CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 7 novembre 2023, n° 23/04047
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
PX Trading (SARL)
Défendeur :
Atlantic Conserves (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Barlow
Conseillers :
Mme Schaller, Mme Aldebert
Avocats :
Me Grappotte-Benetreau, Me Grignon Dumoulin, Me Menant
I/ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie de l'appel interjeté contre un jugement rendu le 22 février 2023 par le tribunal de commerce de Paris, statuant sur la compétence, dans un litige opposant :
- La société PX Trading, société à responsabilité limitée de droit français, dirigée par Monsieur [F], exerçant l'activité d'agence commerciale à l'exportation, et
- La société Atlantic Conserves, société à responsabilité limitée de droit marocain, dirigée par Monsieur [N], exerçant l'activité de conserverie de poissons à Agadir.
2. Les sociétés PX Trading et Atlantic Conserves ont noué des relations commerciales à compter de l'année 2000 pour la vente et la commercialisation des produits de la société Atlantic Conserves sous différentes marques auprès d'importateurs, grossistes, distributeurs situés pour la plupart sur le continent africain.
3. Les relations se sont poursuivies jusqu'en 2020.
4. A la suite de la résiliation, la société PX Trading a sollicité le paiement d'indemnités et commissions pour la rupture du contrat aux torts de la société Atlantic Conserves, par courriel en date du 5 octobre 2020, et par lettre envoyée par DHL le 7 octobre 2020.
5. Par exploit en date du 19 janvier 2021, la société PX Trading a assigné la société Atlantic Conserves devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir les indemnités sollicitées.
6. La société Atlantis Conserves a soulevé in limine litis l'incompétence du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal de commerce d'Agadir.
7. Par un jugement en date du 22 février 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit recevable et bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Atlantic Conserves ;
- Se déclare incompétent et renvoie les parties à mieux se pourvoir.
- Dit que le greffe procédera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties.
- Dit qu'en application de l'article 84 du code de procédure civile, la voie de l'appel est ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification.
- Condamne la société PX Trading à payer à la société Atlantic Conserves la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 CPC ;
- Condamne la société PX Trading aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 112,81 € dont 18,59 €de TVA ;
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Écarte l'exécution provisoire. »
8. La société PX Trading a interjeté appel de cette décision par déclaration du 6 mars 2023 et a été autorisée à assigner la société Atlantic Conserves à jour fixe par ordonnance en date du 28 mars 2023 pour l'audience du 19 septembre 2023.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
9. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 septembre 2023, la société PX Trading demande à la cour, au visa des articles 14 et 1367 du code civil, de l'article 46 du code de procédure civile et des articles L. 110-3 et L. 134-1 et suivants du code de commerce, de bien vouloir :
- Juger la pièce adverse n° 55 dénuée de force probante,
- Infirmer le jugement prononcé par le Tribunal de Commerce de Paris en date du 22 février 2023 en ce qu'il :
- A dit bien fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Atlantic Conserves ;
- S'est déclaré incompétent et renvoyé les parties à mieux se pouvoir ;
- Condamné la société PX Trading à payer à la société ATLANTIC CONSERVES la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens.
Et statuant à nouveau,
- Dire mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Atlantic Conserves ;
- Déclarer compétent le Tribunal de Commerce de Paris
En conséquence,
- Renvoyer l'affaire devant le Tribunal de Commerce de Paris pour y être jugée au fond ;
En tout état de cause,
- Débouter la société Atlantic Conserves de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de la société PX Trading ;
- Condamner la société Atlantic Conserves à payer à la société PX Trading les sommes de :
'' 2.000 € au titre de l'abus de droit de se défendre en justice ;
'' 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la société Atlantic Conserves aux entiers dépens lesquels comprendront les frais de traduction dont distraction au profit de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU en application de l'article 699 du CPC.
10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2023, la société Atlantic Conserves demande à la cour, de bien vouloir :
- CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement entrepris.
- DEBOUTER la société PX Trading de sa demande pour abus de défense abusive
- La DEBOUTER de l'ensemble de ses demandes.
- CONDAMNER la société PX Trading à payer à la société Atlantic Conserves la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
III/ MOTIFS DE LA DECISION
11. A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que selon l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties.
12. En l'espèce, la nullité de l'assignation ne figurant pas dans les prétentions énoncées au dispositif des conclusions de l'appelante, la cour n'est pas saisie de cette demande.
13. La société PX Trading demande à titre liminaire le rejet de la pièce n° 55 au motif qu'elle serait dénuée de valeur probante.
14. Or, en l'absence d'allégation de toute irrégularité de la communication d'une telle pièce, ou de sa production en justice, il y a lieu de rejeter cette demande, l'appréciation de la valeur probante de ladite pièce relevant de la juridiction chargée de juger l'affaire au fond.
a) Sur la compétence internationale du tribunal de commerce de Paris.
15. Pour justifier de la compétence internationale de la juridiction parisienne, la société PX Trading se fonde sur les dispositions de l'article 14 du code civil, et soutient qu'il n'y a pas lieu de recourir aux articles 42 et 46 du code de procédure civile, compte tenu de la nationalité française de la société PX Trading.
16. A titre subsidiaire, elle soutient qu'en vertu de l'article 46 du code de procédure civile, en matière contractuelle, le demandeur peut saisir au choix le tribunal du lieu où demeure le défendeur ou la juridiction du lieu de l'exécution de la prestation de service, qu'en matière d'agence commerciale et pour tous les contrats d'intermédiaire, l'agent ou l'intermédiaire sont réputés exercer leur activité à leurs domiciles professionnels, en l'espèce la France.
17. Elle fait valoir que la qualification d'agent commercial est établie en l'espèce, nonobstant l'absence de contrat écrit et de pouvoir de négociation, conditions qui ne sont pas requises en application de la jurisprudence européenne sur les agents commerciaux, et la réalité de la relation d'agence commerciale étant suffisamment établie par le versement de commissions pendant plus de vingt ans pour le chiffre d'affaires réalisé grâce à la prospection des clients par PX Trading.
18. Elle sollicite au fond la condamnation à une indemnité de fin de contrat qui n'est pas séparable du paiement des commissions et relève du même lien contractuel.
19. En réponse, la société Atlantic Conserves soutient qu'en application de l'article 42 du code de procédure civile, applicable par renvoi de l'article 4 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, le tribunal territorialement compétent est celui du lieu du défendeur, soit le tribunal de commerce d'Agadir, où elle a son siège.
20. Elle conteste l'application de l'article 46 du code de procédure civile, au motif que l'existence d'un contrat n'est pas établie, et que le lieu d'exécution de la prestation alléguée n'est pas justifié comme étant la France.
21. Elle conteste enfin l'application de l'article 14 du code civil, au motif que celui-ci ne concernerait que les obligations contractuelles, qu'il n'existe pas de contrat écrit entre les parties, que la relation ne peut être qualifiée d'agence commerciale, en l'absence de versement de commissions et qu'en tout état de cause, l'arrêt Trendsetteuse ne vaut que pour les agents commerciaux exerçant sur le territoire européen, ce qui n'est pas le cas de la société PX Trading qui n'a jamais exercé son activité dans l'Union européenne, mais au Maroc et qu'en tout état de cause, son activité se limitait à transmettre des noms de clients potentiels, ce qui n'est pas une activité d'agent commercial mais s'apparente plus à un contrat d'apporteur d'affaires, au cas par cas, qu'aucun rendez-vous n'a été tenu en France, qu'aucune activité n'était exercée depuis [Localité 3], au domicile de Monsieur [F].
22. Enfin, elle soutient que l'indemnité demandée une dette indépendante du caractère licite ou non de la rupture du contrat, et que par application de l'article 42 du code de procédure civile, seul le tribunal du domicile du défendeur est compétent pour en connaitre.
Sur ce,
23. En présence d'un litige de caractère international dont le juge français est saisi, il convient de déterminer la compétence juridictionnelle en application du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles 1 bis », applicable à toutes les actions intentées après le 10 janvier 2015, dont l'article 6§1 dispose que « si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de l'article 18, paragraphe 1, de l'article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25 ».
24. L'appréciation de la compétence relève par conséquent des dispositions françaises applicables à la détermination de la compétence internationale lorsque le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un Etat membre
25. L'article 6§2 du règlement énonce que « Toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui est domicilié sur le territoire d'un État membre, peut, comme les ressortissants de cet État membre, invoquer dans cet État membre contre ce défendeur les règles de compétence qui y sont en vigueur et notamment celles que les États membres doivent notifier à la Commission en vertu de l'article 76, paragraphe 1, point a). ».
26. L'article 14 du code civil prévoit une règle générale de compétence aux termes de laquelle « l'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. ».
27. La France a notifié l'article 14 du code civil à la Commission de sorte que l'article 6§2 permet désormais à une personne de l'invoquer contre un défendeur non domicilié dans un Etat membre.
28. Enfin, il est constant que depuis l'arrêt [Y] [M] et l'arrêt [W] de la Cour de cassation, l'article 14 du code civil a une portée générale s'étendant à toutes matières, à l'exclusion des actions réelles immobilières et demandes en partage portant sur des immeubles situés à l'étranger, ainsi que des demandes relatives à des voies d'exécution pratiquées hors de France, et s'applique notamment à tous litiges ayant pour fondement la responsabilité extracontractuelle (Civ., 12 mai 1931 [Y] [M] S. 1932 I, 137. 1re Civ., 27 mai 1970 [W] n° 68-13.643).
29. Ainsi, la nature délictuelle ou contractuelle du litige est sans incidence sur la compétence résultant de ce privilège de juridiction.
30. En l'espèce, la société demanderesse, PX Trading, de nationalité française, peut se prévaloir du privilège de juridiction prévu à l'article 14 du code civil, le défendeur, la société Atlantic Conserves étant domiciliée à l'étranger au Maroc, évinçant dès lors les règles françaises de compétence internationale prévues aux articles 42 et 46 du code de procédure civile.
31. Il n'est par ailleurs pas allégué que le litige relève d'une des matières excluant l'application de l'article 14 du code civil, la nature délictuelle ou contractuelle de l'obligation étant, comme rappelé dans les motifs ci-dessus, sans incidence sur la règle du for exorbitant.
32. C'est dès lors vainement que la société défenderesse fait valoir l'absence d'un contrat écrit ou la qualification d'agent commercial pour exclure l'application de l'article 14 du code civil, ces éléments de fond du litige étant en l'espèce sans incidence sur les règles de compétence internationale.
33. Il y a lieu pour ces motifs, et sans qu'il soit nécessaire de rechercher la nature des relations ou la qualification des versements effectués, de retenir la compétence de la juridiction française, et d'infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions.
b) Sur l'indemnisation pour défense abusive
34. La demanderesse sollicite une indemnité pour défense abusive.
35. L'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts qu'en cas de faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur. Il en est de même pour l'exercice du droit de se défendre en justice.
36. En l'espèce, il ne résulte ni des éléments du débat, ni de la procédure, que les moyens développés caractérisent le manque de sérieux de l'exception d'incompétence soulevée propre à faire dégénérer l'exercice du droit de se défendre en abus.
37. Il y a lieu de rejeter cette demande.
c) Sur les frais irrépétibles et les dépens
38. Il y a lieu de condamner la société Atlantic Conserves, partie perdante, aux dépens.
39. Il est demandé d'inclure des frais de traduction dans les dépens.
40. Cette demande est justifiée par la nécessité de traduire l'acte introductif d'instance. Il y a lieu d'y faire droit et d'inclure lesdits frais, sur justificatifs, dans les dépens.
41. En outre, la société Atlantic Conserves doit être condamnée à verser à la société PX Trading, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 8 000 euros.
IV/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
Dit n'y avoir lieu de rejeter la pièce n° 55,
Constate qu'elle n'est pas saisie d'une demande d'annulation de l'assignation,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 22 février 2023 en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau :
Déclare le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître de l'action de la société PX Trading contre la société Atlantic Conserves ;
Renvoie l'affaire devant le tribunal de commerce de Paris ;
Déboute la société PX Trading de sa demande de dommages-intérêts pour abus de se défendre ;
Condamne la société Atlantic Conserves payer à la société PX Trading la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code procédure civile ;
Condamne Atlantic Conserves aux entiers dépens qui incluent les frais de traduction de l'acte introductif d'instance sur justificatifs et seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.