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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 22 novembre 2023, n° 21/05608

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Wago GMBH & CO. KG (Sté), WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT MIT BESCHRÄNKTER HAFT UNG (Sté), Wago Contact (SAS)

Défendeur :

Polynix (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Douillet

Conseillers :

Mme Barutel, Mme Bohee

Avocats :

Me Lefort, Me Lachacinski

TGI Paris, du 29 mars 2019, n° 17/04304

29 mars 2019

EXPOSE DU LITIGE

Les sociétés de droit allemand WAGO (précédemment WAGO KONTAKTTECHNIK) et WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT et la société française WAGO CONTACT (ci-après, ensemble, les sociétés WAGO) appartiennent au groupe WAGO, une entreprise familiale allemande fondée en 1951, et leader mondial dans le domaine de la connectique à ressort et des techniques d'automatisation.

Le groupe WAGO conçoit des connecteurs proposant un système de serrage par ressort ou levier. Il conçoit, fabrique et commercialise notamment des mini-bornes de raccordement universelles à levier composées de 2, 3 ou 5 entrées dans une gamme dite série 221.

La société holding WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT (ci-après, la société WAGO Holding) est titulaire :

- du dessin et modèle communautaire n° 002349092-0004 déposé le 20 novembre 2013 et enregistré le 25 avril 2014, couvrant les connecteurs à 2 entrées :

- du dessin et modèle communautaire n° 002349092-0005 déposé le 20 novembre 2013 et enregistré le 25 avril 2014, couvrant les connecteurs à 3 entrées :

- du dessin et modèle communautaire n° 002349092-0006 déposé le 20 novembre 2013 et enregistré le 25 avril 2014, couvrant les connecteurs à 5 entrées :

La société WAGO (précédemment WAGO KONTAKTTECHNIK) assure la distribution exclusive de ces connecteurs et la société WAGO CONTACT leur commercialisation en France.

La société MIIDEX (aux droits de laquelle vient, en appel, la société POLYNIX, à la suite d'une transmission universelle du patrimoine) est une société française immatriculée en 2008, dont l'activité porte sur la distribution en gros de composants et d'équipements électroniques et de télécommunication. Elle intervient notamment sur le marché des compatibles.

La société MIIDEX (POLYNIX) commercialise des connecteurs électriques sous sa marque française semi-figurative « VISION-EL ».

Les sociétés WAGO, ayant appris que la société MIIDEX importait, offrait à la vente et vendait en France des connecteurs avec 2, 3 ou 5 entrées, reproduisant selon elles, les caractéristiques de leurs modèles, l'ont mise en demeure, le 8 novembre 2016, puis le 22 décembre 2016, de cesser ces agissements, de communiquer des informations commerciales afférentes à ces produits et de les indemniser de leur préjudice commercial et d'image, ce à quoi la société MIIDEX s'est opposée en contestant les droits des sociétés WAGO.

Les sociétés WAGO ont fait procéder les 1er et 15 mars 2017 à un procès-verbal de constat d'achat sur le site internet amazon.fr de deux produits, puis elles ont assigné la société MIIDEX devant le tribunal de grande instance de Paris, par acte du 17 mars 2017, en contrefaçon de droit d'auteur et de modèles communautaires ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire.

Par un jugement du 29 mars 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré nuls les modèles communautaires n° 00249092-004, n° 00249092-005 et n° 00249092-006 appartenant à la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT MBH,

- dit que les connecteurs à deux, trois et cinq entrées ne sont pas protégeables au titre du droit d'auteur,

- débouté la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT de ses prétentions au titre des dessins et modèles communautaires et au titre du droit d'auteur,

- dit le procès-verbal des 1er et 15 mars 2017 dépourvu de force probante,

- dit que la société MIIDEX a, en commercialisant en France des connecteurs à deux, trois et 5 entrées similaires, commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, au préjudice des sociétés WAGO,

- fait interdiction à la société MIIDEX de poursuivre de tels actes illicites en France, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée, passé le délai d'un mois après la signification de la présente ordonnance,

- dit que le tribunal se réservait la liquidation des astreintes,

- ordonné la confiscation des connecteurs illicites détenus par la société MIIDEX, sur le territoire français aux fins de leur destruction aux frais avancés de la société MIIDEX,

- rejeté la demande de désignation d'un expert aux fins de détermination du préjudice,

- constaté que la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT [holding] n'a formé aucune réclamation en réparation de son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale,

- débouté la société WAGO KONTAKTTECHNIK [désormais WAGO] et la société WAGO CONTACT de leur prétentions respectives en indemnisation de leur préjudice résultant des actes de concurrence déloyale,

- dit n'y avoir lieu à publication du jugement,

- condamné la société MIIDEX aux dépens avec le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile,

- condamné la société MIIDEX à payer à chacune des trois sociétés WAGO la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Le 23 mars 2021, les sociétés WAGO ont interjeté appel de ce jugement.

La société POLYNIX (venant aux droits de la société MIIDEX) a saisi le magistrat chargé de la mise en état d'un incident tendant à voir juger irrecevables les prétentions formulées par la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT (holding) au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme comme présentées pour la première fois en cause d'appel.

Par une ordonnance du 12 octobre 2021, le magistrat chargé de la mise en état a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société POLYNIX,

- condamné la société POLYNIX aux dépens de l'incident,

- débouté les sociétés WAGO de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Cette ordonnance a été confirmée par arrêt de cette cour du 6 avril 2022 statuant sur le déféré formé par la société POLYNIX.

Dans leurs dernières conclusions numérotées 4, transmises le 3 avril 2023, les sociétés WAGO, appelantes, demandent à la cour de :

Vu notamment les Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle et plus particulièrement les articles L. 111-1 et suivants, L. 112-1 et s., L. 335-2, L.335-3 et suivants, L. 521-1 et suivants,

Vu les dispositions du Règlement (CE) n° 06/2002 et plus particulièrement les articles 19 et suivants,

Vu l'article 1240 du code civil,

- déclarer forclos l'appel incident de POLYNIX tendant à faire déclarer irrecevable la demande en concurrence déloyale et parasitaire des sociétés WAGO,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- fait interdiction à la société MIIDEX de commercialiser en France, des connecteurs à deux, trois et cinq entrées similaires à ceux de WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée, passé le délai d'un mois après la signification du présent jugement,

- dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes,

- ordonné la confiscation des connecteurs illicites détenus par la société MIIDEX, sur le territoire français aux fins de leur destruction aux frais avancés de la société MIIDEX,

- condamné la société MIIDEX à payer à chacune des sociétés WAGO la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société MIIDEX aux dépens,

- autorisé la SCP Duclos, Thorne, Mollet-Viéville & Associés, avocat, à recouvrer directement contre la société MIIDEX ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans en avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- statuer à nouveau et :

- juger que WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT est titulaire de droits d'auteur sur les connecteurs WAGO de la série 221,

- juger que les dessins et modèles communautaires n° 002349092-0004 ; 002349092-0005 et 002349092-0006 sont valables,

- juger que les importations, offre en vente, présentation, mise sur le marché, détention et commercialisation par la société MIIDEX des connecteurs électriques VISION-EL à deux, trois ou cinq entrées constituent des actes de contrefaçon de droits d'auteur et de modèles communautaires au préjudice des sociétés WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT, WAGO et WAGO CONTACT,

- en conséquence :

- condamner la société POLYNIX à payer aux sociétés WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT, WAGO et WAGO CONTACT la somme de 100 000 euros au titre des conséquences économiques négatives du fait des atteintes aux droits d'auteur et de modèles sur les connecteurs WAGO 221,

- condamner la société POLYNIX à payer à la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral du fait des atteintes à ses droits d'auteur et de modèles sur les connecteurs WAGO 221 ;

- de condamner la société POLYNIX à payer à la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT la somme de 50 000 euros au titre des bénéfices indus réalisés par cette dernière ;

- subsidiairement :

- juger que la société MIIDEX, en commercialisant en France, des connecteurs à deux, trois et cinq entrées similaires, a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, au préjudice des sociétés WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT, WAGO et WAGO CONTACT,

- condamner la société POLYNIX venant aux droits de MIIDEX à payer à chacune des sociétés WAGO la somme de 50 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

- en tout état de cause :

- juger valable et probant le constat d'achat d'huissier des 1er et 15 mars 2017,

- ordonner, à titre de complément de dommages-intérêts, la publication de l'arrêt à intervenir dans trois (3) journaux ou périodiques au choix des sociétés WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT, WAGO et WAGO CONTACT, et aux frais avancés de la société POLYNIX, dans la limite d'un budget de 3 000 euros HT par publication,

- ordonner la publication permanente du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil du site Internet MIIDEX.com, pendant 3 mois, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,

- dire que ces publications devront s'afficher de façon visible en lettres de taille suffisante, aux frais de la société POLYNIX, en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée, dans un encadré de 468x120 pixels : le texte qui devra s'afficher en partie haute et immédiatement visible de la page d'accueil devant être précédé du titre AVERTISSEMENT JUDICIAIRE en lettres capitales et gros caractères,

- dire que les condamnations porteront sur tous les faits illicites commis jusqu'au jour du prononcé de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société POLYNIX à payer aux sociétés WAGO la somme de 10 000 euros à chacune à titre de remboursement des peines et soins du procès, conformément à l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3, transmises le 11 avril 2023, la société POLYNIX (venant aux droits de la société MIIDEX), intimée, demande à la cour de :

Vu les articles 3, 4, 7 et 8 du Règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires,

Vu les articles L. 111-1 et suivants, L. 112-1 et suivants, L. 335-3 et suivants, L. 511-1 et L. 521-1 du code de la propriété intellectuelle,

Vu les articles 1240, 2231 et 2241 du code civil,

Vu l'article 9 et 699 et suivants du code de procédure civile,

Vu le principe Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a :

- dit que la société MIIDEX aurait commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice des sociétés WAGO,

- prononcé une mesure d'interdiction sous astreinte de poursuivre de tels actes en France et s'est réservé la liquidation des astreintes,

- ordonné la confiscation des connecteurs illicites « et allant acheter par un manchot un » (sic),

- condamné la société MIIDEX aux dépens ainsi qu'à payer à chacune des sociétés WAGO la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- recevoir la société POLYNIX (venant aux droits de la société MIIDEX) en toutes ses demandes et les dire recevables et bien fondées,

- débouter les sociétés WAGO de l'ensemble de leurs demandes et les dire tant irrecevables que mal fondées,

- en conséquence, statuant à nouveau,

- écarter des débats les pièces adverses n° 16 et 19 ou, à tout le moins, les dire dépourvues de force probante,

- écarter l'exception de forclusion soulevée par les sociétés WAGO,

- prononcer la nullité des modèles communautaires n° 00249092-0004, 00249092-0005 et 00249092-0006 de la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT,

- juger que la société MIIDEX n'a commis aucun acte de contrefaçon des modèles communautaires n° 00249092-0004, 00249092-0005 et 00249092-0006 au préjudice de la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT,

- juger que la société MIIDEX n'a commis aucune atteinte aux droits d'auteur revendiqués par la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT,

- juger que la société MIIDEX n'a commis aucun acte de concurrence déloyale et de parasitisme au préjudice des sociétés WAGO,

- débouter les sociétés WAGO de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires à l'encontre de la société MIIDEX (devenue POLYNIX) sur le fondement du droit d'auteur, des dessins et modèles et de la concurrence déloyale et du parasitisme,

- condamner solidairement les sociétés WAGO à payer, chacune, à la société POLYNIX la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement les sociétés WAGO aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP NFALAW, conformément aux articles 699 et suivants du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la valeur probante du constat d'achat d'huissier des 1er et 15 mars 2017

Les sociétés WAGO soutiennent que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le constat d'achat d'huissier est valable, l'achat et la réception du produit par le tiers acheteur étant parfaitement conformes au produit présenté sur l'annonce présentée sur le site internet Amazon.fr.

La société POLYNIX répond que le procès-verbal de constat doit être écarté des débats et, en tout état de cause, considéré comme dépourvu de toute force probante dès lors que le revendeur en ligne (REVENERGIE) est un tiers à la procédure, que l'email de confirmation de la commande du 1er mars qui aurait dû être adressé au tiers acheteur par le vendeur n'a pas été annexé au procès-verbal, qu'aucun des éléments du procès-verbal ne permet d'établir que le pli qui a été ouvert par l'huissier de justice correspond bien à l'acte d'achat réalisé en ligne en l'absence d'un bon de livraison contenu dans le colis et portant une référence de commande.

Ceci étant exposé, la cour constate qu'il ressort du constat d'achat d'huissier de justice effectué sur le site marchand Amazon le 1er mars 2017 qu'étaient offerts à la vente des connecteurs comportant la marque « VISION EL », dont il n'est pas contesté qu'elle est celle de la société POLYNIX (précédemment MIIDEX), que le tiers acheteur a procédé à l'achat d'un « lot de 5 WAGO 3 bornes » au prix de 4,99 €, ainsi que d'un « lot de 5 WAGO 2 bornes » au prix de 3,99 €, que les photographies de ces deux articles figurent au procès-verbal, que le 15 mars 2017, le même huissier de justice a constaté que le tiers acheteur lui a remis un pli fermé portant l'adresse dudit tiers acheteur et qu'à l'ouverture du pli, à laquelle il a procédé personnellement, l'huissier a extrait deux articles, dont les photographies figurent au constat, qui correspondent visuellement exactement aux deux articles précédemment commandés par le tiers acheteur, revêtus de la marque « VISION EL » de la société POLYNIX (pièce 19).

Il se déduit de ces constatations, avec un degré de certitude suffisant, que les deux produits contenus dans le pli ouvert par l'huissier de justice le 15 mars 2017 sont ceux qui ont été commandés par le tiers acheteur en présence du même huissier le 1er mars, l'identité du revendeur, effectivement tiers à la présente procédure, étant sans incidence sur la validité et la force probante du procès-verbal de constat d'achat sur internet produit en pièce 19 par les appelantes.

Le jugement sera dès lors infirmé en ce qu'il a dit ce procès-verbal dépourvu de force probante.

La demande de la société POLYNIX, nullement explicitée, de voir rejeter ou considérer comme dénuée de force probante la pièce 16 des sociétés WAGO, qui consiste en des copies d'écran extraites du site miidex.com, sera par ailleurs rejetée.

Sur les demandes principales des sociétés WAGO fondées sur la contrefaçon,

Sur la contrefaçon de droits d'auteur,

Les sociétés WAGO soutiennent que la société WAGO Holding est titulaire de droit d'auteur sur les connecteurs ; que ceux-ci sont éligibles à la protection par le droit d'auteur du fait de leur originalité, laquelle n'est nullement exclue en raison du fait qu'il s'agit de créations industrielles devant répondre à certaines exigences techniques ; que d'autres caractéristiques de ces connecteurs ont en effet été spécifiquement choisies dans un but d'amélioration de l'aspect esthétique du produit (boîtier intégralement transparent et compact ; leviers de couleur fluorescente etc.) ; que ces caractéristiques relèvent d'un parti pris esthétique et sont dès lors originales ; que la société MIIDEX, aujourd'hui POLYNIX, a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur en reproduisant les caractéristiques essentielles des connecteurs.

La société POLYNIX oppose que la société WAGO Holding ne justifie pas de la titularité de ses droits sur les connecteurs, ne communiquant aucune pièce permettant de constater la commercialisation des connecteurs électriques WAGO litigieux pour son compte et sous son nom, de façon non équivoque sur le territoire français, de sorte qu'elle ne peut prétendre bénéficier de la présomption prétorienne de titularité, alors qu'il ressort du dossier que seule la société française WAGO CONTACT serait en charge de leur commercialisation sur le territoire français ; que comme l'a jugé le tribunal, les connecteurs WAGO ne sont pas originaux.

Ceci étant exposé, conformément à l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. En application de l'article L. 112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable.

Néanmoins, lorsque l'originalité d'une œuvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d'auteur de caractériser l'originalité de l'œuvre revendiquée, c'est à dire de justifier de ce que cette œuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.

En l'espèce, les sociétés WAGO définissent ainsi qu'il suit la combinaison des caractéristiques originales des connecteurs revendiqués :

« - le boitier isolant est transparent et plat, rectangulaire et a des bords arrondis, en particulier dans la zone supérieure,

- les leviers d'actionnements larges, plats et colorés sont montés affleurant à la partie supérieure du boîtier isolant et recouvrent la partie avant de la partie supérieure du boîtier isolant,

- le levier arrondi sur l'avant, se dresse vers l'avant légèrement au-delà du boitier d'isolation,

- les leviers d'actionnements présentent globalement une forme en U, dans laquelle une partie du boîtier isolant s'insère, créant l'impression de « petites fenêtres » entre les pattes des leviers d'actionnement,

- les boîtiers présentent chacun, sur leurs faces arrière et avant des ouvertures d'insertion pour conducteur/câble et pour vérification, qui sont chacune de forme rectangulaire avec des bords arrondis ».

Elles ajoutent que les connecteurs comportent une forme compacte et harmonieuse aux courbes épurées qui se caractérise par la présence de leviers d'actionnement de couleur vive et acidulée en contraste avec la transparence d'une partie du matériau ; que l'esthétique toute particulière des connecteur WAGO est d'ailleurs reconnue par le public (article extrait du site internet www.filiere-3e.fr indiquant que « L'esthétique n'est pas sacrifiée pour autant. Les nouveaux connecteurs, miniaturisés, courbes épurées, à la fois transparents et colorés façon bonbons acidulés, auraient leur place dans un musée d'art contemporain ! Ultime hommage, dans la profession on ne parle plus de borne pour boîte de dérivation mais de « Wago ») et que des artistes n'hésitent pas à créer des œuvres d'art à partir des connecteurs WAGO.

Si l'esthétique n'est pas absente des connecteurs WAGO, ainsi qu'il est relevé dans l'article extrait du site www.filiere-3e.fr fourni par les appelantes, le choix de boîtiers transparents et de leviers aux bords arrondis et de couleur vive ne peut cependant suffire à traduire l'empreinte de la personnalité d'un auteur qui rendrait ces connecteurs originaux et protégeables par le droit d'auteur. La circonstance qu'un créateur aurait réalisé un luminaire avec des pièces industrielles, dont des connecteurs électriques, à supposer qu'il s'agisse des connecteurs WAGO revendiqués, ce que la pièce 31 produite ne permet pas de vérifier, ne peut suffire à caractériser l'originalité alléguée.

Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a dit que les connecteurs WAGO ne sont pas protégeables par le droit d'auteur et débouté la société WAGO Holding de ses prétentions présentées à ce titre, et ce, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'argumentation des parties relative à la titularité des droits d'auteurs revendiqués.

Sur la contrefaçon de modèles communautaires,

Les sociétés WAGO soutiennent que leurs modèles communautaires sont valides. Elles font valoir que l'auto-divulgation, invoquée en appel par la société POLYNIX, n'est pas réalisée et ne saurait résulter de l'attestation de chiffre d'affaires qu'elle a fournie pour justifier son préjudice économique sur la période non prescrite correspondant aux 5 années précédant l'assignation et qui ne peut être considéré comme un aveu de ce que les connecteurs WAGO de la série 221 auraient été commercialisés avant le 20 novembre 2012, soit plus d'un an avant le dépôt (20 novembre 2013) ; que la première divulgation des connecteurs 221 au public remonte à 2014, comme le démontrent les attestations et la première facture de ces connecteurs qu'elle verse au débat ; que la nouveauté et le caractère individuel des connecteurs WAGO résultent de la combinaison de caractéristiques qui ne sont pas imposées par la fonction technique du produit et permettent à ces modèles de se distinguer très nettement de ceux de la concurrence, ce qui est confirmé par le fait que l'intimée n'est parvenue à produire aucune antériorité ; que cette nouveauté et ce caractère individuel ont d'ailleurs été reconnus par le juge allemand ; que contrairement à ce que le tribunal a jugé, les connecteurs ne font pas partie d'un produit complexe au sens de l'article 3 du règlement 6/2002, ne constituant la pièce détachée ou de rechange d'aucun produit complexe clairement identifié, matériellement perceptible, mais un produit unique, indépendant ayant une finalité en soi et doté d'un aspect esthétique qui lui est propre ; qu'ainsi, dans une affaire très proche du cas d'espèce, le tribunal de l'Union européenne a conclu que l'électrode d'une lampe torche constitue un produit distinct et non une partie d'un produit complexe ; qu'en réalité, le connecteur WAGO a de multiples applications possibles puisque, bien que sa fonction, commune à chaque application, consiste à créer un circuit d'alimentation afin de réaliser une installation électrique, les conditions dans l'installation électrique est réalisée restent des questions complètement ouvertes avec de multiples solutions possibles ; que le tribunal a retenu que les connecteurs étaient des pièces d'un produit complexe mais sans pour autant préciser de quel produit complexe il s'agit, se contentant seulement de viser les « circuits électriques » alors qu'il existe autant de circuits électriques que d'installations électriques ou de produits fonctionnant à l'aide de l'électricité ; que par conséquent la condition de visibilité de l'article 4-2 du règlement n'est pas applicable ; qu'en tout état de cause, les connecteurs WAGO restent visibles lors d'une utilisation normale ; qu'en vertu des articles 25 et 26 de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), l'article 4§2 du règlement (CE) n°06/2002, en tant que disposition d'exception, doit être d'application stricte ; que par conséquent, toute utilisation concevable des connecteurs doit être considérée comme une utilisation normale, aucune utilisation normale ne pouvant être envisagée de façon générale et abstraite ; qu'ainsi, l'usage normal d'un circuit électrique ne se limite pas au secteur des habitations individuelles mais concerne aussi les secteurs industriels et tertiaires dans lesquels l'usage normal d'un circuit électrique est au contraire un usage apparent ; qu'il existe en outre sur le marché nombre d'armoire de distribution, de tableaux électriques et de boîtes de jonction avec une porte vitrée et donc transparente ; que les utilisations visibles des connecteurs WAGO sont parfaitement conformes aux normes de sécurité, outre que la conformité d'une « utilisation normale » au sens de l'article 4§2 du Règlement aux normes de sécurité n'est pas une condition posée par le règlement ou la jurisprudence ; qu'au demeurant, le fait que les connecteurs invoqués remplissent le critère de visibilité résulte de leur apparence même, laquelle n'aurait pas été autant travaillée par WAGO, impliquant des coûts de recherche, de développement et de fabrication importants, si les produits n'avaient pas pour objet, dans la grande majorité des cas, d'être visibles pour le public.

La société POLYNIX répond que les connecteurs ne sont pas protégeables au titre des dessins et modèles. Elle fait valoir que la série 221 a été divulguée plus de 6 mois avant son dépôt, les dirigeant de WAGO CONTACT attestant que la commercialisation a débuté en France en 2012 ; que les attestations contraires sont sans force probante, émanant de personnes ne démontrant pas la réalité des fonctions qu'elles disent avoir occupées au sein de WAGO ; que le droit des dessins et modèles a uniquement vocation à protéger l'apparence d'un produit, non pas le produit lui-même ou sa fonction technique ; que les termes utilisés par WAGO pour décrire la nouveauté et le caractère individuel sont vagues, banals, imprécis et dénués de toute référence esthétique ; que les connecteurs s'intègrent dans un produit complexe au sens du règlement et de la jurisprudence dès lors qu'un connecteur pris isolément n'a jamais aucune utilité, la fonction d'un connecteur étant de transmettre le courant dans le cadre d'une installation électrique isolée ; que les propres directives de l'EUIPO citent précisément le connecteur électrique comme exemple de "pièce normalement incorporée dans un boîtier" ; que le produit complexe en cause peut être aussi bien un boîtier électrique qu'une armoire de distribution sans qu'il soit nécessaire de le définir plus précisément ; que les connecteurs électriques ne sont pas visibles dans le cadre d'une utilisation normale ; que par "utilisation normale", on entend l'utilisation par l'utilisateur final, à l'exception de l'entretien, du service ou de la réparation (article 4.3 du règlement) ; que pour des raisons de sécurité évidentes, les connecteurs électriques, destinés à des utilisateurs finaux, non professionnels, ne peuvent être laissés apparents mais doivent être isolés et donc enfermés dans une armoire ou un boîtier et ne remplissent donc pas la condition de visibilité ; qu'en tout état de cause, les usages illustrés par les pièces adverses montrent que la forme des connecteurs n'est jamais visible intégralement.

Ceci étant exposé, l'article 4 (« Conditions de protection ») du règlement (CE) 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires dispose :

« 1. La protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n'est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel.

2. Un dessin ou modèle appliqué à un produit ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d'un produit complexe n'est considéré comme nouveau et présentant un caractère individuel que dans la mesure où :

a) la pièce, une fois incorporée dans le produit complexe, reste visible lors d'une utilisation normale de ce produit, et

b) les caractéristiques visibles de la pièce remplissent en tant que telles les conditions de nouveauté et de caractère individuel.

3. Par « utilisation normale » au sens du paragraphe 2, point a), on entend l'utilisation par l'utilisateur final, à l'exception de l'entretien, du service ou de la réparation.

L'article 3 du même règlement précise que : « Aux fins du présent règlement, on entend par : (') c) "produit complexe": un produit se composant de pièces multiples qui peuvent être remplacées de manière à permettre le démontage et le remontage du produit ».

Pour soutenir que les modèles déposés le 20 novembre 2013 ont fait l'objet d'une divulgation destructrice de nouveauté, la société POLYNIX invoque en appel l'attestation, produite par les sociétés WAGO (leur pièce 70), du directeur général et du directeur administratif et financier de la société WAGO CONTACT qui certifient, le 5 novembre 2021, que cette dernière société a réalisé « un chiffre d'affaires de plusieurs millions d'euros en France depuis 2012 avec la vente des connecteurs 221 en litige ».

Cependant, les sociétés WAGO expliquent que cette attestation ne visait qu'à donner un ordre de grandeur du chiffre d'affaires réalisé sur la période de 5 ans non prescrite précédant l'assignation (17 mars 2017) et fournissent également les témoignages du « business development manager » et du vice-président « Ventes excellence » de la société WAGO KONTAKTTECHNIK (aujourd'hui WAGO) et du directeur général de la société WAGO CONTACT (rédacteur de l'attestation du 5 novembre 2021), desquels il ressort que les connecteurs 221 ont été présentés pour la première fois au public lors du salon « Light + Building » en avril 2014 à Francfort-sur-le-Main, les produits ayant auparavant été tenus secrets, puis commercialisés pour la première fois à l'automne 2014 en Allemagne et en avril 2015 en France. Au vu de ces éléments, il ne peut être considéré que les modèles ont été divulgués dans des conditions les privant de nouveauté.

Cependant, c'est à juste raison que le tribunal a retenu que les connecteurs 221 WAGO constituent des pièces destinées à être incorporées à des produits complexes au sens des articles 3 et 4 § 2 du règlement précité, à savoir des circuits électriques comme l'ont précisé les premiers juges, dès lors que s'ils sont commercialisés séparément et ont une vie économique distincte du circuit électrique, ils ne peuvent être utilisés séparément et de manière indépendante étant alors dépourvus de tout effet et de toute fonction. En outre, l'intimée relève pertinemment que les directives relatives à l'examen des dessins et modèles communautaires enregistrés « Examen des demandes en nullité de dessins ou modèles (version du 1er octobre 2017) » de l'EUIPO citent le connecteur électrique précisément comme exemple de pièce normalement incorporée dans un boîtier : « Par exemple, pour des raisons de sécurité, un connecteur électrique est une pièce normalement incorporée dans un boîtier afin d'être protégée de tout contact avec des utilisateurs potentiels lorsqu'un produit complexe, tel un train ou un véhicule électrique, est en fonctionnement. Le fait qu'une telle pièce d'un produit complexe puisse théoriquement être visible lorsqu'elle est insérée dans un boîtier ou un coffret transparent constitue un critère purement hypothétique et aléatoire qu'il convient d'ignorer ».

Et c'est vainement que les sociétés WAGO arguent que les connecteurs resteraient alors visibles lors d'une utilisation normale du produit complexe, une telle utilisation normale étant définie par les directives précitées comme « l'utilisation faite conformément à la finalité à laquelle le produit complexe est destiné ». En effet, l'utilisation normale du produit s'entendant, aux termes de l'article 4 § 3 du règlement, d'une utilisation courante, hors entretien ou réparation, par un utilisateur final, qui n'est en l'occurrence pas nécessairement un professionnel dès lors que les connecteurs WAGO sont commercialisés dans la grande distribution (ex. LEROY MERLIN ainsi qu'il ressort de la pièce 62 des appelantes), ne peuvent être considérées comme « normales » les utilisations faites par des professionnels telles que celles illustrées par les photographies produites en pièces 45 à 54 des appelantes et intégrées à leurs écritures (pages 23 et 24), s'agissant notamment, pour celles pour lesquelles une précision est apportée, d'installations électriques mises en place en vue d'un concert ou de celles existant dans une salle de fitness, une pépinière ou encore un parking. Dans le cadre d'une utilisation normale, c'est-à-dire conforme à la finalité à laquelle le produit complexe est destiné, les connecteurs incorporés dans un circuit électrique, au sein d'une armoire ou d'un boîtier électrique fermés et inaccessibles pour d'évidentes raisons de sécurité soulignées dans les directives précitées de l'EUIPO, ne sont pas visibles pour l'utilisateur final. Les quelques exemples de boîtiers transparents fournis par les appelantes dans lesquels des connecteurs sont visibles, au demeurant seulement très partiellement, ne constituent que des utilisations exceptionnelles et aléatoires qui ne remettent pas en cause cette analyse.

Dans ces conditions, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré nuls les trois modèles communautaires de la société WAGO Holding et débouté cette dernière de ses prétentions au titre des dessins et modèles communautaires.

Sur les demandes subsidiaires des sociétés WAGO fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire,

Sur la recevabilité de la demande de la société WAGO Holding,

La société POLYNIX conteste la recevabilité des demandes formées par la société WAGO Holding au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, faisant valoir que le tribunal s'est reconnu à tort saisi d'une telle demande qui n'était pas présentée en première instance par cette société, laquelle n'a formulé devant les premiers juges aucune demande définie dans son principe et son quantum ; qu'on ne peut pas lui opposer la forclusion dès lors que sa fin de non-recevoir a été soulevée dans ses conclusions du 3 septembre 2021, soit dans le délai légal de trois mois de l'article 909 du code de procédure civile, qu'elle est la conséquence de l'ordonnance du juge de la mise en état (12 octobre 2021) et de l'arrêt subséquent de la cour statuant sur le déféré du (6 avril 2022) et qu'en tout état de cause, la prescription a été interrompue par ses conclusions d'incident du 3 septembre 2021 conformément à l'article 2231 du code civil.

Les sociétés WAGO font valoir que la demande formée sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire par la société WAGO Holding est recevable ; que la société POLYNIX est forclose à soulever son irrecevabilité dès lors que cette fin de non-recevoir a été présentée pour la première fois dans des conclusions signifiées le 22 février 2022, soit plus de trois mois après leurs conclusions d'appel signifiées le 22 juin 2021 et, en tout état de cause, plus de 3 mois après l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 12 octobre 2021; qu'en tout état de cause, la société holding a bien formé des demandes en concurrence déloyale et parasitaire en première instance, quand bien même elle n'a pas formé de demande indemnitaire à ce titre ; qu'une telle demande additionnelle présentée pour la première fois en cause d'appel est en toute hypothèse recevable en application des articles 70 et 565 code de procédure civile.

Ceci étant exposé, il ressort du dispositif des dernières conclusions (numérotées 2 transmises le 13 juillet 2018) présentées en première instance par les sociétés WAGO KONTAKTTECHNIK, WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT (WAGO Holding) et WAGO CONTACT (pièce 25 de Polynix), que ces trois sociétés, désignées ensemble comme les sociétés 'WAGO', demandaient au tribunal, de ' DIRE ET JUGER que les importation, offre en vente, mise sur le marché, détention et commercialisation par la société MIIDEX de connecteurs électriques reproduisant les caractéristiques des dessins et modèles communautaires n° 002349092-0004; 002349092-0005 et 002349092- 0006 et des connecteurs WAGO de la série dite 221 constituent des actes de contrefaçon de droits d'auteur et de modèles communautaires, ainsi que des actes de concurrence déloyale et de parasitisme et ce au préjudice des sociétés WAGO Verwaltungsgesellschaft mbH, WAGO Kontakttechnik GmbH & Co. KG et WAGO Contact'. Etaient ensuite formulées 'en conséquence', notamment, outre des demandes de provision au bénéfice des seules sociétés WAGO KONTAKTTECHNIK et WAGO CONTACT, une demande d'expertise ainsi rédigée : 'DESIGNER tel Expert qu'il plaira au Tribunal afin de lui donner tous les éléments pour fixer le montant des indemnités dues aux sociétés WAGO Verwaltungsgesellschaft mbH, WAGO Kontakttechnik GmbH & Co. KG et WAGO Contact (...)' et une demande de publication aux frais de la société MIIDEX, selon des modalités 'au choix des sociétés WAGO Verwaltungsgesellschaft mbH, WAGO Kontakttechnik GmbH & Co. KG et WAGO Contact'. En outre, dans le corps des conclusions de première instance des sociétés WAGO (page 35), il était soutenu que la société MIIDEX s'était livrée à des actes de concurrence déloyale et/ou parasitaire distincts des actes argués de contrefaçon ou à tout le moins des actes aggravant les actes de contrefaçon, 'et ce au préjudice de WAGO', dénomination sous laquelle étaient désignées les trois sociétés comme il a été dit, et des développements étaient consacrés à cette question.

Il s'en déduit que, comme les sociétés WAGO KONTAKTTECHNIK (désormais WAGO) et WAGO CONTACT, la société WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT (WAGO Holding) a formé en première instance des demandes en concurrence déloyale et en parasitisme, fussent-elles des demandes autres que des demandes de réparation chiffrées.

L'article 564 du code de procédure civile dispose : « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait », l'article 566 du même code précisant : « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire ». L'article 70 du même code prévoit également que « Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant (...) ».

La demande indemnitaire formée en appel par la société WAGO Holding est recevable en ce qu'elle constitue l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes qu'elle a déjà présentées en première instance et qu'elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant, au sens des articles 566 et 70 précités.

La fin de non-recevoir de la société POLYNIX sera en conséquence rejetée sans qu'il soit besoin d'examiner le surplus de l'argumentation des parties. Les demandes en concurrence déloyale et parasitaire de la société WAGO Holding sont donc recevables.

Sur la matérialité des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

Pour contester tout acte de concurrence déloyale ou parasitaire, la société POLYNIX fait valoir qu'en vertu de la liberté du commerce et de l'industrie, le simple fait de vendre des produits répondant aux même besoins que ceux d'un concurrent ne saurait, en soi, constituer un acte de concurrence déloyale ; que les sociétés WAGO, qui n'ont procédé à aucun dépôt de brevet et à qui les protections du droit des dessins et modèles et du droit d'auteur ont été refusées, cherchent à se constituer, sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun, un monopole sur une solution technique en l'absence de tout droit privatif, à plus forte raison dès lors qu'elles reconnaissent que les connecteurs VISION-EL ont recours à une autre technique de serrage ; que la juridiction allemande a admis le caractère particulièrement banal des contours des connecteurs électriques WAGO ; que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le développement des connecteurs VISION-EL a nécessité des recherches et investissements propres ; qu'il n'y a pas de copie servile (le positionnement des trous TEST est opposé (en partie inférieure du produit pour VISION-EL ; en haut pour les modèles revendiqués) et les dimensions bien distinctes (0,66 mm contre 2,03 mm) ; les connecteurs VISION-EL ont recours à une autre technique de serrage que les connecteurs WAGO ; les dimensions des connecteurs sont différentes) ; que si la couleur orange est usuelle en matière de connecteurs électriques, tel n'est pas le cas de la couleur rose « fluo" (selon le tribunal) pour le moins insolite pour des produits électriques ; qu'il ne saurait lui être fait reproche de proposer à la vente des déclinaisons d'un produit répondant simplement aux attentes de la clientèle, à savoir des connecteurs à 2, 3 et 5 entrées ; que la présence de la marque "VISION-EL" de la société MIIDEX sur les emballages de ses connecteurs est de nature à écarter tout risque de confusion ; que c'est en revanche à juste raison que le tribunal a écarté les accusations de qualité et de prix très largement inférieurs invoquées mais nullement étayées, de même que celle relative la manipulation de code-barres ; que le numéro de modèle « 221 » n'est pas reproduit sur les connecteur litigieux.

Les sociétés WAGO maintiennent que, pour le moins, l'intimée a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire. Elles arguent que le risque de confusion résulte des nombreuses ressemblances entre les produits et a d'ailleurs été confirmé auprès du public, y compris parmi les revendeurs professionnels ; que la confusion a encore été accentuée par la reprise de la même gamme de connecteurs que WAGO avec les mêmes nombres d'entrées (2, 3, 5 entrées) et par la reprise du numéro de modèle « 221 » bien connu ; qu'en outre, la société MIIDEX a associé les connecteurs distribués sous sa marque VISION-EL avec de faux codes-barres pour en masquer l'origine ; que par ailleurs, la société MIIDEX a cherché à se placer délibérément dans le sillage de WAGO et a tiré indûment profit de son image positive et de qualité acquise au terme de nombreuses années d'investissements (plus de 10 millions d'euros de R&D), outre ceux consentis pour la promotion des connecteurs.

Ceci étant exposé, sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, les comportements distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon, fautifs car contraires aux usages dans la vie des affaires, tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui consistent à tirer indûment profit, sans bourse délier, d'une valeur économique d'autrui procurant à leur auteur, un avantage concurrentiel injustifié, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements.

En l'espèce, le constat d'achat d'huissier de justice des 1er et 15 mars 2017 et les catalogues de la société MIIDEX de janvier et septembre 2017 établissent l'offre à la vente, sur le territoire français, par la société MIIDEX, sous la marque semi-figurative « VISION-EL » dont elle est titulaire, de connecteurs à deux, trois et cinq entrées, composés d'une structure transparente et de leviers de couleur rose.

Alors qu'il existe une grande liberté de forme dans le design des connecteurs électriques, ainsi que l'illustre la pièce 27 des appelantes, le fait pour la société MIIDEX (aujourd'hui POLYNIX) de commercialiser des connecteurs présentant les mêmes caractéristiques essentielles que les connecteurs WAGO « à savoir un boîtier isolant transparent et plat, rectangulaire, des leviers d'actionnement larges, plats, en forme de U légèrement arrondis et colorés, affleurant à la partie supérieure du boîtier et dépassant légèrement de ce boîtier, entre les pattes desquels apparaissent de petites ouvertures rectangulaires d'insertion pour permettre de passer les fils électriques », le même agencement des éléments et quasiment les mêmes dimensions, dans une couleur très vive (rose) tout aussi inhabituelle pour ce type de produits que celle adoptée par les appelantes (orange), caractérise la création fautive d'un risque de confusion, constitutive d'actes de concurrence déloyale. Ce risque de confusion est renforcé par le fait que les produits litigieux comportent, inscrite sur les leviers de couleur, une référence « C2221 » qui reproduit astucieusement le numéro « 221 » apposé pareillement sur les leviers colorés des connecteurs de la gamme WAGO et que la gamme proposée par la société POLYNIX reprend les solutions à 2, 3 ou 5 entrées adoptées par WAGO. Il doit être retenu que le risque de confusion s'est en outre réalisé dès lors que, comme le montre le constat d'achat sur internet précité (pièce 19), les produits litigieux sont présentés expressément par l'annonceur Amazon, qui a été manifestement abusé, comme des produits WAGO (ex. « Lot de 5 Wago 2 bornes »).

Les appelantes produisent par ailleurs un extrait du site www.wago.fr/actualités indiquant que la série WAGO 221 a obtenu le trophée du meilleur produit électricité lors de la neuvième édition des trophées du Négoce en 2016, et un article du site www.innocom.fr de juillet 2017 présentant WAGO comme « la PME avec toujours un train d'avance », la marque comme « visionnaire de la connexion électrique » et la borne WAGO comme « l'atout majeur » et « le composant phare » de la marque. La société WAGO fournit en outre l'attestation d'un « juriste d'entreprise » qui fait état d'investissements engagés pour la recherche et le développement de la série 221 à hauteur de plus de 10 millions d'euros (pièce 68.1) et une autre du directeur général et du directeur financier et administratif de la société WAGO CONTACT qui mentionne des frais de promotion de ces mêmes produits de 220 000 € pour les années 2019 à 2021 (pièce 69). Ces éléments établissent la réalité d'une valeur économique individualisée, du succès de connecteurs WAGO de la gamme 221 et d'efforts d'investissements que la société POLYNIX a délibérément détournés à son avantage en s'inscrivant dans le sillage des sociétés WAGO. Les faits de parasitisme sont ainsi également établis.

Le jugement sera donc confirmé sur ces points.

Sur les mesures réparatrices,

Les sociétés WAGO invoquent un préjudice subi aussi bien par la société WAGO Holding « consistant en une atteinte à son image du fait de la confusion entre ses produits de qualité et ceux produits en Chine de moins bonne facture vendus par MIIDEX, une perte de chiffre d'affaires sur la vente de ses produits, puisque ses filiales et revendeurs lui reversent une redevance sur le chiffre d'affaires des ventes en France, et l'économie d'investissement réalisée par MIIDEX à son détriment », que par les sociétés WAGO (licencié exclusif des modèles en Europe) et WAGO CONTACT (distributeur français) qui sont aussi fortement impactées par cette concurrence déloyale et cette perte de chiffre d'affaires.

La société POLYNIX objecte que les sociétés WAGO ne démontrent pas plus qu'en première instance la réalité du préjudice qu'elles invoquent ; que les sociétés WAGO et WAGO CONTACT ne démontrent pas même qu'elles interviendraient concrètement sur le territoire français, le contrat de licence exclusive entre les sociétés WAGO et WAGO Holding n'ayant semble-t-il fait l'objet d'aucune publication, de sorte qu'en l'absence de concurrence avec la société MIIDEX, les sociétés WAGO et WAGO CONTACT ne sauraient prétendre avoir subi un quelconque détournement de clientèle ; que les demandes indemnitaires sont déraisonnables et non justifiées que ce soit dans leur principe ou dans leur quantum ; que les sociétés WAGO ne prétendent pas même que la commercialisation des connecteurs litigieux se serait traduite par un infléchissement de leurs propres ventes et de leurs bénéfices.

Sur les demandes indemnitaires,

Ceci étant exposé, la cour rappelle qu'il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale.

En l'espèce, l'attestation précitée du directeur général et du directeur financier et administratif de la société française WAGO CONTACT (pièce 70) certifiant un chiffre d'affaires réalisé en France, depuis 2012, de plusieurs millions d'euros avec la vente des connecteurs de la série 221, permet d'établir la réalité de ventes réalisées sur le territoire français par cette société.

La commercialisation des produits litigieux, extrêmement proches de ceux proposés à la vente par la société WAGO CONTACT et générant, comme il a été vu, un risque de confusion, a eu nécessairement un impact négatif sur les ventes de la société WAGO, qui assure la distribution exclusive des produits, et sur celles de la société française WAGO CONTACT, qui les commercialise en France, et a entraîné pour elles deux un manque à gagner.

La société POLYNIX reconnaît que la commercialisation des produits litigieux a généré un bénéfice de 18 729, 08 € pour l'exercice du 1er janvier 2016 au 30 juin 2017 (attestation de son commissaire aux comptes - pièce 14). Les connecteurs litigieux apparaissent cependant sur ses catalogues 2017, 2018 et 2019, de sorte qu'il peut être retenu que ces produits ont été vendus au moins pendant 4 ans (2016/2019) et que le chiffre communiqué ne rend pas compte de l'intégralité des ventes réalisées.

Le préjudice subi par la société holding résultant d'une atteinte à son image du fait de la confusion entre ses produits de qualité et ceux produits en Chine de moins bonne facture vendus par MIIDEX n'est pas établi. Il n'est en effet pas démontré, ni prétendu, que celle-ci fabrique les connecteurs 221 et il n'est pas plus démontré que les produits litigieux seraient de moindre qualité. Son manque à gagner n'est pas établi. Les investissements ressortant des pièces produites au débat sont en outre ceux des sociétés WAGO et WAGO CONTACT et non ceux de la holding.

Comme il a été vu, les sociétés WAGO et WAGO CONTACT ont justifié d'investissements respectivement pour la recherche et le développement des connecteurs de la série 221 et pour le marketing et la publicité de ces produits, investissements dont a profité, pour partie au moins, la société POLYNIX en commettant les agissements parasitaires.

La cour dispose ainsi des éléments suffisants lui permettant d'allouer à chacune des sociétés WAGO et WAGO CONTACT une somme de 30 000 € en réparation des actes de concurrence déloyale et une somme de 20 000 € en réparation de ceux de parasitisme (100 000 € au total). Les demandes indemnitaires de la société WAGO Holding seront en revanche rejetées.

Sur les mesures complémentaires,

Le jugement sera confirmé dans ses dispositions relatives aux mesures d'interdiction et de confiscation des produits litigieux aux fins de destruction.

Il sera également confirmé, le préjudice étant suffisamment réparé, en ce qu'il a rejeté la mesure de publication sollicitée et les demandes de publication de cet arrêt seront également rejetées.

Sur les dépens et les frais irrépétibles,

La société POLYNIX, partie perdante pour l'essentiel, sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

Les sommes qui doivent être mises à la charge de la société POLYNIX au titre des frais non compris dans les dépens exposés par chacune des sociétés WAGO et WAGO CONTACT peut être équitablement fixée à 6 000 € (soit 2 x 6 000 €), ces sommes complétant celles allouées en première instance. La société WAGO Holding sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a :

- dit le procès-verbal des 1er et 15 mars 2017 dépourvu de force probante,

- débouté la société WAGO KONTAKTTECHNIK (désormais WAGO) et la société WAGO CONTACT de leurs prétentions respectives en indemnisation de leur préjudice résultant des actes de concurrence déloyale,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déboute la société POLYNIX de sa demande tendant au rejet des débats du procès-verbal de constat d'achat sur internet des 1er et 15 mars 2017 ou tendant à voir dire ledit procès-verbal dépourvu de force probante,

Condamne la société POLYNIX à payer à chacune des sociétés WAGO (précédemment WAGO KONTAKTTECHNIK) et WAGO CONTACT une somme de 30 000 € en réparation des actes de concurrence déloyale et une somme de 20 000 € en réparation de ceux de parasitisme,

Y ajoutant,

Déboute la société POLYNIX de sa demande tendant à voir rejeter ou considérer comme dénuée de force probante la pièce 16 des sociétés WAGO,

Dit recevables en appel mais non fondées les demandes indemnitaires de la société WAGO Holding (WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT) au titre de la concurrence déloyale et parasitaire et l'en déboute,

Rejette les demandes de publication de cet arrêt,

Condamne la société POLYNIX aux dépens d'appel et au paiement à chacune des sociétés WAGO (précédemment WAGO KONTAKTTECHNIK) et WAGO CONTACT de la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société WAGO Holding (WAGO VERWALTUNGSGESELLSCHAFT) de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.