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Décisions

CA Riom, ch. com., 15 novembre 2023, n° 22/00886

RIOM

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

I

Défendeur :

N

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dubed-Vacheron

Conseiller :

Mme Theuil-Dif

Avocats :

Me Gicquere-Sobieraj, Me Lacquit

TJ Puy-En-Velay; du 5 avr. 2022; n°19/01…

5 avril 2022

M. [W] [I] a conclu, avec la société Aristophil, le 27 décembre 2013, un contrat de vente portant sur 6 parts de l'indivision 'des Manuscrits de la Mer Morte à l'Iliade' pour un prix global de 15 000 euros.

En sa qualité de coindivisaire, M. [I] a également signé un contrat de garde et de conservation, aux termes duquel les membres de l'indivision 'des Manuscrits de la Mer Morte à l'Iliade' , dont M. [I] :

- confiaient pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction jusqu'à 5 années à la société Aristophil la garde, la conservation et les expositions par le dépôt de la collection ;

- promettaient, au terme des 5 ans du contrat de garde, de vendre la collection à la société Aristophil à un prix majoré de 8,75 % par année de garde, la société Aristophil se réservant le droit de lever ou non l'option ainsi consentie.

Par courrier en date du 15 février 2014, la société Aristophil a informé M. [I] d'un transfert de sa souscription initiale sur l'indivision 'Grandes Pensées Illustres Personnages'.

Le 16 février 2015, la société Aristophil a été placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire le 5 août 2015.

M. [I], se prévalant d'un manquement de M. [O] [N] à son obligation d'information et de conseil à l'occasion de la présentation auprès de lui de l'investissement au sein de la collection de manuscrits constituée par la société Aristophil, a par acte d'huissier du 15 novembre 2019, fait assigner devant le tribunal de grande instance du Puy-en-Velay, M. [N] et la société CNA Insurance Company (Europe), aux fins de les voir condamner in solidum à l'indemniser de ses préjudices au titre d'un perte de chance de ne pas contracter.

Suivant jugement en date du 5 avril 2022, le tribunal judiciaire du Puy-en-Velay a :

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action introduite par M. [I] ;

- jugé que M. [N] avait manqué à son devoir de conseil à l'égard de M. [I];

- jugé que ce manquement avait eu pour conséquence pour M. [I] de perdre une chance de ne pas contracter s'il avait été mieux informé ;

- jugé M. [N] entièrement responsable des conséquences civiles de cette perte de chance ;

- condamné M. [N] à verser à M. [I] une somme de 14 000 euros en réparation de son préjudice matériel consécutif à sa perte de chance de ne pas contracter, outre intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2019 ; ;

- débouté M. [I] de sa demande au titre de son préjudice moral ;

- débouté M. [I] de ses demandes à l'encontre de la société CNA Insurance Company (Europe) ;

- condamné M. [N] aux dépens selon les modalités prévues à l'article 42 alinéa 1 de la loi du 10 juillet 1991 ;

- condamné M. [N] à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société CNA Insurance Company (Europe) de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions.

Le tribunal, après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action, a considéré que M. [I] rapportait la preuve que M. [N] avait commercialisé le placement litigieux : la signature figurant au contrat était sans contestation possible, celle de M. [N] puisqu'elle correspondait exactement à la même que celle figurant dans les statuts d'une société dans laquelle l'intéressé était associé.

Il a ensuite énoncé qu'aucune pièce ne permettait de savoir quelle relation juridique unissait M. [N] à la SARL AXXO Patrimoine Conseil ; qu'il était le mandataire de la société Aristophil et que la preuve n'était pas rapportée qu'il agissait comme sous-mandataire ; qu'il était soumis au respect des dispositions de l'article L. 111-1 alinéa 1 du code de la consommation, à savoir mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ;

que l'objet du contrat portait sur des manuscrits dont la valeur était soumise à un aléa avec la spécificité que le placement impliquait des estimations faites par des personnes indépendantes et qualifiées ; que M. [N], sur lequel pesait la charge de la preuve qu'il avait respecté son devoir de conseil, ne justifiait pas avoir clairement indiqué à M. [I] qu'il existait un aléa susceptible d'entraîner un risque de diminution, voire de perte en capital, des sommes investies ; qu'il ne démontrait pas avoir remis le moindre document descriptif sur le produit Aristophil, et notamment sur les modalités de rachat des oeuvres ; qu'en contradiction avec les termes du contrat qui exigeaient que le détail des biens indivis soit annexé à ce dernier, M. [N] ne justifiait pas avoir communiqué à M. [I] cette information ;

que ce dernier avait perdu une chance de ne pas contracter s'il avait été mieux informé, perte de chance évaluée à 95 % au regard de la nature des informations qui n'avaient pas été données.

M. [O] [N] a interjeté appel du jugement le 22 avril 2022.

Par conclusions déposées et notifiées le 20 juin 2022, l'appelant demande à la cour, au visa des articles L.134-1 du code de commerce, 1353 et 1991 du code civil, de:

- infirmer le jugement déféré ;

- débouter M. [I] de l'intégralité de ses prétentions comme étant infondées ;

- condamner M. [I] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux règles applicables à l'aide juridictionnelle.

Il soutient que M. [I] ne démontre pas son intervention dans cette affaire : l'intégralité des documents ont été établis par la société Aristophil et les échanges ont eu lieu exclusivement entre cette dernière et M. [I]. Ce dernier se borne à verser aux débats un extrait K-bis qui ne démontre nullement qu'il ait commercialisé le placement litigieux. Par ailleurs, la signature figurant au contrat et celle figurant dans les statuts d'une société dans laquelle il est associé ne sont pas exactement les mêmes. Et, aucun des documents ne mentionne son intervention, en qualité d'agent commercial comme le soutient M. [I]. Il sera donc mis hors de cause.

Si la cour estimait qu'il est à l'origine de ce placement, il fait valoir subsidiairement être intervenu dans le cadre d'un mandat d'agent commercial. Or, M. [I] recherche la responsabilité de l'agent commercial et non du mandant, dans la mesure où la société AXXO Patrimoine Conseil a été placée en liquidation judiciaire en septembre 2015. En vertu de l'article 1991 du code civil, il engage sa responsabilité en cas de faute à l'égard de son mandant : or M. [I] est un tiers. L'exécution des obligations contractuelles passées par un mandataire au nom et pour le compte d'un mandant incombe à ce dernier seul. Si M. [I] estime que ce placement est désavantageux, il lui incombe d'en faire grief à la société AXXO Patrimoine Conseil.

Il ajoute que sa responsabilité suppose de démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité. Les premiers juges ne se sont pas embarrassés de cette démonstration et ont considéré qu'il était mandataire d'Aristophil, ce qui est faux.

Il relève que M. [I] lui reproche de ne pas lui avoir délivré une information sur les caractéristiques du placement Aristophil : or l'ensemble des pièces démontre que M. [I] a contracté directement avec Aristophil. Il n'est nulle part question de la société AXXO Patrimoine Conseil et encore moins de lui. S'agissant d'un manquement au devoir de conseil sur l'opportunité de ce placement, il fait valoir que M. [I] doit démontrer l'avoir chargé d'un mandant de gestion du patrimoine. Or il n'existait aucun contrat de la sorte entre les parties.

Au demeurant, il estime que M. [I] ne démontre pas non plus l'existence d'un préjudice actuel, les ventes aux enchères de la collection Aristophil étant loin d'être achevées. L'intimé n'est donc pas en mesure d'assurer qu'il n'est pas désintéressé. Il ne démontre pas non plus avoir effectué les démarches qui lui incombent, et notamment la déclaration de créance au passif de la société Aristophil, voire AXXO Patrimoine Conseil.

Par conclusions déposées et notifiées le 24 mai 2023, M. [W] [I] demande à la cour de:

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- y ajoutant, condamner M. [N] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et aux dépens de l'instance d'appel.

Il soutient que M. [N] est intervenu en double qualité de conseiller en gestion de patrimoine et de mandataire du vendeur, la société Aristophil, en signant à ce titre pour le compte de la société les documents contractuels de souscription. M. [N] a apposé sa signature sur le contrat de vente de parts de l'indivision : il s'agit bien de sa signature puisqu'identique à celle figurant dans les statuts de la société Eco Didacte Énergie (EDE) dont il était associé jusqu'en novembre 2020. Il n'étaye aucunement son autre allégation selon laquelle il serait intervenu, mais comme agent commercial de la société conseillère en investissement financier AXXO Patrimoine Conseil, qu'il a omis d'attraire dans la cause.

Par ailleurs, il estime qu'il ne lui appartient pas d'apporter la preuve des informations fournies et conseils prodigués en phase précontractuelle, mais à l'appelant lui-même, et ce par application de l'article 1153 ancien du code civil. En première instance, le conseiller en gestion de patrimoine n'a aucunement démontré avoir satisfait à ses obligations d'information et de conseil. Il n'avait fourni aucune pièce justificative d'une quelconque prestation au bénéfice de l'acquéreur. En appel, il procède de la même manière : aucune autre pièce n'est fournie. Or, le conseil en gestion de patrimoine doit informer son client des conditions de succès de l'opération projetée et des risques qui découlent du défaut de réalisation de ces conditions. L'alternative au rachat par la société Aristophil tenait, pour l'investisseur (qui n'est pas un collectionneur) au rachat des droits indivis par un tiers. Or le conseiller ne démontre aucunement l'avoir avisé de l'impossibilité d'une telle remise sur le marché. Il rappelle qu'il n'était propriétaire que d'une part indivise réduite d'une collection pour laquelle il ne disposait ni de description scientifique, ni d'avis de valeur, ni de certificats d'authenticité. La remise en vente de la collection présupposait l'accord des autres co-indivisaires dont il ignorait tout. La revente de la collection présentée par la société Aristophil présentait donc un caractère chimérique.

En tout état de cause, il considère qu'en retenant la qualité de mandataire de la société Aristophil, le tribunal a justement rappelé le régime de responsabilité applicable. Le mandataire de la société Aristophil a méconnu l'article L. 111-1 du code de la consommation et ne s'est pas prémuni de la commission d'une pratique commerciale trompeuse prohibée par l'article L. 121-2 2° du code de la consommation. Comme l'a jugé la Cour d'appel de Riom à l'encontre d'un conseiller vendeur du placement Aristophil, 'le fait de proposer un contrat, sans informer le client au préalable de l'objet précis des ventes, avec le détail de chacun des objets acquis, et le prix unitaire de chacun d'eux, constitue une infraction à l'obligation d'information précontractuelle édictée à l'article L. 111-1 du code de la consommation, qui imposait dans le cas particulier, vu l'importance de l'acquisition en valeur, et la nature spécifique des biens concernés, que de tels renseignements soient donnés aux acquéreurs avant qu'il ne s'engagent'. M. [N] ne justifie aucunement lui avoir fourni, avant lui-même de conclure le contrat de vente de la collection, la composition précise de la collection et les avis d'expert qui auraient expliqué sa valorisation à hauteur de 17 250 euros.

Il estime que mieux informé par son conseiller, il n'aurait pas choisi de placer son épargne sur un support aussi hasardeux que le produit Aristophil. Plusieurs juges du fond fixent au niveau retenu par le tribunal (95 %) le coefficient de perte de chance en présence d'un placement procédant d'une escroquerie, ou à tout le moins de pratiques commerciales trompeuses, en tout cas un placement purement hasardeux.

Comme l'a fait le Tribunal, il convient de déduire de ce coefficient de perte de chance, le taux de recouvrement maximal de l'intimé lié à la revente de la collection, de 15 %. Après cinq années de ventes aux enchères, il a pu récupérer un montant total de 424 euros sur les 15 000 euros initialement investis dans cette collection.

Enfin, il fait valoir que depuis décembre 2013, la somme investie dans le placement Aristophil n'a produit aucun intérêt alors qu'elle aurait pu en produire, même de manière marginale, sur un support sans risque de type assurance-vie en fonds euros ou livret A. Depuis 2013, la moyenne des rendements des fonds euros avoisine les 2,50 %.

Par conclusions déposées et notifiées le 25 août 2022, la société CNA Insurance Company (Europe) demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [I] de toutes ses demandes dirigées à son encontre ;

- réformer le jugement en ce qu'il a jugé recevable l'action de M. [I] ;

- réformer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de M. [N] ;

Et statuant à nouveau, de :

> à titre liminaire :

- juger qu'aucune demande n'est formulée à son encontre ;

- la mettre hors de cause ;

> à titre principal :

- juger que la qualité d'assuré des polices n° FN 1925 et n° FN 5989 de M. [N] n'est pas établie ;

- débouter M. [I] de ses demandes à son égard ;

> à titre subsidiaire :

- juger l'action de M [I] prescrite ;

- débouter le demandeur de ses prétentions à son encontre ;

> à titre très subsidiaire :

- juger que M. [N] a pleinement exécuté ses obligations d'information et de conseil de moyens à l'occasion de la souscription de l'investissement litigieux ;

- débouter le demandeur de toutes ses prétentions ;

> à titre infiniment subsidiaire :

- juger que M. [I] échoue à démontrer subir un préjudice réparable ;

- débouter M. [I] de toute ses prétentions ;

> à titre plus infiniment subsidiaire encore, si la prétendue qualité d'assuré de la police n°FN 1925 prêtée à M. [N] venait à être établie :

- juger qu'elle ne saurait être tenue à garantir M. [N] au-delà des termes de la police n° FN 1925 souscrite auprès d'elle ;

- juger que l'ensemble des réclamations formées par les personnes ayant investi dans des collections constituées par la société Aristophil par l'intermédiaire de la société Art Courtage ou de ses mandataires, assurés par la police n° FN 1925, constituent un seul et même sinistre, soumis au plafond de garantie par sinistre prévu à la police n° FN 1925 de 2 000 000 euros et applicable au 6 février 2015 ;

- si la qualification de sinistre sériel est écartée, juger que la condamnation à garantir qui viendrait à être prononcée à son encontre ne pourra excéder le plafond de garantie de 2 000 000 euros par période d'assurance prévu par la police n° FN 1925 ;

- juger que la première réclamation de M. [I] est en date du 23 octobre 2019, soit de la période d'assurance subséquente si la résiliation de la police n° FN 1925 est jugée régulière, soit de la période d'assurance 2019 ;

- en conséquence, la condamner à garantir M. [N] des conséquences des condamnations prononcées à son encontre dans la limite du plafond de garantie de 2 000 000 euros sous déduction des condamnations qu'elle aura déjà versées au titre des autres réclamations formulées soit pendant la période subséquente, soit pendant la période d'assurance 2019, et après application de la franchise contractuelle de 3000 euros ;

ou,

- désigner tel séquestre qu'il plaira à la cour avec pour mission de conserver les fonds dans l'attente des décisions définitives tranchant les réclamations formées à l'encontre des assurés au titre de la police n° FN 1925 se rattachant à la même période d'assurance, en l'occurrence la période d'assurance subséquente si la résiliation de la police est jugée régulière ou, à défaut, la période d'assurance 2019 et procéder à une répartition au marc l'euro des fonds séquestrés ;

- si la prétendue qualité d'assuré de la police n° FN 5989 prêtée à M. [N] venait à être établie, juger qu'elle ne saurait être tenue à garantir M. [N] qu'après déduction de la franchise de 2 000 euros prévue par les conditions particulières de la police n° FN 5989 ;

> en tout état de cause :

- condamner M. [I] à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de Me Arsac en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties, à leurs dernières conclusions.

La procédure a été clôturée le 08 juin 2023.

MOTIFS :

- Sur la demande de l'assureur aux fins d'être mis hors de cause

Il doit être constaté qu'aucune demande n'est formée devant la cour contre la société CNA Insurance Compagny (Europe).

En effet, le jugement a débouté M. [I] de toutes ses demandes dirigées à l'encontre dudit assureur.

Devant la cour, M. [N], appelant, sollicite l'infirmation du jugement, le débouté de M. [I] de toutes ses demandes et sa condamnation aux dépens.

M. [I], intimé, demande quant à lui de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, la condamnation de M. [N] à une indemnité au titre des frais irrépétibles et aux dépens.

Dans ces circonstances, la société CNA Insurance Compagny (Europe) sera mise hors de cause.

- Sur l'intervention et les obligations de M. [O] [N]

M. [N] soutient que M. [I] ne rapporte pas la preuve de son intervention dans l'opération.

Ce dernier produit les documents contractuels de souscription, et notamment en pièce n° 2-3, le contrat de vente de parts d'indivision conclu entre lui et la SAS Aristophil en date du 27 décembre 2013. Ce contrat porte une signature dans la case réservée au 'vendeur ou son mandataire autorisé'.

Cette signature que M. [I] impute à M. [N], est exactement la même que celle figurant dans les statuts constitutifs de la société Eco Didacte Energie (EDE), SAS, en date du 29 juin 2012, produits en pièce n° 1-43 par l'intimé, signature appartenant à M. [O] [N] en qualité d'associé. Il s'agit sans contestation possible de sa signature : les lettres ont la même inclinaison, la même amplitude, et les mêmes formes.

Il doit en outre être constaté que M. [I] justifie de l'immatriculation de M. [O] [N] (document en date du 11 juin 2019) au registre des agents commerciaux depuis le 4 octobre 2008 au titre de l'activité : 'agent commercial en immobilier, défiscalisation, produits d'assurances en agent commercial'.

Aucune mention figurant sur le contrat de vente de parts d'indivision ne permet d'affirmer que M. [N] est intervenu dans l'acte en qualité d'agent commercial de la société conseillère en investissement financier AXXO Patrimoine.

Par ailleurs, M. [N] ne verse aucune pièce justifiant de sa relation juridique avec cette société.

M. [I] établit ainsi que M. [N] est intervenu en qualité de mandataire de la société Aristophil.

Dès lors que le mandataire agit par représentation du mandant, le principe est que son action produit directement effet sur le représenté et aucun sur lui-même. Il n'est donc pas tenu personnellement et il ne répond pas de la bonne ou de la mauvaise exécution du contrat. Mais le mandataire répond sur un fondement extra-contractuel des fautes dont il se rend coupable envers les tiers. La responsabilité du mandataire professionnel est appréciée de manière plus rigoureuse, ce qu'impose d'ailleurs l'article 1992 du code civil, qui énonce que la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire. C'est ainsi que la jurisprudence considère que le mandataire professionnel engage sa responsabilité extra-contractuelle à l'égard du tiers pour manquement à son devoir de conseil.

M. [O] [N], intermédiaire, chargé par la société Aristophil de commercialiser la vente de parts indivises de collections d'oeuvres préconstituées par la société Aristophil, était tenu d'informer et de conseiller l'acquéreur, M. [I] sur les caractéristiques et les risques de l'investissement qu'il proposait.

A défaut, sa responsabilité peut être engagée, quand bien même il ne serait pas soumis au statut de conseiller en investissements financiers, régi par les articles L. 541-1 et suivants du code monétaire et financier.

Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation. Il incombe à l'intermédiaire commercial de rapporter la preuve qu'il a satisfait à son devoir d'information et de conseil.

Or, M. [N] ne verse aux débats aucune pièce en ce sens.

Le contrat avait pour objet des manuscrits dont la valeur était soumise à un aléa avec la spécificité que le placement impliquait des estimations faites par des experts indépendants. Aucune clause ou mention du contrat d'achats de parts, du contrat de garde et de conservation ou de la convention d'indivision, signés ou reçus par M. [I] au moment de la souscription, ne permettait effectivement d'attirer son attention sur un éventuel risque portant sur l'évaluation des oeuvres dont s'agit, prétendument expertisées selon le contrat de garde par la société Aristophil, elle-même présentée par ce même contrat comme spécialisée dans l'achat, la vente, l'expertise la garde, la conservation et les expositions, la valorisation de valeurs d'art et de collections.

M. [N] ne rapporte pas la preuve d'avoir expliqué à M. [I] qu'il existait un aléa susceptible d'entraîner un risque de diminution ou même de perte en capital, des sommes investies. Il n'est pas démontré qu'il ait remis à M. [I] le moindre document descriptif sur le produit vendu, ou encore qu'il ait expliqué les modalités de rachat des oeuvres, alors que le montage juridique présentait une certaine complexité, avec trois actes signés entre des parties différentes et se référant les uns aux autres.

En l'absence de démonstration de sa part, il n'est pas établi que M. [N] s'est acquitté de ses obligations résultant de son devoir d'information et de conseil quant aux caractéristiques et aux risques de l'opération présentée. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que M. [N] avait engagé sa responsabilité en raison d'un manquement au devoir de conseil, par motifs en partie substitués.

- Sur les préjudices

Alors que M. [I] aurait pu renoncer à l'opération s'il avait été loyalement informé et conseillé par M. [N] sur les risques qui en découlaient, il a ainsi perdu une chance de ne pas contracter. Cette perte de chance sera évaluée non pas à 95 % comme retenu par le tribunal, mais à 75 %.

De surcroît, il y a lieu de déduire la valeur des oeuvres lors de leur vente, valeur qui était soumise à un aléa. Compte tenu des éléments communiqués par M. [I] et conformément à sa demande, il est proportionné et raisonnable de fixer la valeur des pièces à la revente à 15 % du montant investi.

M. [I] avait placé une somme de 15 000 euros. Son préjudice sera donc évalué à 60 % de la valeur de placement (coefficient de perte de chance 75 % - taux de recouvrement lié à la revente de la collection 15%), soit 9 000 euros.

Par ailleurs, M. [I] aurait pu placer son argent sur un autre support financier qui lui aurait permis de faire fructifier son investissement. La perte de chance de ne pas contracter induit une perte de chance de ne pas avoir reçu un rendement. La demande formée par M. [I] à voir fixer à 2 % le taux d'intérêts moyen pour évaluer la perte de rendement sera accueillie. Ainsi, sur la base de 75 % évoquée précédemment et au vu de la date de souscription du contrat, la cour alloue à l'intéressé une somme de 1 575 euros à ce titre (75 % x 15 000 euros x 7 années de décembre 2013 à décembre 2020).

S'agissant de dommages et intérêts, les sommes octroyées porteront intérêts à compter du présent arrêt. La capitalisation des intérêts sera ordonnée

M. [I] n'a pas sollicité l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation au titre du préjudice moral.

M. [N] conclut in fine que M. [I] ne démontre pas avoir effectué les démarches qui lui incombaient, et notamment la déclaration de créance au passif de la société Aristophil, voire AXXO Patrimoine Conseil en liquidation judiciaire. Néanmoins, la faute reprochée à M. [N] lui est personnelle, et la recevabilité de la demande de M. [I] à l'encontre de celui-ci aux fins d'obtenir réparation du préjudice résultant de cette faute, ne dépend pas de la déclaration de créances dans les procédures collectives d'Aristophil ou d'AXXO Conseil Patrimoine.

- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant à l'instance, M. [O] [N] supportera les dépens d'appel et sera condamné à payer à M. [I] une somme de 1 500 euros à titre des frais irrépétibles.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'assureur.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, rendu contradictoirement,

Confirme le jugement, par motifs en partie substitués, en ce qu'il a :

- jugé que M. [O] [N] avait manqué à son devoir de conseil envers M. [W] [I];

- jugé M. [O] [N] responsable des conséquences de la perte de chance de ne pas contracter si M. [W] [I] avait été mieux informé ;

- débouté M. [W] [I] de ses demandes à l'encontre de la société CNA Insurance Company (Europe) ;

- condamné M. [O] [N] aux dépens selon les modalités prévues à l'article 42 alinéa 1 de la loi du 10 juillet 1991 ;

- condamné M. [O] [N] à payer à M. [W] [I] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société CNA Insurance Company (Europe) de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Infirme le jugement en ce qu'il a condamné M. [O] [N] à verser à M. [W] [I] une somme de 14 000 euros en réparation de son préjudice matériel consécutif à sa perte de chance de ne pas contracter, outre intérêts au taux légal à compter du 25 octobre 2019 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne M. [O] [N] à payer à M. [W] [I] une somme de 10 575 euros en réparation de son préjudice matériel consécutif à sa perte de chance de ne pas contracter, outre intérêts au taux légal à compter de l'arrêt ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

Met hors de cause la société CNA Insurance Company (Europe) ;

Déboute la société CNA Insurance Company (Europe) de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [O] [N] à payer à M. [W] [I] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [O] [N] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.

Le Greffier La Présidente