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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 16 novembre 2023, n° 22/04147

ROUEN

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Pim Pam Pomme (SARL)

Défendeur :

Les Jeunes Pousses (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foucher-Gros

Conseillers :

M. Urbano, Mme Menard-Gogibu

Avocats :

Me Leclerc, Me Ollivier, Me Forveille, Me Enault, Me Gringore

T. com. Cean, du 15 mai 2019, n° 2017007…

15 mai 2019

La SARL Pim Pam Pomme exploite une crèche d'entreprise de 40 places à [Localité 5] depuis le 2 janvier 2013.

La SAS Les Jeunes Pousses exploite, au travers de ses filiales, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9], trois micro-crèches de 10 places chacune situées à [Localité 8].

Par actes d'huissier du 31 août 2017, s'estimant victime d'agissements de concurrence déloyale, la SARL Pim Pam Pomme [Localité 5] a fait assigner la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] afin d'obtenir le paiement de dommages et intérêts.

Par jugement du 15 mai 2019, le tribunal de commerce de Caen a

- débouté la SARL Pim Pam Pomme [Localité 5] de ses demandes ;

- débouté la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] de leurs demandes ;

- condamné « la SAS Les Jeunes Pousses » à payer à la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné la SARL Pim Pam Pomme aux dépens.

Par déclaration en date du 23 mai 2019, la SARL Pim Pam Pomme [Localité 5] a relevé appel de cette décision.

Par arrêt du 17 juin 2021, la cour d'appel de Caen, après avoir rappelé que les règles applicables aux micro crèches étaient moins contraignantes que celles applicables aux établissements accueillant plus de dix enfants, a considéré qu'en ouvrant trois établissements de 10 places, la société Les Jeunes Pousses avait concurrencé de façon déloyale la société Pim Pam Pomme en scindant artificiellement son activité alors qu'elle exploitait en réalité un établissement d'accueil de 30 enfants dans les mêmes locaux avec le même personnel, les fonctions de référent technique et de directeur de chacune des structures étant exercées par une seule personne, un numéro de téléphone et une adresse uniques et qu'elles fonctionnaient de façon identique s'agissant des horaires et des tarifs.

Elle a considéré ensuite que la société Pim Pam Pomme avait subi du fait de cette concurrence déloyale la perte d'une cliente, la société Sofi [Localité 8], laquelle s'était nécessairement vu offrir par les micro-crèches des conditions financières plus avantageuses que celles proposées par la société Pim Pam Pomme, et que son préjudice s'analysait en une perte de chance de poursuive les relations commerciales avec cette société Sofi [Localité 8].

La cour d'appel de Caen a statué comme suit :

Infirme dans le jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen le 15 mai 2019 dans toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant débouté la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] de leurs demandes de dommages et intérêts et de celles ayant débouté la SARL Pim Pam Pomme de sa demande de condamnation des sociétés Les Jeunes Pousses, [6], [7] et [9] à respecter la réglementation, qui seront confirmées ;

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant

Condamne in solidum la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] à payer à la SARL Pim Pam Pomme la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamne in solidum la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] aux dépens ;

Condamne in solidum la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] à verser à la SARL Pim Pam Pomme la somme de 6.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] de leur demande formée au titre des frais irrépétibles.

Par arrêt du 16 novembre 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt en toutes ses dispositions aux motifs suivants :

- sur les faits de concurrence déloyale : « en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi les conditions dans lesquelles les micro-crèches étaient exploitées étaient fautives en dépit des autorisations administratives qui leur avaient été délivrées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. »

- sur la perte de chance : « en statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen qu'elle relevait d'office, tiré de ce que le préjudice subi par la société Pim Pam Pomme s'analysait en la perte d'une chance, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

- sur l'affirmation selon laquelle la société Sofi [Localité 8] s'était nécessairement vu offrir par les micro-crèches des conditions financières plus avantageuses que celles proposées par la société Pim Pam Pomme : « en statuant ainsi, par une simple affirmation ne constituant pas une motivation permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé. »

Par déclaration du 22 décembre 2022, la société Pim Pam Pomme a saisi la cour d'appel de Rouen désignée comme cour de renvoi.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 juin 2023.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 19 juin 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Pim Pam Pomme [Localité 5] qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen en date du 15 mai 2019 en ce qu'il a débouté la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] de leurs demandes tendant à obtenir la condamnation de la société Pim Pam Pomme [Localité 5] à lui régler la somme de 15 000 euros pour procédure abusive, outre 15 000 euros pour dénigrement et tendant à interdire à la société Pim Pam Pomme [Localité 5] de tenir des propos dénigrants concernant les entités du groupement Les Jeunes Pousses, et ce sous astreinte de 5 000 euros par propos en ce sens qui lui serait rapporté par un interlocuteur,

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Caen en date du 15 mai 2019 en ce qu'il a :

- débouté la société Pim Pam Pomme [Localité 5] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société Pim Pam Pomme [Localité 5] à payer à la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9], unis d'intérêt, la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Pim Pam Pomme [Localité 5] aux entiers dépens, y compris les frais de greffe s'élevant à la somme de 135,98 euros,

Statuant à nouveau,

- déclarer la SARL Pim Pam Pomme [Localité 5] recevable et bien fondée en ses demandes,

- dire et juger, et à tout le moins retenir que la Société Les Jeunes Pousses et ses trois filiales, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9], en contournant la réglementation applicable aux établissements accueillant de jeunes enfants, en détournant les autorisations administratives et en trompant les familles et entreprise, ont commis des actes constitutifs de concurrence déloyale,

- juger que la SARL Pim Pam Pomme [Localité 5] subit du fait de ces agissements un préjudice économique dont elle est fondée à solliciter réparation,

- condamner solidairement la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7], et la SARL [9], sur le fondement des articles 1240 et suivants du code civil (anciennement 1382 et suivants), à régler à la société Pim Pam Pomme [Localité 5] une somme de 314.832 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires, ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'atteinte à l'image, au titre du préjudice subi en raison des actes de concurrence déloyale commis par la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7], et la SARL [9],

- condamner la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7], et la SARL [9], sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, à :

*respecter la réglementation applicable aux établissements d'accueil des enfants de moins de six ans d'une capacité de plus de 20 places telle que prévue par les dispositions des articles L. 2324-1 et suivants du Code de la Santé Publique et R. 2324-16 et suivants du Code de la Santé Publique notamment à se mettre en conformité quant aux exigences de personnel et de qualification pour l'exploitation d'une crèche d'une capacité de 30 places,

*régulariser toutes ses publications, annonces, articles de manière à faire cesser ses agissements de contournement de la loi et de tromperie de l'usager,

- débouter la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7], et la SARL [9] de l'intégralité de leurs demandes,

- condamner solidairement la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7], et la SARL [9] à verser à la société Pim Pam Pomme [Localité 5] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7], et la SARL [9] aux entiers dépens.

Vu les conclusions du 20 juin 2023, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] qui demandent à la cour de :

- déclarer la société Pim Pam Pomme infondée en son appel principal,

- déclarer les sociétés Les Jeunes Pousses, [6], [7] et [9] recevables et fondées en leur appel incident,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen en date du 15 mai 2019 en ce qu'il a :

- débouté la Société Pim Pam Pomme de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la Société Pim Pam Pomme à payer aux concluantes, unies d'intérêts, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la Société Pim Pam Pomme aux entiers dépens, y compris les frais de greffe,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen du 15 mai 2019 en ce qu'il a débouté les sociétés Les Jeunes Pousses, [6], [7] et [9] de leurs autres demandes reconventionnelles,

Statuant à nouveau :

- débouter la société Pim Pam Pomme de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions aux fins de condamnation de la sociétés Les Jeunes Pousses et de ses trois filiales [6], [7], et [9], en ce que ses réclamations sont irrecevables et infondées tant en leur principe que, subsidiairement, en leur quantum,

- interdire à la société Pim Pam Pomme de tenir des propos dénigrants concernant les entités du groupement Les Jeunes Pousses, et ce sous astreinte de 5 000 euros par propos en ce sens qui lui serait rapporté par un interlocuteur,

- condamner la société Pim Pam Pomme à payer aux quatre défenderesses, unies d'intérêts, la somme de 15 000 euros pour procédure abusive, outre 15 000 euros pour dénigrement, et la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les actes de concurrence déloyale :

La SARL Pim Pam Pomme soutient que :

- alors qu'accueillant 40 enfants, elle s'est soumise au respect de la réglementation en obtenant une autorisation délivrée par le président du Conseil Départemental après avis des services de protection maternelle et infantile et avoir obtenu un conventionnement de la Caisse d'Allocations Familiales, la SARL Pim Pam Pomme a dû faire face à la concurrence de la SAS Les Jeunes Pousses qui, après un refus de conventionnement opposé par la Caisse d'Allocations Familiales, a artificiellement scindé son activité qui portait initialement sur l'accueil de 35 enfants, en trois micro-crèches de 10 enfants non soumises aux mêmes contraintes et a, pour ce faire, créé trois sociétés, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] dont elle est l'associée unique ;

- en contournant les règles auxquelles est soumise la SARL Pim Pam Pomme alors que, dans les faits, la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] exercent la même activité, celles-ci l'ont concurrencé déloyalement notamment en bénéficiant des économies induites par l'absence des charges correspondantes ;

- la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] ont détourné la réglementation applicable et n'ont pas respecté l'autorisation administrative qui leur a été délivrée pour l'exploitation de trois crèches : ainsi, elles n'ont obtenu qu'une seule autorisation délivrée à la seule SAS Les Jeunes Pousses qui exploite les mini-crèches fictives dans les mêmes locaux avec le même personnel, le même numéro de téléphone, la même adresse postale, les mêmes horaires d'ouverture, aux mêmes tarifs, avec les mêmes dirigeants, des documentations de présentation uniques et qui procèdent au regroupement de tous les enfants quel que soit leur âge durant les périodes de congés; il s'agit d'un établissement unique d'accueil de trente enfants ;

- le courrier de la PMI versé aux débats par les intimées n'est pas de nature à justifier des contrôles de l'administration dans les lieux et ne permet pas d'affirmer que, dans les faits, l'administration a connaissance des détournements opérés par les intimées ;

- les termes des autorisations données à la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] ne sont pas respectés puisque les contrats prévoient des regroupements d'enfants quel que soit leur âge ce qui contrevient en outre à un arrêté du 2 mars 2015 ;

- ne pouvant bénéficier de la prestation de service unique, la SAS Les Jeunes Pousses a trompé ses contractants en leur faisant croire que ses tarifs étaient inférieurs à ceux de la SARL Pim Pam Pomme mais en ne leur indiquant pas que l'avantage versé par la Caisse d'Allocations Familiales devait être déclaré tant par les sociétés qui réservent des places que par les parents et ce sous peine de redressement par l'URSSAF ou le Fisc; il s'agit là d'une faute constituant des actes de concurrence déloyale ;

- le site internet des intimées reprend des informations fiscales trompeuses.

La SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] soutiennent que :

- elles ont obtenu pour chacune des sociétés une autorisation du Conseil Départemental leur permettant de faire fonctionner les micro-crèches ;

- chacune de ces micro-crèches est géré distinctement en matière de personnel et de comptabilité ;

- c'est la Caisse d'Allocations Familiales qui a elle-même conseillé la création de ces trois micro-crèches, ce système répondant à un besoin ;

- elles n'ont commis aucune faute dès lors que leur activité a bénéficié d'autorisations qui ont été délivrées par les services administratifs compétents qui ont contrôlé, avant l'installation et depuis celle-ci, les conditions d'exploitation des micro-crèches et qui savent que les micro-crèches sont accolées ;

- l'article R2324-36-1 du code de la santé publique permet à la SAS Les Jeunes Pousses de gérer les crèches exploitées par la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] ;

- le guide ministériel des établissements d'accueil des jeunes enfants prévoit la possibilité de « cohabitation » de plusieurs micro-crèches ;

- la SAS Les Jeunes Pousses a agi comme « plate-forme de réservation » au bénéfice de ses sociétés filiales ;

- les intimées ne sont pas concernées par les divergences politiques entre les services administratifs ;

- les allégations de la SARL Pim Pam Pomme tendent à remettre en cause les autorisations données par les services administratifs et les contrôles effectués par eux, ce qui ne relève que du juge administratif ;

- il ne peut y avoir aucune concurrence déloyale pendant la durée d'application d'une autorisation administrative d'exercer ;

- le système de financement des micro-crèches est conforme aux textes et le fait que les contractants des intimés, sociétés ou parents, doivent déclarer telle ou telle prestation ne relève que de leurs rapports alors qu'il n'existe aucun risque avéré de redressement fiscal ou social ;

- le site internet de la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9], qui mentionnait un taux fiscal devenu inexact a été mis à jour ;

- si des regroupements d'enfants ont eu lieu durant les périodes de vacances, ils ont été réalisés en conformité avec les autorisations reçues et la SARL Pim Pam Pomme ne justifie pas du contraire ;

Réponse de la cour :

L'article L. 2324-1 alinéa 1 de code de la santé publique dispose que : « Si elles ne sont pas soumises à un régime d'autorisation en vertu d'une autre disposition législative, la création, l'extension et la transformation des établissements et services gérés par une personne physique ou morale de droit privé accueillant des enfants de moins de six ans sont subordonnées à une autorisation délivrée par le président du conseil départemental , après avis du maire de la commune d'implantation. »

Constitue un acte de concurrence déloyale tout agissement désorganisant le marché dès lors qu'il confère à celui qui se soustrait à la règlementation en vigueur un avantage dans la concurrence au préjudice de ceux qui s'y conforment.

Selon statuts des 3 novembre 2014 et 25 février 2016, la SAS Les Jeunes Pousses a créé les SARL [6], [7] et [9] dont elle est l'associée unique, ces trois sociétés ayant pour objet l'activité de micro-crèche.

Par trois arrêtés des 2 et 3 mars 2015, le président du Conseil Général du Calvados a autorisé la SAS Les Jeunes Pousses à faire fonctionner chacune des trois micro-crèches dénommées [6], [7] et [9] pour une capacité d'accueil de 10 enfants âgés de 2 mois et demi à 14 mois ([6]) de 15 mois à 5 ans ([7]) et de 12 mois à 5 ans ([9]).

La SAS Les Jeunes Pousses et la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] justifient que pour chacune de ces trois autorisations, le Conseil général a procédé à une visite préalable des établissements concernés par un médecin et une puéricultrice qui ont émis à chaque fois un rapport favorable.

Par ailleurs, la SAS Les Jeunes Pousses et la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] versent aux débats un courrier émanant du président du Conseil départemental du Calvados du 16 juin 2023 rédigé comme suit : « Par ce présent courrier, j'atteste de la conformité du fonctionnement des trois micro-crèches [6], [9] et [7] situées au [Adresse 4] à [Localité 8].

En application des dispositions réglementaires visées aux articles L.2324-1 et L.2324-2 du code de la santé publique, la création d'un établissement recevant des enfants de moins de six ans est subordonnée à une autorisation délivrée par le président du conseil départemental sur avis du médecin départemental. Les micro-crèches [6], [9] et [7] ont obtenu chacune l'autorisation d'ouverture le 14 janvier 2015. Chaque établissement est soumis depuis son ouverture à un contrôle administratif annuel assuré par Madame [W] [R] responsable du pôle structures petite enfance par délégation du médecin départemental. L'étude de ces documents associée aux visites de suivi, réalisées de manière prévue ou imprévue avec le Docteur [D] [E] médecin de PMI, révèlent que le fonctionnement des trois établissements pré-cités répond rigoureusement au cadre réglementaire en vigueur. Chaque établissement a bénéficié d'une visite de conformité organisée en 2021 suite à la mise en œuvre de la réforme des modes d'accueils en août 2021. Les locaux et leur aménagement répondent aux objectifs et aux conditions définis à l'article R. 2324-28 du code de la santé publique, compte tenu de l'âge et des besoins des enfants accueillis avec le souci de proposer une qualité d'accueil constante. Le groupe Les Jeunes Pousses se montre attentif et soucieux de proposer des conditions d'accueil sécures tant pour les enfants que pour les professionnels petite enfance et montre un fort investissement dans le travail partenarial notamment avec mes services. »

Il est ainsi démontré que l'activité des trois micro-crèches situés dans trois locaux accolés ayant une identité partielle de personnel (la directrice, infirmière puéricultrice, Mme [F], est la même pour les trois crèches) a été expressément autorisée par les services départementaux et qu'elle s'exerce en parfaite connaissance de ces mêmes services qui ont procédé à des contrôles au moins annuels de ces établissements dont certains inopinés.

Si la SARL Pim Pam Pomme verse aux débats des pièces émanant des services de l'Etat (notamment le guide ministériel des établissements d'accueil du jeune enfant) ainsi que de la Caisse d'Allocations Familiales et de la Caisse Nationale d'Allocations Familiales aux termes desquelles le fait d'ouvrir des micro-crèches contiguës avec une mutualisation des personnels constituerait un détournement des règles applicables aux établissements recevant plus de 10 enfants, il ressort également de ces documents, et notamment d'un entretien du directeur de la CNAF paru dans la presse (pièce n° 15 de la SARL Pim Pam Pomme) que les agréments des micro-crèches relèvent des services de la protection maternelle et infantile et qu'il existe des politiques différentes menées localement par les collectivités publiques qui autorisent en toute connaissance de cause la création de telles structures lesquelles bénéficient de financements de la Caisse d'Allocations Familiales locale.

Par ailleurs, s'agissant de l'accueil des enfants durant les périodes de congés, la SARL Pim Pam Pomme ne démontre pas l'existence d'un regroupement effectif d'enfants dont le nombre aurait dépassé 10 par micro-crèche pas plus qu'elle ne démontre que ces regroupements auraient abouti à l'accueil d'enfants d'âges non visés par les autorisations délivrées aux micro-crèches ni enfin que l'autorité administrative de contrôle ait constaté une quelconque irrégularité sur ce point.

Dès lors que l'activité de la SAS Les Jeunes Pousses et de la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] a été autorisée administrativement, que les autorisations délivrées n'ont pas été contestées et n'ont pas été rapportées et que, par ailleurs, l'exercice de l'activité de ces quatre sociétés a été contrôlé et n'a révélé aucune irrégularité, la SARL Pim Pam Pomme échoue à démontrer que la SAS Les Jeunes Pousses et la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] ont méconnu la règlementation applicable ou n'ont pas respecté les termes des autorisations délivrées et que des actes de concurrence déloyale peuvent leur être imputés à cet égard.

Au visa des dispositions de l'article L. 121-1 du code de la consommation qui disposent que : « Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. », l'appelante soutient aussi que la société Les Jeunes Pousses trompe délibérément les entreprises et les parents, en leur présentant un coût net similaire à celui de la crèche alors que les clients sont exposés à un risque de redressement par l'URSSAF pour les entreprises et à des conséquences fiscales pour les parents.

Toutefois, outre que la SARL Pim Pam Pomme ne justifie ni de l'existence d'un redressement infligé par l'URSSAF ou les services fiscaux à l'une des entreprises ou à des parents ayant contracté avec les intimées ni de l'existence d'un litige passé ou présent sur ce point, la présentation tarifaire de la SAS Les Jeunes Pousses n'est pas de nature à caractériser les pratiques commerciales déloyales dès lors qu'il n'est pas établi en quoi elle serait de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé au sens des dispositions de l'article L. 121-1 du code de consommation. En outre, pour la part de clientèle faite d'entreprises, celles-ci ne sont pas susceptibles d'être qualifiées de consommateurs au sens des dispositions des articles L. 120-1 et L. 121-1 issus de la transposition de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis à vis des consommateurs.

Enfin, le fait que le site internet de la SAS Les Jeunes Pousses ait pu, pendant un certain temps, publier des informations erronées quant aux conséquences fiscales (réduction d'impôts de 33,33 % au lieu de 28 %) ne saurait être considéré comme un acte de concurrence déloyale dès lors que la SARL Pim Pam Pomme ne démontre pas le caractère intentionnel de l'inexactitude de cette information.

Il s'ensuit que la SARL Pim Pam Pomme ne démontrant l'existence d'aucun fait imputable à la SAS Les Jeunes Pousses ou à la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] pouvant être qualifié d'acte de concurrence déloyale, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Pim Pam Pomme [Localité 5] de ses demandes.

Sur l'appel incident de la SAS Les Jeunes Pousses et de la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] :

Exposé des moyens :

Les sociétés Les Jeunes Pousses, [6], [7] et [9] soutiennent que :

- les demandes de la SARL Pim Pam Pomme sont totalement infondées et le comportement procédural abusif de cette dernière tend uniquement à déstabiliser un nouvel acteur du marché ;

- la SARL Pim Pam Pomme a dénigré les intimés auprès de tiers tels que le réseau 1001 crèches et auprès de la société Sofi [Localité 8], ce qui constitue un acte de concurrence déloyale ;

La SARL Pim Pam Pomme soutient que :

- les intimées ne caractérisent pas l'existence d'une procédure abusive ;

- elle ne saurait être condamnée au titre de « propos rapportés » ;

- elle s'est bornée à indiquer au réseau 1001 crèches qu'elle allait arrêter son partenariat, ce qui n'a rien de dénigrant ;

- le courrier adressé à la société Sofi [Localité 8] n'a constitué qu'une réponse à un précédent courrier comminatoire du dirigeant de cette dernière.

Réponse de la cour :

1°) L'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages intérêts que lorsqu'est caractérisée une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.

La SARL Pim Pam Pomme a pu de bonne foi, agir en justice en se fondant sur un ensemble d'éléments qui lui faisaient supposer que l'activité de la SAS Les Jeunes Pousses et de la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] était contraire à la réglementation applicable de sorte qu'un comportement fautif de la part de l'appelante n'est pas caractérisé'; le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la SAS Les Jeunes Pousses et la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

2°) à l'appui de leur demande de dommages et intérêts pour dénigrement, les intimées versent aux débats un courrier électronique émanant de la société Babilou adressé à la SAS Les Jeunes Pousses le 5 février 2018 comportant la reprise partielle par la société Babilou de deux courriers électroniques qui lui ont été adressés par la SARL Pim Pam Pomme à une date indéterminée rédigés comme suit : « Concernant le « réseau » crèche de Normandie et ayant discuté avec [K] [I], nous sommes surpris que vous fassiez confiance à ce type de partenariat. De notre côté, nous ne souhaitons aucun contact avec ce dernier et encore moins avec son dirigeant. Je reste à ta disposition pour en discuter. »

« Par contre, au vu de votre partenariat avec les jeunes Pousses, nous allons arrêter le nôtre. J'en suis désolé mais ce n'est pas possible pour nous d'accepter cette situation en sachant qu'un rachat est maintenant inévitable par Babilou. »

Constitue un dénigrement, même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information, même exacte , de nature à jeter le discrédit sur un produit ou un service commercialisé par l'autre, sur l'activité de celle-ci, sur ses qualités professionnelles ou l'utilité de son travail, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante qui doit s'apprécier au regard de la gravité des allégations en cause, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

En page 22 de ses conclusions, la SARL Pim Pam Pomme reconnaît être l'auteur des propos rapportés dans le courrier électronique ci-dessus.

La SAS Les Jeunes Pousses verse aux débats une pièce démontrant que le réseau « Crèches de Normandie » a été créé par elle courant 2016 (pièce n° 9.2).

Le fait pour la SARL Pim Pam Pomme d'indiquer à la société Babilou, partenaire commercial, qu'elle est surprise que ce dernier fasse confiance au partenariat avec le réseau « Crèches de Normandie » constitue un dénigrement de ce réseau dès lors qu'elle énonce expressément dans un écrit qu'on ne peut lui faire confiance. Par ailleurs ce dénigrement a été précédé ou suivi de l'indication que la SARL Pim Pam Pomme entendait mettre fin au partenariat avec la société Babilou dès lors que cette dernière était également partenaire de la SAS Les Jeunes Pousses.

S'agissant des courriers électroniques échangés entre la SARL Pim Pam Pomme et M. [G], dirigeant de la société Sofi [Localité 8] ancien client de la société Pim Pam Pomme avant qu'il mette un terme au contrat les liant, s'il est exact que la SARL Pim Pam Pomme a adressé à M. [G] un courrier le 9 mars 2018 indiquant : « Concernant les discours des jeunes pousses, il ne respecte pas les institutions, ni leurs confrères, aucune raison que nous le fassions », ce courrier a répondu à un courrier de M. [G] de la veille dans lequel ce dernier lui reprochait d'avoir fait assigner la SAS Les Jeunes Pousses, que les « milliards d'Euros distribués par la CAF » allaient être distribués avec plus de vigilance dorénavant, que l'une de ses cousines était en charge de ce dossier pour 5 ans, qu'il allait « lui faire savoir l'assignation que [la SARL Pim Pam Pomme] portait contre les jeunes Pousses dans lequel [M. [G] était] actionnaire à titre personnels. Voilà en quelques lignes le pourquoi de mécontentement sans parler des discours que vous tenez vis-à-vis des Jeunes Pousses à l'extérieur/certains de mes collègues ».

Ce courrier du 9 mars 2018 de la SARL Pim Pam Pomme ne constitue pas un acte de dénigrement de la SAS Les Jeunes Pousses à l'égard de la société Sofi [Localité 8] dès lors que cette dernière l'avait implicitement menacée d'actes de rétorsion de l'organisme finançant son activité, que son dirigeant était personnellement intéressé au succès de la SAS Les Jeunes Pousses et qu'il s'est agi, dans les deux cas, d'un mouvement d'humeur.

En présence d'un acte fautif de dénigrement de la SAS Les Jeunes Pousses auprès de la société Babilou, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] de leurs demandes de dommages et intérêts à ce titre et la SARL Pim Pam Pomme sera condamnée à leur payer la somme totale de 5000 euros de dommages et intérêts.

Cet unique acte de dénigrement par la SARL Pim Pam Pomme n'ayant pas été réitéré, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la SAS Les Jeunes Pousses et la SAS Les Jeunes Pousses de leur demande d'interdiction de propos dénigrants sous astreinte.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire ;

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Caen du 15 mai 2019 en ce qu'il a :

- débouté la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] de leurs demandes de dommages et intérêts au titre du dénigrement qu'elles imputent à la SARL Pim Pam Pomme ;

- condamné « la SAS Les Jeunes Pousses » à payer à la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau :

Condamne la SARL Pim Pam Pomme à payer à la SAS Les Jeunes Pousses et à la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] la somme totale de 5000 euros de dommages et intérêts ;

Condamne la SARL Pim Pam Pomme à payer à la SAS Les Jeunes Pousses, la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions ;

Y ajoutant :

Condamne la SARL Pim Pam Pomme aux dépens de la procédure d'appel ;

Condamne la SARL Pim Pam Pomme à payer à la SAS Les Jeunes Pousses et à la SARL [6], la SARL [7] et la SARL [9] la somme unique de 10 000 euros au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel.