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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 14 novembre 2023, n° 22/02010

CHAMBÉRY

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CA Chambéry n° 22/02010

14 novembre 2023

MR/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 14 Novembre 2023

N° RG 22/02010 - N° Portalis DBVY-V-B7G-HELT

Décision attaquée : Ordonnance du Président du TJ de THONON LES BAINS en date du 15 Novembre 2022

Appelants

M. [B] [S]

né le 13 Juin 1995 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2]

Mme [Z] [H] épouse [L]

née le 26 Février 1968 à [Localité 6], demeurant [Adresse 1]

Représentés par la SELARL FRANCINA AVOCATS, avocats au barreau de THONON-LES-BAINS

Intimée

S.C.I. LE BEAU SOLEIL, dont le siège social est situé [Adresse 3]

Représentée par la SELARL MATHILDE REBOUX, avocats postulants au barreau de THONON-LES-BAINS

Représentée par Me Aurélia CIMETERRE LE GALL, avocat plaidant au barreau de PARIS

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Date de l'ordonnance de clôture : 12 Juin 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 05 septembre 2023

Date de mise à disposition : 14 novembre 2023

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Composition de la cour :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- Mme Myriam REAIDY, Conseillère,

- Madame Inès REAL DEL SARTE, Magistrate honoraire,

avec l'assistance lors des débats de Mme Sylvie LAVAL, Greffier,

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Faits et procédure

Par acte sous seing privé du 1er octobre 2021, la SCI Le beau soleil a donné en location à M. [B] [S] un local à usage commercial au sein de d'immeuble en copropriété sis [Adresse 3] à [Localité 5] pour une durée de 9 années et moyennant le paiement d'un loyer mensuel hors taxes et hors charges de 2 100 euros pour les mois d'octobre 2021 à décembre 2022, 2 300 euros pour les mois de janvier à décembre 2023 et 2 500 euros à partir du mois de janvier 2024, outre une provision sur charges mensuelles d'un montant de 400 euros.

Par un acte du même jour, Mme [Z] [H] s'est portée caution solidaire du paiement des sommes dues par le locataire au titre du bail commercial.

Par acte d'huissier du 27 janvier 2022, la Société Le beau soleil a fait délivrer à M. [S] un commandement de payer la somme de 11 680 euros visant la clause résolutoire figurant au bail. Par acte d'huissier du 31 janvier 2022, ce commandement de payer a été dénoncé à la caution.

Par actes d'huissier du 7 avril 2022, la Société Le beau soleil a fait assigner M. [S] et Mme [H] devant le président du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains statuant en matière de référé. Par acte d'huissier du 22 avril 2022, M. [S] a assigné la Société Le beau soleil devant ce même magistrat. Les deux procédures ont été jointes

Par ordonnance de référé du 15 novembre 2022, le président du tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains a :

- Renvoyé les parties à se pourvoir au principal ainsi qu'elles aviseront ;

- Constaté la résiliation au 28 février 2022 du bail commercial conclu entre la société Le beau soleil et M. [S] et portant sur un local à usage commercial au sein d'un immeuble en copropriété sis [Adresse 3] à [Localité 5], par l'effet de la clause résolutoire ;

- Ordonné en conséquence à M. [S] de libérer les lieux loués et de les laisser libres de toute personne et de tout bien, étant précisé que la libération effective ne pourra être considérée comme acquise qu'après restitution de l'ensemble des clés ;

- Autorisé la société Le beau soleil, à défaut de libération volontaire des lieux, à procéder après délivrance d'un commandement d'avoir à quitter les lieux, à l'expulsion de M. [S] et de tout occupant de son chef des lieux loués, ainsi qu'à la mise sous séquestre des meubles et objets pouvant se trouver dans les lieux et à leur transfert en garde-meuble aux frais, risques et périls de M. [S] ;

- Condamné solidairement M. [S] et Mme [H] à payer à la société Le beau soleil une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des charges qui auraient dus être payés pour la période considérée si le bail était resté en vigueur, de la date de résiliation du bail jusqu'à la libération définitive des lieux ;

- Condamné solidairement M. [S] et Mme [H] à payer à la société Le beau soleil la somme de 11 680 euros à titre de provision à valoir sur le paiement des loyers et charges échus au 28 février 2022 ;

- Ordonné à M. [S] de remettre les locaux dans leur état initial dans les trente jours suivant la signification de l'ordonnance et, une fois ce délai expiré, sous astreinte provisoire de 150 euros par jour de retard ;

- Réservé, le cas échéant, la liquidation de l'astreinte ;

- Condamné solidairement M. [S] et Mme [H] à payer à la société société Le beau soleil la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ;

- Débouté M. [S] et Mme [H] de l'ensemble de leurs prétentions ;

- Condamné solidairement M. [S] et Mme [H] aux entiers dépens de l'instance, lesquels comprendront le coût du commandement de payer, de l'assignation, du droit de plaidoirie et de la signification de l'ordonnance.

Au visa principalement des motifs suivants :

Il est démontré que la dette de loyer et charge de M. [S] s'élève à la somme de 11 680 euros et l'obligation pour ce dernier de payer cette somme n'est pas sérieusement contestable ;

Le non-paiement du loyer n'est pas justifié par les manquements du bailleur à ses obligations, en conséquence la demande de suspension des loyers ne peut être accueillie.

Par déclaration au greffe du 3 décembre 2022, M. [S] et Mme [H] ont interjeté appel de l'ordonnance en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures en date du 8 février 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [S] et Mme [H], sollicitent l'infirmation de l'ordonnance et demandent à la cour de :

- Déclarer la demande de M. [S] recevable et bien fondée ;

- Juger que la société Le beau soleil n'a pas respecté son obligation de délivrance et son obligation d'assurer une jouissance paisible des lieux loués à son locataire compte tenu des désordres constatés notamment par M. [E] [J], huissier de justice, dans son procès-verbal des 28 mars et 1er avril 2022, dont la bailleresse avait connaissance au moment de la signature du bail ;

- Juger que M. [S] a subi de graves troubles de jouissance du bien loué en raison des désordres constatés dans le local, rendant impossible toute activité ;

- Juger qu'en application de l'exception d'inexécution, le loyer mensuel ne doit pas être versé et ce, depuis le premier mois d'exécution du contrat de bail, M. [S] étant confronté à une impossibilité totale d'exploitation depuis la signature du bail ;

- Condamner la société Le beau soleil à verser à M. [S] la somme provisionnelle de 2 520 euros en remboursement du loyer perçu indûment par la société Le beau soleil ;

- Dire nul et non-avenu le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 26 janvier 2022 à M. [S] ;

- Dire que le bail commercial est résilié en raison des graves manquements de la bailleresse à ses obligations essentielles, lesquels ont rendu toute exploitation d'activité et, partant, toute exécution du bail impossibles, et constater que la bailleresse a repris possession du local commercial par remise des clés et établissement d'un état des lieux de sortie le 6 janvier 2023 ;

- Débouter la société Le beau soleil de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Le beau soleil à verser la somme de 3 500 euros à M. [S] et à Mme [H] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la même aux entiers dépens, en ce compris ceux de référé et dont distraction au profit de M. Florent Francina, avocat, sur son affirmation de droits.

Au soutien de ses prétentions, M. [S] et à Mme [H] font valoir notamment que :

La bailleresse n'a pas rempli son obligation de délivrance en raison des infiltrations d'eau dans le local commercial qui l'a empêché d'exploiter la moindre activité dans le local loué, également par la dissimulation par la société Le beau soleil de l'incompatibilité du règlement de copropriété avec son activité, outre l'accomplissement tardif des formalités d'urbanisme ;

À défaut d'exécution de l'obligation de délivrance par la société Le beau soleil, M. [S] est bien fondé à invoquer l'exception d'inexécution et solliciter la suspension du paiement des loyers depuis le premier mois d'exécution du contrat de bail ;

Même dans l'hypothèse de la réalisation par la bailleresse de ces travaux de réparation des infiltrations, M. [S] serait encore confronté à une impossibilité totale d'exploiter son activité dans ce local justifiant de constater la résiliation du bail commercial aux torts de la bailleresse, en application des articles 1224 et suivants du code civil.

Par dernières écritures d'incident en date du 3 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Le beau soleil sollicite de la cour de :

- Ordonner la radiation du rôle de l'affaire pour défaut d'exécution de la décision frappée d'appel, assortie de l'exécution provisoire de plein droit.

Par dernières écritures en date du 3 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Le beau soleil sollicite de la cour de :

- Confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

En toute hypothèse,

- Débouter M. [S] et Mme [H] de l'intégralité de leurs demandes comme étant mal fondées,

- Condamner solidairement M. [S] et Mme [H] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Le beau soleil fait valoir notamment que :

M. [S] n'a pas exécuté la condamnation résultant de l'ordonnance du 15 novembre 2022, dès lors, en application des dispositions de l'article 524 du code de procédure civile, la société Le beau soleil est bien fondée à demander la radiation du rôle de l'affaire ;

M. [S] ne démontre aucunement qu'il était dans l'impossibilité d'exploiter le local ;

Le commandement de payer visant la clause résolutoire signifié en janvier 2022 n'a pas été suivi d'effet, si bien que la clause est automatiquement acquise ;

M. [S] a violé les dispositions de l'article 14 du bail commercial, en ce qu'il a effectué des travaux dans le local, sans le consentement de la société bailleresse article (14-1), en ne transmettant aucun plan ni descriptifs des travaux, ni même sollicité l'autorisation du Syndicat des copropriétaires pour installer une climatisation et des gaines d'aération sur les parties communes de l'immeuble ;

Les demandes de M. [S] et Mme [H] sont mal fondées en ce que la société Le beau soleil a respecté l'obligation de délivrance et de jouissance paisible et qu'il n'existait aucun dégât des eaux lors de l'entrée dans les lieux, que le local s'est dégradé, et cette situation n'a pour origine que la négligence de M. [S].

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 12 juin 2023 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 5 septembre 2023.

MOTIFS ET DECISION

En application de l'article 835 du code de procédure civile, et des articles L145-41 du code de commerce et des articles 103, 1224, 1225, 1228 et 1728 du code civil, le juge des référés a la pouvoir de constater la résiliation d'un bail par le jeu de la clause résolutoire, en cas de manquement du locataire, mais aussi de rejeter cette demande dans le cas où le bailleur contreviendrait gravement à ses propres obligations. Il entre également dans ses attributions d'autoriser la suspension d'une partie de l'exécution de ses obligations, afin d'obtenir respect par l'autre partie de ses engagements.

I - Sur la demande de suspension des loyers

Par assignation du 22 avril 2022, de M. [S], locataire commercial, a sollicité l'autorisation de suspendre son obligation de payer les loyers ensuite d'infiltrations d'eau dans les locaux loués, et en raison du manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance.

C'est à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive, exempte d'inssuffisance que le premier juge a retenu :

- que l'état des lieux ne permettait pas de démontrer l'existence de dégâts des eaux antérieurs à la conclusion du bail le 1er octobre 2021, celui-ci mentionnant seulement une tâche au plafond côté porte blindée et quelques auréoles sur le sol,

- que le mail de l'agence immobilière mentionnant des 'infiltrations récurrentes' n'est pas incompatible avec l'attestation établie le 8 juin 2022 précisant que 'l'état des lieux de sortie fait avec l'ancien locataire, Mme [P], ne donnait aucune trace de dégât des eaux pour l'année 2021 (janvier à septembre). La locataire n'a jamais signalé quoi que ce soit pour la période qu'elle a occcupé.', dans la mesure où, après le premier signalement d'infiltrations mi-novembre 2021, d'autres infiltrations par temps de pluie ont été signalées (et bien récurrentes), ce qui ressort du rapport d'assurance du 22 avril 2022 réalisé par AXA France,

- les infiltrations ont pour origine les parties communes, selon le rapport précité 'il n'est pas exclu que les infiltrations soient causées par une insuffisance d'étanchéité entre la conduite d'eaux usées en PVC et la chute en fonte, vraisemblablement dans une gaine technique du R+1. (...) En tout état de cause, et selon les recherches de fuites à ce jour effectuées, l'origine des infiltrations depuis l'étanchéité ou les façades est écartée.', et le bailleur n'est pas tenu de garantir son locataire contre le fait d'un tiers,

- M. [S] a loué le local commercial litigieux aux fins d'exercer une activité de 'vente de produits alimentaires, boissons et objets divers non fabriqués sur place, avec possibilité de réchauffer sans odeurs', selon le bail signé le 1er octobre 2021, de sorte que l'activité déclarée n'était pas interdite,

- l'impossibilité totale d'exploiter le fonds n'est pas démontrée,

de sorte que l'obligation de paiement des loyers ne pouvait être suspendue.

II - Sur la demande de constat d'acquisition de la clause résolutoire

Dans la première assignation en référé délivrée devant le président du tribunal judiciaire d'Annecy le 7 avril 2022, la société Le beau soleil sollicitait résiliation du bail commercial en application de la clause résolutoire et suite à l'existence de loyers impayés.

La société Le beau soleil a délivré le 27 janvier 2022 à M. [S] et sa caution, Mme [H] épouse [L] un commandement de payer la somme de 11 680 euros de loyers impayés depuis octobre 2021, visant la clause résolutoire. Les appelants qui prétendent au prononcé de la nullité du commandement de payer n'avancent aucun moyen à l'appui de cette demande, qui sera donc rejetée, ne relevant en outre pas de la compétence du juge des référés.

Les appelants ne démontrent pas avoir réglé cette somme dans le délai d'un mois, même si la société Beausoleil ne réclame plus le loyer du mois d'octobre, qui avait été réglé en même temps que le dépôt de garantie.

C'est à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive, exempte d'inssuffisance que le premier juge a retenu :

- que l'existence de loyers impayés, en violation du contrat de bail, et l'absence de régularisation dans le délai d'un mois après délivrance d'un commandement de payer justifiait la résiliation du bail en application de la clause résolutoire figurant à l'article 18 du contrat de bail,

- que l'engagement pris par Mme [H] épouse [L], en qualité de caution solidaire, justifiait qu'elle soit condamnée solidairement au paiement des loyers et indemnités d'occupation dues postérieurement à la résiliation du bail le 28 février 2022.

III - Sur la demande de remise en état des lieux

C'est à l'issue d'une analyse pertinente, exhaustive, exempte d'inssuffisance que le premier juge a retenu :

- que la résiliation du bail oblige le locataire à libérer les lieux et les remettre dans leur état d'origine,

- que M. [S] ne démontre pas que les travaux réalisés ont bien été autorisés par la bailleresse, alors que toute modification, démolition du construction devait être autorisée en application de l'article 14 du bail,

- que la remise à la société Le beau soleil d'un 'business plan' qui mentionnait 'la préparation des pâtisseries et des menus sera effectuée ailleurs avec un four et un piano professionnel. Une hotte professionnelle à haute performance avec des charbons actifs sera présente au-dessus du toaster. En aucun cas, il n'y aura de cuisson avec de la friture' ne valait pas autorisation de réaliser des travaux.

IV - Sur les demandes accessoires

M. [S] et Mme [H] succombant en leur appel supporteront les dépens de l'instance. Il ne paraît enfin pas inéquitable de les condamner à verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la société Le beau soleil.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne solidairement M. [B] [S] et Mme [Z] [H] épouse [L] aux dépens de l'instance d'appel,

Condamne solidairement M. [B] [S] et Mme [Z] [H] épouse [L] à payer à la société Le beau soleil la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 14 novembre 2023

à

la SELARL FRANCINA AVOCATS

la SELARL MATHILDE REBOUX

Copie exécutoire délivrée le 14 novembre 2023

à

la SELARL MATHILDE REBOUX