Cass. com., 4 janvier 1994, n° 91-14.448
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 1er mars 1991) que, par acte du 21 janvier 1988 intitulé "convention de séquestre amiable", la société Assouly Elfferich (la société Assouly) s'est engagée à céder à la société Nitya, avant le 15 février 1988, et pour le prix de 500 000 francs, le fonds de commerce qu'elle exploitait dans des locaux appartenant à M. X..., tandis que la société Nitya versait entre les mains d'un séquestre la somme de 5 000 francs, à valoir sur le prix de vente du fonds ; que le contrat de bail afférent à ces locaux exigeait le consentement exprès et par écrit du bailleur en cas de cession du droit au bail ; qu'invité, par lettre du 9 février 1988, à donner son agrément, M. X... a, le 11 février, conclu avec la société Assouly une convention de résiliation du bail et notifié à la société Nitya son refus d'agréer la cession qui lui était soumise ;
que cette dernière ayant assigné M. X... et la société Assouly en exécution de la convention du 21 janvier 1988, la cour d'appel, considérant que le refus d'agrément opposé par M. X... à la cession du bail interdisait à la société Nitya de poursuivre l'exécution forcée de la vente du fonds de commerce, a rejeté sa demande principale mais accueilli sa demande subsidiaire en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi incident :
Attendu que M. X... et la société Assouly reprochent à l'arrêt d'avoir ainsi statué après avoir écarté le moyen tiré de la nullité de la convention du 21 janvier 1988 pour défaut d'enregistrement dans le délai prévu par l'article 1840 A du Code général des impôts, alors, selon les pourvois, que pour apprécier le caractère synallagmatique ou unilatéral d'une promesse de vente, conclue avec une faculté de rétractation au profit du cessionnaire, les juges du fond doivent rechercher l'importance du dédit par rapport au prix de vente et son effet sur la liberté du cessionnaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a décidé que les arguments relatifs à l'importance minime du dédit par rapport au prix de cession étaient dénués de pertinence, refusant ainsi de rechercher si ce dédit d'un montant réduit avait eu effectivement pour effet de contraindre le bénéficiaire de la promesse à acheter et de faire de la promesse un contrat bénéficiaire de la promesse à acheter et de faire de la promesse un contrat synallagmatique échappant aux exigences de l'article 1840 A du Code général des impôts ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce dernier texte et de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société Nitya s'était engagée à acheter le fonds de commerce au plus tard le 15 février 1988, la cour d'appel, appréciant souverainement la commune intention des parties, a décidé que la convention litigieuse constituait une promesse synallagmatique de vendre et d'acheter, peu important en l'espèce le montant du dédit mis à la charge de l'acquéreur ;
qu'elle a ainsi justifié sa décision ; que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi principal et le moyen unique, pris en ses troisième et quatrième branches, du pourvoi incident :
Attendu que M. X... et la société Assouly reprochent encore à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon les pourvois, d'une part, que la fraude se caractérise par la volonté d'échapper à l'application d'une règle légale ou conventionnelle obligatoire ;
qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que l'acte du 21 janvier 1988, passé entre les sociétés Nitya et Assouly Elfferich, était conclu sous la condition suspensive de l'agrément de M. X... ;
qu'il résultait de ces constatations que la société Nitya n'avait pas acquis de droit sur le bail et que M. X..., en résiliant le bail avec la société Assouly Elfferich, n'a pas échappé à l'application d'une règle légale ou conventionnelle dont la société Nitya aurait pu se prévaloir ; qu'en déclarant cependant frauduleux le refus d'agrément de la part du bailleur et la conclusion de la résiliation du bail, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que pour être source de responsabilité délictuelle, la conclusion d'une convention doit être réalisée au mépris des droits acquis par un tiers en vertu d'un contrat antérieur ;
qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté quela société Nitya n'avait pas acquis de droit sur le bail ;
qu'endéclarant M. X... responsable du préjudice subi par la société Nitya du fait de la résiliation du bail, la cour d'appel a
violé les articles 1134 et 1382 du Code civil ; alors, de surcroît, que la société Assouly Elfferich ne saurait se voir imputer à faute, ni encore moins à fraude le refus d'agrément opposé unilatéralement par le bailleur au projet de cession ; que la fraude se caractérise par la volonté d'échapper à l'application d'une règle légale ou conventionnelle obligatoire ; qu'en l'espèce, dès lors que l'acte du 21 janvier 1988 avait été conclu sous condition suspensive de l'agrément du bailleur, la société Nitya n'avait pas acquis de droit sur le bail, et la résiliation amiable du bail, convenue ultérieurement entre la société Assouly Elfferich et le bailleur n'avait pas pour résultat de faire échapper les parties à l'application d'une règle légale ou conventionnelle obligatoire dont la société Nitya aurait pu se prévaloir ;
qu'enl'absence de toute faute ou de toute fraude, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1382 du Code civil ; et alors, enfin, que n'est pas fautif le refus d'agrément d'une cession de bail opposé par le bailleur, en vertu d'intérêts personnels mais néanmoins légitimes, tel que le souci d'éviter le renouvellement des baux dans son immeuble ;
qu'ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Codecivil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la société Nitya exerçait une activité similaire à celle de la société Assouly et procédé à l'analyse des différents arguments invoqués par M. X... pour justifier son attitude, la cour d'appel a retenu que ce dernier n'avait aucun motif légitime de refuser l'agrément du successeur que lui soumettait son locataire, le seul souci de ne pas renouveler les baux dans son immeuble pour entreprendre une opération de rénovation ne pouvant constituer un tel motif de refus ; qu'en en déduisant que la précipitation de M. X... à signer avec la société Assouly Elfferich une résiliation amiable du bail, qui rendait impossible la cession envisagée, avait été faite en fraude des droits de la société Nitya, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs des pourvois ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal :
Attendu que M. X... reproche, en outre, à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le pourvoi, que pour être opposable au bailleur, la cessation d'un bail commercial, comprise dans la cession d'un fonds de commerce, doit faire l'objet d'une signification au bailleur ou être acceptée par lui, dans un acte authentique ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a relevé qu'à l'époque de la résiliation amiable du bail commercial, intervenue entre la société Assouly Elfferich et M. X..., celui-ci avait été informé d'un projet de vente du fonds de commerce de la société Assouly Elfferich à la société Nitya et invité à donner son agrément à cette cession ; qu'en statuant comme elle l'a fait, au motif que cette information permettait à M. X... de se douter de l'accord préalable des sociétés sur la cession de fonds de commerce et lui interdisait de conclure avec la société Assouly Elfferich une résiliation amiable, la cour d'appel a violé l'article 1690 du Code civil ;
Mais attendu que l'absence de signification de la cession du bail litigieux était sans incidence sur l'existence de la fraude alléguée, dès lors qu'était retenu par l'arrêt que M. X... avait eu connaissance effective de ce projet de cession lorsqu'il a procédé avec la société Assouly à la résiliation amiable qui lui est reprochée ; que le moyen est donc inopérant ;
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et cinquième branches, du pourvoi incident :
Attendu que M. X... et la société Assouly Elfferich reprochent, enfin, à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon les pourvois, d'une part, que, dès lors qu'elle reconnaît que l'acte du 21 janvier 1988 était conclu sous la condition suspensive de l'agrément de la cession par le bailleur, et que cette condition suspensive n'a pas été réalisée, la cour d'appel ne pouvait condamner la société Assouly Elfferich à exécuter l'acte, que ce soit en nature ou par substitution, ni la condamner à des dommages-intérêts à raison de cette inexécution ; qu'ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1181 du Code civil ; et alors, d'autre part, qu'en évaluant le montant du préjudice prétendument subi par la société Nitya au montant d'une éventuelle indemnité d'éviction du droit au bail qu'elle n'a jamais acquis, la cour d'appel a, en réalité, méconnu le fait que, par l'inaccomplissement de la condition suspensive, la convention ne s'était pas réalisée, et a en pratique ordonné l'exécution par équivalent d'une convention inexistante, en violation des articles 1134 et 1181 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel n'a pas condamné M. X... et la société Assouly à exécuter la convention du 21 janvier 1988, sur le fondement de leur responsabilité contractuelle, mais à dédommager la société Nitya du préjudice causé par leur agissements frauduleux, sur le fondement de leur responsabilité délictuelle ; qu'elle n'a fait ensuite qu'évaluer souverainement le montant de ce préjudice ;
que le moyen, pris en ses diverses branches, n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois tant principal qu'incident ;
Condamne les demandeurs aux pourvois principal et incident, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du quatre janvier mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.