Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 9 novembre 2023, n° 22/07350

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Keromes

Conseillers :

Mme Vassail, Mme Vadrot

Avocats :

Me Tramier, Me de Chivre, Me Volle

T. com. Tarascon, du 6 mai 2022, n° 2021…

6 mai 2022

EXPOSE DU LITIGE

La SAS ATHEC, immatriculée au RCS de Tarascon sous le n° 793 630 682 depuis le 19 juin 2013, exerce une activité de travaux d'installations électriques dans tous locaux. Elle employait au moment de l'ouverture de la procédure collective 19 salariés. Son président et associé unique était M. [R] [Z].

Par jugement en date du 20 novembre 2020, le tribunal de commerce de Tarascon a ouvert, sur déclaration de cessation des paiements, une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SAS ATHEC, la date de cessation des paiements ayant été fixée provisoirement au 17 novembre 2020. Me [U] [V] a été désigné en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire.

Le chiffre d'affaire du dernier exercice (2019) était de 2 440 346 euros (2 440 346 en 2018 et 2 096 854 en 2017) et l'entreprise dégageait un résultat positif de 34 618 euros (contre 149 466 en 2018 et 141 778 en 2017). La situation provisoire au 30 novembre 2020 (soit sur onze mois) révélait un chiffre d'affaires en hausse, de 3 202 434 euros mais un résultat négatif de - 280 642 euros avec une chute des capitaux propres de - 115 279 euros (contre 410 211 en 2019, 375 594 en 2018 et 326 128 en 2017).

Saisi par assignation délivrée à la requête de Me [U] [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS ATHEC, d'une action dirigée contre M. [R] [Z] aux fins d'une part, de le voir condamné sur le fondement des dispositions de l'article L 651-2 du code de commerce, à lui verser la somme de 3 635 915,09 euros (ramenée à 2 000 000 euros), et d'autre part, de voir prononcée à son encontre une mesure de faillite personnelle, outre une condamnation à lui verser une indemnité de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le tout avec l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Tarascon a, par jugement en date du 06 mai 2022, au visa des articles L 651-2 et L 653-1 et suivants, R 653-4 et suivants du code de commerce :

- condamné M. [R] [Z] à supporter l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la SAS ATHEC à hauteur de la somme de 1 500 000 euros ;

- prononcé la faillite personnelle de M. [R] [Z] pour une durée de 10 ans ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- débouté les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires.

Pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de M. [R] [Z], le tribunal de commerce a retenu au titre des fautes de gestion invoquées par le liquidateur judiciaire :

- le dirigeant a fait bénéficié aux membres de sa famille, salariés par la SAS ATHEC, d'importantes augmentations de salaires intervenues dans les mois précédant la liquidation judiciaire,

- M. [R] [Z] a obtenu un financement par cessions de créance sans pouvoir justifier de la réalité des créances cédées lesquelles ne pouvaient être ultérieurement annulées par l'émission d'un avoir de la seule volonté de la société ATHEC, et augmenté ainsi le passif de la personne morale,

- a fait construire à son profit une maison aux frais de la SAS ATHEC (achats de matériaux de construction et utilisation des salariés de la société),

- a tenu de manière irrégulière la comptabilité de la société et a permis la constitution d'une société, la SAS CELEC, ayant la même activité, en vue de détourner l'actif de la SAS ATHEC.

M. [R] [Z] a interjeté appel du jugement suivant déclaration d'appel de 20 mai 2022.

**

Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par RVPA le 7 juillet 2022, M. [R] [Z] demande à la cour :

A titre principal d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel du tribunal de commerce de Tarascon du 6 mai 2022,

En conséquence et statuant de nouveau, de débouter Maître [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire :

- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Tarascon du 6 mai 2022 en ce qu'il a condamné [R] [Z] à supporter l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société ATHEC à raison de la somme de 1.500.000 euros ;

- de condamner [R] [Z] à supporter le passif de la société ATHEC uniquement à proportion de la hauteur de ses fautes de gestion ;

- de condamner, en tout état de cause, Maître [V] pris en sa qualité de liquidateur de la SASU ATHEC à verser au requis la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'instance.

La partie appelante fait valoir que la société fonctionnait parfaitement et n'a connu aucune difficulté particulière jusqu'à l'arrêt brutal de l'économie française et mondiale causé par la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid 19. La majorité des chantiers sur lesquels elle intervenait s'est arrêtée et les travaux ont été suspendus en raison du confinement. Lorsqu'elle a pu à nouveau intervenir sur les chantiers, elle a été confrontée à des reprises de maçonneries non prévues, l'augmentation du coût des matières premières, les difficultés à se faire régler des clients et les fournisseurs exigeant les règlements avant de livrer, de sortes qu'elle s'est retrouvée en situation financière difficile en raison d'une trésorerie asséchée la contraignant à déposer une déclaration de cessation des paiements et demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire le 12 novembre 2020. Elle estimait que cette situation ne pouvait être que passagère car elle disposait plus de 5 000 000 euros de marchés signés et en attente de réalisation. Elle avait obtenu de BPI France, sur justification de ces marchés, le renouvellement de la ligne Dailly jusqu'au 30 juin 2021.

L'annonce d'un accroissement d'activité lié à l'arrivée de nouveaux marchés l'ont conduit à une réorganisation de sa partie administrative en embauchant du personnel, à modifier par avenant les contrats de travail de Mme [T] épouse [Z] initialement embauchée à temps partiel, de [I] [Z] et de [V] [Z] pour les mettre en conformité avec les fonctions réellement exercées dans l'entreprise.

Or, le tribunal de commerce de Tarascon devait prononcer la liquidation judiciaire dès le départ suivant jugement du 20 novembre 2020, Me [V] étant désigné comme liquidateur judiciaire.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif, il fait valoir principalement que le liquidateur judiciaire ne démontre pas l'existence d'une faute de gestion antérieure à l'ouverture de la procédure, ni l'existence d'une insuffisance d'actif à hauteur de 3.635.915,09 euros, alors que la procédure de contestation des créances n'est pas encore clôturée, comme il ne démontre pas davantage le lien de causalité entre les fautes alléguées et l'insuffisance d'actif de la société mise en liquidation.

M. [R] [Z], ne conteste pas avoir réalisé des travaux sur une maison de famille mais soutient en avoir supporté le coût sur ses propres deniers. Il ne conteste pas que certains matériaux et fournitures ont bien été commandés par la société ATHEC, mais ont été refacturés par elle à son propre nom (facture FC 001135 du 10 septembre 2022 pour un total de 6 449,20 euros faisant référence à une facture de Provence Matériaux), et indiqua avoir réglé directement lui-même d'autres fournisseurs.

Concernant l'emploi de personnels intérimaires, il admet avoir, à quelques reprises, courant août 2020, sollicité l'intervention de personnels de l'entreprise pour lui donner ponctuellement un coup de main sur des travaux de rénovation. Il avait pour ces travaux, fait appel à l'entreprise Meditra qui n'a pu les achever en raison de sa défaillance ; il dénie avoir employé ces personnels intérimaire à plein temps pour son propre compte.

Par ailleurs, la SAS ATHEC a eu recours à des maçons et plaquistes en intérim mais seulement pour des reprises à faire sur les chantiers.

Il dénie avoir eu recours à M. [F], salarié chez ATHEC, pour tenir lieu de chef de chantier pour les travaux de rénovation de sa maison comme il conteste avoir détourné des fonds alloués dans le cadre du PGE consenti à la société ATHEC pour financer les travaux de rénovation et affirme que ce prêt a servi à faire face à l'augmentation des charges liées à la période du premier confinement.

Sur la tenue d'une comptabilité irrégulière :

Il conteste les allégations de Me [V] selon lesquelles il n'aurait pas pris en compte toutes les dettes sociales au moment de la déclaration de cessation des paiements et invoque le fait que la comptabilité de la SAS ATHEC a été régulièrement tenue par le cabinet comptable MLA à [Localité 8] à qui il remettait tous les documents comptables dont les factures fournisseurs pour la bonne tenue de la comptabilité et des déclarations de TVA. Le bilan et le compte de résultat résulte des documents qu'il a remis au comptable ; quant à la liasse fiscale, celle-ci fait apparaître de nouvelles dettes fournisseurs apparues après que le premier bilan ait été établi, situation qu'il explique par le fait que l'information sur l'ouverture d'un redressement judiciaire de la société ATHEC a entrainé l'arrêt de la fourniture de matériaux et l'émission de factures pour ceux déjà commandés, l'arrêt de la mise à disposition d'intérimaires et l'émission des factures, qui n'ont pu être comptabilisées au moment de la déclaration de cessation des paiements en vue d'un redressement judiciaire.

Quant à l'insuffisance d'actif de la SAS ATHEC :

Selon le liquidateur judiciaire l'insuffisance d'actif est de 3 635 915 euros après contestation de 118 427,38 euros de passif déclaré. Il est demandé à ce titre de confirmer la contribution de M. [R] [Z] à hauteur de 1 500 000 euros, cette somme n'étant pas définitive.

La partie appelante conteste ce montant et soutient que selon le dernier état des créances au 15 juin 2021 en sa possession, le montant des créances contestées est de 2 276 155,85 euros, révélant une insuffisance d'actif de 1 500 000 euros, cette somme n'étant pas définitive et sollicite subsidiairement que sa contribution à l'insuffisance d'actif soit ramenée aux seules négligences qu'il a commises.

Sur la faillite personnelle M. [R] [Z] estime qu'en l'absence de faute de gestion rapportée par le liquidateur judiciaire, les négligences commises par M. [R] [Z] ne sauraient justifier sa condamnation au regard des dispositions de l'article L 651-2 du code de commerce ; de même il ne saurait être tenu de la mise en liquidation judiciaire de l'entreprise gérée par son père, ni celle de son frère.

**

Par conclusions déposées et notifiées par RVPA le 20 juillet 2022, Me [U] [V] ès qualités demande à la cour de débouter M. [R] [Z] de ses demandes et de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Tarascon du 6 mai 2022 et de condamner M. [R] [Z] au paiement de la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Il fait valoir pour l'essentiel :

- sur l'insuffisance d'actif, qu'en dépit de l'exécution provisoire prononcée, M. [R] [Z] n'a effectué aucun versement en exécution du jugement.

Il soutient que dans les mois qui ont précédé la liquidation judiciaire de la société ATHEC, il a augmenté de façon substantielle et frauduleuse les seuls membres de sa famille sur les 19 salariés que comportait la société et il en est résulté un préjudice financier conséquent pour la société ATHEC :

- 28 031,26 euros au titre des salaires et charges, 1 448,67 euros au titre des charges applicables sur l'indemnité de congés pays et la prime de vacances et 13 802,17 euros au titre des indemnités de ruptures et charges y afférentes, pour ce qui concerne Mme [G] [Z],

-9 558,15 euros au titre des augmentations de salaires et des charges, et 11 436,75 euros au titre des indemnités de ruptures et charges y afférentes en ce qui concerne M. [I] [Z],

- 3 952,89 euros au titre des salaires et charges et 4 086,80 euros au titre des indemnités de rupture et charges y afférentes pour M. [V] [Z].

Le fait d'avoir favorisé les membres de sa famille en leur consentant des augmentations injustifiées de salaires alors qu'il savait la société ATHEC en difficultés financières a généré un préjudice financier de 70 868,02 euros

Concernant les cessions de créances fictives au préjudice de BPI France, celles-ci ont eu pour effet de tromper les créanciers, en particulier BPI France, en cédant de prétendues créances détenues sur la SNC PITCH au profit de BPI France, suivi immédiatement après le règlement par BPI France de l'avance sur facture, de l'émission d'une facture d'avoir.

Il en a été ainsi pour 4 créances :

- en septembre 2020 : 96 458,14 euros (facture du 21 septembre 2020),

- en décembre 2020 : 47 907,07 euros (facture Séquoia)

- en novembre 2020 : 100 625,21 euros (facture du 21 octobre 2020 de SCI la Méditerranée Promogim). Or, selon un courrier de Promogim, cette facture ne lui a jamais été adressée.

Sur les créances de BPI France :

La société ATHEC a eu recours à BPI France pour financer ses besoins en fonds de roulement ; elle conteste qu'il y ait pu avoir comme le soutient Me [V] de la facturation fictive pour se procurer abusivement du crédit et aggraver le passif social.

Ces cessions de créances fictives ont généré un préjudice de 244 990,42 euros et caractérisent la faute de gestion.

La construction d'une maison au profit du dirigeant, financée par la société ATHEC a été financée sur les fonds de la société ATHEC par le recours à des intérimaires via la société Aries Intérim de juin à novembre 2020 pour un total de 107 028,01 euros, en employant le chef de chantier de la société ATHEC, depuis le 25 juillet 2015 et ce, pendant 5 mois, au salaire net de 4 096,61 euros pour suivre les travaux de la maison de M. [R] [Z], et en utilisant les fonds obtenu dans le cadre d'un PGE, de 500 000 euros, consenti par le Crédit Agricole le 20 avril 2020, et enfin, en faisant supporter la société ATHEC le coût des matériaux nécessaires à la construction de la maison pour 11 532,18 euros

Il reproche à M. [R] [Z] le non-respect des obligations comptables, notamment la non tenue d'une comptabilité régulière ou complète. En effet, les dettes fournisseurs au moment de l'ouverture de la procédure collectives n'étaient que de 249 491 euros alors qu'elles s'élevaient en réalité à la somme de 1 102 592 euros, soit un différentiel inexpliqué de 853 491 euros.

Enfin, le liquidateur judiciaire invoque la constitution par Mme [G] [Z], de la société CELEC quelques jours avant la déclaration de cessation des paiements de la société ATHEC, implantée dans la même commune, [Localité 9], et dont l'objet social identique, dans le but de détourner l'actif social de la société ATHEC.

Sur l'insuffisance d'actif : le passif s'élève à la somme de 3 825 765,18 euros dont 118 427,38 euros de passif contesté.

L'actif réalisé et recouvré est de 189 850,09 euros.

L'insuffisance d'actif s'élève donc à 3 635 915,09 euros.

**

Par un avis notifié le 6 avril 2023, le ministère public requiert la confirmation de la décision attaquée en toutes ses dispositions, estimant que le mandataire a parfaitement caractérisé les fautes de gestion de M. [Z] d'autant plus que des infractions pénales ont été commises (abus de bien social et banqueroute) et que ces agissements sont indéniablement en lien avec l'insuffisance d'actif constatée ;

Au visa de l'article 11 du code de procédure pénale, le ministère public porte à la connaissance de la cour que M. [R] [Z] fait l'objet de poursuites pénales des chefs d'abus de biens sociaux et de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L'affaire a été fixée à l'audience du 17 mai 2023 et la clôture a été prononcée le 13 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la condamnation à l'insuffisance d'actif :

Aux termes de l'article L. 651-2 du code de commerce, le tribunal de commerce peut condamner à supporter l'insuffisance d'actif d'une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait, responsable d'une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif.

Pour que l'action initiée par Me [V] ès qualités puisse prospérer il est nécessaire que soient établis :

- une insuffisance d'actif,

- une ou plusieurs fautes de gestion imputables à M. [R] [Z],

- un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.

1) A la date à laquelle la cour statue, le passif déclaré au 22 février 2021 s'élevait à 3 825 765,18 euros, dont 345 292,69 euros à titre privilégié, 3 136 801,11 euros à titre chirographaire, les créances contestées s'élevant à 118 427,38 euros.

Quand bien même la vérification du passif ne serait-elle pas encore achevée, M. [Z] a lui-même estimé, dans la déclaration de cessation des paiements, le passif à 1 575 948,93 euros, ce qui suppose une insuffisance d'actif d'au minimum 1 386 098,84 euros.

2) sur les fautes de gestion reprochées à M. [R] [Z]

- concernant les augmentations de salaires des consorts [Z]

Parmi l'ensemble des salariés, seuls les membres de la famille de M. [R] [Z] ont bénéficié d'augmentation de salaires dans les mois qui ont précédé la liquidation judiciaire.

Mme [G] [T] épouse [Z] recrutée en contrat à durée indéterminée depuis le 02 mars 2015 en qualité d'ouvrier électricien, à temps partiel pour 20h00 de travail par semaine moyennant un salaire de 777 euros bruts par mois, a été employée à compter du 1er juin 2020 à temps complet pour un salaire horaire de 26 euros (contre 10,15 euros) soit une augmentation de sa rémunération entre janvier et octobre 2020 de + 188 %, représentant un accroissement de charges de 28 031,26 euros (salaire et charges sociales) et ce, 5 mois avant l'ouverture de la procédure collective.

Il n'a toutefois été versé aux débats aucun élément permettant de justifier de l'exercice de ses nouvelles fonctions et par voie de conséquence, de l'augmentation de sa rémunération.

M. [I] [Z], père de M. [R] [Z], a été embauché à compter du 19 juillet 2013 suivant contrat à durée indéterminée comme ouvrier électricien à plein temps, moyennant un salaire horaire de 9,43 euros bruts, passé à 14,51 euros à compter d'août 2020 et à 25,40 euros à compter du 1er septembre 2020, en qualité de chef d'équipe, représentant un salaire brut de 3 853,02 euros, soit un accroissement de charges de 9 558,15 euros (salaire et charges sociales).

Pour autant, il n'est pas justifié de ce réajustement tardif et de la qualification des fonctions et du salaire lié au passage d'un emploi d'ouvrier à chef d'équipe, alors que la société employait déjà un conducteur de travaux et rencontrait des difficultés telles qu'elles entraîneront une liquidation judiciaire, trois mois après la modification du contrat de travail.

[V] [Z], frère de M. [R] [Z] a été embauché par la société en qualité d'ouvrier électricien à compter du 2 mars 2015 suivant contrat de travail à durée indéterminée moyennant un salaire horaire de 14 euros brut, puis au 1er juin 2020, de17 euros bruts et à compter du 1er septembre 2020 de 21,75 euros bruts soit un salaire brut de 3 300 euros d'ouvrier électricien niveau III position 2 coefficient 230, représentant un accroissement de charges de 2 501,83 euros sans justification apportée par M. [R] [Z] quant aux fonctions réellement exercées par l'intéressé.

Il en résulte que, de manière non justifiée et alors même que M. [R] [Z] reconnaît dans ses écritures que la société ATHEC a été confrontée à un important besoin en fond de roulement et qu'à cette même période, l'économie nationale subissait de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire, les membres de sa famille ont vu leur rémunération augmenter de manière conséquente dans les mois qui ont précédé la liquidation judiciaire, sans que les résultats antérieurs dégagés par la société lui aient permis de supporter ces augmentations de salaires, charges et contributions sociales, ce qui caractérise une faute de gestion manifeste.

Il en résulte un accroissement des charges de la société pour un montant de 42 990,97 euros, le fait que les trois intéressés n'aient pas perçu d'indemnités de licenciement n'étant pas contesté par l'intimé.

- concernant les cessions de créances fictives

M. [R] [Z] est mis en cause pour s'être procuré des financements au moyen de cession de créances sans justifier de la réalité des créances cédées, lesquelles ne pouvaient être ultérieurement être annulées par l'émission d'un avoir par la SAS ATHEC, et avoir ainsi augmenté le passif de la personne morale à hauteur de 244 990,42 euros et caractérisent la faute de gestion.

Suivant les explications fournies par l'appelant, la société ATHEC ayant obtenu plusieurs marchés ou appels d'offres s'est retrouvée à devoir financer son besoin en fond de roulement accru en mobilisant ses créances auprès de BPI France ; ainsi, chaque chantier réalisé par la société ATHEC était couvert à hauteur d'une somme déterminée à l'avance par BPI France, qui payait sur présentation des factures émises pour chaque situation (facture comportant le numéro RIB de BPI France adressée à la fois à cette dernière et au client) et du certificat de paiement de l'architecte en sa qualité de maître d'oeuvre. Or, il est fréquent qu'après émission du certificat de paiement par le maître d'oeuvre, ce dernier demande la modification de la facture de situation pour y intégrer une moins value ou une plus value, amenant la SAS ATHEC à procéder à l'avoir de la première facture émise et à l'émission d'une nouvelle facture conformément aux prescriptions du maître d'oeuvre. La BPI allouait une enveloppe globale pour chaque marché pris individuellement et chacun des paiements réalisés par BPI venait en déduction de l'enveloppe. Il était donc impossible que la BPI France règle des sommes non justifiées à la SAS ATHEC.

A cet égard, il est reproché à l'appelant d'avoir cédé des créances à la BPI France, qui ont fait l'objet de l'émission d'un avoir correspondant au même montant quelques temps après, alors que la société ATHEC n'était plus titulaire de ces créances :

- une facture Séquoia n° FC 001152 du 21 septembre 2020 pour un montant de 47 907,07 euros, cédée au profit de la BPI France, suivie d'une annulation par émission d'un avoir du même montant émis le 26 octobre 2020, soit 10 jours après la cession,

- une facture Pitch Promotion n° FC 001140 du 21 septembre 2020 d'un montant de 96 458,14 euros, cédée au profit de la BPI France, suivie d'une annulation par émission d'un avoir du même montant le 8 octobre 2020.

Concernant ces factures, les éléments versés aux débats par les parties ne permettent pas de vérifier si l'émission des avoirs sur les factures émises, n'ont pas donné lieu à de nouvelles facturations, comme le prétend l'appelant.

Il est également reproché à M. [Z] une facture de 100 625,21 euros cédée à BPI France émise à l'ordre de la société SCI Méditerranée-Promogim, qui déclare ne l'avoir jamais réceptionnée (pièces appelant n°8 et n° 23 de l'intimée)

Sur la facture de 100 625,21 euros, Promogim a confirmé par courrier adressé à Me [V] ès qualités, réceptionné le 6 avril 2021 n'avoir jamais réceptionné, elle-même ni par la maîtrise d'oeuvre, ladite facture qui n'a fait l'objet d'aucune validation.

Il ne saurait, à cet égard être tiré de l'e-mail adressé par la société ATHEC à [Courriel 3] et [Courriel 5] du 21 octobre 2020 à 14h29 (pièce appelant n°8) concernant une situation de travaux du mois d'octobre 2020 auquel était joint deux pièces, la démonstration de l'envoi de la facture litigieuse, dès lors que les pièces jointes ne comportent aucune indication permettant de s'assurer qu'il s'agit bien de la facture n° FC 011203 à l'ordre de la SCI Méditerranée-Promogim datée du 21 octobre 2020 à échéance du 05 décembre 2020.

Toutefois, s'agissant de l'obtention des fonds versés en contrepartie de la cession des dites créances, faute de justifier d'une plainte et/ou de réclamations de la part de BPI France comme des entreprises facturées, le caractère frauduleux de ces factures, comme le grief tiré de l'aggravation du passif résultant de l'obtention des fonds obtenus par la cession des dites créances litigieuses à la BPI France, n'apparaissent pas en l'état des éléments produits, suffisamment caractérisés à l'encontre de M. [R] [Z] et le grief ne sera, par conséquent, pas retenu.

- les travaux de rénovation de la maison du dirigeant de la SAS ATHEC

M. [R] [Z], ne conteste pas avoir réalisé des travaux sur une maison lui appartenant mais soutient en avoir supporté le coût sur ses propres deniers, de même que le coût des matériaux et fournitures commandés par la société ATHEC, qui les lui a refacturés ; il indique avoir réglé directement lui-même d'autres fournisseurs.

Sur ce point, les factures fournisseurs produites (Provence Matériaux) à l'ordre de la société ATHEC, qui ont fait l'objet de refacturation à l'intéressé à hauteur de 6 449,20 euros ne suffisent pas à établir que M. [R] [Z] les a bien réglées, à défaut par lui d'en justifier par la production d'un relevé de son compte bancaire.

Concernant l'emploi de personnels, M. [R] [Z] admet avoir, à quelques reprises, courant août 2020, sollicité l'intervention de personnels de l'entreprise pour lui donner ponctuellement un coup de main sur des travaux de rénovation, en raison de la défaillance de la société Meditra, mais dénie avoir employé ces personnels intérimaires à plein temps pour son propre compte et avoir eu recours à M. [F] comme chef de chantier pour les travaux de sa maison.

A cet égard, et nonobstant les dénégations de l'appelant, le courriel de la société Aries Intérim en date du 22 mars 2021 versé aux débats confirme bien le recours à des personnels intérimaires maçons et plaquistes, de juin à novembre 2020, non pas pour les besoins de l'activité de la société ATHEC (spécialisée en installations électriques) mais pour les besoins de la construction d'une villa pour un montant total facturé de 107 027,01 euros, illustrant ainsi l'usage du crédit de la société à des fins contraire à ses intérêts et dans l'intérêt personnel de son dirigeant.

Concernant le détournement des fonds alloués dans le cadre du PGE consenti à la société ATHEC pour le financement des travaux de rénovation.

En dépit des dénégations de l'intéressé et des justificatifs de demande de prêts produites, il paraît évident que le recours à des salariés de sociétés de travail intérimaires pour réaliser des travaux de rénovation de la maison de M. [Z] a été financé avec la trésorerie de la société ATHEC, trésorerie, dont il est allégué qu'elle était en grande partie alimentée par le recours à une ligne Dailly ouverte auprès de BPI France et par l'obtention d'un PGE d'un montant de 550 000 euros.

Ces faits constituent une faute de gestion imputable à M. [R] [Z].

- la tenue d'une comptabilité irrégulière

Le bilan remis par M. [R] [Z] lors de la déclaration de cessation des paiements, arrêté au 30 novembre 2020 faisait ressortir un montant dû aux fournisseurs de 249 491 euros, tandis que le bilan définitif arrêté au 20 novembre 2020 fait quant à lui apparaître un montant de dettes fournisseurs de 1 102 592 euros (cf. liasse fiscale pièce n° 38 de l'intimé).

Il ne peut être toutefois être déduit de l'existence de seul ce différentiel de 853 491 euros la tenue d'une comptabilité incomplète et par conséquent insincère, à défaut pour le liquidateur judiciaire de démontrer que les factures correspondant au différentiel étaient antérieures à l'ouverture de la liquidation judiciaire de la SAS ATHEC. Ce grief sera par conséquent écarté.

Concernant la création de la société CELEC

C'est à juste titre que le tribunal de commerce a considéré que la création de la société CELEC ayant pour objet 'Electricité générale, courant fort et courant faible', un mois avant l'ouverture de la liquidation judiciaire de la SAS ATHEC, par Mme [Y] [T] épouse [Z], pouvait être reprochée à M. [R] [Z], à défaut de caractériser l'existence d'une gérance de fait à l'encontre de ce dernier.

Dès lors, ce grief ne saurait être retenu.

3) Sur le lien de causalité entre les fautes de gestion retenues et l'aggravation de l'insuffisance d'actif de la société ATHEC :

Les fautes de gestion retenues à l'encontre de M. [R] [Z] ont de manière certaine contribué à l'aggravation de l'insuffisance d'actif à concurrence de la somme de 200 000 euros.

Le jugement sera par conséquent infirmé sur ce point.

Sur la faillite personnelle :

Il résulte des dispositions des articles L. 653-1 2°, L. 653-4 1°, 3° et 5° et L. 653-5 6° du code de commerce que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale contre lequel a été relevé le fait d'avoir disposé des biens de la personne morale comme des biens propres, d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement, d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale et d'avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

C'est à juste titre que le tribunal de commerce a relevé qu'en favorisant les membres de sa famille sans justifier de la réalité de la contrepartie des augmentations de salaires accordées alors qu'il savait la société ATHEC dans l'incapacité de le supporter financièrement, comme le fait d'avoir utilisé le crédit et les salariés de la société pour réaliser des travaux de rénovation de sa maison d'habitation et M. [R] [Z] a disposé des biens de la personne morale comme étant les siens et a fait du crédit ou des biens de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles, justifiant ainsi le prononcé d'une mesure de faillite personnelle.

Celle-ci sera toutefois ramenée à 10 ans, compte tenu des fautes retenues contre M. [Z], et emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.

Sur les demandes accessoires.

M. [R] [Z], succombant, est infondé dans sa demande au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera condamné aux dépens d'appel conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

L'équité commande qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Me [V] ès qualités à hauteur de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a retenu à l'encontre de M. [R] [Z] les fautes de gestion consistant en l'augmentation non justifiée des salaires, de sa mère, de son père et de son frère ainsi que des charges et contributions sociales y afférentes et consistant à faire prendre en charge par la société ATHEC des dépenses de matériels et de personnels pour les travaux de rénovation de sa maison d'habitation et le réforme pour le surplus des griefs retenus à son encontre ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [R] [Z] une condamnation à contribuer personnellement à l'insuffisance d'actif mais l'infirme sur le montant de celle-ci ;

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [R] [Z] une mesure de faillite personnelle mais l'infirme sur la durée de cette mesure ;

Statuant à nouveau, des chefs d'infirmation et y ajoutant,

Arrête l'insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la SAS ATHEC à la somme minimale de 1 386 098,84 euros ;

Condamne M. [R] [Z] à payer à Me [V] ès qualités la somme de 200 000 euros au titre de sa participation à l'insuffisance d'actif de la SAS ATHEC du fait des fautes de gestion qu'il a commises ;

Prononce à l'encontre de M. [R] [Z] la faillite personnelle pour une durée de 10 ans ;

Ordonne qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fasse l'objet d'une inscription au fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;

Déboute M. [R] [Z] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [R] [Z] à payer à Me [V] ès qualités la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne M. [R] [Z] aux dépens d'appel.