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Décisions

Cass. 2e civ., 23 novembre 2023, n° 23-15.993

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Yliades (Sasu), Fabrique de styles (Sasu), Fabrique de styles Océane (Sasu), Fabrique de styles Arès (Sasu), Aevum (Sasu), Fds Ajaccio (SARL), Abrive (SAS), Cargo (SAS)

Défendeur :

Maisons du monde France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martinel

Rapporteur :

Mme Bohnert

Avocat général :

Mme Trassoudaine-Verger

Avocats :

SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier

Bordeaux, 1re ch., du 27 avr. 2023, n° 2…

27 avril 2023

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Bordeaux, 27 avril 2023), suspectant des faits de parasitisme de la part des sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Arès, Fds Ajaccio et Abrive, la société Maisons du monde France (la société Maisons du monde) a saisi le président d'un tribunal de commerce d'une requête à fin de désignation d'un huissier de justice pour effectuer diverses mesures auprès de la société Yliades sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

3. La requête a été accueillie le 19 juillet 2022 et les mesures d'instruction ont été diligentées, en vain, le 31 août 2022.

4. Par ordonnance du 4 octobre 2022, dont la société Maisons du monde a interjeté appel, un juge des référés a rétracté l'ordonnance.

5. Par ordonnance du 11 octobre 2022, dont la société Maisons du monde a également interjeté appel, le président d'un tribunal de commerce a, du fait de la rétractation de l'ordonnance du 19 juillet 2022, dit n'y avoir lieu à faire droit aux demandes de la société Maisons du monde tendant à l'exécution sous astreinte de ladite ordonnance et à l'obtention de mesures complémentaires et d'une provision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches, sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche, et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° K 23-15.994

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi n° K 23-15.994, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

7. Les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Arès, Fds Ajaccio et Abrive font grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Bordeaux le 19 juillet 2022, laquelle produirait tous ses effets, alors :

« 1°/ que les mesures d'instruction légalement admissibles, destinées à conserver ou à établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ne peuvent être ordonnées sur requête, en application de l'article 145 du code de procédure civile, qu'avant tout procès, donc en l'absence d'instance en cours portant sur le même litige à la date de cette requête ; qu'il existe une instance en cours portant sur le même litige, en cas d'identité entre le différend au titre duquel l'instance en cours est déjà ouverte et le litige éventuel pour la solution duquel la mesure d'instruction est demandée ; que les éléments de comparaison à prendre en considération par le juge sont donc, non pas le procès au fond déjà formé et la requête, mais le différend déjà existant et le litige éventuel, la requête étant impropre à faire apparaître l'ensemble des éléments potentiels du litige éventuel ; qu'en décidant au contraire, pour refuser de rétracter l'ordonnance rendue le 19 juillet 2022 sur requête de la société Maisons du monde, que le juge avait à effectuer une comparaison entre le procès au fond déjà engagé par le requérant et la requête ensuite formée en application de l'article 145 du code de procédure civile, la cour d'appel a commis une erreur de droit et violé ce texte ;

2°/ que la caractérisation d'un même litige, au sens de l'article 145 du code de procédure civile, ne suppose pas une triple identité de parties, d'objet et de cause, entre le procès en cours et le procès éventuel envisagé par celui qui réclame la mesure d'instruction ; qu'à supposer qu'elle ait entendu comparer le procès en cours et le procès éventuel envisagé par la société Maisons du monde dans sa requête, la cour d'appel, en estimant que la caractérisation d'un même litige supposerait une triple identité de parties, d'objet et de cause entre ces procès, a violé le texte susvisé ;

3°/ que la caractérisation d'un même litige, au sens de l'article 145 du code de procédure civile, suppose que le procès déjà engagé au fond l'ait été par la personne même qui introduit ensuite une instance tendant à obtenir une mesure d'instruction ; qu'il n'est en revanche pas exigé que le procès déjà engagé oppose le demandeur à la même personne que celle visée par les mesures d'instruction sollicitées par requête ; qu'en se fondant au contraire, pour refuser de rétracter l'ordonnance rendue sur requête le 19 juillet 2022, sur la considération de ce que le procès engagé au fond par la société Maisons du monde, auteur de la requête, ne l'opposait pas à la société Yliades, visée par les mesures d'instruction sollicitées par cette requête, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que l'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si l'instance au fond est ouverte sur le même litige à la date de la requête.

9. Ayant constaté qu'un tribunal de commerce était saisi d'un litige introduit par la société Maisons du monde à l'encontre de la société Fabrique de style et ses cinq franchisés auxquels elle reproche d'exploiter leurs magasins et leur site en copiant le concept de ses magasins et ses codes de communication, alors que le litige envisagé contre la société Yliades serait nécessairement distinct puisque celle-ci n'exploite ni les magasins ni le site visés dans le litige pendant devant le tribunal de commerce et verrait sa responsabilité recherchée pour des actes commis en propre puisqu'il lui est reproché d'avoir, avec la société Cargo, élaboré en amont un kit de copie du concept d'un magasin et de la communication de la société Maisons du monde, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu qu'au jour de la requête, l'instance au fond devant la juridiction commerciale n'était pas ouverte sur le même litige.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le deuxième moyen du pourvoi n° K 23-15.994, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

11. Les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Arès, Fds Ajaccio et Abrive font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le juge saisi d'une demande en rétractation de l'ordonnance ayant autorisé une mesure d'instruction en application de l'article 145 du code de procédure civile, doit vérifier l'existence des circonstances susceptibles de justifier une dérogation au principe de la contradiction dans les termes mêmes de la motivation figurant, sur ce point, dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit ; qu'il suit de là que, si la requête, pour justifier qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, se borne à faire valoir qu'un effet de surprise est indispensable pour éviter un dépérissement des preuves, le juge ne peut valablement faire abstraction de la nécessité ou non d'un effet de surprise ; que la société Maisons du monde, dans la motivation de sa requête, faisait valoir, au soutien de la nécessité de déroger au principe de la contradiction, l'existence d'un risque de dépérissement des preuves en l'absence d'effet de surprise ; qu'en retenant néanmoins, pour refuser de rétracter l'ordonnance rendue sur requête le 19 juillet 2022, qu'un risque de dépérissement des preuves serait caractérisé « nonobstant l'absence d'un éventuel effet de surprise », donc en faisant abstraction de l'effet de surprise invoqué par la société Maisons du monde, la cour d'appel, qui n'a pas statué dans les termes mêmes de la requête en ce qui avait trait à la nécessité de déroger à la contradiction, a violé les articles 145 et 493 du code de procédure civile ;

2°/ qu'une dérogation au principe de la contradiction ne peut être justifiée que par des circonstances particulières de la cause, et non par des considérations générales et abstraites liées à la nature des faits que la mesure d'instruction viserait à établir ; qu'en affirmant néanmoins qu'un risque de dépérissement des preuves justifiant de déroger à la contradiction serait caractérisé par « la nature des faits de parasitisme qui, par définition, supposent un comportement contraire au principe de la bonne foi », la cour d'appel, qui s'est fondée sur une considération générale et abstraite et non sur un examen des circonstances particulières de la cause, a violé les textes susvisés ;

3°/ qu'une dérogation au principe de la contradiction ne peut être justifiée que par des circonstances particulières de la cause, et non par des considérations générales et abstraites liées à la nature des éléments de preuve que la mesure d'instruction permettrait d'obtenir ; qu'en affirmant néanmoins qu'un risque de dépérissement des preuves justifiant de déroger à la contradiction serait caractérisé par « la nature même des données informatiques recherchées en ce que les devis, courriers, courriels, messages par téléphone peuvent être aisément supprimés ou altérés par des manipulations informatiques », la cour d'appel, qui s'est fondée sur une considération générale et abstraite et non sur un examen des circonstances particulières de la cause, a violé les textes susvisés ;

4°/ qu'une dérogation au principe de la contradiction ne peut être justifiée que par des circonstances particulières de la cause, et non par les circonstances de litiges antérieurs et distincts ; qu'en affirmant néanmoins qu'un risque de dépérissement des preuves justifiant de déroger à la contradiction serait caractérisé par le « contexte particulier puisque plusieurs filiales du groupe Cargo ont déjà été condamnées pour des actes de concurrence déloyale et parasitaire concernant des produits Maisons du monde », la cour d'appel, qui s'est fondée, non pas sur un examen des circonstances particulières de la cause, à savoir un différend relatif à la prétendue copie d'un concept de magasin, mais sur l'existence de litiges antérieurs et distincts, relatifs à la contrefaçon de produits vendus en magasin, a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

12. La cour d'appel a, d'abord, exactement rappelé que le juge, saisi d'une demande de rétractation de l'ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, doit s'assurer de l'existence, dans la requête et l'ordonnance, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement et que les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

13. Ayant relevé ensuite qu'un risque de dépérissement des preuves était en l'espèce caractérisé par la nature des faits de parasitisme qui, par définition, supposent un comportement contraire au principe de la bonne foi, par le contexte particulier puisque plusieurs filiales du groupe Cargo avaient déjà été condamnées pour des actes de concurrence déloyale et parasitaire concernant des produits Maisons du monde et par la nature même des données informatiques recherchées en ce que les devis, courriers, courriels, messages par téléphone pouvaient être aisément supprimés ou altérés par des manipulations informatiques, la cour d'appel, qui a statué en considération des éléments de la requête, a exactement déduit de l'ensemble de ces constatations, qu'il était justifié de déroger au principe de la contradiction.

14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi n° K 23-15.994, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

15. Les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Arès, Fds Ajaccio et Abrive font le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'une mesure d'instruction ordonnée en application de l'article 145 du code de procédure civile doit être nécessaire à la protection des droits de la partie qui l'a sollicitée et ne pas porter une atteinte disproportionnée aux droits de l'autre partie au regard de l'objectif poursuivi ; qu'il ne suffit pas à cet égard que la mesure soit circonscrite aux faits litigieux, une atteinte disproportionnée pouvant résulter de l'étendue de la mesure ainsi circonscrite, notamment au regard de l'identification trop générale ou imprécise des supports pouvant être appréhendés par le commissaire de justice désigné ; qu'en estimant au contraire, pour considérer que la mesure d'instruction ordonnée sur la requête de la société Maisons du monde ne portait pas une atteinte disproportionnée aux droits de la société Yliades, qu'il suffisait que cette mesure soit circonscrite aux faits litigieux, « quelle que soit son étendue », et qu'il était sans incidence que les supports de la recherche pouvant être effectuée par le commissaire de justice ne soient pas suffisamment identifiés, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que si l'atteinte disproportionnée aux droits de la personne visée par la mesure d'instruction ordonnée en application de l'article 145 du code de procédure civile s'apprécie au regard de l'étendue de cette mesure telle qu'elle a été déterminée par l'ordonnance, donc à la date de son prononcé, des éléments de fait et de preuve tirés de circonstances postérieures à cette date peuvent démontrer l'existence, à cette même date, d'une telle atteinte disproportionnée ; qu'en écartant la contestation des sociétés intimées prise de ce que les opérations conduites au siège des sociétés Cargo et Zagass Design en exécution d'une ordonnance sur requête identique à celle rendue contre Yliades s'étaient révélées impossibles à réaliser compte tenu du volume des données à examiner, par la considération que la régularité des mesures ordonnées devrait être appréciée au moment de son prononcé et non de son exécution, cependant que la règle d'appréciation au moment où le juge statuait ne le dispensait pas de prendre en considération les éléments, même postérieurs à l'ordonnance d'autorisation, produits en vue de prouver le caractère irréalisable et donc disproportionné des mesures ordonnées, la cour d'appel, qui a commis une erreur de méthode, a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

16. Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que constituent des mesures légalement admissibles des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

17. Ayant relevé que les mesures d'investigation autorisées étaient à la fois circonscrites dans le temps, dans l'espace, mais également dans leur objet puisque les éléments à saisir étaient en lien direct avec les faits dénoncés dans la requête et restreints par l'utilisation de la combinaison de mots-clés, la cour d'appel, qui n'avait pas à apprécier la régularité des mesures en considération des difficultés d'exécution d'une mesure ordonnée dans une autre procédure, a ainsi fait ressortir que la mesure ne s'analysait pas en une mesure générale d'investigation et que, quelle qu'ait pu être son étendue, elle était circonscrite aux faits litigieux, et proportionnée à l'objectif poursuivi, en a exactement déduit, qu'elle ne portait pas d'atteinte illégitime aux droits de la société Yliades.

18. Le moyen est, dès lors, mal fondé.

Sur le moyen du pourvoi n° J 23-15.993

Enoncé du moyen

19. La société Yliades fait grief à l'arrêt de lui enjoindre de coopérer et de communiquer à la société [L] & Léon, prise en la personne de Mme [L], commissaire de justice, l'ensemble des informations utiles et de lui donner tous les accès nécessaires pour lui permettre d'exécuter la mission qui lui avait été confiée par ordonnance du 19 juillet 2022 de la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux, sous astreinte provisoire de 10 000 euros par jour de retard et par élément manquant ou incomplet, alors « que la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui se rattache à la décision cassée par un lien de dépendance nécessaire ; que dans la présente instance, le juge des référés avait été saisi en vue d'assurer l'exécution sous astreinte d'une ordonnance sur requête rendue le 19 juillet 2022 par le président du tribunal de commerce de Bordeaux au détriment de la société Yliades ; que cette dernière ayant par ailleurs demandé la rétractation de cette ordonnance rendue sur requête, une décision rendue le 4 octobre 2022 par le président du tribunal de commerce de Bordeaux avait rétracté l'ordonnance sur requête concernée ; qu'il existe donc un lien de dépendance nécessaire entre la décision rendue sur la demande en rétractation et la décision rendue sur la demande en exécution sous astreinte de l'ordonnance sur requête, puisque, à la supposer prononcée, la rétractation de l'ordonnance prive d'objet la demande en exécution sous astreinte de la même ordonnance ; que la cassation à intervenir sur le pourvoi distinct formé contre l'arrêt ayant refusé de rétracter l'ordonnance rendue sur requête, replacera les parties en l'état de la décision, rendue le 4 octobre 2022, par laquelle le président du tribunal de commerce de Bordeaux avait rétracté l'ordonnance sur requête concernée ; qu'il suit de là que cette cassation emportera annulation par voie de conséquence de l'arrêt attaqué par le présent pourvoi, en application de l'article 625 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

20. Le rejet du pourvoi n° K 23-15.994 prive de portée ce moyen, qui tend à une cassation par voie de conséquence.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Arès, Fds Ajaccio et Abrive aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Cargo, Yliades, Fabrique de styles, Fabrique de styles Océane, Aevum, Fabrique de styles Arès, Fds Ajaccio et Abrive et les condamne à payer à la société Maisons du monde France la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-trois.