CA Rennes, 3e ch. com., 5 septembre 2023, n° 22/04739
RENNES
Arrêt
Autre
PARTIES
Défendeur :
Maurice (SAS), Chauffe Maurice (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Clement, Mme Jeorger-Le Gac
Avocats :
Me Azincourt, Me Le Guen
FAITS ET PROCEDURE
Le 30 septembre 2019, M. [H] [I] a déposé une demande d'enregistrement auprès de l'Institut national de la propriété industrielle INPI en indiquant qu'il agissait pour le compte de la société Chauffe Maurice en cours de formation. Il a ainsi déposé la marque verbale n°4586254 :
CHAUFFE MAURICE
La société par actions simplifiée Chauffe Maurice a été immatriculée le 30 octobre 2019 et a pour activité :
Restauration notamment traditionnelle ;
L'achat, la vente et le négoce de tous produits alimentaires et non alimentaires ainsi que de boissons alcoolisées et non alcoolisées ;
La mise à disposition de plats chaud et froid notamment dans des distributeurs automatiques ;
L'activité de traiteur, préparation de tapas et plats préparés auprès des professionnels et des particuliers.
Et, plus généralement, toutes opérations industrielles, commerciales, financières, mobilières ou immobilières se rapportant directement ou indirectement à l'objet social ou susceptibles d'en faciliter l'extension ou le développement.
Le 23 juillet 2021, la société MAURICE a formé opposition à l'enregistrement de cette marque en raison du risque de confusion et d'atteinte à sa dénomination sociale antérieure MAURICE immatriculée le 28 mai 2008 sous le n° 504358516 au RCS de Saint-Malo, cette demande de nullité étant formée contre la totalité des services désignés dans l'enregistrement de la marque contestée classe 43 : services de restauration (alimentation); services de traiteurs.
Par décision du 1er juillet 2022, M. le directeur général de l'INPI a :
- Décidé que la demande en nullité NL21-0156 était justifiée ;
- A déclaré nulle la marque n° 19/4586254 pour tous les services visés à l'enregistrement;
- Mis à la charge de M. [H] [I] la somme de 550 euros au titre des frais exposés.
M. [I] a formé un recours à l'encontre de cette décision le 25 juillet 2022.
Le directeur général de l'INPI a communiqué ses dernières observations le 6 janvier 2023 aux termes desquelles il relève que la société CHAUFFE MAURICE a été immatriculée le 30 octobre 2019 et qu'elle est donc devenue titulaire de la marque. Il s'interroge donc sur la recevabilité du recours de M. [I] et l'absence à la cause de la société CHAUFFE MAURICE. Il estime en tout état de cause que ce recours serait mal fondé.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [I] et la société CHAUFFE MAURICE dans leurs écritures notifiées le 1 er mars 2023 demandent à la cour de :
- Supprimer la décision de l'INPI du 01.07.2022 référencée NL 21-0156 / MAS ci-jointe en ce qu'elle a fait droit à la demande de nullité formulée par la société MAURICE, SAS immatriculée au RCS de Saint- Malo sous le n° 504.358.516, dont le siège social est situé [Adresse 10] ;
- à l'encontre de la marque française CHAUFFE MAURICE n° 19/4586254 déposée le 30.09.2019 et publié au BOPI 2020-04 du 24.01.2020;
- par Monsieur [H] [I], domicilié [Adresse 2] agissant pour le compte de la société CHAUFFE MAURICE, société immatriculée au RCS de Rennes sous le n° 878.593.144, dont le siège social est situé [Adresse 5];
- Et ainsi en ce qu'elle a déclaré nulle la marque n° 19/4586254.
Statuant de nouveau,
- rejeter purement et simplement la demande de nullité de la marque CHAUFFE MAURICE n° 19/4586254 déposée le 30.09.2019 et publié au BOPI 2020-04 du 24.01.2020 formulée par la société MAURICE ;
- Condamner la société MAURICE à régler à Monsieur [I] la somme de 5.000 euros (CINQ MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance, lesquels seront recouvrés par la SELARL Johanna Azincourt
Dans ses écritures notifiées le 14 décembre 2022 la société MAURICE demande à la cour au visa des articles L. 711-4 ancien CPI, L 411-4 CPI et R. 411-19 et suivants CPI de :
- Confirmer la décision NL 21-0156 / MAS rendue le 1 er juillet 2022 par le Directeur Général de l'Institut National de la Propriété Industrielle ;
- Condamner Monsieur [H] [I] à verser la somme de 5.000 euros à la société MAURICE au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières écritures
Discussion
La recevabilité du recours et l'intervention de la société CHAUFFE MAURICE
M. [I] a déposé une demande d'enregistrement de la marque en précisant qu'il agissait pour le compte de la société CHAUFFE MAURICE en cours de formation. Cette société a été immatriculée au RCS le 30 octobre 2019, M. [I] en est son représentant légal.
L'INPI se prévaut de ce que la société CHAUFFE MAURICE aurait repris l'engagement de M. [I] lors du dépôt de marque et fait valoir que le recours de M. [I] serait en conséquence irrecevable.
L'INPI ne justifie cependant pas d'une reprise de cet engagement et aucune mention de modification n'est intervenue dans le registre de l'INPI.
Les statuts de la société CHAUFFE MAURICE produits devant la cour indiquent qu'un état des actes accomplis pour le compte de la société en formation avec l'indication pour chacun de ces actes de l'engagement qui en résulterait pour la société, a été présenté aux actionnaires et a été annexé aux statuts. Cette annexe n'est cependant pas produite devant la cour.
M. [I] reste donc, vis à vis des tiers, titulaire de la marque. C'est à bon droit que la décision objet du recours a été rendue par l'INPI contre M. [I] présenté comme titulaire de la marque et que ce dernier en a formé un recours.
La société CHAUFFE MAURICE exploite la marque contestée. Elle a donc intérêt à intervenir à l'instance, y compris en appel, pour en contester la nullité.
La nullité de la marque CHAUFFE MAURICE n° 19/4586254 déposée le 30.09.2019 et publié au BOPI 2020-04 du 24.01.2020
La société MAURICE se prévaut de l'antériorité de sa dénomination sociale et soutient qu'il existe un risque de confusion entre celle-ci et la marque CHAUFFE MAURICE pour l'ensemble des produits et services visés dans l'enregistrement de la marque.
Cette affirmation est contestée par M. [I] et la société CHAUFFE MAURICE.
Selon l'article L. 711-4, b), du code de la propriété intellectuelle, alors applicable, ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à une dénomination sociale antérieure s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public.
. L'antériorité de la dénomination sociale MAURICE
L'extrait Kbis de la société MAURICE indique qu'elle a été immatriculé le 28 mai 2008 et que son activité principale consiste dans la vente de boucherie au détail, et plus généralement de tous produits alimentaires, traiteur confection de produits alimentaires à emporter, restauration bouchère sur place et à emporter et/ou en ambulant (sans vente de boissons relevant de la licence IV).
L'extrait Kbis fait également état d'un établissement principal à Saint- Malo pour les activités de traiteur confection de produits alimentaires à emporter, vente de boucherie au détail et plus généralement de tous produits alimentaires, restauration bouchère sur place et à emporter et/ou en ambulant (sans vente de boissons relevant de la licence IV) (date du début d'activité le 13 mars 2016).
Les pièces versées au débat démontrent aussi que la société MAURICE exerce son activité de restauration rapide grâce à deux autres établissements secondaires situés à [Localité 8] (35) et [Localité 7] (57)
Son activité à [Localité 8] a débuté le 22 octobre 2013.
Un article publié le 28 octobre 2020 sur le site internet www.agence-api.ouest-france.fr indique qu'elle exerce son activité de boucherie restauration et 'du à emporter' via un concept de 'food place'.
Son activité à [Localité 9] a débuté en mars 2016.
Deux articles parus dans le magazine Ouest-France le 15 juin 2015 et le 15 mars 2016 précisent qu'il s'agit de proposer de la vente de viande en barquette et des hamburgers sur place ou à emporter le midi et le soir .
L'activité à [Localité 7] a débuté le 24 janvier 2019 pour des services de 'food place' (viande ou burgers).
La page Facebook de la société MAURICE montre une carte qui propose notamment des burgers.
Les trois établissements ont donc bien débuté leurs activités de vente à emporter avant le dépôt de la demande d'enregistrement de la marque contestée le 30 septembre 2019.
. Le risque de confusion
Le risque de confusion doit s'apprécier globalement, par référence au contenu des enregistrements de la marque, vis à vis du consommateur des produits ou services tels que désignés par ces enregistrements et sans tenir compte des conditions d'exploitation des marques ni de l'activité de leur titulaire.
Outre la similitude des produits et services proposés, l'appréciation globale du risque de confusion implique une interdépendance entre les facteurs pris en compte (ressemblances visuelle, phonétique et conceptuelle entre les signes, pouvoir distinctif de la dénomination sociale qui est fonction de sa composition et de sa notoriété).
. La similitude des activités, produits et services
Pour apprécier la similitude entre les produits ou les services, il y a lieu de tenir compte de tous les facteurs pertinents qui caractérisent le rapport entre ces produits et services. Les facteurs pertinents concernant la comparaison des produits incluent, en particulier, leur nature, leur objet, leur destination ainsi que leur caractère.
Des produits ou services peuvent être similaires notamment quand ils répondent aux mêmes besoins, qu'ils ont la même destination ou finalité, qu'ils sont vendus dans les mêmes lieux ou sont utilisés en complément l'un de l'autre dans le cadre d'habitudes de consommation. La similarité par complémentarité de produits ou de services suppose la démonstration d'un lien étroit et obligatoire, en ce sens que l'un est indispensable ou important pour l'usage de l'autre, de sorte que les consommateurs peuvent penser que la responsabilité de la fabrication de ces produits ou de la fourniture de ces services incombe à la même entreprise.
Une faible similitude entre les signes peut être compensée par une similitude élevée entre les produits ou services et inversement.
La dénomination sociale ne bénéficie d'une protection que pour les activités effectivement exercées par la société et non pour celles énumérées dans ses statuts.
La société MAURICE exerce une activité de vente à emporter. Les avis Tripadvisor précisent qu'il s'agit notamment à [Localité 8], de burgers et de formules à emporter (burgers ou assiette, frites, boissons, desserts).
L'enregistrement de la marque contestée vise la classe 43 : services de restauration (alimentation); services de traiteurs.
Les activités exercées par la société MAURICE sont identiques à celles pour lesquelles la demande d'enregistrement a été faite puisque la société MAURICE propose des formules sous forme d'assiettes qu'elle cuisine elle- même dans ses snacks, ce qui correspond à une activité de traiteur.
Son activité ne saurait se réduire à une spécialité de vente de viande à emporter ou de burgers comme l'affirment les requérants étant noté toutefois que les burgers sont des plats complets que les traiteurs proposent régulièrement.
Pour sa part le société CHAUFFE MAURICE offre de multiples mets. Ses pièces mettent en évidence des planches à partager, tapas et spécialités du Pays Basque sur place ou à emporter. Elle propose aussi des bouchées dont la préparation et la présentation se rapproche de celle des burgers.
La galerie de photo de la société CHAUFFE MAURICE montre même un plateau de burgers.
L'activité de traiteur pour laquelle M. [I] a déposé sa demande d'enregistrement de marque vise certaines des spécialités proposées par la société MAURICE.Si cette activité n'est pas tout à fait similaire puisqu'elle étend ses offres à des spécialités régionales (tapas et produits du Pays Basque) elle la complète avec des assiettes et des bouchées comme sa galerie de photos et sa carte le démontrent.
Par ailleurs lorsque le conflit oppose une dénomination sociale et une marque postérieure, la marque étant gouvernée par le principe de territorialité et les produits et services qu'elle couvre ayant vocation à être diffusés sur tout le territoire national, le risque de confusion est nécessairement réalisé au moins sur l'aire géographique couverte par la dénomination sociale dont la protection est requise.
Les requérants ne peuvent donc évacuer tout risque de confusion aux motifs que les établissements de la société MAURICE se situent dans des départements éloignés du centre ville de [Localité 3] où CHAUFFE MAURICE exerce , à [Localité 9] (22) et [Localité 7](57) voire à Cession Sévigné. En effet ses offres de produits et services sont susceptibles d'évoluer en considération de sa politique commerciale et de son succès de vente, qui sont fonction d'un marché particulièrement porteur surtout dans les grandes agglomérations et les villes universitaires comme c'est le cas à [Localité 3]. Le consommateur pressé recherche la facilité de la cuisine 'maison' qu'il ne prend plus le temps de confectionner lui même pour des raisons pratiques. Il s'adresse davantage à des professionnels de la restauration qui travaillent avec des produits locaux ou des petits producteurs comme le font les deux sociétés en cause. Cette proximité et la confection de plats prêts à consommer caractérise les prestations des traiteurs dont la qualité est recherchée.
En tout état de cause la société MAURICE exerce notamment depuis son établissement de [Localité 8], commune qui jouxte directement le coeur de [Localité 3]. Le public de [Localité 3] et celui de [Localité 8] se déplace aisément et quotidiennement de l'une à l'autre. Il est donc abusif de considérer que l'activité de la société CHAUFFE MAURICE ne pourrait pas concerner des consommateurs de [Localité 8] et inversement. L'éloignement de prestations de quelques kilomètres seulement n'évite pas que le public pensant s'adresser à la société MAURICE fasse ses achats auprès de sa concurrente, la société CHAUFFE MAURICE.
Ce risque est encore accentué par la présence dans la proche banlieue de [Localité 3] de la société MAURICE depuis 2013 ce qui lui confère une certaine notoriété. Les articles de journaux qui lui sont consacrés et sa politique de communication établissent en effet qu'elle est reconnue en raison notamment de son histoire familiale et de la transmission de l'entreprise de père en fils depuis plusieurs générations.
Aussi, il y a lieu de considérer que les produits en cause sont similaires et que le public pourrait leur attribuer une même origine.
. La comparaison des signes :
Le signe contesté n'étant pas la reproduction à l'identique du signe invoqué, faute de reproduire sans modification ni ajout tous les éléments la composant, il convient de rechercher s'il existe, entre les signes en présence, un risque de confusion, incluant le risque d'association, lequel doit être apprécié de manière globale, à la lumière de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, le risque étant d'autant plus élevé que le signe antérieur possède un caractère distinctif important, soit intrinsèquement, soit en raison de sa connaissance par une partie significative du public concerné par les produits ou services en cause. Pour déterminer le caractère distinctif de ce signe il convient d'apprécier globalement son aptitude plus ou moins grande à identifier les produits ou services comme provenant d'une entreprise déterminée et donc son aptitude à distinguer ces produits ou services de ceux des autres entreprises. Le caractère distinctif constitue un facteur pertinent pour l'appréciation, non pas de la similitude de la marque et du signe en conflit, mais de l'existence d'un lien entre eux dans l'esprit du public et sur l'impression d'ensemble qu'ils produisent.
En l'espèce, les signes sont verbaux . Il sera donc fait abstraction des ressemblances ou différences graphiques ou stylistiques qu'ils peuvent présenter.
Sur la plan visuel le signe contesté est composé de deux éléments verbaux CHAUFFE et MAURICE qui ne sont pas reliés entre eux par un article .
Les signes en présence ont en commun le mot MAURICE, lequel est parfaitement arbitraire pour désigner des activités de boucherie, de préparations et plats à emporter d'autant qu'en se rapportant à un prénom ou nom propre et non à un nom plus commun, il singularise la société ayant adopté cette dénomination sociale. Dans ces conditions le terme MAURICE constitue bien l'élément dominant commun aux deux signes de nature à indiquer au consommateur l'origine commerciale des produits.
L'autre élément verbal de la marque contestée CHAUFFE ne présente aucun caractère distinctif.
Il renvoie à un mode de fabrication ou de consommation courante qui n'est que descriptif.
Cet élément secondaire n'est pas de nature à retenir l'attention du consommateur qui n'utilisera pour désigner les produits que le terme MAURICE.
La marque complexe CHAUFFE MAURICE ne crée pas une impression d'ensemble spécifique.
Il existe donc pour le consommateur d'attention moyenne un risque de confusion des signes en cause, et donc un risque de se méprendre sur l'origine des produits et de se fier à l'élément verbal MAURICE qu'il mémorisera facilement s'agissant d'un prénom devenu moins usuel de nos jours , pour déterminer leur provenance commerciale s'agissant des mêmes prestations et produits.
Dans ce contexte le signe CHAUFFE MAURICE peut être perçu comme une déclinaison de la dénomination antérieure avec le risque de confusion indirect par association entre les deux sociétés concurrentes .
Sur le plan phonétique, les signes ne sont pas composés du même nombre de syllabes .
Néanmoins la différence de deux syllabes est peu distinctive et les similitudes précitées suffisent à conférer aux signes une identité sonore proche.
Dans ces conditions les deux signes, pris dans leur ensemble respectif des éléments visuels, phonétiques et intellectuels, dégagent une même impression d'ensemble.
Il résulte de tout ce qui précède que le public, profane dans la comparaison de marques ne sera pas susceptible de différencier ces signes et les deux sociétés.
Le risque de confusion est ainsi caractérisé.
Il ne sera pas fait droit au recours formé par M. [I] et soutenu par la société CHAUFFE MAURICE.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner M. [I] et la société CHAUFFE MAURICE aux dépens engagés devant la cour d'appel.
Les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.
PAR CES MOTIFS :
La cour
- Reçoit l'intervention volontaire de la société CHAUFFE MAURICE,
- Rejette la demande tendant à l'irrecevabilité du recours formé par M. [I],
- Rejette le recours formé par M. [I] à l'encontre de la décision du directeur général de l'Institut National de la Propriété Industrielle du 1er juillet 2022,
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne M. [I] et la société CHAUFFE MAURICE aux dépens engagés devant la cour d'appel,
- Dit que la présente décision sera notifiée par le greffe par lettre recommandée avec accusé de réception aux parties ainsi qu'à l'Institut National de la Propriété Industrielle.