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Décisions

CJUE, 1re ch., 23 novembre 2023, n° C-260/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Seven.One Entertainment Group GmbH

Défendeur :

Corint Media GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Arabadjiev

Juge :

M. Danwitz

Juges :

M. Xuereb, M. Kumin, Mme Ziemele (rapporteure)

Avocat général :

M. Collins

Avocats :

Me Masch, Me Raitz von Frentz, Me Fiss, Me von Albrecht

CJUE n° C-260/22

22 novembre 2023

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Seven.One Entertainment Group GmbH (ci-après « Seven.One »), un organisme de radiodiffusion, à Corint Media GmbH, une société de gestion collective, au sujet du paiement de la « compensation équitable », au titre de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Les considérants 4, 9, 31, 35 et 38 de la directive 2001/29 énoncent :

« (4) Un cadre juridique harmonisé du droit d’auteur et des droits voisins, en améliorant la sécurité juridique et en assurant dans le même temps un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle, encouragera des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices, notamment dans les infrastructures de réseaux, et favorisera ainsi la croissance et une compétitivité accrue de l’industrie européenne, et cela aussi bien dans le secteur de la fourniture de contenus que dans celui des technologies de l’information et, de façon plus générale, dans de nombreux secteurs industriels et culturels. Ce processus permettra de sauvegarder des emplois et encouragera la création de nouveaux emplois.

[...]

(9) Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

[...]

(31) Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés. Les exceptions et limitations actuelles aux droits, telles que prévues par les États membres, doivent être réexaminées à la lumière du nouvel environnement électronique. Les disparités qui existent au niveau des exceptions et des limitations à certains actes soumis à restrictions ont une incidence négative directe sur le fonctionnement du marché intérieur dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins. Ces disparités pourraient s’accentuer avec le développement de l’exploitation des œuvres par-delà les frontières et des activités transfrontalières. Pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, ces exceptions et limitations doivent être définies de façon plus harmonieuse. Le degré d’harmonisation de ces exceptions doit être fonction de leur incidence sur le bon fonctionnement du marché intérieur.

[...]

(35) Dans le cas de certaines exceptions ou limitations, les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate pour l’utilisation faite de leurs œuvres ou autres objets protégés. Lors de la détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel d’une telle compensation équitable, il convient de tenir compte des circonstances propres à chaque cas. Pour évaluer ces circonstances, un critère utile serait le préjudice potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question. Dans le cas où des titulaires de droits auraient déjà reçu un paiement sous une autre forme, par exemple en tant que partie d’une redevance de licence, un paiement spécifique ou séparé pourrait ne pas être dû. Le niveau de la compensation équitable doit prendre en compte le degré d’utilisation des mesures techniques de protection prévues à la présente directive. Certains cas où le préjudice au titulaire du droit serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement.

[...]

(38) Les États membres doivent être autorisés à prévoir une exception ou une limitation au droit de reproduction pour certains types de reproduction de produits sonores, visuels et audiovisuels à usage privé, avec une compensation équitable. Une telle exception pourrait comporter l’introduction ou le maintien de systèmes de rémunération destinés à dédommager les titulaires de droits du préjudice subi. Même si les disparités existant entre ces systèmes de rémunération gênent le fonctionnement du marché intérieur, elles ne devraient pas, en ce qui concerne la reproduction privée sur support analogique, avoir une incidence significative sur le développement de la société de l’information. La confection de copies privées sur support numérique est susceptible d’être plus répandue et d’avoir une incidence économique plus grande. Il y a donc lieu de tenir dûment compte des différences existant entre copies privées numériques et analogiques et de faire une distinction entre elles à certains égards. »

4 L’article 2 de cette directive, intitulé « Droit de reproduction », dispose :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

a) pour les auteurs de leurs œuvres ;

b) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;

c) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ;

d) pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films ;

e) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite. »

5 L’article 5 de ladite directive, intitulé « Exceptions et limitations », précise, à ses paragraphes 2 et 5 :

« 2. Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l’article 2 dans les cas suivants :

[...]

b) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non-application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés ;

[...]

5. Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »

Le droit allemand

6 L’article 53, paragraphe 1, du Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins), du 9 septembre 1965 (BGBl. 1965 I, p. 1273), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UrhG »), prévoit :

« La confection de copies individuelles d’une œuvre effectuée par une personne physique sur tout support et pour un usage privé est licite à condition que les copies ne servent pas, directement ou indirectement, à des fins lucratives et qu’elles ne soient pas réalisées sur la base d’un exemplaire fabriqué ou mis à la disposition du public de manière manifestement illégale. La personne habilitée à confectionner des copies peut également faire réaliser les copies par un tiers dans la mesure où cette réalisation se fait à titre gratuit ou dans la mesure où il s’agit de copies réalisées sur papier ou sur un support similaire au moyen de toute technique photographique ou de tout autre procédé ayant des effets similaires. »

7 Aux termes de l’article 54, paragraphe 1, de l’UrhG :

« Si la nature de l’œuvre permet de s’attendre à une copie autorisée en vertu de l’article 53, paragraphes 1 et 2, ou des articles 60a à 60f, l’auteur de l’œuvre a droit vis-à-vis du fabricant d’appareils et de supports de stockage, dont le type, seuls ou en combinaison avec d’autres appareils, des supports de stockage ou des accessoires sont utilisés pour faire de telles copies, au versement d’une rémunération équitable. »

8 L’article 87 de l’UrhG est ainsi libellé :

« (1) Le radiodiffuseur a le droit exclusif,

[...]

2. d’enregistrer ses émissions de radio sur des supports vidéo et audio, de réaliser des photographies de son émission radiodiffusée et de reproduire et de diffuser les supports vidéo et audio ou photographies, à l’exception du droit de location.

[...]

(4) L’article 10, paragraphe 1, et les dispositions de la partie 1, section 6, à l’exception de l’article 47, paragraphe 2, deuxième phrase, et de l’article 54, paragraphe 1, s’appliquent mutatis mutandis. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9 Corint Media est une société de gestion collective qui gère les droits d’auteur et les droits voisins de chaînes de télévision et de radio privées. Dans ce contexte, elle reverse les recettes issues de la taxe sur les supports vierges aux organismes de radiodiffusion.

10 Seven.One est un organisme de radiodiffusion qui produit et diffuse, sur l’ensemble du territoire allemand, un programme télévisé privé, financé par la publicité.

11 Ces parties sont liées par un contrat de gestion, qui règle l’exercice et l’exploitation exclusifs par Corint Media des droits d’auteur et des droits voisins de Seven.One pour ce programme. À cet égard, Seven.One a notamment demandé à Corint Media, conformément à ce contrat, que lui soit versée une compensation au titre de la taxe sur les supports vierges. Corint Media ne peut toutefois pas satisfaire cette demande, dès lors que l’article 87, paragraphe 4, de l’UrhG exclut les radiodiffuseurs du droit à la compensation équitable.

12 La juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la compatibilité de cette réglementation nationale avec le droit de l’Union. Cette juridiction fait observer, tout d’abord, que la compensation équitable doit, conformément à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, être versée aux titulaires du droit exclusif de reproduction affectés par l’exception de copie privée, parmi lesquels figurent les organismes de radiodiffusion. Or, cette disposition ne prévoirait pas de restriction de la compensation équitable au détriment de certains titulaires de droits. Ensuite, l’exclusion prévue par la réglementation nationale serait douteuse eu égard au principe d’égalité de traitement, consacré à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Enfin, cette exclusion serait susceptible de restreindre la liberté de radiodiffusion, prévue à l’article 11 de la Charte.

13 Dans ces conditions, le Landgericht Erfurt (tribunal régional d’Erfurt, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La directive 2001/29/CE doit-elle être interprétée en ce sens que les radiodiffuseurs sont des bénéficiaires directs et originaux du droit à la compensation équitable au titre de l’article 5, paragraphe 2, sous b) de ladite directive tel que prévu dans le cadre de l’exception dite de “copie privée” ?

2) Les radiodiffuseurs peuvent-ils, vu leur droit au titre de l’article 2, sous e), de la directive 2001/29/CE, être exclus du droit à la compensation équitable en vertu de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE parce que, en leur qualité de producteurs de films, ils peuvent également avoir droit à une compensation équitable en vertu de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE ?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question :

L’exclusion générale des radiodiffuseurs est-elle admissible alors que ceux-ci, en fonction de leur programmation concrète, n’acquièrent en partie que dans des proportions très limitées des droits de producteurs de films (en particulier des programmes télévisés comportant une proportion élevée de programmes pris en licence à des tiers) et n’acquièrent en partie aucun droit de producteurs de films (en particulier les organisateurs de programmes radiophoniques) ? »

Sur la demande de réouverture de la procédure orale

14 Par acte déposé au greffe de la Cour le 26 juillet 2023, Seven.One a demandé la réouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour.

15 À l’appui de sa demande, Seven.One a fait valoir que les conclusions de M. l’avocat général requerraient une discussion plus approfondie, voire une correction. En particulier, Seven.One fait observer, d’une part, que le droit exclusif des organismes de radiodiffusion d’autoriser la reproduction des fixations de leurs émissions au titre de l’article 2, sous e), de la directive 2001/29 doit être traité de la même manière que le droit exclusif de ces organismes d’autoriser ou d’interdire la fixation de leurs émissions, prévu à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO 2006, L 376, p. 28). D’autre part, l’évaluation du préjudice causé aux organismes de radiodiffusion au titre de la copie privée ne saurait être laissée à l’appréciation du juge national.

16 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité, pour les intéressés visés à l’article 23 de ce statut, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C 673/20, EU:C:2022:449, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

17 D’autre part, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. Il ne s’agit donc pas d’un avis destiné aux juges ou aux parties qui émanerait d’une autorité extérieure à la Cour, mais de l’opinion individuelle, motivée et exprimée publiquement, d’un membre de l’institution elle-même. Dans ces conditions, les conclusions de l’avocat général ne peuvent être débattues par les parties. Par ailleurs, la Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie intéressée avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions que ce dernier examine dans ses conclusions, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale (arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C 673/20, EU:C:2022:449, point 41 ainsi que jurisprudence citée).

18 Cela étant, conformément à l’article 83 du règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les intéressés.

19 En l’occurrence, la Cour considère, toutefois, l’avocat général entendu, qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de décision préjudicielle. Elle relève, par ailleurs, que les éléments invoqués par Seven.One au soutien de sa demande de réouverture de la phase orale de la procédure ne constituent pas des faits nouveaux de nature à pouvoir exercer une influence sur la décision qu’elle est ainsi appelée à rendre.

20 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

Sur les questions préjudicielles

21 Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut les organismes de radiodiffusion, dont les fixations des émissions sont reproduites par des personnes physiques pour un usage privé et à des fins non commerciales, du droit à une compensation équitable prévu à cette disposition.

22 Selon une jurisprudence constante, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte, des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie et, le cas échéant, de sa genèse (arrêt du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C 263/18, EU:C:2019:1111, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

23 En premier lieu, selon les termes de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou des limitations au droit exclusif de reproduction prévu à l’article 2 de cette directive, dans le cas des reproductions effectuées sur tout support par des personnes physiques pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de ce droit exclusif reçoivent une compensation équitable.

24 À cet égard, il ressort expressément de cet article 2, sous e), que les organismes de radiodiffusion disposent, à l’instar des autres titulaires de droits visés aux points a) à d) de cet article, du droit exclusif « d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie » des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.

25 Il découle ainsi d’une lecture conjointe de l’article 2, sous e), et de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 que les organismes de radiodiffusion, qui sont titulaires d’un droit exclusif de reproduction, doivent en principe se voir reconnaître, dans les États membres qui ont mis en œuvre l’exception de copie privée, le droit à une compensation équitable lorsque des reproductions des fixations de leurs émissions sont réalisées par des personnes physiques pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales.

26 Cette interprétation littérale est confortée, en deuxième lieu, par le contexte dans lequel s’inscrivent ces dispositions et par la genèse de la directive 2001/29.

27 Ainsi, il convient de relever, d’une part, que l’article 2 de la directive 2001/29, qui définit, à ses points a) à e), le droit exclusif de reproduction des différentes catégories de titulaires de droits, n’opère aucune différence de traitement entre ces catégories de titulaires. À cet égard, il ressort également de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, du 10 décembre 1997 [COM(97) 628 final], à l’origine de la directive 2001/29, que la solution retenue à l’article 2 de cette directive garantit que l’ensemble des auteurs, des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et de films ainsi que des organismes de diffusion bénéficient du même niveau de protection de leurs œuvres ou d’autres objets protégés en ce qui concerne les actes protégés par le droit de reproduction.

28 D’autre part, il ressort du considérant 35 de la directive 2001/29 que, dans le cas de certaines exceptions, les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate pour l’utilisation faite de leurs œuvres ou d’autres objets protégés. En outre, il résulte de l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 que l’exception visée à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive n’est applicable que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.

29 Il s’ensuit que, sauf à les priver de tout effet utile, ces dispositions imposent à l’État membre qui a introduit l’exception de copie privée d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la perception effective de cette compensation destinée à indemniser les titulaires de droit lésés du préjudice subi, notamment si celui-ci est né sur le territoire de cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2022, Ametic, C 263/21, EU:C:2022:644, point 69 et jurisprudence citée).

30 Une telle interprétation est corroborée, en troisième lieu, par les objectifs poursuivis par les dispositions en cause.

31 D’une part, les considérants 4 et 9 de la directive 2001/29 énoncent que cette directive vise à assurer un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle, lequel doit encourager des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices, notamment dans les infrastructures de réseaux, et favoriser ainsi la croissance et une compétitivité accrue de l’industrie européenne, et que toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle.

32 D’autre part, en ce qui concerne spécifiquement l’objectif poursuivi à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive, il ressort des considérants 35 et 38 de celle-ci que cette disposition traduit la volonté du législateur de l’Union européenne d’établir un système particulier de compensation dont la mise en œuvre est déclenchée par l’existence d’un préjudice causé aux titulaires de droits, lequel génère, en principe, l’obligation d’« indemniser » ou de « dédommager » ces derniers (arrêts du 24 mars 2022, Austro-Mechana, C 433/20, EU:C:2022:217, point 37, et du 8 septembre 2022, Ametic, C 263/21, EU:C:2022:644, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

33 En effet, la réalisation d’une copie par une personne physique agissant à titre privé doit être considérée comme constituant un acte de nature à engendrer un préjudice pour le titulaire de droits concerné, puisqu’elle est réalisée sans que soit sollicitée, au préalable, l’autorisation de ce titulaire (arrêt du 29 novembre 2017, VCAST, C 265/16, EU:C:2017:913, point 33 et jurisprudence citée).

34 Au regard des éléments qui précèdent, il y a lieu de considérer que les organismes de radiodiffusion, visés à l’article 2, sous e), de la directive 2001/29, doivent, en principe, dans les États membres qui ont mis en œuvre l’exception de copie privée, se voir reconnaître le droit à une compensation équitable prévu à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive, à l’instar des autres titulaires de droits expressément visés à cet article 2.

35 Dans la mesure où les dispositions de la directive 2001/29 ne précisent pas davantage les différents éléments du système de compensation équitable, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation pour les circonscrire. Il leur revient notamment de déterminer les personnes qui doivent s’acquitter de cette compensation ainsi que de fixer la forme, les modalités et le niveau de ladite compensation (voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 2022, Austro-Mechana, C 433/20, EU:C:2022:217, point 41, et du 8 septembre 2022, Ametic, C 263/21, EU:C:2022:644, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

36 Lors de la détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel d’une telle compensation équitable, il incombe aux États membres, ainsi qu’il ressort du considérant 35 de la directive 2001/29, de tenir compte des circonstances propres à chaque cas et, notamment, du préjudice potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question. En outre, ce considérant précise que certains cas dans lesquels le préjudice causé au titulaire du droit serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement.

37 Il ressort ainsi d’une jurisprudence bien établie que la compensation équitable ainsi que, partant, le système sur lequel elle repose et le niveau de celle-ci doivent être liés au préjudice causé aux titulaires de droits en raison de la réalisation de copies privées. En effet, toute compensation équitable qui ne serait pas liée au préjudice causé aux titulaires de droits en raison d’une telle réalisation ne serait pas compatible avec l’exigence, énoncée au considérant 31 de la directive 2001/29, selon laquelle il convient de maintenir un juste équilibre entre les titulaires de droits et les utilisateurs d’objets protégés (arrêts du 11 juillet 2013, Amazon.com International Sales e.a., C 521/11, EU:C:2013:515, point 62, ainsi que du 24 mars 2022, Austro-Mechana, C 433/20, EU:C:2022:217, points 49 et 50 ainsi que jurisprudence citée).

38 À cet égard, la Cour a déjà jugé que, de la même manière qu’il est loisible aux États membres de prévoir ou non l’une ou l’autre des exceptions précisées à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2001/29, parmi lesquelles figure l’exception pour copie privée, ces mêmes États bénéficient, ainsi que le confirme le considérant 35 de cette directive, de la faculté de prévoir, dans certains cas qui entrent dans le champ d’application des exceptions qu’ils ont librement mis en place, une exemption de paiement de la compensation équitable lorsque le préjudice causé aux titulaires de droits est minime (arrêt du 5 mars 2015, Copydan Båndkopi, C 463/12, EU:C:2015:144, points 59 et 60).

39 S’agissant de la détermination du préjudice, il ressort, certes, de la jurisprudence de la Cour que la fixation d’un seuil en deçà duquel le préjudice peut être qualifié de « minime », au sens de ce considérant, doit relever de la marge d’appréciation des États membres (arrêt du 5 mars 2015, Copydan Båndkopi, C 463/12, EU:C:2015:144, point 61).

40 Encore faut-il, toutefois, que, dans l’application de ce seuil, les États membres respectent le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe général du droit de l’Union, visé à l’article 20 de la Charte (arrêt du 5 mars 2015, Copydan Båndkopi, C 463/12, EU:C:2015:144, point 31 et jurisprudence citée).

41 En l’occurrence, il y a lieu de relever d’emblée, premièrement, à l’instar de M. l’avocat général au point 30 de ses conclusions, qu’est dépourvue de pertinence la circonstance, invoquée par le gouvernement allemand afin de justifier l’exclusion de l’ensemble des organismes de radiodiffusion du droit à la compensation équitable, que certains d’entre eux, qui ont également la qualité de producteurs de films, perçoivent déjà une compensation équitable à ce titre.

42 En effet, d’une part, l’objet du droit exclusif de reproduction de ces différents titulaires de droits n’est pas identique. Tandis que l’article 2, sous d), de la directive 2001/29 confère aux producteurs des premières fixations de films, le droit exclusif d’autoriser la reproduction de l’original et de copies de leurs films, et protège la prestation organisationnelle et économique de ces producteurs, l’article 2, sous e), de cette directive confère aux organismes de radiodiffusion le droit exclusif de reproduction des fixations des émissions qu’ils diffusent, et protège la prestation technique matérialisée par l’émission. Il s’ensuit que les préjudices causés à ces titulaires au titre de la copie privée ne coïncident pas non plus.

43 D’autre part, ainsi qu’il ressort du dossier, la qualité de producteur de film des organismes de radiodiffusion est susceptible d’être présente avec une intensité variable, selon qu’ils produisent leurs émissions eux-mêmes, avec leurs propres ressources en matériel et en personnel, qu’ils diffusent des émissions produites sur commande par des partenaires contractuels ou qu’ils diffusent sous licence des émissions produites par des tiers.

44 Deuxièmement, ainsi qu’il a été rappelé aux points 37 et 40 du présent arrêt, le système sur lequel la compensation équitable repose et le niveau de celle-ci doivent être liés au préjudice causé aux titulaires de droits en raison de la réalisation de copies privées et respecter le principe d’égalité de traitement, tel que consacré à l’article 20 de la Charte.

45 Dans ce contexte, la Cour a déjà jugé que ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la réglementation concernée, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné [arrêts du 16 décembre 2008, Huber, C 524/06, EU:C:2008:724, point 75, et du 4 mai 2023, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » (Travail de nuit), C 529/21 à C 536/21 et C 732/21 à C 738/21, EU:C:2023:374, point 52 ainsi que jurisprudence citée].

46 À cet égard, compte tenu des considérations figurant aux points 23 à 34 du présent arrêt, il y a lieu de constater que les organismes de radiodiffusion, visés à l’article 2, sous e), de la directive 2001/29, se trouvent dans une situation comparable à celle des autres titulaires des droits mentionnés à cet article, en ce que l’ensemble de ces titulaires bénéficient du droit exclusif de reproduction qui y est prévu.

47 Une différence de traitement entre ces organismes de radiodiffusion et les autres titulaires de droits doit dès lors être fondée sur un critère objectif et raisonnable, et être proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné.

48 À cet égard, l’absence ou le niveau « minime » du préjudice subi par la catégorie de titulaires de droits constituée par les organismes de radiodiffusion du fait de la copie privée des fixations de leurs émissions constitue, au regard des considérations rappelées aux points 36 et 37 du présent arrêt, un tel critère objectif et raisonnable, qui ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire au maintien d’un juste équilibre entre les titulaires de droits et les utilisateurs d’objets protégés.

49 Toutefois, compte tenu des considérations figurant aux points 38 et 39 du présent arrêt, il incombe au juge national, d’une part, de s’assurer, à la lumière de critères objectifs, que les organismes de radiodiffusion, à la différence des autres catégories de titulaires de droit visées à l’article 2 de la directive 2001/29, ne subissent qu’un préjudice qui peut être qualifié de « minime », au titre de la reproduction non autorisée des fixations de leurs émissions. D’autre part, il lui faut vérifier, également à la lumière de critères objectifs, si, au sein de la catégorie de titulaires de droits constituée par les organismes de radiodiffusion, l’ensemble de ces organismes se trouvent dans des situations comparables, notamment au regard du préjudice qu’ils subissent, justifiant que l’ensemble de ces organismes soient exclus du bénéfice du droit à la compensation équitable.

50 En effet, ce n’est qu’à cette double condition qu’une réglementation nationale excluant l’ensemble desdits organismes du bénéfice de la compensation équitable devrait être considérée comme satisfaisant aux exigences de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29.

51 À cet égard, les parties intéressées ayant déposé des observations écrites ne s’accordent ni sur la nature et l’étendue du préjudice que subiraient les organismes de radiodiffusion du fait de la copie privée des fixations de leurs émissions ni sur la comparabilité des situations dans lesquelles se trouvent ces organismes, selon qu’ils bénéficient ou non d’un financement public.

52 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 26 de ses conclusions, l’existence et l’étendue du préjudice éventuel subi par les organismes de diffusion, de même que l’examen de la comparabilité des situations dans lesquelles se trouvent les éventuelles catégories distinctes d’organismes de radiodiffusion, constituent des appréciations de fait qu’il incombe à la juridiction de renvoi d’effectuer.

53 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut les organismes de radiodiffusion, dont les fixations des émissions sont reproduites par des personnes physiques pour un usage privé et à des fins non commerciales, du droit à une compensation équitable prévu à cette disposition, pour autant que ces organismes subissent un préjudice potentiel qui ne peut être qualifié de « minime ».

Sur les dépens

54 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une réglementation nationale qui exclut les organismes de radiodiffusion, dont les fixations des émissions sont reproduites par des personnes physiques pour un usage privé et à des fins non commerciales, du droit à une compensation équitable prévu à cette disposition, pour autant que ces organismes subissent un préjudice potentiel qui ne peut être qualifié de « minime ».