CA Versailles, 13e ch., 24 octobre 2023, n° 23/02677
VERSAILLES
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
T (Consorts), Y (Consorts)
Défendeur :
AEL (Sté), L, JUDOR INVESTISSEMENTS (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guerlot
Vice-président :
Mme Chaumet
Conseiller :
Mme Bonnet
Avocats :
Me Wiart, Me Semevier, Me Teriitehau, Me Quenault, Me Dupuis, Me Azoulai
La Sas A.E.L. (la société AEL) exploitait un fonds de commerce d'achat vente en gros, demi-gros, détail import-export de vêtements féminins dans des locaux situés au [Adresse 2] à [Localité 28] et au[Adresse 24]l à [Localité 17], ces derniers appartenant à l'indivision [O]-[T].
Le contrat de bail des locaux situés à [Localité 32] a été renouvelé à plusieurs reprises et pour la dernière fois aux termes d'un acte du 21 décembre 2018 pour une période de 9 ans, à compter du 1er décembre 2018 jusqu'au 30 novembre 2027.
Par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 14 février 2023, la société AEL a été placée en liquidation judiciaire et maître [P] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Celui-ci a fixé une date de dépôt des offres de rachat du fonds de commerce de la société AEL, incluant le droit au bail des locaux situés à [Localité 28] et de ceux situés à [Localité 32], au 10 mars 2023.
Aucune offre n'a été déposée dans le délai.
Le 28 mars 2023, la société Judor Investissement (la société Judor) a présenté une offre d'acquisition du droit au bail des bureaux commerciaux situés [Adresse 24] à [Localité 17] et du mobilier présent dans ces locaux, au prix de 2 001 euros.
Le 29 mars 2023, maître [P], ès qualités, a saisi le juge-commissaire désigné dans la procédure collective d'une requête aux fins de cession du fonds de commerce et par ordonnance du 4 avril 2023, le juge-commissaire a notamment :
- autorisé conformément aux dispositions de l'article L. 642-19 du code de commerce la cession du droit au bail, sis [Adresse 24] à [Localité 32], dépendant de la liquidation judiciaire de la société SAS AEL à la société Judor Investissement pour un montant de 2 001 euros se détaillant comme suit :
*éléments incorporels (droit au bail des locaux, clientèle et achalandage, enseigne/nom commercial) : 1 euro ;
*éléments corporels (mobilier, matériel) : 2 000,00 euros ;
- dit qu'en sus du prix la société Judor Investissements procédera au paiement des loyers à compter de la liquidation judiciaire et à la reconstitution du dépôt de garantie entre les mains de maître [P], ès qualités, dès le prononcé de ladite ordonnance ;
- autorisé le liquidateur judiciaire à procéder au règlement des loyers dus postérieurement au jugement d'ouverture dès réception des fonds par l'acquéreur ;
- ordonné la rédaction des actes de cession dans un délai de quatre mois à compter de la présente ordonnance, l'ensemble des frais afférents restant à la charge de l'acquéreur y compris les honoraires du rédacteur d'actes du liquidateur, conformément à la jurisprudence du tribunal ;
- fixé l'entrée en jouissance à la date de la présente ordonnance et enjoignons à l'acquéreur de fournir une attestation d'assurance lors de la remise des clefs.
Par déclaration en date du 20 avril 2023, Mme [H] [T], M. [A] [T], M. [G] [T], Mme [F] [Y], M. [M] [Y] et M. [V] [Y] (les consorts [T]-[Y]) ont interjeté appel de cette ordonnance. La déclaration d'appel a été signifiée 19 mai 2023 par acte remis à étude d'huissier à M. [C] [L], en qualité de dirigeant de la société AEL, lequel n'a pas constitué avocat.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 15 septembre 2023, les premières ayant été signifiées au dirigeant de la société AEL en même temps que la déclaration d'appel les consorts [T]-[Y] demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel ;
- rejeter l'offre présentée par la société Judor le 28 mars 2023 en ce qu'elle ne propose que d'acquérir le droit au bail de la société AEL et ne correspond pas au cahier des charges du liquidateur judiciaire, qui cherchait un acquéreur du fonds de commerce;
- infirmer l'ordonnance ;
- déclarer irrecevable la demande de la société Judor tendant à solliciter 'la restitution des loyers versés par Judor et notamment la somme de 24 863,08 euros au titre du loyer du 2ème trimestre 2023 à parfaire' ;
- subsidiairement, débouter la société Judor de toutes ses demandes et notamment de sa demande de restitution par les bailleurs des sommes versées postérieurement à l'ordonnance du 6 avril 2023 dont appel à hauteur de 24863,08 euros ;
statuant à nouveau :
- autoriser ladite cession de droit au bail à leur bénéfice moyennant le montant de 3 000 euros ;
- condamner solidairement les défendeurs (sic) aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Judor, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 8 septembre 2023,les premières ayant été signifiées à M. [L] selon acte remis à étude d'huissier le 20 juin 2023, demande à la cour de :
à titre principal,
- constater que la cour n'est saisie d'aucune prétention tendant au rejet de l'offre qu'elle a présentée ;
- confirmer l'ordonnance déférée,
à titre subsidiaire, si la cour venait à réformer l'ordonnance,
- ordonner la restitution des sommes qu'elle a versées à maître [P] ès qualités, soit :
* la somme de 2 001 euros au titre de l'offre d'acquisition du droit au bail ;
* la somme de 50 864,63 euros correspondant à la reconstitution du dépôt de garantie (37 500 euros) et au prorata de loyers et accessoires pour la période allant de la liquidation judiciaire le 14 février 2023 à la veille de l'ordonnance de cession le 3 avril 2023 (13 364,63 euros) ;
- ordonner la restitution des loyers qu'elle a versés aux bailleurs, représentés par leur administrateur d'immeubles la société Cabinet Maury Schwob, et notamment la somme de 24 863,08 euros au titre du loyer du deuxième trimestre, somme à parfaire;
en tout état de cause et y ajoutant,
- déclarer irrecevable la demande des consorts [T]-[Y] tendant à voir rejetée l'offre qu'elle a présentée le 28 mars 2023 ;
- déclarer irrecevable la demande d'acquisition du droit au bail formé par les consorts [T]-[Y] ;
- débouter les consorts [T]-[Y] de leurs demandes ;
- condamner solidairement les consorts [T]-[Y] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Maître [P], ès qualités, dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 7 septembre 2023, les premières ayant été signifiées à M. [L] selon acte remis à étude d'huissier le 21 juin 2023,demande à la cour de :
à titre principal,
- juger que les appelants sont irrecevables en leur appel ;
à titre subsidiaire,
- juger que la cession intervenue ne nécessitait pas l'agrément préalable des appelants, s'agissant d'une cession de fonds de commerce ;
à titre encore plus subsidiaire,
- juger que les appelants n'opposent aucun motif légitime pour s'opposer à la cession ;
en conséquence et en tout état de cause,
- confirmer l'ordonnance rendue par le juge-commissaire en toutes ses dispositions ;
- débouter les consorts [T]-[Y] de l'ensemble de leurs demandes ;
- condamner solidairement les consorts [T]-[Y] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner les consorts [T]-[Y] aux entiers dépens dont distraction est requise.
Dans son avis notifié par RPVA le 20 juin 2023, le ministère public demande à la cour de déclarer l'appel irrecevable, faute de qualité pour agir des appelants qui n'avaient déposé aucune offre. De plus, il considère que proposer la cession du bail des murs dont ces derniers sont propriétaires et bailleurs à une somme supérieure à
celle retenue par l'ordonnance entreprise revient à demander à la cour de statuer ultra petita, voire de commettre un excès de pouvoir.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 septembre 2023.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur la recevabilité de l'appel des consorts [T]-[Y]
Les consorts [T]-[Y] soutiennent que leur appel est recevable puisqu'ils se sont vus notifier, par le greffe du tribunal de commerce de Nanterre, l'ordonnance accompagnée d'un courrier indiquant la voie de recours prévue par l'article R. 642-37-1 du code de commerce. Ils précisent que leurs demandes ne tendent pas seulement à voir ordonnée la cession à leur profit mais également au rejet de l'offre présentée par la société Judor. Ils affirment qu'en qualité de bailleurs, ils ont nécessairement un intérêt à agir contrairement au candidat évincé.
Maître [P] soutient que les consorts [T]-[Y] ne sont pas recevables à relever appel de l'ordonnance de cession dans le but que soit ordonnée la cession à leur profit alors qu'ils n'ont jamais déposé d'offre entre ses mains, rappelant que le repreneur évincé n'est pas autorisé à interjeter appel d'une ordonnance du juge-commissaire ordonnant la cession d'actifs en l'absence d'intérêt à agir. Il souligne que les appelants qui n'ont pas déposé d'offre n'émettent aucune prétention. Il estime par conséquent que les consorts [T]-[Y] n'ont pas d'intérêt à agir, peu important que l'appel soit prévu par les dispositions des articles R. 642-37-1 et R. 642-37-3 du code de commerce.
La société Judor Investissements ne conclut pas sur la recevabilité de l'appel des consorts [T]-[Y].
Réponse de la cour
Le recours de l'article R. 642-37-3 du code de commerce est ouvert aux parties mais également aux personnes dont les droits et obligations sont affectés par les ordonnances du juge-commissaire rendues en application de l'article L. 642-19 du même code.
Il est de jurisprudence constante que le bailleur, dont le droit au bail a été cédé par une ordonnance du juge-commissaire sur le fondement de l'article L. 642-19 du code de commerce, est recevable à interjeter appel de l'ordonnance en ce que ses droits et obligations sont affectés par la cession.
En l'espèce, dans l'ordonnance déférée à la cour, le juge-commissaire a autorisé, conformément aux dispositions de l'article L. 642-19 du code de commerce, la cession du droit au bail portant sur les locaux sis [Adresse 24] [Localité 17], dépendant de la liquidation judiciaire de la société AEL.
Par conséquent, l'appel des consorts [T]-[Y], bailleurs, dont les droits et obligations sont affectés, est recevable, peu important qu'ils présentent une demande tendant à voir ordonnée la cession du droit au bail à leur profit alors qu'ils n'avaient pas formulé d'offre.
2/ Sur la recevabilité de la demande présentée par les consorts [T]-[Y] tendant au rejet de l'offre de la société Judor
La société Judor soutient que la demande de rejet de son offre par les consorts [T]-[Y] se heurte au principe de concentration des prétentions dès les conclusions mentionnées à l'article 905-2 du code de
procédure civile puisqu'elle n'a été formulée pour la première fois que dans leurs conclusions n° 2 en sorte qu'il s'agit d'une prétention nouvelle qui doit être déclarée irrecevable en application de l'article 910-4 du code de procédure civile.
Les consorts [T]-[Y] soutiennent que la demande de rejet de l'offre de la société Judor soulevée dans leurs conclusions n° 2 n'est pas une prétention nouvelle au sens de l'article 910-4 du code de procédure civile mais un moyen nouveau. Ils estiment qu'en toute hypothèse, il s'agit d'une réponse aux conclusions des intimés, ce qui est permis par les dispositions de l'article 910-4.
Maître [P] ne conclut pas sur cette question.
Réponse de la cour
L'article 910-4 du code de procédure civile dispose qu''à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article «802», demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.'
En l'espèce, dans leurs premières conclusions les appelants sollicitaient de la cour qu'elle infirme l'ordonnance et, statuant à nouveau, qu'elle autorise la cession du droit au bail à leur bénéfice. Dans leurs conclusions suivantes, ils ont présenté une prétention supplémentaire tendant au rejet de l'offre présentée par la société Judor.
Si cette prétention a effectivement été ajoutée par les appelants dans leur deuxième jeu de conclusions, il s'agit néanmoins d'une prétention destinée à répliquer aux conclusions adverses tant celles du liquidateur que celles de la société Judor et qui, en tout état de cause, découle nécessairement des demandes d'infirmation de l'ordonnance et d'autorisation de la cession à leur profit.
Par conséquent, il convient de déclarer recevable la demande des consorts [T]-[Y] de rejet de l'offre de la société Judor.
3/ Sur la recevabilité de la demande d'autorisation de la cession à leur profit présentée par les consorts [T]-[Y]
Maître [P] soutient que la cour ne peut juridiquement ordonner une cession au profit d'une personne qui n'a pas formulé d'offre devant le juge-commissaire car l'appel ne peut constituer une réouverture d'un dépôt des offres.
La société Judor, au visa de l'article 564 du code de procédure civile, soutient que la proposition de rachat du droit au bail formulée par les consorts [T]-[Y] en appel est irrecevable en ce qu'elle est une demande nouvelle.
Les consorts [T]-[Y] ne concluent pas sur la recevabilité de leur demande de cession à leur profit.
Réponse de la cour
Les cessions d'actifs réalisées sur le fondement de l'article L. 642-19 du code de commerce ont une double nature, judiciaire et contractuelle, qui impose de respecter la procédure prévue par les dispositions légales.
L'article L.642-22-1 du code de commerce impose notamment que la cession soit précédée d'une publicité réalisée par le mandataire judiciaire. Les offres doivent ensuite être présentées au mandataire qui déposera une requête au juge-commissaire afin qu'il autorise la cession.
Force est de constater que les consorts [T]-[Y] n'ont pas déposé d'offre entre les mains du liquidateur judiciaire.
En sollicitant de la cour qu'elle autorise la cession à leur profit du droit au bail sans avoir déposé d'offre au préalable, les consorts [T]-[Y] tentent d'échapper, en tant que tiers dont les droits et obligations sont affectés par la cession, à la discipline du dépôt des offres.
Cette demande est d'autant moins possible que la Cour de cassation interdit aux candidats évincés d'intervenir à la procédure devant la cour d'appel et de soutenir à nouveau une offre d'acquisition.
Par conséquent, il convient de déclarer irrecevable la demande des consorts [T]-[Y] d'autoriser la cession à leur profit du droit au bail aux lieu et place de la société Judor.
4/ Sur la nature de la cession et l'application de la clause d'agrément du repreneur par le bailleur
Les consorts [T]-[Y] soutiennent que, contrairement à ce qu'a indiqué le liquidateur judiciaire dans sa requête adressée au juge-commissaire, la société Judor n'a pas déposé une offre de rachat du fonds de commerce mais uniquement du droit au bail et que, si le juge-commissaire a corrigé la confusion du liquidateur judiciaire en autorisant la cession du droit au bail, il n'en a pas tiré les conséquences juridiques en ne tenant pas compte des règles spécifiques à une telle cession prévues dans le contrat de bail. Ils contestent l'analyse du liquidateur selon laquelle il s'agirait nécessairement d'une cession du fonds de commerce compte tenu de la cession de la clientèle alors que la société Judor avait expressément exclu de son offre de rachat du droit au bail commercial le stock, les contrats et les salariés.
Ils soutiennent ensuite qu'en cas de cession du droit au bail, l'accord préalable du bailleur est nécessaire et que cette condition suspensive a été totalement omise tant par le liquidateur judiciaire que par le juge-commissaire. Ils ajoutent que le liquidateur judiciaire pouvait d'autant moins l'ignorer que leur conseil lui avait rappelé l'existence de cette clause et lui avait indiqué qu'ils allaient interroger les bailleurs.
Ils soutiennent enfin que l'agrément du bailleur doit être donné antérieurement à l'ordonnance et non postérieurement comme l'affirme le liquidateur judiciaire et que cela était parfaitement possible en l'espèce, l'offre étant valable jusqu'au 31 mai 2023 et les bailleurs ayant la possibilité de répondre rapidement. Ils font valoir que le fait d'avoir encaissé les loyers postérieurement à l'ordonnance n'est pas en contradiction avec leur demande d'infirmation en ce que les loyers sont la contre-partie de l'occupation des locaux par la société Judor et qu'en cas d'infirmation, ils seront conservés à titre d'indemnité d'occupation pour cette période.
Maître [P] soutient qu'aux termes du contrat de bail commercial, l'agrément du bailleur n'est pas nécessaire en cas de cession de fonds de commerce. Il affirme que le juge-commissaire a autorisé la cession du nom et de l'enseigne, de la clientèle et de l'achalandage, du droit au bail et des éléments corporels, ce qui est caractéristique du fonds de commerce. Il estime qu'en reprenant la clientèle, élément essentiel du fonds de commerce, la société Judor a racheté le fonds de commerce de la société AEL et pas uniquement le droit au bail. Il en déduit que l'agrément du bailleur n'était pas nécessaire car le contrat de bail a expressément exclu cette condition en cas de cession à l'acquéreur de l'activité.
Il ajoute que même si l'agrément du bailleur était exigé pour une cession de fonds de commerce, il n'est pas précisé dans le bail que cet agrément doit être antérieur à la cession. Il estime, au contraire, que l'agrément ne peut être sollicité que dans le cadre de la rédaction des actes de cession, une fois l'ordonnance rendue et l'identité du repreneur connue. Il considère qu'un agrément antérieurement à l'ordonnance du juge-commissaire est incompatible avec la nécessité de réaliser rapidement les actifs du débiteur afin de ne pas
augmenter le passif et rappelle la possibilité d'avoir plusieurs candidats repreneurs. Il ajoute que les bailleurs ont encaissé les loyers de la société Judor Investissements postérieurement à la cession et que cela est en contradiction avec leur demande d'infirmation de l'ordonnance.
La société Judor explique avoir improprement qualifié son offre d'offre d'acquisition du droit au bail mais qu'il s'agissait en réalité d'une offre d'acquisition du fonds de commerce en ce qu'elle entendait racheter des éléments incorporels et corporels du fonds de commerce. Elle soutient que les bailleurs ne peuvent solliciter l'infirmation de l'ordonnance en raison du non-respect de la condition suspensive alors que c'est elle qui avait ajouté cette condition suspensive dans son offre de rachat et qu'elle y a renoncé.
Réponse de la cour
L'article L. 642-19 du code de commerce prévoit qu'en matière de bien mobilier, le juge-commissaire soit ordonne la vente aux enchères publiques soit autorise la vente de gré à gré. La vente de gré à gré est autorisée lorsqu'elle est de nature à garantir les intérêts du débiteur. Le juge-commissaire détermine dans son ordonnance le prix et les conditions.
Par ailleurs, selon l'article L. 641-12 alinéa 2 du même code, le liquidateur peut céder le bail dans les conditions prévues au contrat conclu avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s'y rattachent. Ainsi, les clauses du bail telles qu'une clause d'agrément qui restreignent la cession sont opposables au liquidateur.
L'article L. 142-2 du code de commerce donne une liste indicative des éléments composant un fonds de commerce, lesquels sont classés en deux catégories : les éléments corporels d'une part, les éléments incorporels d'autre part. Les premiers comprennent le matériel et les marchandises ; les seconds, l'enseigne, le nom commercial, la clientèle et l'achalandage, les brevets, les licences, les marques, les dessins et modèles industriels et les droits de propriété intellectuelle. Ainsi, le fonds peut comprendre divers éléments, au nombre desquels cumulativement ou non, la clientèle, le droit au bail, l'enseigne, le matériel, le stock, des marques, des licences...
En l'espèce, le contrat de bail commercial prévoit que 'le preneur ne pourra ni sous-louer, ni céder son droit même temporairement, au présent bail, en totalité ou en partie, ni faire occuper par un tiers, à quelque titre que ce soit, tout ou partie des lieux loués, sans l'autorisation expresse et par écrit du bailleur. Cette autorisation ne sera toutefois pas nécessaire en cas de cession à l'acquéreur de son activité (...)'
Il importe ainsi d'examiner si les éléments cédés à la société Judor sont constitutifs d'un fonds de commerce ou s'il s'agit d'éléments d'actif vendus isolément dont le droit au bail.
Il résulte de la requête du liquidateur, étant souligné qu'aucun élément relatif à la procédure de dépôt des offres n'est versé aux débats, que celui-ci n'a pu recueillir aucune offre partielle ou globale d'acquisition du fonds de commerce dans le délai imparti mais qu'il a été saisi d'une offre tardive de la société Judor.
Dans son offre d'acquisition intitulée 'offre d'acquisition du droit au bail des bureaux commerciaux sis [Adresse 24] à [Localité 32]', la société Judor a précisé qu'elle se portait acquéreur du droit au bail des bureaux commerciaux et du mobilier de bureaux présents dans les locaux. Elle a indiqué qu'elle ne reprenait ni les stocks, ni les contrats en cours, ni les salariés. Elle a également précisé que son offre était soumise à la condition suspensive de l'accord préalable du bailleur conformément aux dispositions du bail commercial.
Si elle affirme dans ses conclusions avoir improprement qualifié son offre de rachat, elle n'explique pas en quoi elle reprendrait un fonds de commerce en reprenant le mobilier en sus du droit au bail.
L'activité exercée par la société AEL dans les locaux objets du bail était selon les termes du contrat 'bureau pour son affaire de show-room de prêt-porter'. Il ne ressort ni des écritures des parties, ni des pièces du dossier qu'il existait réellement une clientèle rattachée à cette activité de bureau. Par ailleurs, la société Judor qui n'a repris ni contrat ni salarié n'entendait en réalité pas reprendre l'activité de la société AEL.
La cour constate que le liquidateur judiciaire a ajouté dans sa requête présentée au juge-commissaire le rachat par la société Judor d'éléments incorporels qui n'étaient pas visés dans l'offre, tels que la clientèle, l'achalandage, l'enseigne et le nom commercial et qu'il a qualifié lui-même l'offre d'acquisition du fonds de commerce.
Dans son ordonnance du 4 avril 2023, le juge-commissaire a autorisé la cession du droit au bail sis [Adresse 24] à [Localité 17] et non du fonds de commerce au profit de la société Judor.
Il résulte de ces constatations que l'offre d'achat de la société Judor portait uniquement sur des actifs isolés de la société AEL, à savoir un des deux droits au bail et le mobilier de bureaux présents dans les locaux, et non le fonds de commerce et l'activité de la société AEL et qu'ainsi l'autorisation donnée par le juge-commissaire portait bien sur la cession de ces éléments d'actif.
Par conséquent, la clause prévoyant l'accord préalable du bailleur avant la cession du droit au bail devait être respectée et il appartenait au liquidateur judiciaire d'obtenir l'accord écrit du bailleur, et ce antérieurement à l'ordonnance du juge-commissaire puisque la cession est parfaite dès l'ordonnance l'autorisant et que ce n'est que le transfert de propriété qui est différé au jour de la signature des actes de cession.
Tel n'a pas été le cas. Les parties ayant également saisi la cour de la légitimité du refus des bailleurs, elle est appelée à se prononcer sur cette question avant de se prononcer sur l'infirmation ou non de l'ordonnance autorisant la cession.
5/ Sur la légitimité du refus des bailleurs à la cession
Les consorts [T]-[Y] soutiennent qu'en tant qu'indivision familiale, l'usage, l'entretien et la destination des locaux leur importent. Ils estiment que l'offre de la société Judor ne leur convient pas en ce qu'elle ne précise pas l'activité de bureaux qu'elle entend exercer et les conditions d'exercice de cette activité. Ils craignent que la société Judor ne sous-loue les locaux à diverses sociétés générant d'importants allers-venues de personnel.
Maître [P] soutient que les consorts [T]-[Y] n'ont aucun motif légitime pour s'opposer à la cession au profit de la société Judor et qu'ils ne peuvent s'opposer de manière discrétionnaire et faire obstruction à la cession du fonds de commerce uniquement parce que la société Judor ne préciserait pas l'activité de bureaux qu'elle entendrait exercer. Il estime que cette opposition n'est pas un motif légitime à partir du moment où elle exerce une activité de bureaux conformément aux termes du bail commercial.
La société Judor soutient que les consorts [T]-[Y] ne justifient pas d'un motif sérieux et légitime pour s'opposer à la cession et que son refus est abusif en ce qu'il n'existe aucune violation des clauses du bail. Elle précise qu'elle entend mettre à disposition les locaux repris au profit de sa filiale, la Sas Uman, qui a pour activité le commerce de prêt-à-porter de vêtements et qui va lancer une nouvelle ligne de textile. Elle affirme que les locaux seront donc exploités conformément à la destination prévue au bail commercial, à savoir 'bureau de show-room et de prêt-à-porter'. Elle précise enfin qu'elle dispose d'une solide assise financière.
Réponse de la cour
Si le contrat de bail commercial subordonne la cession du droit au bail à l'accord préalable du bailleur, il est nécessaire que le refus soit justifié par un motif légitime.
Les consorts [T]-[Y] justifient leur refus par le fait que la société Judor qui a une activité de holding ne détaille pas suffisamment les activités de bureaux qu'elle entend exercer dans les locaux et par la crainte d'allées-venues importantes de personnel.
Or, aucun élément du dossier ne démontre que l'activité exercée par le repreneur du droit au bail n'est pas conforme à la destination visée dans le contrat de bail commercial en sorte que les bailleurs ne présentent pas un motif légitime de refus à la cession du droit au bail.
Par conséquent, la cour, constatant l'absence de motif légitime au refus d'agrément par les bailleurs, confirme l'ordonnance du 4 avril 2023 en ce qu'elle a autorisé la cession du droit au bail et du mobilier dépendant de la liquidation judiciaire de la société AEL à la société Judor.
PAR CES MOTIFS
Statuant par défaut,
Déclare recevable l'appel interjeté par les consorts [T]-[Y] ;
Déclare recevable la demande des consorts [T]-[Y] de rejet de l'offre présentée par la société Judor Investissements le 28 mars 2023 ;
Déclare irrecevable la demande des consorts [T]-[Y] d'autorisation de la cession du droit au bail à leur profit ;
Confirme l'ordonnance du juge-commissaire en toutes ses dispositions ;
Condamne Mme [H] [T], M. [A] [T], M. [G] [T], Mme [F] [Y], M. [M] [Y] et M. [V] [Y] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par l'avocat du liquidateur qui en a fait la demande, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [H] [T], M. [A] [T], M. [G] [T], Mme [F] [Y], M. [M] [Y] et M. [V] [Y] à payer la somme 2 500 euros à maître [P], ès qualités, et la somme de 2 500 euros à la société Judor Investissements au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Ronan GUERLOT, Président, et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.