Livv
Décisions

CAA Marseille, 6e ch., 25 septembre 2023, n° 22MA00698

MARSEILLE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Azur Industries (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thielé

Conseillers :

Mme Gougot, Mme Ruiz

Avocat :

Me Alexander

Rapporteur public :

M. Point

CAA Marseille n° 22MA00698

24 septembre 2023

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Azur Industries a demandé au tribunal administratif de Marseille de ramener à 3 000 euros la sanction de 65 000 euros que lui a infligée le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur, le 26 septembre 2019, en raison des délais excessifs de paiement de ses fournisseurs et d'annuler la décision du 26 septembre 2019, par laquelle cette même autorité a procédé à la publication pour une durée de six mois de cette amende administrative de 65 000 euros.

Par un jugement n° 1910178 du 17 janvier 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 février 2022 et 17 octobre 2022, la société Azur Industries, représentée par Me Alexander, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 17 janvier 2022 ;

2°) de réformer la sanction administrative qui lui a été infligée à 3 000 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- la sanction est disproportionnée ;

- en la sanctionnant, l'administration a méconnu les principes d'individualisation des peines ;

- la motivation de la sanction est insuffisante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 11 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 12 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- le code du commerce ;

- le code des impôts ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Alexander, pour la société Azur Industries.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle diligenté par les services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Provence-Alpes-Côte d'Azur le 10 janvier 2019 concernant la société Azur Industries, il a été constaté, par procès-verbal du 16 avril 2019, que les délais de paiement de ses fournisseurs excédaient les délais maximaux prévus par les dispositions du VI de l'article L. 441-6 du code de commerce. Après l'avoir informée du manquement relevé et recueilli ses observations sur le prononcé d'une éventuelle amende administrative à raison de cette méconnaissance des délais maximaux de paiement, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur a, par décision du 26 septembre 2019, infligé à la société Azur Industries une amende de 65 000 euros et décidé de publier la décision de sanction sous forme de communiqué, par voie électronique, sur le site internet de la direction régionale pour une durée de six mois. La société Azur Industries a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à la réformation de la sanction et à l'annulation de cette décision en tant qu'elle porte sur la publication de cette sanction. Par le jugement du 17 janvier 2022, le tribunal administratif a rejeté cette demande. La société Azur Industries fait appel de ce jugement. Dès lors qu'elle ne conteste plus la mesure de publication de la sanction, son appel doit être regardé comme exclusivement dirigé contre la sanction pécuniaire prononcée à son égard.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la régularité de l'amende administrative :

2. Aux termes du IV de l'article L. 470-2 du code du commerce en vigueur à la date où les faits ont été commis : " (...) IV. - Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. / Passé ce délai, l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende."

3. La décision par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a infligé une amende administrative à la société appelante mentionne l'article L. 441-6, I, 9ème alinéa du code de commerce qui constitue le fondement légal de l'amende administrative. Elle précise la période du contrôle, le nombre de factures étudiées, le nombre et le pourcentage de factures payées en retard et le montant de l'encours de ces factures. Elle comporte ainsi tous les éléments de fait et de droit qui en constituent le fondement. Sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de ce moyen, la société appelante n'est donc pas fondée à soutenir que cette décision serait insuffisamment motivée.

En ce qui concerne le bien-fondé de l'amende administrative :

S'agissant du cadre juridique :

4. Aux termes de l'article L. 441-3 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable : "(...) le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer. (...)". Aux termes de l'article L. 441-6 du code du commerce dans leur rédaction applicable : "I.- Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle (...) / Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. / Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture. / (...) / VI. - Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et deux millions d'euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 470-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. / (...)".

5. Il résulte des dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce, citées au point 4, que tout dépassement du délai de paiement convenu entre une société et son fournisseur, et qui court à compter de l'émission de la facture, est constitutif d'un manquement qui justifie l'infliction d'une amende administrative. Toutefois, une sanction ne pouvant être infligée à une personne à raison de faits qui ne lui sont pas imputables, une entreprise peut utilement contester le principe ou le montant de l'amende qui lui est infligée en soutenant que le retard qui lui est reproché est en tout ou partie lié à un délai entre la date d'émission de la facture et la date de sa réception. Pour les mêmes raisons, elle peut utilement soutenir que le retard qui lui est reproché est imputable à son fournisseur, dans le cas où celui-ci a tardé à donner suite à une relance faite conformément à l'article L. 441-3 du code de commerce.

6. Par ailleurs, le montant de l'amende doit être fixé par référence au montant de l'avantage de trésorerie dont l'entreprise a bénéficié, et dont ses fournisseurs ont été corrélativement privés, du fait des retards de paiement, en tenant compte des autres circonstances, et notamment à la situation financière de l'acheteur au moment des faits reprochés. Conformément à la pratique de la majeure partie des services de la concurrence jusqu'en 2021, et aux lignes directrices établies par la direction générale le 2 décembre 2021, qui procèdent d'une exacte application de l'article L. 441-6 du code de commerce, le montant de l'avantage de trésorerie servant de base à la détermination du montant de l'amende est déterminé par référence au gain annuel en besoin de fonds de roulement, qui correspond au produit du montant des factures payées en retard par le retard moyen de paiement en jours, pondéré en fonction du montant des factures, et rapporté au nombre de jours de la période contrôlée.

S'agissant du respect du principe de l'individualisation des peines :

7. Aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Le principe d'individualisation des peines qui découle de cet article implique qu'une sanction administrative ayant le caractère d'une punition ne puisse être appliquée que si l'autorité compétente la prononce expressément en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce.

8. Il résulte de l'instruction que la sanction infligée à la société contrevenante a été édictée par l'autorité administrative en fonction du pourcentage de factures payées en retard, du montant facturé payé en retard et du nombre de fournisseurs victimes et tenant compte de sa situation financière. Ainsi, cette sanction ne présentant pas de caractère automatique et ayant été invidualisée par l'autorité administrative, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'individualisation des peines ne peut qu'être écarté.

S'agissant du caractère proportionné de la sanction :

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que pour la période de contrôle de facturations considérée, entre le 1er janvier et le 1er juillet 2018, soit une période de cent quatre-vingt-un jours et sur les soixante-sept factures étudiées, cinquante-cinq, soit 82 %, ont été réglées en retard, dix avec un retard inférieur à douze jours (18,2 %), neuf avec un retard de douze à vingt-quatre jours (16,3 %) et trente-six avec un retard supérieur à vingt-quatre jours (65,5 %). Le montant cumulé des factures payées en retard s'est élevé à 148 832,91 euros et a concerné cinquante fournisseurs différents. Selon le procès-verbal du 16 avril 2019, le retard moyen pondéré s'élève à 24,77 jours. La durée du contrôle étant de cent quatre-vingt-un jours, le gain annuel en besoin de fonds de roulement s'établit donc à 20 367,91 euros (148 832,91 euros x 24,77 jours / 181).

10. En deuxième lieu, la société Azur Industries fait valoir qu'elle a modifié l'organisation de contrôle qu'elle avait mise en place afin de se prémunir contre les risques de paiement de marchandises ou de prestations non correctement livrées ou réalisées et qui conduisait à allonger les délais de paiement. Toutefois, il n'y a pas lieu de prendre en compte ces éléments postérieurs aux faits incriminés dans l'appréciation de la gravite des manquements auxquels elle s'était livrée.

11. En troisième lieu, si la société requérante soutient qu'elle aurait reçu tardivement quatre factures, elle ne soutient pas avoir accompli les diligences nécessaires pour en obtenir communication. En l'absence de ces diligences, il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu'elle ne peut utilement se prévaloir de ce retard.

12. En quatrième lieu, la société Azur Industries ne saurait invoquer le rapport annuel de l'Observatoire des délais de paiement 2020 qui rappelle que "la constatation d'un manquement à la loi peut donner lieu à des suites pédagogiques (avertissements, en cas de dépassement peu important)" ni le rapport en 2016 pour "la lutte contre les retards de paiement : renforcement du conseil et des contrôles" établi par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts de France, de tels documents étant dépourvus de force juridique. Elle ne peut pas plus tirer argument du tableau établi par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes quant aux amendes infligées pour dépassement des délais de paiement, et de la circonstance que "sur 263 amendes en 2018, seulement 15 sont plus importantes que celle appliquée à la Société".

13. En cinquième lieu, la société Azur Industries soutient qu'elle souffrait elle-même de retards de trésorerie imputables à certains de ses clients qui la payaient avec retard. Toutefois, si elle établit l'existence de ces retards, elle n'établit pas avoir souffert de difficultés financières, alors même que son activité enregistrait des résultats largement excédentaires sur la période correspondant aux exercices clos en 2016 et 2017.

14. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, la société Azur Industries est seulement fondée à soutenir que la sanction de 65 000 euros qui lui a été infligée est excessive. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de ramener l'amende décidée par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi à la somme de 20 000 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens relatifs à la régularité du jugement attaqué, la société Azur Industries est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges n'ont pas réduit le montant de l'amende prononcée par la décision du 26 septembre 2019.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros qui sera versée à la société Azur Industries au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1910178 du 17 janvier 2022 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il rejette la demande tendant à l'annulation de la sanction pécuniaire infligée à la société Azur Industries.

Article 2 : Le montant de l'amende prononcée à l'encontre de la société Azur Industries par décision du 26 septembre 2019 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur est ramené à la somme de 20 000 euros.

Article 3 : L'Etat versera à la société Azur Industries une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la requête de la société Azur Industries est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Azur Industries et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.