Cass. com., 25 octobre 2023, n° 21-20.156
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Boisselet
Avocats :
SCP Marlange et de La Burgade, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 17 juin 2021), contestant la légitimité du licenciement pour faute lourde qui lui avait été notifié le 11 mai 2012 par la société Gemo par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, M. [K] a saisi un conseil de prud'hommes puis formé appel du jugement ayant rejeté ses demandes.
2. Déclarant venir aux droits de la société Gemo à la suite de la cession du fonds de commerce ayant pris effet le 1er janvier 2015, la société Sopic est intervenue volontairement à l'instance devant la cour d'appel.
Examen du moyen
Sur le moyen unique
Enoncé du moyen
3. M. [K] fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'intervention de la société Sopic en cause d'appel et de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il dit que le licenciement de M. [K] reposait sur des fautes lourdes et rejette l'ensemble de ses demandes, de condamner la société Sopic, venant aux droits de la société Gemo, à lui payer la somme de 527,45 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, de rejeter sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice distinct, de dire les demandes reconventionnelles de la société Sopic recevables et de le condamner à payer à la société Sopic la somme de 50 416 euros en réparation du préjudice causé par la faute lourde, alors « que l'apport d'un fonds de commerce n'emporte pas transfert des créances de l'apporteur au profit du bénéficiaire, sauf stipulation expresse ; qu'en déclarant recevable l'intervention de la société Sopic, venant aux droits de la société Gemo en cause d'appel, aux motifs que les éventuelles créances de la société Gemo contre M. [K] en exécution du contrat de travail avaient été transmises à la société Sopic dans le cadre d'une opération d'apport de fonds de commerce, après avoir pourtant relevé que la société Sopic ne deviendrait propriétaire du fonds apporté qu'à compter du 1er janvier 2015, que ce n'est qu'à compter de cette date que les opérations tant actives que passives ont été réputées faites pour le compte de la société Sopic, que M. [K] avait été licencié près de trois ans avant, le 11 mai 2012 et que les créances prétendument détenues par la société Gemo contre M. [K] et les actions qui s'y rattachaient en défense et en demande n'étaient pas expressément mentionnées dans l'acte d'apport du fonds, ce dont il résultait que les prétendues créances indemnitaires de la société Gemo contre M. [K] n'avaient aucunement été transmises à la société Sopic par l'acte d'apport du fonds, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 141-1 du code de commerce et 1689 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. La société Sopic conteste la recevabilité du moyen. Elle prétend qu'il est contraire à la thèse soutenue devant les juges du fond dès lors que M. [K] faisait valoir en appel que son contrat avait été rompu avant l'apport du fonds de commerce et n'avait ainsi pas pu être repris mais prétend à hauteur de cassation que la créance indemnitaire litigieuse n'était pas expressément visée dans l'acte d'apport.
5. Cependant, M. [K] soutenait dans ses conclusions d'appel à la fois que la rupture de son contrat de travail était antérieure à la cession du fonds de commerce et que l'acte d'apport en nature ne mentionnait aucune créance détenue par la société Gemo à son encontre.
6. Le moyen est donc recevable.
Bien fondé du moyen
Vu les articles 1690 du code civil et L. 141-5 du code de commerce :
7. Il résulte de ces textes qu'en l'absence de clause expresse et sauf exceptions prévues par la loi, la cession d'un fonds de commerce n'emporte pas de plein droit celle des obligations dont le vendeur pouvait être tenu en vertu d'engagements initialement souscrits par lui ni celle des créances qu'il détenait antérieurement à la cession.
8. Pour déclarer recevable l'intervention volontaire de la société Sopic, l'arrêt retient qu'il résulte du contrat que la société Gemo lui a apporté son fonds de commerce et qu'il était prévu que la société Sopic reprenne tous les actifs et tout le passif du bureau d'études, l'acte stipulant au paragraphe « propriété et jouissance » qu'elle serait propriétaire du bien apporté à compter du 1er janvier 2015, et que toutes les opérations tant actives que passives depuis cette date seraient réputées faites pour son compte. Il en déduit que, même si les créances prétendument détenues par la société Gemo contre M. [K] en exécution du contrat de travail et les actions qui s'y rattachent en défense et en demande ne sont pas expressément mentionnées, il résulte de ces stipulations que ces créances ont été transmises à l'occasion de cette opération d'apport du fonds.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle relevait l'absence de clause stipulant expressément la cession des obligations dont le vendeur pouvait être tenu en vertu d'engagements initialement souscrits par lui ou des créances qu'il détenait antérieurement à la cession, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.