Livv
Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 14 novembre 2023, n° 22/00841

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

BPCE Iard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Conseillers :

Mme Verrier, M. Maury

Avocats :

Me Moriceau, Me Noureau, Me Hidreau, Me Giret

TGI Saintes, du 11 mars 2022, n° 22/0084…

11 mars 2022

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS

Mme [E] [C] a commandé à la société Lion France Développement (Lion) une maison en madriers pour un prix de 75 600 euros TTC selon devis accepté le 6 décembre 2017.

Le terrassement était confié à la société SIEB qui a procédé à l' excavation du terrain courant octobre 2018 puis quitté le chantier, abandon constaté par huissier de justice le 14 mars 2019.

Le 19 avril 2019,la société Lion enjoignait aux époux [C] de réceptionner le kit de la maison à construire évoquant ses frais de transport et de gardiennage.

La livraison intervenait le 26 septembre 2019, était refusée par les époux [C] compte tenu du très mauvais état du matériel livré.

Par acte du 13 novembre 2019, les époux [C] ont assigné la société Lion devant le tribunal judiciaire de Saintes au visa des articles L. 121-20 et L. 221-1 du code de la consommation, 1193 et 1217 du code civil aux fins d'annulation de la vente, rétractation, restitution de la somme de 62 100 euros, condamnation à leur payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement définitif du 10 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Saintes a constaté que les époux [C] avaient exercé leur droit de rétractation, condamné la société Lion à leur restituer la somme de 61 200 euros avec intérêts au taux légal et à leur payer la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il a retenu que le refus de livraison du 26 septembre 2019 et le courrier recommandé du 3 octobre 2019 caractérisaient l'exercice du droit de rétractation.

La société Lion a fait l'objet d'une liquidation judiciaire par jugement du 17 avril 2020 du tribunal de commerce de Niort.

Par acte du 10 septembre 2020, les époux [C] ont assigné la société BPCE Iard (BPCE) aux fins de condamnation à leur verser la somme de 90 000 euros à titre de dommages et intérêts en qualité d'assureur RC professionnelle de la société Lion au visa des articles 1217 et 1240 du code civil.

La société BPCE Iard a conclu au débouté.

Par jugement du 11 mars 2022 , le tribunal judiciaire de Saintes a statué comme suit :

« Vu le jugement du 10 janvier 2020 ayant condamné la société Lion France Développement à payer diverses sommes aux époux [C]

-dit que la société BPCE IARD est tenue à garantir la Société LION France DEVELOPPEMENT des dommages résultant d'une exécution contractuelle défectueuse ;

-condamne la société BPCE IARD à payer à Monsieur et Madame [C] une somme de 5000 € (cinq mille euros) au titre de cette garantie ;

-condamne la société BPCD aux dépens de l'instance et à payer aux époux [C] une somme de 2000 € (deux mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. »

Le premier juge a notamment retenu que :

La société BPCE soutient que la société Lion s'est comportée comme un constructeur de maisons individuelles et non comme un agent commercial.

Les époux [C] estiment que la société BPCE a commis une faute en ne vérifiant pas la concordance entre l'activité déclarée à l'assureur et l' objet social de la société.

La somme demandée par les époux [C] correspond aux fonds versés à l'assurée et non restitués.

- sur l'obligation de garantie de la BPCE de l'absence de restitution des sommes versées

Le jugement qui ordonne la restitution ne se fonde pas sur la faute, rappelle que les acquéreurs ont une faculté de rétractation.

Il est donc indifférent que la BPCE n'ait pas vérifié l'adéquation de la garantie à l'activité réelle.

- sur l'obligation de garantie des dommages et intérêts mis à la charge de la société BPCE

Il résulte du jugement du 10 janvier 2020 que la société Lion n'a pas satisfait à son obligation contractuelle de livrer une maison d'habitation en kit en parfait état puisqu'elle était affectée de nombreux désordres rendant sa construction impossible et que ce manquement a justifié l'octroi d'une somme de 5000 euros aux époux [C].

Selon la BPCE, la police exclut de toute garantie les dommages résultant d'un retard dans l'exécution ou l'inexécution d'une prestation.

Le dommage retenu par le jugement est couvert « puisque l'indemnisation prononcée sanctionne non un retard ou une inexécution, c'est à dire une absence de livraison mais une mauvaise exécution à savoir le caractère défectueux du produit livré prévu par le paragraphe 7-5 des conditions générales ».

LA COUR

Vu l' appel en date du 31 mars 2022 interjeté par les époux [C],

Vu l'article 954 du code de procédure civile,

Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions en date du 21 juin 2022, les époux [C] ont présenté les demandes suivantes :

Vu le code de la Consommation,

Vu les articles 1217 et 1240 du code civil,

Vu les conditions générales et particulières du contrat multirisque professionnel,

DECLARER recevables et bien-fondés en leur appel les époux [C],

- INFIRMER le jugement du Tribunal judiciaire de SAINTES en ce qu'il a limité la condamnation de l'assureur BPCE IARD à payer aux époux [C] la somme de 5000 € au titre de la garantie souscrite par la société LION FRANCE DEVELOPPEMENT et en ce qu'elle a débouté Monsieur et Madame [C] de leurs autres demandes formées à l'encontre de la société BPCE IARD et en ce que le jugement n'a pas statué dans son dispositif sur la condamnation de la société BPCE IARD aux dépens.

Statuant à nouveau

- CONDAMNER la société d'assurance BPCE IARD à verser aux époux [C] la somme de 75.500 € au titre de leur préjudice financier et 15.500 € au titre de leur préjudice moral en application des garanties souscrites

A titre subsidiaire,

- CONDAMNER la société d'assurance BPCE IARD à verser aux époux [C] la somme de 90.000 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la garantie quasi-délictuelle

- DEBOUTER la société d'assurance BPCE IARD de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions

- CONDAMNER la société d'assurance anonyme à directoire et conseil de surveillance BPCE IARD à verser aux époux [C] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de leurs prétentions, les époux [C] soutiennent en substance que:

- Le tribunal a dénaturé leurs demandes.

Ils cherchent à mobiliser les garanties souscrites en raison des multiples fautes et manquements de l'assurée qui les ont conduits à se rétracter.

- Le préjudice n'est pas limité aux sommes déboursées. Il inclut les sommes versées à la société Lion, à la seconde société défaillante qu'elle a recommandée, la société SIEB.

- Le préjudice n'est pas limité aux sommes versées non restituées.

- Le préjudice que leur a causé la mauvaise exécution du contrat, les mauvais conseils donnés s'élève à minima à la somme de 90 000 euros.

- Le tribunal a limité la condamnation de l' assureur à leur payer la somme de 5000 euros alors qu'il a retenu que la garantie était mobilisable puisque le contrat avait été mal exécuté, et que le produit livré était défectueux. Il a donc constaté que l'assureur devait garantir la mauvaise exécution du contrat.

- Tous les dommages étaient couverts : matériels et immatériels consécutifs, non consécutifs au titre de la responsabilité civile professionnelle .

- La garantie dommages immatériels non consécutifs s'applique en cas de fautes dans l'exécution du contrat, de vice du produit livré.

- Le montage a échoué car il a été constaté l'état défectueux et non conforme des matériaux rendant l' assemblage impossible.

- Les conditions de stockage n'étaient pas saines, faute imputable à la société Lion.

- Ils évaluent leur préjudice financier à la somme de 74 500 euros, leur préjudice moral à la somme de 15 500 euros.

- Subsidiairement, l'assureur tenu à une obligation de renseignement a commis une faute.

- L'attestation qui leur avait été remise mentionne l'activité d'agent commercial sans notice explicative. Elle ne leur permettait pas de savoir que l'assurée n'était pas couverte.

L'assureur devait vérifier que la garantie souscrite correspondait à l'activité déclarée.

Il a commis des fautes susceptibles d'engager sa responsabilité quasi délictuelle.

Il n'a pas mentionné de restrictions sur les activités déclarées.

- Si les garanties ne sont pas mobilisables, ils demandent alors la somme de 90 000 euros sur un fondement quasi-délictuel.

Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 16 septembre 2022, la société BPCE Iard a présenté les demandes suivantes:

Vu les dispositions des articles L. 221-1 et suivants du Code de la consommation ;

Vu les dispositions de l'article L. 134-1 du Code de commerce ;

Vu les dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile ;

Vu les dispositions des articles 1217 et 1240 du Code civil ;

Infirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Saintes le 11 mars 2022 en ce qu'il a dit que la Société BPCE IARD est tenue à garantir la Société LION des dommages résultant d'une exécution contractuelle défectueuse ;

Condamné la Société BPCE IARD à payer à Monsieur et Madame [C] une somme de 5000 € au titre de cette garantie , aux dépens de l'instance et à leur payer une somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Et statuant de nouveau :

A titre principal :

- Constater que le litige opposant les époux [C] à la SARL LION ne porte pas sur l'activité déclarée lors de la souscription de son contrat d'assurance responsabilité civile auprès de la BPCE IARD, avec pour effet que ladite garantie ne peut être mobilisée en l'espèce ;

A titre subsidiaire :

- Dire et juger que la demande des époux [C] porte non pas sur la réparation d'un préjudice matériel qui serait prévu au contrat d'assurance mais sur une somme correspondant aux fonds versés à la SARL LION France DEVELOPPEMENT et non restituée par cette dernière ensuite de leur rétractation, et contrairement à ce qui a été ordonné par le Jugement du 10 janvier 2020.

- Rejeter en conséquence l'ensemble des prétentions, fins et conclusions des époux [C] ;

En tout état de cause :

- Condamner solidairement Monsieur [W] [C] et son épouse Madame [E] [C] à verser à la Société BPCE IARD la somme de 3500 €, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Les condamner solidairement aux entiers dépens.

A l'appui de ses prétentions, la société BPCE soutient en substance que :

- Elle dénie sa garantie au regard de l'activité litigieuse qui était non déclarée lors de la souscription du contrat. L'activité déclarée est celle d'agent commercial.

L'agent commercial négocie au nom et pour le compte du mandant des contrats de vente et d'achat.

Il y a distorsion entre l'activité déclarée et l'objet social enregistré: achat, vente de chalets, maisons en kit.

- La société Lion s'est comportée en constructeur, s'est engagée à livrer une maison en kit hors d'eau hors air, couverture et menuiseries incluses.

- Subsidiairement, la garantie n'est pas mobilisable au regard de la demande.

La garantie permet de compenser des dommages matériels ou immatériels consécutifs subis par un tiers tant pendant l'exécution d'une prestation qu'après réception de ses travaux ou livraison de ses produits.

- Les époux [C] demandaient la restitution des fonds versés en exécution du jugement du 10 janvier 2020.

- Le contrat prévoit une clause d' exclusion des frais nécessaires pour rembourser, une clause d'exclusion en cas de retard ou inexécution d'une prestation.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 31 août 2023.

SUR CE

- sur l'objet du litige

Les époux [C] ont obtenu la rétractation du contrat portant sur la vente et livraison d'une maison en kit , la condamnation de la société Lion à leur restituer les sommes versées et à les indemniser de leurs préjudices.

Le jugement est définitif, mais n'a pu être exécuté du fait du placement en liquidation judiciaire de la société.

Ils ont ensuite exercé une action distincte dirigée contre la société BPCE, assureur de la société Lion.

Il ressort du dispositif des conclusions des appelants qu'ils forment à titre principal une action directe dirigée contre l'assureur, à titre subsidiaire, une demande d'indemnisation fondée sur le préjudice résultant des fautes qu'ils prêtent à l'assureur.

- sur l'action directe

Les époux [C] visent "les conditions générales et particulières" du contrat d'assurance souscrit par la société Lion et demandent sa condamnation "en application des garanties souscrites".

Il appartient donc aux époux [C] d'établir que le contrat d'assurance souscrit par la société Lion a vocation à s'appliquer et couvrir les préjudices "financier et moral" demandés et chiffrés en appel aux sommes de 75.500 euros et 15 500 euros.

La société BPCE estime que l'activité n'est pas couverte par le contrat d'assurance.

Elle considère ensuite que les préjudices des époux [C] ne relèvent pas de ses garanties, se prévaut enfin de deux clauses d'exclusion .

- sur l'activité couverte

La société BPCE soutient que le contrat conclu par les époux [C] avec la société Lion ne correspond pas à l'activité déclarée, estime que l'assurée s'est comportée en constructeur.

Il résulte des productions que l'activité déclarée par la société Lion à l'assureur est celle d'agent commercial (Bois et matériaux de construction), agent commercial ( Import-export).

Il est certain que l'agent commercial est un simple mandataire qui n'a pas de clientèle propre et qui est rémunéré par une commission.

S'il peut conclure des actes de vente, il les conclut au nom et pour le compte de producteurs, industriels, commerçants.

Le mandant doit être un professionnel.

Les devis, factures, correspondances produites émanent de la société Lion France Développement Chalet en bois, sans autre précision.

Aucun des contrats ne fait référence à un mandant quelconque, à une commission.

L'immatriculation de la société au RCS mentionne une activité principale d'achat, vente de chalets, maisons en kit, garage.

La société était spécialisée dans la vente à distance sur catalogue spécialisé.

Le contrat litigieux a porté sur la vente d'une maison en kit, contrat conclu entre la société Lion et Mme [C].

S'il est de droit constant que la vente d'éléments préfabriqués et leur édification par une même personne correspond à un contrat de construction de maison individuelle, il en va différemment lorsque le vendeur ne met pas en œuvre et laisse les acheteurs mettre en œuvre.

Il résulte des productions et des écritures que la société Lion ne s'est pas chargée de la construction, s'est seulement engagée à livrer la maison en kit.

Si elle a mis en relation les époux [C] avec des entreprises, ses engagements n'ont porté que sur la vente et la livraison.

Le contrat conclu avec la société Lion est donc un contrat de vente portant sur une maison en kit, contrat qui a été rétracté à la demande des époux [C].

La société BPCE soutient à juste titre que l'activité déclarée d'agent commercial ne correspond pas au contrat qui a été conclu par la société Lion avec Mme [C].

Elle rapporte donc la preuve d'une exception de garantie qui leur est opposable.

Les époux [C] seront donc déboutés de leur action directe.

- sur les fautes de l'assureur

Les époux [C] considèrent que l'assureur est tenu à une obligation de renseignement, de vérification.

Ils soutiennent que l'assureur doit vérifier que la garantie souscrite par l'assuré correspond à l'activité déclarée.

Contrairement à ce qui est affirmé par les appelants, il n' entre pas dans les obligations de l'assureur de vérifier que l'activité déclarée par l'assuré correspond à l'activité exercée.

Cette obligation pèse sur l'assuré qui est seul en mesure de vérifier cette concordance.

Il s'expose à défaut à ne pas être couvert.

Les époux [C] ont de plus admis avoir été destinataires d'une attestation d'assurance qui mentionnait l'activité d'agent commercial, activité sans lien avec les documents contractuels qui leur avaient été remis.

Ils seront également déboutés de leur demande d'indemnisation faute d'établir la faute prétendue.

Le jugement sera donc infirmé.

- sur les autres demandes

Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que « La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...). »

Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens de première instance et d'appel seront fixés à la charge des appelants.

Il est équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

- infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant de nouveau :

- déboute les époux [W] et [E] [C] de leurs demandes dirigées contre la société BPCE Iard

Y ajoutant :

- déboute les parties de leurs autres demandes,

- condamne les époux [C] aux dépens de première instance et d'appel,

- Laisse à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles exposés par elle en première instance et en appel.