CA Douai, ch. 2 sect. 1, 16 novembre 2023, n° 21/03145
DOUAI
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
JPC (SAS)
Défendeur :
Spie ICS (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gilles
Conseillers :
Mme Mimiague, Mme Vanhove
Avocats :
Me Fasquelle, Me Galet, Me Calot-Foutry, Me Mouy, Me Mazo
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 3 mai 2016, la société JPC Evolution, propriétaire d'un réseau de concessions automobiles, a signé avec la société Spie ICS (qui conçoit et installe des systèmes et des infrastructures de télécommunication et assure la maintenance des équipements) un contrat de "refonte de la téléphonie et Call Center", pour un montant de 132900 euros HT, la société Bouygues Telecom étant retenue comme opérateur de télécommunication électronique à la place du précédent opérateur de la société JPC Evolution.
Ce contrat ('contrat principal') prévoyait :
- la mise en place d'un système de téléphonie unique (socle) à compter du 1er octobre 2016 pour l'ensemble des établissements exploités par la société JPC Evolution,
- la mise en place d'une plate-forme centralisée d'émission et de réception des appels (call center) au moyen d'infrastructures et de matériels fournis par la société Spie ICS.
Le 9 novembre 2016 les deux sociétés ont conclu un contrat confiant à la société Spie ICS des prestations de fourniture de matériels (installation de serveurs et de "switchs" ou "commutateurs réseau") pour un montant de 21 060,72 euros HT.
Deux procès-verbaux de réception "partielle" se rapportant au contrat principal ont été signés les 7 et 8 décembre 2016 puis les 7 et 21 mars 2017 et deux procès-verbaux de réception se rapportant au contrat de fourniture de matériel du 9 novembre 2016 ont été signés le 8 décembre 2016 puis le 3 janvier 2017.
En cours d'exécution du contrat principal, des dysfonctionnements ont été constatés, sur l'origine desquels les parties sont en désaccord, et la société Spie ICS a adressé une nouvelle offre acceptée le 27 mars 2017 (mention erronée de l'année 2016 sur le document) par la société JPC Evolution, pour un montant de 144 248,75 euros HT, la société Spie ICS consentant à la société JPC Evolution une remise.
Le même jour, les parties ont signé un contrat de service de maintenance ("contrat de services uniservices marchés privés") moyennant règlement d'une redevance annuelle de 9 530 euros hors taxe à la charge de la société JPC Evolution.
La société JPC Evolution signalant de nouveaux dysfonctionnements lors de la mise en oeuvre des prestations prévues par le document contractuel signé le 27 mars 2017, a notifié à la société Spie ICS, par lettre datée du 6 juin 2017, la résolution de "tout engagement de toute nature" dans un délai de trente jours, se prévalant de manquements graves de celle-ci à ses obligations contractuelles.
Par courrier daté du 8 décembre 2017, envoyé le 15, la société Spie ICS a contesté les manquements reprochés, considérant que les difficultés de mise en oeuvre étaient liées aux liens fournis par l'opérateur de téléphonie et à la mauvaise couverture GSM et incombaient à la société Bouygues Telecom, et que la nouvelle solution de téléphonie mise en place dans le cadre de l' "avenant" du 27 mars 2017 fonctionnait. Elle mettait en demeure la société JPC Evolution de lui régler les sommes dues au titre des contrats.
Le 23 mai 2019, la société Spie ICS a assigné la société JPC Evolution devant le tribunal de commerce d'Arras afin de contester la résolution et de voir condamner la société JPC Evolution au paiement des sommes dues en exécution des contrats.
Par jugement contradictoire du 12 mai 2021, le tribunal a :
- dit et jugé recevable et bien fondée la société Spie ICS en ses demandes,
- dit et jugé que la notification par la société JPC Evolution de la résolution des contrats conclus avec la société Spie ICS est intervenue de manière fautive,
- dit et jugé que, compte tenu de la nature fautive de la résolution par la société JPC Evolution des contrats qu'elle a conclus avec la société Spie ICS, lesdits contrats ont conservé leur force exécutoire,
- condamné la société JPC Evolution à verser la somme de 168 098,50 euros à la société Spie ICS au titre de l'exécution du contrat principal en date du 3 mai 2016 et de son avenant du 27 mars 2017,
- condamné la société JPC Evolution à verser la somme de 68 616 euros à la société Spie ICS au titre de l'exécution du contrat de maintenance en date du 27 mars 2017,
- condamné la société JPC Evolution à verser la somme de 17 370,86 euros à la société Spie ICS au titre de l'exécution du contrat complémentaire du 9 novembre 2016,
- accordé, 'à titre infiniment subsidiaire', à la société JPC Evolution un paiement échelonné à savoir, la société JPC Evolution s'acquittera de sa dette par 12 versements mensuels égaux et consécutifs, le premier ayant lieu dans les 30 jours de la signification du jugement, et que faute pour elle de payer à bonne date une seule des mensualités prévues, la totalité des sommes dues deviendra immédiatement et de plein droit exigible,
- débouté la société JPC Evolution du surplus de ses demandes dirigées à l'encontre de la société Spie ICS,
- condamné la société JPC Evolution à verser à la société Spie ICS la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société Spie ICS du surplus de ses demandes,
- condamné la société JPC Evolution aux entiers dépens de la présente instance en ce compris les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 63,36 euros.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 9 juin 2021, la société JPC Evolution a relevé appel aux fins d'infirmation du jugement déférant à la cour l'ensemble des chefs de celui-ci, à l'exception du chef déboutant la société Spie ICS du surplus de ses demandes.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 3 avril 2023, la société JPC Evolution demande à la cour de :
- la juger recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- débouter la société Spie ICS de toutes ses prétentions,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement,
- à titre principal, juger prescrite l'action engagée par la société Spie ICS,
- à titre subsidiaire, sur le fond :
- juger que le contrat de refonte de la téléphonie et Call Center signé le 3 mai 2016 a été résilié amiablement de la commune intention des parties,
- juger que le contrat de maintenance signé le 3 mai 2016 a été résilié amiablement de la commune intention des parties,
- juger que les engagements signés le 27 mars 2017 constituent les seuls contrats opposables aux parties, soumis à la loi nouvelle issue de la réforme entrée en vigueur le 1er octobre 2016,
- débouter la société Spie ICS de sa demande en paiement au titre de l'exécution des contrats de refonte de la téléphonie et Call Center, de maintenance, et complémentaire,
- la débouter plus généralement de toutes ses demandes,
- à titre infiniment subsidiaire, prononcer la résolution judiciaire des contrats de refonte de la téléphonie et Call Center et de maintenance,
- à titre reconventionnel, et en toute hypothèse,
- condamner la société Spie ICS à payer à lui payer la somme de 163 321,43 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à venir, au titre du préjudice matériel,
- la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à venir, au titre du préjudice d'image,
- la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à venir, au titre du préjudice moral,
- la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers frais et dépens, en ce compris ceux de la présente procédure et de première instance.
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 10 avril 2023, la société Spie ICS demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a dite et jugée recevable et bien fondée en ses demandes, a dit et jugé que la notification de la résolution est intervenue de manière fautive et que les contrats ont conservé leur force exécutoire et a prononcé des condamnations en paiement contre la société JPC Evolution,
y ajoutant,
- dire et juger que l'ensemble des sommes auxquelles la société JPC Evolution sera condamnée sera assorti des intérêts au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorés de 10 points à compter du 8 décembre 2017, date de la mise en demeure,
- débouter la société JPC Evolution de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions formées en cause d'appel,
- la condamner à lui verser, en cause d'appel, une indemnité de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de l'instance d'appel dont distraction au profit de Me Calot-Foutry, avocat, en application de l'article 699 du même code.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.
La clôture de l'instruction est intervenue le 12 avril 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoiries du 11 mai suivant.
MOTIFS
Sur la prescription de l'action de la société Spie ICS.
Il résulte de l'article L. 34-2, alinéa 2, du code des postes et des communications électroniques que la prescription est acquise, au profit de l'usager, pour les sommes dues en paiement des prestations de communications électroniques d'un prestataire exploitant un réseau de communications électroniques ouvert au public ou fournissant au public un service de communications électroniques lorsque celui-ci ne les a pas réclamées dans un délai d'un an courant à compter de la date de leur exigibilité.
L'article L. 32 du même code, dans sa version applicable au litige, précise que l'on entend par communications électroniques les émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d'écrits, d'images ou de sons, par voie électromagnétique.
En l'espèce, les prestations prévues dans les contrats signés le 3 mai 2016 et le 27 mars 2017 consistent en la mise en place d'un système de téléphonie centralisée et d'un call center, à savoir des prestations d'installation, d'équipements et de matériels de télécommunication (systémes d'exploitation permettant le fonctionnement des renvois d'appels, du contrôle de la téléphonie, du serveur d'appel, du routeur, et équipements) qui ne constituent pas des prestations de communications électroniques telles que définies ci-dessus, la fourniture des prestations de communications électroniques étant d'ailleurs assurée en l'espèce par la société Bouygues Telecom.
S'agissant du contrat du 9 novembre 2016, il concerne la fourniture de matériels (serveurs) et non des prestations de communications électroniques.
S'agissant du contrat de maintenance signé le 27 mars 2017, celui-ci prévoit à la charge de la société Spie ICS des prestations de maintenance à distance et sur site, un système d'astreinte et de visites préventives moyennant le règlement d'une redevance annuelle et non la fourniture de prestation de communications électroniques.
Dès lors la prescription de l'article L. 34-2 alinéa 2 n'est pas applicable aux demandes formées au titre de ces trois engagements contractuels et il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a déclaré recevables les demandes de la société JPC Evolution au regard de la prescription, le délai applicable étant de cinq années en vertu de l'article 2224 du code civil ou L. 110-4 du code de commerce.
Sur les demandes en paiement de la société Spie ICS.
- Sur la demande au titre des contrats "refonte de la téléphonie et Call center"
La société JPC Evolution oppose à la demande en paiement la résolution du contrat intervenue à son initiative le 6 juin 2017 en raison des manquements graves de la société Spie ICS, comme le lui permettaient selon elle les dispositions du code civil nouveau, subsidiairement, elle sollicite la résolution judiciaire du contrat.
La cour constate que les exemplaires du contrat initial du 3 mai 2016 communiqués par les parties ne sont pas identiques. Dans la mesure où l'exemplaire communiqué par la société JPC Evolution (édité le 18 avril 2016) n'est pas signé, la cour s'en rapportera uniquement à l'exemplaire versé aux débats par la société Spie ICS (édité le 12 mars 2016) signé et paraphé par la société JPC Evolution.
Le document signé en mars 2017 intitulé "refonte de la téléphonie et call center" correspond à l'émission d'une nouvelle offre par la société Spie ICS. Si cette offre reprend des prestations déjà mises à la charge de la société Spie ICS dans le contrat du 3 mai 2016, pour partie exécutées, elle fixe une nouvelle obligation de délivrance avec des nouveaux délais d'intervention pour la totalité de la prestation (phase 1 et 2 à partir d'avril 2017), portant le coût global de l'opération à 144 248,75 euros avec une remise accordée par la société Spie ICS "pour les surcoûts engendrés par la solution alternative". En outre, s'il est fait référence à l'offre de synthèse référencée DR/GC 20160418 qui a servi de base à l'engagement signé en 2016, elle ne fait pas autrement référence à ce contrat sauf pour en comparer le prix avec la nouvelle solution proposée. Il en résulte que l'engagement signé en 2017, qui reprend l'intégralité de l'opération à la charge de la société Spie ICS, met fins aux obligations des parties fixées dans le premier pour lui en substituer de nouvelles de sorte qu'il ne s'agit pas seulement d'un avenant, comme le soutient la société Spie ICS et l'a retenu le premier juge, mais bien d'un nouveau contrat venant se substituer au premier, soumis dès lors aux règles du nouveau code civil issues de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, entrées en vigueur le 1er octobre 2016 et applicables aux contrats souscrits à partir de cette date.
En application de l'article 1226 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, le créancier d'une obligation contractuelle peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification ; sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable ; la mise en demeure mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat.
Et la cour ne peut alors que constater que la résolution dont se prévaut la société JPC Evolution, par un courrier du 6 juin 2017, est irrégulière dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'une mise en demeure préalable conforme aux exigences posées à cet article. En effet, dans son courrier électronique envoyé le 10 mai 2017 à la société Spie ICS, même comportant un objet intitulé 'mise en demeure', la société JPC Evolution se borne à exposer ses mécontentements et les dysfonctionnements du Call center sur leur site de [Localité 3], à indiquer qu'elle entend rencontrer son avocat 'pour étudier une procédure de résiliation du contrat de vente pour non respect des obligations prévues', qu'elle envisage de réclamer des dommages-intérêts et que son avocat 'tentera avec votre service juridique de trouver la solution la plus équitable pour arrêter au plus vite ce véritable désastre à la fois sur le plan financier et moral', mais ne met pas en demeure la société Spie ICS de se conformer à ses obligations dans un certain délai ni ne mentionne expressément qu'à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, elle sera en droit de résoudre le contrat.
La société JPC Evolution peut toutefois solliciter la résolution judiciaire du contrat sur le fondement de l'article 1224 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance du 10 février 2016, exigeant pour que la résolution puisse être prononcée, une inexécution suffisamment grave.
Sur cette question, la société JPC Evolution ne peut se prévaloir d'un manquement intervenu au cours de la période d'exécution du premier contrat, qu'elle a implicitement renoncé à invoquer en acceptant la nouvelle offre qui avait pour objet d'apporter une "solution palliative", suite aux dysfonctionnements constatés après la mise en oeuvre de ce contrat. Par ailleurs, et contrairement au premier juge, la cour ne tire aucune conséquence des procès-verbaux de réception partielle signés par la société JPC Evolution quant à l'exécution de ses obligations par la société Spie ICS dans la mesure où ils ont été signés avant l'engagement modifiant le cadre d'intervention de la société Spie ICS et alors que celle-ci avait admis l'existence de dysfonctionnements nécessitant de revoir l'ensemble de l'opération. Ils ne peuvent en tout état de cause pas venir établir la complète et la bonne exécution de la société Spie ICS de l'ensemble de ses obligations telles que fixées dans le contrat signé en mars 2017.
Or, il ressort des courriers électroniques échangés par les parties que, si la société Spie ICS avait installé le matériel nécessaire à la mise en place de la solution de téléphonie proposée, de nombreux dysfonctionnements ont été signalés dès le 5 avril 2017 par la société JPC Evolution (problèmes pour le rappel des clients, de fonctionnement du fax, liés aux messages ou musiques d'attente, dans le basculement des appels, pour accéder au call center, pour la gestion du logiciel, pour générer les campagnes d'appel, concernant les appels en numéros masqués, problème de transfert des appels, communications achurées) ; en outre, le 9 mai 2017 la société JPC Evolution demandait à faire le point pour avoir des éclaircissements concernant l'évolution possible de la solution choisie précisant qu'elle rencontrait encore de nombreux dysfonctionnements et ne pouvait notamment pas 'exploiter pleinement' le call center ; le 11 mai elle signalait de nouveaux dysfonctionnements suite à des incidents rapportés par ses agents ; le 18 mai 2017 elle faisait état de dysfonctionnements concernant le basculement des appels sur le call center et le logiciel "Micollab" ; le 23 mai de nouveaux problèmes de fax ; le 1er juin des problèmes de téléphonie sur un des sites (communications coupées, pas de tonalité, impossibilité de recevoir et émettre des appels).
La société Spie ICS soutient que les dysfonctionnements ne sont pas démontrés, ils sont toutefois confirmés par ses propres interventions : dans un courrier électronique du 27 avril 2017 elle informait que ses équipes techniques oeuvraient sur les problèmes non résolus, le 2 mai 2017 elle faisait état de solutions envisagées concernant la problématique des transferts, le 11 mai 2017 elle prévenait d'une intervention "planifiée le 15 mai pour installer et paramétrer six postes fixes et casques filaires au call center afin de pallier l'impossibilité de réaliser des transferts surpervisés à partir des softphones", elle évoquait aussi un nouveau "paramétrage" ; le 12 mai elle indiquait "le problème MiCollab est traité par notre centre de services pour une résolution au plus tôt" et "concernant les coupures liées à l'opérateur, nous échangeons encore avec Bouygues Télécom pour nous assurer que la source du problème est bien identifiée et traitée (ou en cours de traitement)".
Il ne résulte par ailleurs pas des pièces communiquées que les nombreux dysfonctionnements seraient liés à la défaillance de l'opérateur Bouygues Telecom.
Enfin, il ressort des éléments versés aux débats que la société Spie ICS ne s'est plus manifestée après le 6 juin 2017, alors même qu'elle soutient que le courrier de résiliation adressé à cette date par la société JPC était sans effet, et elle ne vient pas démontrer qu'elle a achevé l'exécution de ses obligations, ou à tout le moins aurait tenté de s'exécuter et en aurait été empêchée, et qu'elle aurait mis fin aux dysfonctionnements constatés, avant de se manifester au mois de décembre pour demander le paiement du prix. La société Spie ICS n'a d'ailleurs jamais proposé de faire régulariser de procès-verbal de réception final concernant l'ensemble des prestations prévues au contrat.
Dans la mesure où la société JPC Evolution n'a jamais pu bénéficier d'un système intégralement installé et fonctionnant de manière satisfaisante, l'inexécution reprochée à la société Spie ICS est suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat. En conséquence cette dernière est mal fondée à venir réclamer le paiement du prix, sa demande sera rejetée et le jugement entrepris réformé en conséquence.
- Sur la demande au titre du contrat de maintenance,
La résolution du contrat principal, qui fait référence à l'offre de service de maintenance, rend sans objet ledit contrat, qui prévoit le démarrage des prestations "à la mise en service" et dont la société Spie ICS ne démontre d'ailleurs pas qu'elle l'aurait exécuté, même si elle a émis une facture, ses différentes interventions se rattachant à la mise en oeuvre du contrat principal. Il convient dès lors de prononcer la résolution de ce contrat et, en infirmant le jugement sur ce point, de rejeter la demande formée par la société Spie ICS à ce titre.
- Sur la demande au titre du contrat du 9 novembre 2016,
Ce contrat signé le 9 novembre 2016 prévoyait la fourniture de matériel pour un montant de 21 060,14 euros HT (25 272,86 TTC).
Aucune résolution n'est intervenue à l'initiative des parties et la demande de résolution judiciaire ne concerne pas ce contrat, étant relevé que la société JPC Evolution indique elle-même que ce contrat n'est pas lié au contrat principal.
Les deux procès-verbaux de réception signés par les parties portent la mention selon laquelle la réception est acceptée sans réserve. La société Spie ICS a émis une facture en date du 8 décembre 2016 pour un montant de 14 475,72 euros HT (17 370,86 euros TTC) et une facture en date du 22 février 2017 pour un montant de 6 585 euros HT (7 902 euros TTC), soit un total TTC correspondant au montant du contrat.
La société JPC Evolution expose que de nouveaux problèmes sont apparus quant aux prestations commandées le 9 novembre 2016 sans apporter d'élément pour le démontrer.
Il en résulte que le contrat a été exécuté et la société JPC Evolution ne vient ni démontrer une inexécution fautive de la part de la société Spie ICS ni qu'elle a réglé l'intégralité des sommes dues.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à la demande de la société Spie ICS à ce titre, sauf à prévoir que cette condamnation portera intérêt au taux égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorés de dix points à compter du 8 décembre 2017, date de la mise en demeure.
Sur les demandes de dommages-intérêts de la société JPC Evolution,
Selon l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :
- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation,
- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation,
- obtenir une réduction du prix,
- provoquer la résolution du contrat,
- demander réparation des conséquences de l'inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.
La société Spie ICS oppose à la société JPC Evolution la clause limitative de responsabilité du contrat de service de ses conditions générales qui stipulent :
article 13 : responsabilité - assurance :
13.1 - la responsabilité du Prestataire est limitée aux dommages matériels directs subis par le Client et dus à la seule faute du Prestataire dans le cadre du Contrat. Le Prestataire ne pourra en aucun cas être tenu responsable de tout dommage subi par un tiers (à l'exception des dommages corporels) ni de tout dommage indirect subi par le Client, ni de tout préjudice commercial ou trouble commercial quelconque, perte de bénéfice, perte de commande, perte d'économie escomptées, perte d'exploitation, perte d'image, perte de trafic.
La société JPC Evolution conclut à la non application de cette clause à raison de son caractère abusif en application des articles 1171 du code civil, qui, dans sa version issue de l'ordonnance du 10 février 2016, dispose que dans un contrat d'adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
Elle invoque également les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce, relatif aux pratiques restrictives de concurrence, selon lesquelles, dans leur version applicable au litige :
I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
L'article L. 442-6 du code de commerce ne 'complète' pas les dispositions du code civil comme le soutient la société JPC Evolution et leur application n'est pas cumulative ; l'article 1171 du code civil ne s'applique aux contrats conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers que lorsqu'ils ne relèvent pas de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce (Com., 26 janvier 2022, pourvoi n° 20-16.782).
Or en l'espèce, le contrat de refonte de la téléphonie et de mise en place d'un centre d'appel ainsi que le contrat de maintenance concernant cette installation procèdent d'une relation commerciale entre les deux parties qui peuvent dès lors être qualifiées de partenaires commerciaux de sorte qu'ils relèvent des dispositions du code de commerce, ce qui exclut l'application des dispositions du code civil.
Deux conditions cumulatives doivent être réunies pour caractériser une pratique restrictive de concurrence prohibée en vertu de l'article L. 442-6, à savoir :
- la soumission ou la tentative de soumission, qui suppose l'existence d'un rapport de force entre les contractants ayant permis à l'un d'eux de soumettre ou de tenter de soumettre son partenaire commercial, lors de la conclusion du contrat, à des obligations manifestement déséquilibrées,
- l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif, qui résultent de leur caractère illégitime, de la disproportion entre les droits et obligations des parties, de l'absence de contrepartie ou de l'absence de rééquilibrage de la situation.
La société JPC Evolution soutient que la clause ayant pour objet de réduire le droit à réparation en cas de manquement d'un cocontractant à ses obligations serait présumée abusive, mais elle invoque une jurisprudence applicable aux clauses abusives dans les contrats entre professionnels et consommateur, qui n'a pas été étendue, contrairement à ce qu'elle soutient, aux contrats entre professionnels et qui n'est pas applicable dans le cadre des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce.
Par ailleurs, la société JPC Evolution se borne à soutenir que la clause créée un déséquilibre significatif mais ne vient pas caractériser, notamment au regard du marché et du type de contrat et aux contextes de la négociation, la condition relative à la soumission, alors même que la société Spie ICS soulève cette difficulté.
Dès lors la société Spie ICS est bien fondée à se prévaloir de la clause litigieuse.
En premier lieu la société JPC Evolution sollicite l'indemnisation de son préjudice matériel, pour un total de 163 321,43 euros :
- investissement dans un nouveau siège social et l'ouverture de nouveaux points de vente,
- mise en place d'un centre d'appel,
- investissements marketing et publicitaires (44 000 HT en communication),
- recrutement de personnel (30 821,43 euros supportés en charges patronales et salariales au 31mai 2017),
- perte de gains du fait de l'impossibilité de joindre les ateliers et concessions pendant plus de cinq mois,
- perte de marge atelier mécanique au premier trimestre 2017 (45 000 euros),
- perte de marge vente de véhicule du premier trimestre 2017 (43 500 euros),
toutefois l'indemnisation de ces préjudices est exclue par la clause limitative de responsabilité s'agissant, soit de préjudice indirects (préjudice au titre des investissements matériels et humains), soit de préjudice commercial ou lié à une perte de bénéfice, comme le préjudice d'image 'du fait des dysfonctionnements' sollicité par ailleurs par la société JCP Évolution, étant relevé en tout état de cause qu'elle ne communique aucun élément pour justifier de ces préjudices et les chiffrer.
En revanche, la société JPC Evolution subit un préjudice moral, directement lié aux manquements de la société Spie ICS à raison de la désorganisation générale du groupe, du temps passé à remédier aux différents problèmes et à mettre en place une nouvelle solution et du stress subi par ses équipes qui sera réparé par l'attribution d'une somme de 10 000 euros.
Sur les demandes accessoires,
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, il convient d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, de mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Spie ICS et d'allouer à la société JPC Evolution la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ce qu'il a dit recevable la société Spie ICS en ses demandes et en ce qu'il a condamné la société JPC Evolution à lui verser la somme de 17 370,86 euros au titre de l'exécution du contrat complémentaire en date du 9 novembre 2016 ;
Infirme le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que la condamnation au paiement de la somme de 17 370,86 euros au profit de la société Spie ICS portera intérêt au taux égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorés de dix points à compter du 8 décembre 2017 ;
Prononce la résolution judiciaire du contrat refonte de la téléphonie et Call center du 27 mars 2017 et du contrat de maintenance du 27 mars 2017 ;
Condamne la société Spie ICS à payer à la société JPC Evolution la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Déboute la société Spie ICS de ses demandes de dommages-intérêts au titre du préjudice matériel et du préjudice d'image ;
Condamne la société Spie ICS à payer à la société JPC Evolution la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société JPC Evolution aux dépens de première instance et d'appel.