les motifs du bailleur, ce qui a engendré une perte de chance équivalente au prix de cession. À titre subsidiaire, elle soutient qu'il n'existait pas de motif légitime au refus alors qu'il n'est pas justifié qu'un commerce de restauration rapide existait déjà dans le centre commercial et que si tel était le cas le bailleur avait lui même accepté plusieurs commerces concurrents.
Dans ses dernières écritures en date du 29 novembre 2018 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la SCI PMP demande à la Cour de :
Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et en tout cas mal fondées,
Vu le jugement de Tribunal de Grande Instance de Toulouse en date du 14 mars 2016,
Vu l'appel interjeté par la SNC Lodel,
Vu les articles 1134 et 1717 du Code civil,
Vu les articles L145-1 à L145-60 du Code de commerce,
Vu la jurisprudence,
Constater que la SCI PMP a répondu à la demande d'autorisation de cession du droit au bail,
Dire et juger que le refus d'agrément du bailleur est légitime et fondé,
Confirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamner la SNC Lodel à verser à la SCI PMP une somme de 7.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Prononcer l'inscription au passif de la SNC Lodel l'ensemble des condamnations prononcées.
Elle soutient qu'il n'existait pas de formalisme au refus d'agrément du bailleur de sorte que peu importe les modalités selon lesquelles il a répondu comme il importe peu qu'il n'ait pas répondu rapidement. Elle estime que c'est la société Lodel qui a été négligente dans les modalités de communication des offres. Elle conteste avoir été destinataire de la première offre du 3 juin 2013 alors que s'agissant de la seconde offre elle n'en a été informée que le 27 novembre 2013. Elle se prévaut d'une réponse adressée par son conseil au conseil de la société Lodel de sorte que si le courrier ne pouvait être produit, sa teneur pouvait être révélée au client. Elle estime son refus légitime au regard de la présence d'autres commerces proposant une restauration rapide alors que telle était l'offre de reprise.
Motifs
EXPOSE DES MOTIFS
La qualité de la société SELAS Egide venant en lieu et place de Maître Liliane Vinceneux agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société SNC Lodel n'est pas discutée, elle reste désignée comme « la locataire ».
Le débat est celui de l'engagement de sa responsabilité par le bailleur sollicité par sa locataire pour donner son agrément à la cession isolée du bail commercial « tout commerce à l'exception de toute activité déjà présente au sein du centre commercial, pour une nouvelle destination ».
Sur la demande d'agrément.
Le bail prévoit : Activités autorisées : le locataire pourra utiliser les lieux pour l'exercice de l'activité tout commerce, à l'exception de toute activité déjà présente au sein du centre commercial... Dans le cas d'une nouvelle destination autre que celle prévue dans l'article précédent, celle ci devra faire l'objet de l'accord exprès et écrit du bailleur ...Cession isolée du bail ... est autorisée pour l'exercice d'une activité donnant vocation au bénéfice du statut des baux commerciaux et à l'exception d'une activité déjà présente au sein du centre commercial. Toutefois cette cession ne pourra intervenir qu'avec l'agrément préalable du bailleur qui devra être donné par écrit.
A ce titre, la locataire soutient avoir transmis trois offres.
Elle expose avoir reçu le 3 juin 2013 par le conseil d'un repreneur pour une activité de restauration rapide (Monti Associés Avocats) une offre de reprise à hauteur de 80 000 euros. Toutefois, elle n'apporte aucun élément probatoire de cette transmission au bailleur qui dit ne pas l'avoir reçue. Cette offre ne peut donc pas être retenue comme ayant dû recevoir une réponse du bailleur.
La seconde en date du 24 juin 2013, à hauteur de 150 000 euros émanant de M. K. gérant enseigne Subway pour une activité de restauration rapide. C'est à tort que le bailleur prétend ne pas l'avoir reçue alors que la locataire justifie de l'envoi de cette proposition le 27 juin suivant par son avocat Alpha Conseil. Il est justifié d'une transmission par fax dont la réception est établie par la société Agie Arte spécialement mandatée pour recevoir toute correspondance adressée à la société PMP aux termes d'une lettre du 7 juin 2012 que le bailleur ne discute pas.
Elle présente également des échanges de courriels entre sa mandataire liquidatrice et M. K. en date du 20 septembre 2013 proposant une autre offre de Subway à la mandataire pour la somme de 50 000 euros.
La locataire présente également des correspondances de son avocat, en date du 26 novembre 2013, particulièrement une mise en demeure aux termes de laquelle, il somme le bailleur de prendre position quant à la reprise du droit au bail afin de pouvoir discuter des motifs d'un éventuel refus d'agrément et une lettre de la mandataire liquidatrice du 10 décembre 2013 sur le même thème.
Le bailleur admet avoir reçu la lettre du 26 novembre 2013 et considère qu'il y a été répondu, dans la forme d'un courrier entre avocats en date du 12 décembre 2013.
Sur ce point, les parties reconnaissent des pourparlers confidentiels entre avocats.
Il est admis que, sous certaines conditions définies par le règlement intérieur national de la profession d'avocat, les correspondances entre avocats notamment celles portant la mention «officielle» peuvent être divulguées. Dans le cas présent les pièces n'étant pas présentées à la cour, il ne peut être retenu une réponse du bailleur conforme aux dispositions contractuelles qui imposent pour une demande d'agrément, une réponse circonstanciée et loyale permettant dans le cas d'un refus une discussion, le cas échéant, sous le contrôle du juge saisi d'une demande d'indemnisation d'un préjudice ayant résulté d'un refus discrétionnaire.
En tout état de cause, la cour retient qu'il n'a pas été apporté de réponse à la demande d'agrément par la locataire, de l'offre émise le 28 juin 2013 par la société Subway, avant qu'elle ne soit placée en procédure de liquidation judiciaire le 29 août 2013, ce que le bailleur, qui a déclaré sa créance le 7 septembre 2013, avant même la publication du jugement au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) le 13 suivant, ne pouvait ignorer, étant rappelé qu'il se réfère dans ses conclusions à une correspondance de sa locataire en date du 10 juin 2013 faisant état de difficultés financières et de sa décision de céder le droit au bail, tout en demandant de communiquer ses coordonnées à toutes personnes susceptibles d'être intéressées par la reprise des locaux.
C'est donc à juste titre que la locataire fait valoir un préjudice causé par le bailleur qui n'a pas répondu loyalement aux demandes d'agrément des offres de reprises qui lui étaient transmises.
Elle considère en effet que l'absence de réponse dans des délais raisonnables l'a empêchée en cédant le bail à titre onéreux de diminuer d'autant ses dettes et son passif et que la notification le cas échéant d'un refus d'agrément l'a empêchée d'exercer un recours et/ou de trouver d'autres cessionnaires avant de contraindre la mandataire liquidatrice à ne pas continuer le bail .
A ce titre, la locataire invoque une perte de chance équivalant au prix de cession proposé avant qu'elle ne soit placée en liquidation judiciaire et retient la première offre de Subway à hauteur de 150 000 euros.
Le bailleur rappelle que le bail ne permettait le changement d'activité qu'à la condition que la nouvelle activité ne soit pas déjà présente dans le centre et, il fait valoir son refus légitime d'agréer cette enseigne de restauration rapide alors que le centre commercial comportait déjà trois restaurants et une boulangerie, celle ci pratiquant la vente de sandwichs à emporter comme deux des restaurants déjà présents. Outre que la présence effective de ces établissements au moment de la demande d'agrément est contestée par la locataire, la cour, en l'état des informations dont elle dispose sur les différents baux commerciaux de l'ensemble
des boutiques du centre, ne saurait admettre un refus légitime d'agrément seulement justifié par des engagements de non concurrence au demeurant peu explicités.
Ainsi, la cour considère que l'inaction du bailleur ayant reçu des demandes d'agrément à compter du 28 juin 2013, sans y répondre loyalement dans des délais raisonnables à bien causé un préjudice à sa locataire de perte de chance de céder son bail à titre onéreux. En effet, c'est à tout le moins un retard dans la réponse qui doit être retenu comme fautif, retard qui n'a pas permis au preneur de faire d'autres recherches ou de discuter le refus et l'a privé d'une chance sérieuse de pouvoir céder le bail. Le bailleur ayant engagé sa responsabilité à ce titre sera condamné au paiement de la somme de 80 000 euros de dommages et intérêts.
La locataire fait également valoir une demande d'indemnisation à hauteur de 20 000 euros au titre d'un préjudice moral résultant de la situation d'une société morose qui a été acculée à tel point que son gérant a appelé de ses propres voeux la liquidation judiciaire sans même tenter un redressement. Cette description, au demeurant non étayée, ne permet pas de caractériser un préjudice en lien de causalité avec le comportement fautif du bailleur indemnisé par ailleurs.
Si cette demande de la locataire est rejetée par la cour, il reste que son appel est fondé. Le bailleur sera donc condamné à lui verser la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et devra payer la totalité des dépens comprenant ceux de la décision cassée par application des dispositions de l'article 639 du code de procédure civile.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse prononcé le 14 mars 2016 en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
Condamne la SCI PMP à payer à la SELAS Egide ès qualités de mandataire liquidatrice de la SNC Lodel la somme de 80 000 euros de dommages et intérêts ;
Rejette toutes les demandes des parties plus amples ou contraires ;
Condamne la SCI PMP à payer à la SELAS Egide ès qualités de mandataire liquidatrice de la SNC Lodel la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI PMP à payer les entiers dépens exposés devant les juridictions du fond.