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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 14 novembre 2023, n° 21/06625

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Fiteco (Sté)

Défendeur :

Heleos (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseillers :

Mme Clément, Mme Jeorger-Le Gac

Avocats :

Me Palicot, Me Cressard

CA Rennes n° 21/06625

13 novembre 2023

FAITS ET PROCEDURE :

La société Heleos est un cabinet d'expertise comptable et de commissariat aux comptes, situé à [Localité 3].

Elle occupait les fonctions de commissaire aux comptes des sociétés Ports et Plages Investissements et Les Maisons Rennaises, respectivement depuis 2007 et 1994.

Ces deux sociétés sont gérées par M. [W].

Le Cabinet Bolloré-[S] 35, représenté par M. [S], était expert-comptable de ces deux sociétés et avait pour mission la présentation des comptes depuis leur clôture au 31 décembre 2011.

En mai 2014, les sociétés Ports et Plages Investissements et Les Maisons Rennaises ont décidé de mettre un terme aux contrats de mission d'expertise comptable qui les liaient à la société Bolloré-[S] 35. Elles se sont rapprochées de la société Heleos pour lui confier cette mission.

Par assemblées générales en date du 12 juin 2014 des sociétés Ports et Plages Investissements et Les Maisons Rennaises, la démission de la société Heleos en qualité de commissaire aux comptes a été adoptée.

Le 12 juin 2014, la société Heleos a démissionné de ses mandats de commissaire aux comptes auprès des sociétés Ports et Plages Investissements et Les Maisons Rennaises, à l'issue des assemblées générales statuant sur les comptes de l'exercice 2013. Après avoir démissionné des mandats de commissaire aux comptes, la société Heleos a accepté les misions d'expertise comptable des deux sociétés. La lettre de mission d'expertise comptable a été signée après l'assemblée générale, en septembre 2014.

La société Bolloré-[S] 35 a estimé que la société Heleos avait ainsi commis des actes de concurrence déloyale et détourné ces deux clients. Elle l'a assignée en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de commerce de Rennes.

Par ordonnance du 2 novembre 2020, le Premier président de la cour d'appel de Rennes a ordonné le renvoi de cette affaire devant le tribunal de commerce de Saint-Brieuc.

Par jugement du 27 septembre 2021, le tribunal de commerce de Saint-Brieuc:

- S'est déclaré compétent pour connaitre de l'action en concurrence déloyale engagée par la société Bolloré-[S] 35 à l'encontre de la société Heleos et a :

- Débouté la société Heleos de sa demande au titre de la prescription de l'action en concurrence déloyale,

- Déclaré la société Bolloré-[S] 35 recevable et bien fondée dans son action, et ses demandes,

- Rejeté en conséquence toutes les prétentions, fins et demandes de la société Heleos au titre de la prescription de l'action engagée par la société Bolloré-[S] 35,

- Dit que la démission de la société Heleos était justifiée par un motif légitime,

- Jugé que la société Heleos n'a commis aucun manquement à une règle déontologique,

- Dit que le libre choix exercé par les clients n'est pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale,

- Constaté l'absence de faute de la société Heleos dans le transfert de la clientèle,

- Rejeté toutes les prétentions, fins et demandes de la société Bolloré-[S] 35,

- Dit que la société Bolloré-[S] 35 succombe pour l'essentiel,

- Condamné la société Bolloré-[S] 35à payer à la société Heleos la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Bolloré-[S] 35 aux entiers dépens de la procédure,

- Débouté les parties de leurs plus amples demandes ou contraires aux dispositifs du présent jugement.

La société Bollore-[S] a interjeté appel le 21 octobre 2021.

Les dernières conclusions de la société Fiteco, venant aux droits de la société Bollore-[S], sont en date du 11 juillet 2022. Les dernières conclusions de la société Heleos sont en date du 11 avril 2022.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2023.

Le 19 octobre 2023 il a été demandé, pour le 3 novembre 2023 au plus tard :

- A la société Fiteco de justifier qu'elle vient aux droits de la société Bollore-[S] 35,

- Aux parties de faire valoir toutes observations sur le point de savoir si le préjudice éventuellement subi par la société Bollore-[S] 35 ne consisterait pas en la perte d'une chance de conserver une marge sur l'activité des clients perdus plutôt que la perte d'une chance de réaliser un chiffre d'affaires avec ces clients perdus, et le cas échéant d'apporter toutes observations utiles sur l'importance d'une telle marge.

Il a été précisé que les parties pourront réciproquement répondre aux observations ainsi apportées pour le 9 novembre 2023 au plus tard.

La société Fiteco a produit les pièces demandées et ses observations le 3 novembre 2023.Les sociétés Heleos et Fiteco ont fait connaître leurs observations le 9 novembre 2023.

PRETENTIONS ET MOYENS :

La société Fiteco, venant aux droits de la société Bolloré-[S], demande à la cour de :

- Déclarer l'appel recevable et fondé, y faisant droit,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Dit que la démission de la société Heleos était justifiée par un motif légitime,

- Jugé que la société Heleos n'a commis aucun manquement à une règle déontologique,

- Dit que le libre choix exercé par les clients n'est pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale,

- Constaté l'absence de faute de la société Heleos dans le transfert de la clientèle,

- Rejeté toutes les prétentions, fins et demandes de la société Bolloré-[S],

- Dit que la société Bolloré-[S] 35 succombe pour l'essentiel,

- Condamné la société Bolloré-[S] 35 à payer à la société Heleos la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Bolloré-[S] 35 aux entiers dépens de la procédure,

- Débouté les parties de leurs plus amples demandes ou contraires aux dispositifs du présent jugement,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- S'est déclaré compétent pour connaître de l'action en concurrence déloyale engagée par la société Bolloré-[S] 35 à l'encontre de la société Heleos,

- Débouté la société Heleos de sa demande au titre de la prescription de l'action en concurrence déloyale,

- Déclaré la société Bolloré-[S] 35 recevable et bien fondée dans son action, et ses demandes,

- Rejeté en conséquence, toutes les prétentions, fins et demandes de la société Heleos au titre de la prescription de l'action engagée par la société Bolloré-[S] 35,

Et statuant à nouveau :

- Se déclarer compétente pour connaître de l'action en concurrence déloyale engagée par la société Bolloré-[S] 35,

- Dire et juger que l'action et les demandes de la société Fiteco (venant aux droits de la société Bolloré-[S] 35) sont parfaitement recevables, et aucunement prescrites,

- Dire et juger que la société Heleos a manqué à ses obligations légales et réglementaires de commissaires aux comptes, en démissionnant sans motif légitime de son mandat de commissaire aux comptes des sociétés Ports et Plages investissement et Les Maisons Rennaises, afin de récupérer ces clients en qualité d'expert-comptable, et ainsi détourner cette clientèle de la société Bolloré-[S] 35,

En conséquence :

- Dire et juger que la société Heleos a commis des actes de concurrence déloyale en usant de procédés déloyaux pour détourner à son profit deux clients de la société Bolloré-[S] 35,

- Condamner la société Heleos à verser à la société Fiteco (venant aux droits de la société Bolloré-[S] 35) la somme de 137.506,50 euros HT, en réparation du préjudice subi par cette dernière,

- Condamner la société Heleos à verser à la société Fiteco (venant aux droits de la société Bolloré-[S] 35) la somme de 12.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Heleos aux entiers dépens, y compris ceux éventuels d'exécution, - Débouter la société Heleos de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

La société Heleos demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- Dit que la démission de la société Heleos était justifiée par un motif légitime,

- Jugé que la société Heleos n'a commis aucun manquement à une règle déontologique,

- Dit que le libre choix exercé par les clients n'est pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale,

- Constaté l'absence de faute de la société Heleos dans le transfert de la clientèle,

- Rejeté toutes les prétentions, fins et demandes de la société Bolloré-[S] 35,

- Condamné la société Bolloré-[S] 35 à payer à la société Heleos la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société Bolloré-[S] 35 aux entiers dépens de la procédure,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Débouté la société Heleos de sa demande au titre de la prescription de l'action en concurrence déloyale,

- Déclaré la société Bolloré-[S] 35 recevable et bien fondée dans son action, et ses demandes,

- Rejeté en conséquence, toutes les prétentions, fins et demandes de la société Heleos au titre de la prescription de l'action engagée par la société Bolloré-[S] 35,

Statuant à nouveau :

A titre principal :

- Admettre la fin de non-recevoir invoquée par la société Heleos au titre de la prescription de l'action en concurrence déloyale de la société Bolloré-[S] 35,

- Rejeter en conséquence toutes les prétentions, fins et demandes de la société Bolloré-[S] 35 comme étant prescrites,

A titre subsidiaire :

- Dire et juger que la démission de la société Heleos était justifiée par un motif légitime,

- Dire et juger que la société Heleos n'a commis aucun manquement à une règle déontologique,

- Dire et juger que le libre choix exercé par les clients n'est pas constitutif d'un acte de concurrence déloyale,

- Constater, en conséquence, l'absence de faute de la société Heleos dans le transfert de la clientèle,

- Rejeter toutes les prétentions, fins et demandes de la société Bolloré-[S] 35,

A titre infiniment subsidiaire :

- Condamner la société Heleos à verser à la société Bolloré-[S] 35 la somme de 5.194,69 euros en réparation du préjudice subi par la perte de chance d'avoir conservé la clientèle,

En tout état de cause :

- Condamner la société Bolloré-[S] 35 à verser à la société Heleos la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Bolloré-[S] 35 aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Il est justifié que la société Bolloré-[S] a fait l'objet d'une fusion absorption par la société Fiteco avec effet au 31 mars 2022.

Sur la prescription :

La société Heleos fait valoir que l'action en paiement de dommages-intérêts formée contre elle serait prescrite.

Par lettres du 19 mai 2014 les sociétés Ports et Plages Investissements et Les Maisons Rennaises ont informé la société Bolloré-[S] de la fin des contrats lui confiant une mission d'expertise comptable et de leur choix de confier cette mission à la société Heleos.

La société Bolloré-[S] a ainsi eu connaissance à compter de cette date de la perte de cette clientèle au profit de la société Heleos.

La société Bolloré-[S] fait valoir que le délai de prescription aurait été suspendu du fait du recours à une procédure de conciliation.

La prescription est suspendue à compter du jour où les parties conviennent de recourir à la conciliation :

Article 2238 du code civil :

La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d'une convention de procédure participative ou à compter de l'accord du débiteur constaté par l'huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l'article L. 125-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l'une des parties ou les deux, soit le médiateur ou le conciliateur déclarent que la médiation ou la conciliation est terminée. En cas de convention de procédure participative, le délai de prescription recommence à courir à compter du terme de la convention, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois. En cas d'échec de la procédure prévue au même article, le délai de prescription recommence à courir à compter de la date du refus du débiteur, constaté par l'huissier, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois.

Par lettre du 5 avril 2019, la société Bolloré-[S] a indiqué à la société Heleos qu'elle était disposée à soumettre le litige à une procédure de conciliation et lui a demandé de lui confirmer que la société Heleos était également d'accord pour recourir à une procédure de conciliation.

Par lettre du 24 avril 2019, la société Heleos a fait connaître à la société Bolloré-[S] qu'elle était d'accord pour que cette dernière engage une procédure de conciliation.

Il apparaît que cette lettre a formalisé l'accord écrit prévu à l'article 2238 du code civil. La prescription a été suspendue à compter de la date du 24 avril 2019.

Par lettre du 22 octobre 2019, l'ordre des experts-comptables a déclaré la procédure de conciliation terminée par la signature la veille d'un procès-verbal de non-conciliation entre les parties.

La société Bolloré-[S] a assigné la société Heleos le 7 avril 2020, soit moins de six mois après cette date, et donc dans les délais prévus à l'article 2238 cité supra.

Il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la concurrence déloyale :

La société Bolloré-[S] fait valoir que la société Heleos aurait démissionné de ses fonctions de commissaire aux comptes dans des conditions irrégulières au vu des régles de déontologie des commissaires aux comptes et que c'est ce manquement à des obligations réglementaires qui lui aurait permis de détourner la clientèle ici en litige.

Le code de déontologie des commissaires aux comptes prévoit que le commissaire aux comptes exerce sa mission jusqu'à son terme mais qu'il peut cependant démissionner pour motifs légitimes dont la survenance d'un événement de nature à compromettre le respect des règles applicables à la profession, et notamment à porter atteinte à l'indépendance ou à l'objectivité du commissaire aux comptes.

La société Heleos fait valoir qu'elle aurait démissionné de ses fonctions de commissaire aux comptes en raison d'un conflit d'intérêts naissant.

Elle fait valoir que [M] [D] détenait 5 % de la société Les Maisons Rennaises depuis 1993. A son décès en septembre 2012, cette participation a été transmise à Mme [D].

La société Heleos fait valoir qu'elle accompagnait Mme [D], y compris devant son gestionnaire de patrimoine financier, devant son notaire pour tous types d'actes et devant l'administration fiscale à titre personnel. Elle la conseillait sur l'opportunité de travaux ou cessions de biens immobiliers.

En janvier 2014, M. [W] aurait demandé de procéder au rachat des titres de Mme [D]. La société Heleos indique qu'elle y aurait vu un risque de conflit d'intérêt justifiant sa démission de son mandat de commissaire aux comptes.

Dans ses conclusions de première instance en date du 7 mai 2020, la société Heleos n'avait pas fait mention de ce problème déontologique mais uniquement de ce que M. [W] avait cherché au premier semestre 2014 à changer d'expert-comptable du fait de son mécontentement des services rendus par la société Bollore [S]. M. [W] aurait finalement proposé à la société Heleos de reprendre les dossiers en qualité d'expert-comptable. Dans ces conclusions la société Heleos faisait valoir que son maintien en tant que commissaire aux comptes était incompatible avec la mission d'expertise comptable et que c'était la raison pour laquelle la société Heleos avait démissionné de ses deux mandats de commissaire aux comptes.

Lors de son audition devant le rapporteur du Haut conseil du commissariat aux comptes du 25 septembre 2020, M. [Z], en sa qualité de représentant légal de la société Heleos, a précisé qu'en janvier 2014 il avait rencontré M. [W] qui lui avait indiqué être gêné par la détention de 5% des parts de la société Les Maisons Rennaise qui l'empêchait d'envisager des opérations capitalistiques. M. [Z] a indiqué avoir alors déclaré à M. [W] que s'il entrait en conflit avec Mme [D] cela pouvait justifier un motif de démission de sa part. M. [Z] a ajouté devant le rapporteur que le 12 mai 2014, lorsqu'il était venu pour l'audit, M. [W] lui aurait indiqué de manière véhémente qu'il voulait à tout prix racheter les 5 % restant et lui aurait présenté une méthode de valorisation des 5 % lui demandant son avis. M. [Z] lui aurait répondu qu'il ne pouvait pas lui donner de conseils en la matière compte tenu de sa position vis à vis de Mme [D]. Sentant un conflit potentiel sur les intérêts de Mme [D], et estimant être dans l'impossibilité de poursuivre sa mission de commissaire aux comptes, M. [Z] aurait alors indiqué à M. [W] qu'il remettrait sa démission à la prochaine assemblée générale mais qu'il avait tous deux actés oralement sa démission.

Selon l'attestation de M. [W] en date du 1er octobre 2020, le 12 mai 2014 la société Heleos lui aurait notifié la démission de ses mandats pour cause d'atteinte à son objectivité dans le cadre du conflit d'intérêts naissant avec son actionnaire minoritaire, Mme [D].

Il résulte de la lettre du rapporteur général du Haut conseil du commissariat aux comptes en date du 20 janvier 2021 que la formation statuant sur les cas individuels a décidé que les faits exposés dans le rapport d'enquête ne justifiaient pas l'engagement d'une procédure de sanction.

La société Bollore-[S] fait à juste titre valoir que la société Heleos s'est gardée de produire en justice la lettre de démission qu'elle a fait parvenir en mai 2014 aux sociétés intéressées. La société Heleos s'était engagée à produire cette lettre devant le rapporteur du Haut conseil du commissariat aux comptes. La lecture de cette lettre aurait, le cas échéant, permis à la cour d'apprécier le motif qui avait alors pu y être mentionné.

L'attestation de M. [W] en date du 1er octobre 2020 ne répond pas aux prescription de l'article 202 du code civil. Elle est en outre imprécise.

Les lettres de M. [W] mettant fin à la mission d'expert-comptable de la société Bollore-[S] mentionnaient comme motif son insatisfaction de ses prestation d'expertise comptable. Ce motif correspond d'ailleurs à la version des faits que la société Heleos exposait dans ses conclusions du 7 mai 2020.

Il apparaît ainsi que le caractère probant de l'attestation de M. [W] est pour le moins limité.

Alors que la société Bollore-[S] souligne que la société Heleos ne justifie pas avoir été en charge des intérêts de Mme [D], la société Heleos ne produit aucun élément permettant d'attester qu'elle était en charge de la gestion des intérêts personnels et professionnels de Mme [D]. Elle ne produit aucun élément permettant d'établir que la cession des parts de Mme [D] a été envisagée dès 2014 alors qu'il est établi que cette cession n'a été réalisée qu'au 31 décembre 2020.

Le ou les rapports qui ont pu être établis devant le Haut conseil du commissariat aux comptes ne sont pas non plus produits devant la cour alors que la société Bollore [S] souligne le peu de pièces afférentes à cette procédure produites devant la cour.

Dans ces circonstances, le fait que la formation statuant sur les cas individuels n'ait pas estimé devoir donner lieu à l'engagement d'une procédure disciplinaire ne permet pas d'établir dans quelles circonstances la démission de la société Heleos est intervenue ni pour quels motifs. La cour n'est en tout état de cause pas tenue par cette décision qui n'est d'ailleurs pas produite.

Il apparaît ainsi que la société Heleos n'établit pas que sa démission avant le terme de son mandat d'expert-comptable est intervenue pour un motif légitime.

Ces agissements constituent une faute et ont eu pour but, comme la société Heleos l'avait d'ailleurs elle-même exposé dans ses conclusions du 7 mai 2020, de lui permettre d'accepter la mission d'expertise comptable des deux sociétés en cause.

Aucun autre agissement fautif, tel que manœuvres ou dénigrement, n'est établi à l'encontre de la société Heleos.

Sur le préjudice :

En démissionnant de ses fonctions de commissaire aux comptes avant la fin de ses mandats, la société Heleos a commis une faute. Cette faute lui a permis de prendre en charge la comptabilité des deux clients litigieux avant la date normale de ses mandats.

De ce fait, la société Bollore-[S] 35 a perdu une chance de réaliser une marge sur les prestations réalisées en faveur de ces deux clients.

Il doit être tenu compte du fait que ces deux clients ont choisi de désigner la société Heleos en qualité d'expert-comptable à la place de la société Heleos. Ce choix relève de leur libre arbitre. La perte de chance de la société Bollore- [S] 35 doit être apprécier au vu de la liberté de choix de ses clients.

Le mandat auprès de la société Les Maisons Rennaises s'achevait au terme de l'exercice 2018. Celui de la société PPI s'achevait également au terme de l'exercice 2018. Les démissions de la société Heleos de ses mandats de commissaire aux comptes sont donc intervenues cinq années avant leurs termes.

Les honoraires annuels payés par la société Les Maisons Rennaises à la société Bollore-[S] étaient de 20.899 euros HT, ceux payés par la société PPI de 9.658 euros HT.

La société Bollore-[S] justifie qu'au cours des années 2013 à 2016 elle a réalisé une marge sur coûts variables de près de 90 %. Il en résulte qu'un contrat marginal de client profitait de la structure mise en place au sein de l'entreprise et lui permettait une marge de cette ampleur sur la facturation correspondante.

Au vu de ces éléments il y a lieu de fixer à la somme de 10.000 euros le préjudice subi par la société Bollore-[S] du fait de la perte d'une chance de bénéficier d'une marge sur les prestations fournies à ces deux sociétés.

Il y a lieu de condamner la société Heleos à payer à la société Fiteco la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts. S'agissant de dommages-intérêts, cette somme n'est pas soumise à la TVA.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de condamner la société Heleos aux dépens de première instance et 10 d'appel et de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il résulte des dispositions de l'article L. 111-8, alinéa 1er, du code des procédures civiles que les frais de l'exécution forcée sont, de principe, à la charge du débiteur. Il n'y a pas lieu de condamner le débiteur à ce titre.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

- Confirme le jugement en ce qu'il :

- S'est déclaré compétent pour connaitre de l'action en concurrence déloyale engagée par la société Bolloré-[S] 35 à l'encontre de la société Heleos et a :

- Débouté la société Heleos de sa demande au titre de la prescription de l'action en concurrence déloyale,

- Déclaré la société Bolloré-[S] 35 recevable et bien fondée dans son action, et ses demandes,

- Rejeté en conséquence toutes les prétentions, fins et demandes de la société Heleos au titre de la prescription de l'action engagée par la société Bolloré-[S] 35,

- Infirme le jugement pour le surplus :

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Condamne la société Heleos à payer à la société Fiteco la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts,

- Rejette les autres demandes des parties,

- Condamne la société Heleos aux dépens de première instance et d'appel.