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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 10 novembre 2023, n° 21/13168

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Konbini (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mme Lehmann, Mme Marcade

Avocats :

Me Duval-Stalla, Me de Tonquedec, Me Lallement, Me Astolfe

CA Paris n° 21/13168

9 novembre 2023

Vu le jugement réputé contradictoire du 1er juillet 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Paris qui a':

- dit recevables les demandes de la société Konbini dirigées contre M. [Y],

- condamné M. [Y] à payer à la société Konbini la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant des faits de parasitisme commis,

- rejeté les autres demandes de la société Konbini (réparation d'un préjudice financier et d'un préjudice d'image et publication de la décision) ainsi que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par M. [Y],

- condamné M. [Y] aux dépens,

- condamné M. [Y] à payer à la société Konbini la somme de 10'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

le tout au bénéfice de l'exécution provisoire,

Vu l'appel interjeté le 12 juillet 2021 par M. [Y],

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 20 mars 2023 par M. [Y] qui demande à la cour de':

- infirmer le jugement du 1er juillet 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Paris,

Et statuant à nouveau :

A titre liminaire,

- déclarer irrecevable la demande nouvelle d'irrecevabilité de la fin de non-recevoir,

- juger la société Konbini irrecevable en sa demande en ce que M. [Y] n'a pas qualité à défendre,

A titre principal,

- juger qu'aucun fait de parasitisme ne peut être reproché à M. [Y],

- juger que la procédure est abusive,

En conséquence :

- débouter la société Konbini de toutes ses demandes,

- condamner la société Konbini à la somme de 3000 euros en application de l'article 32-1 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

-juger qu'une condamnation de M. [Y] porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression,

- juger que la société Konbini ne justifie pas d'un quelconque préjudice certain,

En tout état de cause,

- condamner la société Konbini à payer à M. [Y] la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'au règlement des entiers dépens distraction faite au profit du cabinet [Y]-Stalla & associés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 18 janvier 2023 par la SAS Konbini qui demande à la cour de':

- confirmer le jugement du 1er juillet 2021 sauf en ce qu'il a débouté la société Konbini de ses demandes de réparation au titre du préjudice financier et du préjudice d'image ainsi que de sa demande de publication judiciaire et en ce qu'il a accordé 15 000 euros au titre du préjudice moral,

Statuant à nouveau :

A titre liminaire :

- déclarer la fin de non-recevoir irrecevable,

- rejeter l'irrecevabilité soulevée par M. [Y],

A titre principal :

- débouter M. [Y] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- dire et juger que M. [Y] a commis des actes constitutifs de parasitisme engageant sa responsabilité civile délictuelle,

- dire et juger que la société Konbini a subi un préjudice financier causé par les agissements de M. [Y],

- dire et juger que la société Konbini a subi un préjudice moral causé par les agissements de M. [Y],

- dire et juger que la société Konbini a subi un préjudice d'image causé par les agissements de M. [Y],

En conséquence,

- condamner M. [Y] à verser à la société Konbini la somme de 200 000 euros, à parfaire, au titre de la réparation de son préjudice financier,

- condamner M.[Y] à verser à la société Konbini la somme de 100 000 euros, au titre de la réparation de son préjudice d'image,

- condamner M. [Y] à verser à la société Konbini la somme de 100 000 euros, au titre de la réparation de son préjudice moral,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir sur la page d'accueil de la page Facebook de «Vivre [Localité 4] Ensemble avec [W] [Y]» dont l'URL est https://[05] et ce, pendant une période continue de 30 jours consécutifs devant débuter dans un délai maximal de 8 jours à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, en caractères parfaitement lisibles et en dehors de toute annonce ou mention à caractère promotionnel ou publicitaire, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de 8 jours après le prononcé de la décision à intervenir,

- dire et juger que l'astreinte sera liquidée sur simple demande de la société Konbini auprès de la cour,

- autoriser la société Konbini à publier le jugement à intervenir (sic) dans trois journaux ou revues de son choix et dans la limite d'un coût de 5 000 euros HT par insertion, aux frais exclusifs de M. [Y], qui sera tenu d'en faire l'avance sur simple présentation d'un devis de publication,

En tout état de cause :

- condamner M. [Y] à payer à la société Konbini la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner [W] [Y] aux entiers dépens,

Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 16 mars 2023,

Vu l'ordonnance de clôture du 30 mars 2023 ;

SUR CE,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société Konbini, créée en 2008, se présente comme une agence de communication et un média en ligne proposant différents contenus traitant principalement de l'actualité, de pop culture, de sport, de photographie, de séries et de cuisine, qu'elle diffuse sur les réseaux sociaux.

Elle a développé en 2015 un concept d'émission intitulée 'Fast & Curious' qui consiste 'en une interview vidéo de 2 minutes 30 secondes maximum, durant laquelle une personnalité répond de manière rapide à une série de question en choisissant entre deux propositions simples, permettant de dessiner en filigrane le parcours de la personne interviewée.'

La société Konbini expose avoir découvert qu'au mois de janvier 2020, M. [Y], maire de la ville de [Localité 4], avait mis en ligne sur la page Facebook officielle de sa campagne électorale un clip intitulé 'Fast & [Localité 4] ' reprenant le concept, le format ainsi que la présentation visuelle et sonore de son émission 'Fast & Curious'.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 janvier 2020, la société Konbini a informé le collectif «'Vivre [Localité 4] Ensemble'» que le clip de campagne de M. [Y] était susceptible de constituer une contrefaçon de droits d'auteur ainsi que des agissements parasitaires, et lui a enjoint de retirer la publication litigieuse de tous les réseaux sociaux et/ou sites internet et de lui verser 35 000 euros à titre de dommages et intérêts dans le cadre d'un règlement amiable.

Ce courrier étant resté sans effet, la société Konbini a, par acte d'huissier de justice du 14 février 2020, fait assigner M. [Y] devant le tribunal judiciaire de Paris en concurrence parasitaire.

Sur la fin de non- recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de M. [Y],

M. [Y] soulève l'irrecevabilité des demandes formées par la société Konbini à son encontre pour défaut de qualité à défendre.

La société Konbini conclut à l'irrecevabilité de cette fin de non- recevoir au motif que M. [Y] n'a pas saisi le le juge de la mise en état qui était seul compétent pour en connaitre.

M. [Y] demande à la cour de déclarer cette demande irrecevable car nouvelle et contraire aux dispositions des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile.

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile «'Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée'».

L'article 123 du même code ajoute que « Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt ».

En l'espèce, le tribunal a été saisi d'une fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de M. [Y]. La société Konbini n'a pas contesté la recevabilité de cette fin de non- recevoir sur le fondement de l'article 789 du code de procédure civile dans sa version issue du décret du 11 décembre 2019 et le tribunal n'a pas plus soulevé d'office son incompétence pour en connaitre'; il a donc statué sur la recevabilité des demandes de la société Konbini à l'encontre de M. [Y].

En conséquence, par l'effet dévolutif de l'appel, la cour est saisie de ce chef du jugement critiqué étant relevé que la société Konbini demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable son action.

Il y a donc lieu de statuer sur la fin de non-recevoir invoquée par M. [Y].

Celui-ci fait valoir qu'il n'est ni l'auteur ni le producteur de la vidéo litigieuse, pas plus qu'il n'est administrateur de la page Facebook sur laquelle celle-ci a été mise en ligne.

La vidéo litigieuse a été publiée sur le compte Facebook du collectif «'Vivre [Localité 4] Ensemble'», liste menée par M. [Y] pour les élections municipales à [Localité 4] les 15 et 22 mars 2020, qui n'a pas de personnalité juridique. Pour autant la vidéo litigieuse a été faite dans l'intérêt de la campagne électorale de M. [Y] dans le cadre des élections municipales de 2020. En conséquence ce dernier a qualité à défendre l'action en parasitisme engagée à son encontre par la société Konbini et les demandes de cette dernière doivent être déclarées recevables. Le jugement sera pour ce motif confirmé en ce qu'il a dit recevables les demandes de la société Konbini dirigées contre M. [Y].

Sur les faits de parasitisme reprochés à M. [Y]

La société Konbini soutient que M. [Y] a profité indûment de ses investissements en se plaçant dans la sillage du programme « Fast & Curious » et plus particulièrement en se fondant sur un concept identique à celui qu'elle développe, en présentant une construction identique à celle du format d'interview vidéo « Fast & Curious », en partageant le même esprit que ce programme, en reprenant le format de cette émission tant dans sa durée que dans ses caractéristiques distinctives sur les plans visuel et sonore, en reprenant une partie de l'intitulé de l'émission et du logo. Elle en conclut que M. [Y] reprend l'intégralité des caractéristiques du format original et singulier de «'Fast & Curious'», exploitant ainsi la notoriété de la société Konbini ainsi que son capital technique, ses investissements et son travail intellectuel afin d'en tirer directement profit en apportant une valeur ajoutée à sa candidature.

M. [Y] réplique qu'aucune situation de parasitisme n'est caractérisée dès lors qu'il ne peut être qualifié d'opérateur économique, que le « format » « Fast & Curious » de la société Konbini ne constitue pas une œuvre originale de sorte qu'il ne bénéficie pas d'une protection spécifique au titre de la propriété intellectuelle.

Le principe de la liberté du commerce implique qu'un produit qui n'est pas l'objet de droits privatifs peut être librement reproduit et commercialisé. En conséquence, les développements de la société Konbini consacrés la reprise des caractéristiques du concept, du format ou de «'l'esprit'» de l'émission « Fast & Curious » sont indifférents à la solution du litige.

De même les arguments des parties consacrés à l'originalité ou non du format de cette émission sont inopérants, aucun droit de propriété intellectuelle n'étant opposé.

L'action en concurrence déloyale ou parasitaire présente un fondement délictuel et il incombe en conséquence à la société Konbini de rapporter la preuve d'un agissement fautif de M. [Y] commis à son préjudice.

Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Il a été dit que la vidéo litigieuse a été faite dans l'intérêt de la campagne électorale de M. [Y] dans le cadre des élections municipales de 2020. La diffusion d'une telle vidéo lui confère donc la qualité d'opérateur économique susceptible d'engager sa responsabilité sur le terrain du parasitisme si et seulement si la société Konbini établit qu'il s'est placé dans son sillage afin de tirer profit, sans bourse délier, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

La société Konbini verse aux débats la page de présentation de son site internet, une capture du site Wikipédia la concernant, une page issue de son compte Facebook concernant son partenariat avec la société Gaumont ainsi que des « Tableaux récapitulatifs des coûts de production de l'émission Fast & Curious » (pièces 4, 5, 6 et 8).

Or ni la page extraite du site internet de la société Konbini ni des copies de son compte Wikipédia ni encore l'extrait de son compte Facebook ne permettent d'établir la notoriété de l'émission opposée par la société intimée. S'agissant des « Tableaux récapitulatifs des coûts de production de l'émission Fast & Curious », ceux-ci sont composés de quatre lignes sur une page non datée non certifiée et dont la provenance est ignorée, et font état pour « konbinifr » et « konbini rest of the world'» du nombre de vidéos produites, des vues cumulées sur Facebook, de coûts de production, de frais de déplacements et de coûts de sponsoring Facebook ; ils sont accompagnés de listes de personnes interviewées de 2015 à 2018'indiquant pour chacune d'elles un coût de production, sans plus de précision, de 325 euros.

Ces éléments ne sont pas suffisants à établir une valeur propre de l'émission en cause. En conséquence, il n'est pas démontré que M. [Y] a cherché, sans bourse délier, à tirer profit d'une valeur économique individualisée que constituerait l'émission "Fast & Curious" objet du présent litige, qui serait le fruit des investissements de la société Konbini.

Cette dernière sera donc déboutée de l'ensemble de ses demandes fondées sur le parasitisme et de ses demandes subséquentes. Il y a lieu d'infirmer le jugement sur ce point.

La demande subsidiaire de M. [Y] devient sans objet.

Sur la demande de dommages intérêts pour procédure abusive.

Le fait d'exercer une action en justice ne constitue pas une faute, sauf s'il dégénère en abus. En l'espèce, aucun des moyens développés par M. [Y] et notamment le fait que les demandes indemnitaires de la société Konbini ont varié, ne caractérise une telle faute.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en dommages intérêts pour procédure abusive de M. [Y].

Sur les demandes accessoires,

L'issue du litige commande d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles et de dire que chacune des parties conservera à sa charge ses propres frais et dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement dont appel sauf en ce qu'il a dit recevables les demandes de la société Konbini dirigées contre M. [Y] et a rejeté les demandes de la société Konbini en réparation d'un préjudice financier, d'un préjudice d'image et de publication de la décision ainsi que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive présentée par M. [Y].

Statuant des chefs infirmés,

Déboute la société Konbini de l'ensemble de ses demandes fondées sur le parasitisme.

Dit que chacune des parties gardera à sa charge ses propres frais et dépens liés à la première instance et à l'appel.