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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 8 septembre 2023, n° 21/16284

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 21/16284

7 septembre 2023

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

L'INAO est un établissement public administratif en charge de la coordination de la politique française en matière de signes d'identification de la qualité et de l'origine, qui, notamment, en vertu de l'article L. 642-5 du code rural et de la pêche maritime « contribue à la défense et à la promotion des signes d'identification de la qualité et de l'origine tant en France qu'à l'étranger ».

L'association PALSO a pour objet la promotion et la défense des canards à foie gras du Sud-Ouest éligibles à l'indication géographique protégée (IGP) « canard à foie gras du Sud-Ouest » et des produits qui en sont issus. Dans ce cadre, elle défend et valorise les terroirs associés à la production de canards à foie gras et assure une mission de protection du nom de l'indication géographique protégée en application de l'article L. 642-22 du code rural et de la pêche maritime.

La dénomination « canard à foie gras du Sud-Ouest (Chalosse, Gascogne, Gers, Landes, Périgord, Quercy) », couvrant des aliments produits, transformés et élaborés dans cette zone limitativement définie, est protégée sur l'ensemble de l'Union européenne en tant qu'indication géographique depuis le 26 juin 2000 au titre du Règlement (CE) n°1338/2000 modifié par le Règlement d'exécution 2015/816 du 22 mai 2015.

La société Cité gourmande a pour activité la fabrication et la commercialisation de produits surgelés à base de pommes de terre ou de légumes préparés. Elle fabrique notamment, dans son usine située à [Localité 7], une gamme de recettes françaises surgelées préparées à base de pommes de terre qu'elle commercialise depuis 2014 sous la marque française POM BISTRO, incluant deux produits respectivement désignés « Frites du Sud-Ouest cuites dans la Graisse de canard » et « Rissolées du sud-ouest cuisinées à la Graisse de Canard », objets de la présente procédure se présentant comme suit :

Par courrier daté du 13 septembre 2017, l'INAO a mis la société Cité gourmande en demeure de procéder à la modification de l'étiquetage des produits en cause afin de supprimer toute référence à la dénomination « Sud-Ouest » pour des frites cuisinées à la graisse de canard, estimant que celle-ci portait atteinte à l'indication géographique protégée « canard à foie gras du Sud-Ouest » au regard de l'article 13-1 du Règlement européen n°1151/2012 du 21 novembre 2012. Cette demande a été réitérée le 18 septembre 2019. La société Cité gourmande, par l'intermédiaire de ses conseils, répondait à ces mises en demeures par courriers des 27 octobre 2017 et 7 novembre 2019.

Puis, par acte délivré le 31 août 2020, l'INAO et l'association PALSO ont fait assigner la société Cité gourmande afin d'obtenir des mesures indemnitaires et d'interdiction.

Le jugement du tribunal judiciaire, dont appel, a :

- dit l'INAO et l'association PALSO recevables en leur action,

- dit que l'usage des termes « Sud-Ouest » en lien avec de la graisse de canard pour des produits non éligibles à l'indication géographique protégée du « canard à foie gras du Sud-Ouest » par la société Cité gourmande porte atteinte à l'indication géographique protégée « canard à foie gras du Sud-Ouest (Chalosse, Gascogne, Gers, Landes, Périgord, Quercy) »,

- condamné la société Cité gourmande à payer à l'INAO la somme de 5 000 euros et à l'association PALSO la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements relevés,

- fait interdiction à la société Cite gourmande, dans un délai de 3 mois à compter de la signification du jugement, d'utiliser les termes « Sud-Ouest » en lien avec de la graisse de canard pour des produits non éligibles à l'indication géographique protégée du « canard à foie gras du Sud-Ouest » (Chalosse, Gascogne, Gers, Landes, Périgord, Quercy),

- rejeté les demandes de publication,

- condamné la société Cité gourmande à payer aux demanderesses ensemble la somme globale de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Cité gourmande aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire.

Le 20 septembre 2021, la société Cité gourmande a déposé une requête en rectification d'erreur matérielle auprès du tribunal judiciaire de Paris afin que le montant des dommages et intérêts soit fixé à la somme de 4 000 euros, tel qu'évalué dans les motifs du jugement de première instance, au lieu de 5 000 euros, tel que le mentionne le dispositif.

Par jugement du 15 octobre 2021, le tribunal s'est toutefois déclaré incompétent au profit de la cour de céans.

Par ailleurs, la société Cité gourmande, par exploits d'huissier de justice en date des 29 septembre et 4 octobre 2021, a assigné l'INAO et l'association PALSO devant le Premier Président de la cour d'appel de Paris en arrêt partiel d'exécution provisoire du jugement s'agissant de la mesure d'interdiction.

Par ordonnance du 15 décembre 2021, ladite demande a été rejetée au regard de l'absence de moyen sérieux d'infirmation du jugement et de l'absence de conséquences manifestement excessives résultant de cette exécution.

La société Cité gourmande a depuis exécuté les termes du jugement et modifié les emballages de ses produits.

Elle sollicite de la cour de recevoir son appel et de :

* infirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit l'INAO et l'Association PALSO recevables en leur action,

- dit que l'usage des termes « Sud-Ouest » en lien avec de la graisse de canard pour des produits non éligibles à l'indication géographique protégée du « canard à foie gras du Sud-Ouest » par la société Cité gourmande porte atteinte à l'indication géographique protégée « canard à foie gras du Sud-Ouest (Chalosse, Gascogne, Gers, Landes, Périgord, Quercy) »,

- condamné la société Cité gourmande à payer à l'INAO la somme de 5 000 euros et à l'Association PALSO la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements relevés,

- fait interdiction à la société Cite gourmande, dans un délai de 3 mois à compter de la signification du jugement, d'utiliser les termes « Sud-Ouest » en lien avec de la graisse de canard pour des produits non éligibles à l'indication géographique protégée du « canard à foie gras du Sud-Ouest » (Chalosse, Gascogne, Gers, Landes, Périgord, Quercy) »,

- condamné la société Cité gourmande à payer aux demanderesses ensemble la somme globale de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Cité gourmande aux dépens,

* confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de publication du jugement,

Et, statuant à nouveau :

- juger que l'usage de la mention « Sud-Ouest » en lien avec de la graisse de canard par Cité gourmande ne porte pas atteinte à l'indication géographique protégée « canard à foie gras du Sud-Ouest (Chalosse, Gascogne, Gers, Landes, Périgord, Quercy) »,

- rejeter la demande de l'INAO et de l'association PALSO de condamner Cité gourmande à leur verser la somme de 825 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice patrimonial et 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subis,

- rejeter la demande de l'INAO et de l'association PALSO d'autoriser la publication de l'arrêt, du dispositif à intervenir, d'un résumé ou d'extraits sur leurs sites Internet et lettres d'information,

- rejeter la demande de l'INAO et de l'association PALSO d'ordonner à Cité gourmande des mesures de publication de l'arrêt à intervenir sur ses sites Internet et réseaux sociaux,

- rejeter la demande de l'INAO et de l'association PALSO d'ordonner à Cité gourmande de payer la somme de 5 000 euros au titre du maintien abusif de l'appel,

- condamner l'INAO et l'association PALSO à verser à Cité gourmande la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive,

- rejeter la demande de l'INAO et de l'association PALSO de condamner Cité gourmande à leur payer la somme globale de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- condamner l'INAO et l'association PALSO à payer à la société Cité gourmande la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'INAO et l'association PALSO aux entiers dépens recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile.



L'INAO et l'association PALSO demandent à la cour d'appel de Paris de :

* confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf concernant le montant des dommages et intérêts et en ce qu'il a refusé de faire droit aux mesures de publication sollicitées par les intimés

Statuant à nouveau sur ces chefs :

- condamner Cité Gourmande à payer à l'INAO et à l'association la somme de 825 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice patrimonial et la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral,

- autoriser, en tant que de besoin, les intimés à publier l'arrêt, le dispositif à intervenir ou un résumé ou des extraits sur leurs propres sites Internet, leurs lettres d'information et à leur seule discrétion,

- ordonner à Cité Gourmande de poster sur sa page Facebook « Pombistro » et sur la page d'accueil de ses sites Internet (Pombistro et Cité Gourmande), quelles qu'en soient les adresses URL, un encart visible faisant état de l'arrêt à intervenir, de l'atteinte portée à l'indication géographique protégée et des condamnations prononcées, ledit post / encart devant rester visible un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard et être clairement et facilement lisible directement sur la page.

- condamner Cité Gourmande à payer aux intimés la somme globale de 5 000 euros au titre du maintien abusif de l'appel,

- condamner Cité Gourmande à payer aux intimés la somme globale de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Cité Gourmande aux entiers dépens recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Sur l'atteinte à l'IGP

L'article L. 722-1 du code de la propriété intellectuelle précise que « toute atteinte portée à une indication géographique en violation de la protection qui lui est accordée par le droit de l'Union européenne ou la législation nationale constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur ».

La qualité à agir de l'INAO et de l'association PALSO reconnue par les premiers juges n'est pas contestée par la société Cité Gourmande.

L'article 13 du Règlement européen n°1151/2012 du 21 novembre 2012 dispose que :

« 1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre :

a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée à l'égard des produits non couverts par l'enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients ;

b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d'une expression telle que « genre », « type », « méthode », « façon », « imitation », ou d'une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients ;

c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l'origine, la nature ou les qualités essentielles du produit qui figure sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l'utilisation pour le conditionnement d'un récipient de nature à créer une impression erronée sur l'origine du produit ;

d) toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit ».

L'appelante critique le jugement dans l'application globale qu'il a faite de l'article 13-1 du Règlement susvisé sans différencier les atteintes prévues aux différents alinéas de l'article. De plus, elle prétend que les frites et pommes de terre rissolées ne constituent pas des produits comparables aux produits à base de viande enregistrés sous l'IGP revendiquée, que l'usage à titre descriptif de la provenance des produits en cause n'a aucunement vocation à tirer indûment profit de la réputation de l'IGP et n'en constitue pas une évocation, que cet usage est justifié au regard des conditions de fabrication des produits litigieux par absence d'indication fallacieuse quant à l'origine, la provenance ou les qualités essentielles des produits commercialisés ou de toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), répondant à une question préjudicielle posée par la Cour de cassation, a par un arrêt du 17 décembre 2020 (C-490/19) précisé que :

«22 Par la première partie de sa question, la juridiction de renvoi demande si les articles 13, paragraphe 1, respectifs des règlements n°510/2006 et n°1151/2012 doivent être interprétés en ce sens qu'ils interdisent uniquement l'utilisation par un tiers de la dénomination enregistrée.

23 Il ressort du libellé de ces dispositions que les dénominations enregistrées sont protégées contre divers agissements, à savoir, premièrement, l'utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée, deuxièmement, l'usurpation, l'imitation ou l'évocation, troisièmement, l'indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, à l'origine, à la nature ou aux qualités substantielles du produit qui figure sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné ainsi que l'utilisation pour le conditionnement d'un récipient de nature à créer une impression erronée sur l'origine du produit et, quatrièmement, toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

24 Lesdites dispositions contiennent ainsi une énumération graduée d'agissements interdits (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2019, Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego, C- 614/17, EU:C:2019:344, point 27). Tandis que les articles 13, paragraphe 1, sous a), respectifs des règlements n°510/2006 et n°1151/2012 interdisent l'utilisation directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée pour les produits non couverts par l'enregistrement, sous une forme qui est identique à cette dénomination ou fortement similaire d'un point de vue phonétique et/ou visuel (voir, par analogie, arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C- 44/17, EU:C:2018:415, points 29, 31 et 39), les articles 13, paragraphe 1, sous b) à d), respectifs de ces règlements interdisent d'autres types d'agissements contre lesquels les dénominations enregistrées sont protégées et qui n'utilisent ni directement ni indirectement les dénominations elles-mêmes.

25 Ainsi, le champ d'application des articles 13, paragraphe 1, sous a), respectifs des règlements n°510/2006 et n°1151/2012 doit nécessairement se distinguer de celui afférent aux autres règles de protection des dénominations enregistrées figurant aux articles 13, paragraphe 1, sous b) à d), respectifs de ces règlements. En particulier, les articles 13, paragraphe 1, sous b), respectifs des règlements n°510/2006 et n°1151/2012 interdisent des agissements qui, à la différence de ceux visés aux articles 13, paragraphe 1, sous a), respectifs de ces règlements, n'utilisent ni directement ni indirectement la dénomination protégée elle-même, mais la suggèrent d'une manière telle que le consommateur est amené à établir un lien suffisant de proximité avec cette dénomination [voir, par analogie, s'agissant de l'article 16 du règlement (CE) no 110/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, concernant la définition, la désignation, la présentation, l'étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) no 1576/89 du Conseil (JO 2008, L 39, p. 16), arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C- 44/17, EU:C:2018:415, point 33].

26 S'agissant, plus précisément, de la notion d'« évocation », le critère déterminant est celui de savoir si le consommateur, en présence d'une dénomination litigieuse, est amené à avoir directement à l'esprit, comme image de référence, la marchandise couverte par l'AOP, ce qu'il appartient au juge national d'apprécier en tenant compte, le cas échéant, de l'incorporation partielle d'une AOP dans la dénomination contestée, d'une parenté phonétique et/ou visuelle de cette dénomination avec cette AOP, ou encore d'une proximité conceptuelle entre ladite dénomination et ladite AOP (voir, par analogie, arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C- 44/17, EU:C:2018:415, point 51).

27 En outre, dans son arrêt du 2 mai 2019, Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego (C- 614/17, EU:C:2019:344), la Cour a jugé que l'article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement n°510/2006 doit être interprété en ce sens que l'évocation d'une dénomination enregistrée est susceptible d'être produite par l'emploi de signes figuratifs. Pour se prononcer ainsi, la Cour a notamment considéré, au point 18 de cet arrêt, que la formulation de cette disposition peut être comprise comme renvoyant non seulement aux termes par lesquels une dénomination enregistrée peut être évoquée, mais également à tout signe figuratif susceptible de rappeler à l'esprit du consommateur les produits bénéficiant de cette dénomination. Au point 22 dudit arrêt, elle a relevé qu'il ne peut être, par principe, exclu que des signes figuratifs soient aptes à rappeler directement à l'esprit du consommateur, comme image de référence, les produits bénéficiant d'une dénomination enregistrée en raison de leur proximité conceptuelle avec une telle dénomination.

28 En ce qui concerne les agissements visés aux articles 13, paragraphe 1, sous c), respectifs des règlements n°510/2006 et n°151/2012, il convient de relever que ces dispositions élargissent, par rapport aux points a) et b), de ces articles, le périmètre protégé, en y incorporant notamment « toute autre indication », c'est-à-dire les informations fournies aux consommateurs, qui figurent sur le conditionnement ou l'emballage du produit concerné, sur la publicité ou sur les documents afférents à ce produit, lesquelles, bien que n'étant pas évocatrices de l'indication géographique protégée, sont qualifiées de fausses ou de fallacieuses au regard des liens du produit avec cette dernière. L'expression « toute autre indication » inclut des informations pouvant figurer sous n'importe quelle forme sur le conditionnement ou l'emballage du produit concerné, sur la publicité ou sur les documents afférents à ce produit, notamment sous la forme d'un texte, d'une image ou d'un contenant susceptibles de renseigner sur la provenance, l'origine, la nature ou les qualités substantielles de ce produit (voir, par analogie, arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C- 44/17, EU:C:2018:415, points 65 et 66).

29 Quant aux agissements visés aux articles 13, paragraphe 1, sous d), respectifs des règlements n°510/2006 et n°1151/2012, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 49 de ses conclusions, il ressort des termes « toute autre pratique » employés dans ces dispositions que celles-ci visent à couvrir tout agissement qui n'est pas déjà couvert par les autres dispositions des mêmes articles et, ainsi, à clore le système de protection des dénominations enregistrées.

30 Ainsi, il découle des considérations qui précèdent que les articles 13, paragraphe 1, respectifs des règlements n°510/2006 et n°1151/2012 ne se limitent pas à interdire l'utilisation de la dénomination enregistrée elle-même, mais que leur champ d'application est plus vaste. »

L'IGP « canard à foie gras du Sud-Ouest (Chalosse, Gascogne, Gers, Landes, Périgord, Quercy) » vise à promouvoir un « produit », à savoir un canard mâle de l'espèce canard de barbarie, produit, transformé, élaboré et conditionné dans un secteur géographique et dans des conditions précisées au cahier des charges. Il vise l'animal, viande et abat, et les produits issus ou élaboré à partir de cet animal.

La graisse de canard issue de canards IGP du Sud-Ouest constitue un produit à part entière et la mention Sud-Ouest à laquelle elle a droit si elle provient de canards de Barbarie est assimilée à de la viande de canard avec laquelle elle fait corps. Elle est obtenue lors de la cuisson du canard à foie gras du Sud-Ouest prenant en refroidissant un état solide.

L'origine de la graisse, selon qu'elle provient d'un canard dit commun ou d'un canard de Barbarie élevé dans les règles du cahier des charges de 1'IGP, est donc primordiale dans l'acte d'achat du consommateur.

Ainsi le cahier des charges prévoit notamment que les confits de canard, pour bénéficier de l'IGP, doivent être cuisinés dans la graisse de tels canards.

La société Cité Gourmande présente ses produits dans un emballage mettant en avant la cuisson de ses frites ou pommes de terre rissolées avec de la graisse de canard.

Elle souligne cette caractéristique par un dessin représentant un canard.

Elle nomme juste au-dessus de cette accroche ses produits « Frites du Sud-Ouest » et « Rissolées du Sud-Ouest » utilisant ainsi le terme « Sud-Ouest » constituant la composante géographique principale de l'IGP revendiquée.

Ainsi, bien que le terme « Sud-Ouest » soit relié grammaticalement aux pommes de terre (frites ou rissolées) et non à la graisse de canard, l'agencement de l'encart de présentation incite visuellement le consommateur à associer Sud-Ouest à la graisse de canard et à établir un lien spontané et immédiat entre ces deux dénominations supposant, du fait notamment de ce qu'il connaît de la gastronomie associée à cette région, que la graisse de canard utilisée pour la préparation des plats concernés provient géographiquement du sud-ouest et de canard de barbarie tels que visés par l'IGP.

Il sera au surplus constaté qu'il ne ressort pas des pièces versées au débats que les pommes de terre utilisées ou la graisse de canard provienne nécessairement de la région du Sud -Ouest.

Par ailleurs, il importe peu que seul le terme « Sud-Ouest » de l'IGP soit repris par les présentations litigieuses des produits de la société Cité gourmande. En effet, la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), dans sa décision du 4 décembre 2019 (Aceto Balsamico di Modena, C-432/18) a rappelé que « la protection conférée par l'IGP couvre non seulement la dénomination composée en tant que telle mais également chacune de ses composantes, si cette composante n'est ni un terme générique ni un terme commun ».

L'utilisation de l'indication « Sud-ouest » associé à la graisse de canard servant à cuisiner le produit fini a pour effet d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit et de profiter ainsi indûment de la réputation des produits visés par l'IGP.

Dès lors l'atteinte à l'IGP notamment au sens de l'article 13-1 b) et d) du Règlement européen n°1151/2012 est constituée.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que l'usage des termes « Sud-Ouest » en lien avec de la graisse de canard pour des produits non éligibles à l'indication géographique protégée du « canard à foie gras du Sud-Ouest » par la société Cité gourmande porte atteinte à l'indication géographique protégée « canard à foie gras du Sud-Ouest (Chalosse, Gascogne, Gers, Landes, Périgord, Quercy) ».

Sur les mesures réparatrices

L'article L. 722-6 du code de la propriété intellectuelle applicable à l'atteinte portée à une IGP, qualifiée de contrefaçon, dispose que :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».

Les intimés ne sollicitent pas l'application d'une somme forfaitaire mais la fixation de leurs préjudices à la somme de 825 000 au titre du préjudice patrimonial et 50 000 euros pour le préjudice moral.

Pour autant, la cour constate, au vu des éléments versés au débat, qu'il n'est pas justifié ni de manque à gagner, ni de perte subies par l'INAO ou l'association PALSO, les intimés ne produisant notamment aucun élément justifiant de leurs investissements pour promouvoir l'IGP, ni d'élément permettant de justifier et de quantifier les bénéfices réalisés par la société Cité gourmande du fait de l'atteinte retenue.

En revanche, à juste titre, les premiers juges ont retenu et indemnisé le préjudice subi tant par l'INAO que par l'association PALSO du fait de la banalisation de l'IGP.

Au vu de ce qui précède et des éléments mis à disposition de la cour, il doit être considéré que le préjudice subi par l'INAO et l'association PALSO sera entièrement réparé par l'allocation à chacun de la somme de 5 000 euros, soit 10 000 euros au total, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Le dispositif du jugement de ce chef est ainsi confirmé, peu important qu'il contenait une erreur matérielle par rapport à la motivation.

Les mesures d'interdiction prononcées par le jugement entrepris seront également confirmées.

De même, le préjudice étant entièrement réparé par les mesures d'interdiction et l'allocation de dommages et intérêts, il ne sera pas fait droit aux demandes de publications judiciaires.

Sur les autres demandes des parties

Les intimés demandent la condamnation de la société Cité gourmande à leur verser la somme de 5 000 euros au titre du maintien abusif de l'appel.

Pour autant le seul fait d'exercer ou de maintenir une voie de recours ne constitue pas une faute sauf s'il dégénère en abus, ce qui n'est pas caractérisé en l'espèce. Les intimés sont dès lors déboutés de leur demande de ce chef.

Le sens de l'arrêt conduit à rejeter la demande présentée par la société Cité gourmande au titre de la procédure abusive, le jugement étant confirmé de ce chef.

De même, les dispositions du jugement relatives aux frais et aux dépens doivent être confirmées.

La société Cité gourmande sera en outre condamnée aux dépens d'appel et, au vu de l'équité, à verser une somme complémentaire totale de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute l'Institut national de l'origine et de la qualité (l'INAO) et l'Association pour la promotion et la défense des produits de palmipèdes à foie gras du Sud-Ouest (PALSO) de leur demande fondée sur l'appel abusif,

Déboute les parties de toutes leurs demandes contraires ou plus amples,

Condamne la société Cité gourmande à payer à l'Institut national de l'origine et de la qualité (l'INAO) et à l'Association pour la promotion et la défense des produits de palmipèdes à foie gras du Sud-Ouest (PALSO) ensemble la somme totale de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Cité gourmande aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente