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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 novembre 2023, n° 21/06473

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Phaben Conseil (SAS)

Défendeur :

Iqone Healthcare France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Ducellier, Me Poitrasson, Me Behillil

T. com. Lyon, du 24 nov. 2020, n° 2019J9…

24 novembre 2020

FAITS ET PROCEDURE

La société Iqone Healthcare France a été créée le 27 juin 2017 avec pour activité l'achat et la vente en gros et demi-gros de tous produits cosmétiques, parfumeries et parapharmaceutiques non réglementés en France et à l'étranger. Elle avait pour gérants M. [Z] [U] et M. [O] [F].

La société Phaben Conseil a été créée le 5 janvier 2018 pour développer l'activité de conseils pour les affaires et autres conseils de gestion. Son président est M. [H] [T].

Ces deux sociétés ont conclu un contrat dit de conseil d'une durée de deux ans, prenant effet le 1er octobre 2018 pour se terminer le 30 septembre 2020. Il y est indiqué en préambule que M. [H] [T] est actionnaire minoritaire de la société Icone Healthcare Holding, société mère de la société Iqone Healthcare France.

Aux termes de cette convention, la société Phaben Conseil s'est engagée à faire bénéficier la société Iqone Healthcare France des compétences de M. [T] sur les deux missions suivantes : d'une part une mission de responsable de projet dédié au contrat Biogaran, d'autre part une mission d'apporteur d'affaires.

Il était prévu que la société Phaben Conseil serait rémunérée de la façon suivante :

- au titre de sa mission de responsable de projet, par la somme de 27.600 € HT par an, soit 2.300 € HT par mois correspondant à 48 heures effectuées par mois, outre un montant variable de 8.400 € HT par an en fonction d'objectifs à déterminer d'un commun accord entre les parties,

- au titre de sa mission d'apporteur d'affaires, par un montant correspondant à 2 % sur l'augmentation de chiffre d'affaires brut (hors bonus) du contrat de service Biogaran.

Auparavant, M. [H] [T] avait été embauché en qualité de directeur des opérations par deux contrats de travail distincts du 1er octobre 2017, l'un signé avec la société Eqinox Healthcare Holding, l'autre avec la société Iqone Healthcare France.

Le 20 juillet 2018, ces deux contrats de travail ont fait l'objet de ruptures conventionnelles. Saisi par requête de M. [H] [T] du 14 mars 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon, par jugement du 17 décembre 2020, a rejeté ses demandes tendant à voir déclarer nulles les deux ruptures conventionnelles et à obtenir indemnisation pour licenciement sans cause réelle ou sérieuse.

Entretemps, le 5 juin 2019, la société Iqone Healthcare France avait fait assigner la société Phaben Conseil devant le tribunal de commerce de Lyon qui, par jugement du 24 novembre 2020 assorti de l'exécution provisoire, a :

- rejeté la demande de sursis à statuer formée par la société Phaben Conseil dans l'attente du règlement du litige prud'homal,

- déclaré recevable l'action de la société Iqone Healthcare France,

- dit que la société Phaben Conseil a manqué à ses obligations contractuelles en interrompant le contrat de prestations de service conclu avec la société Iqone Healthcare France, ce à compter du 13 novembre 2018, et qu'elle a engagé à ce titre sa pleine et entière responsabilité à l'égard de la société Iqone Healthcare France,

- condamné la société Phaben Conseil à rembourser à la société Iqone Healthcare France la somme de 14.027,77 € en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2019,

- ordonné la capitalisation des intérêts dans les termes et conditions de l'article 1342-2 nouveau du code civil,

- rejeté en tant que de besoin l'ensemble des demandes, dont la demande reconventionnelle de la société Phaben Conseil,

- débouté la société Iqone Healthcare France de sa demande de condamnation de la société Phaben Conseil à lui payer la somme de 10.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour inexécution contractuelle et comportement abusif et dilatoire,

- condamné la société Phaben Conseil aux dépens, incluant les éventuels frais d'exécution à sa charge, et au paiement de la somme de 1.000 € à la société Iqone Healthcare France au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Phaben Conseil a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe du 6 avril 2021.

La société Iqone Healthcare France a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 10 décembre 2021 suite à sa fusion absorption par la société Clinigen Healthcare France, à effet au 6 octobre 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 20 décembre 2022, la société Phaben Conseil demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- débouter la société Clinigen Healthcare France de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Clinigen Healthcare France à lui verser les sommes de :

* 80.000 €, à titre de dommages-intérêts, correspondant à l'engagement de régler sur 24 mois un complément de rémunération venant compenser le montant perçu au titre de l'allocation d'aide au retour à l'emploi,

* 50.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour rupture abusive d'un contrat commercial,

* 5.000 €, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Clinigen Healthcare aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 19 juillet 2022, la société Clinigen Healthcare France demande à la cour, au visa des articles 1103, 1217, 1231-1, 1240 et 1353 du code civil, de l'article L. 442-1 du code de commerce ainsi que des articles 515 et 700 du code de procédure civile de :

1) juger recevables son intervention volontaire, ses conclusions et demandes en ce compris son appel incident,

2) infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'inexécution contractuelle, du comportement abusif et dilatoire,

Statuant à nouveau, condamner la société Phaben Conseil à lui payer, comme venant aux droits de la société Iqone Healthcare France, la somme de 10.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour inexécution contractuelle et comportement abusif et dilatoire,

3) confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions,

4) débouter la société Phaben Conseil de l'ensemble de ses demandes,

5) condamner la société Phaben Conseil à lui verser, comme venant aux droits de la société Iqone Healthcare France, la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

6) condamner la société Phaben Conseil aux entiers dépens incluant les éventuels frais d'exécution forcée de l'arrêt à intervenir, y compris l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement prévus par les articles A. 444-31 et A. 444-32 du code de commerce et L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 juillet 2023.

MOTIVATION

Suite à la fusion absorption de la société Iqone Helathcare France, la société Clinigen Healthcare France est recevable en son intervention volontaire et en ses conclusions.

1) Sur la résiliation de la relation contractuelle :

Le contrat prenant effet le 1er octobre 2018 n'a pas été signé mais les parties ont commencé à l'exécuter, acceptant ainsi ses clauses et conditions.

C'est ainsi que, le 4 décembre 2018, la société Iqone Helathcare France a versé à la société Phaben Conseil une avance sur rémunération de 20.000 € couvrant ses prestations de septembre à décembre et une partie de janvier 2019, soit pendant 4,8 mois.

Par lettre recommandée du 15 janvier 2019 avec avis de réception, adressée à la société P haben Conseil, la société Iquone Healthcare France lui a reproché de ne plus avoirdonné de nouvelles depuis le 13 novembre 2018 et l'a informée que de ce fait elle ne donnerait pas suite au contrat envisagé, lui demandant remboursement de la somme de 14.028 € sur ses prestations payées d'avance pour la période du 13 novembre 2018 au 24 janvier 2019.

La société Phaben Conseil prétend qu'elle a exécuté ses obligations de septembre 2018 à janvier 2019 ; elle verse aux débats en ce sens :

- l'attestation de M. [K] [I] qui déclare avoir été salarié de la société Iqone Healthcare France du 9 janvier 2017 au 27 novembre 2019 et que "à ce titre Monsieur [H] [T] était son N +2 en qualité de Directeur des Opérations, participait aux réunions de groupe, me donnait régulièrement des directives ou informations pendant toute la durée de ma présence au sein des effectifs et en tout état de cause jusqu'au début de l'année 2019 (dernier mail reçu le 4 janvier 2019)" ;

- l'attestation de Mme [V] [P], salariée de la société Biogaran, qui déclare avoir reçu des mails de la part de M. [H] [T] jusqu'au 3 janvier 2019,

- l'attestation de Mme [C] [M] qui déclare : "...[H] [T] était mon supérieur hiérarchique en qualité de Directeur des Opérations et me donnait régulièrement des directives ou informations pendant toute la durée de ma présence au sein des effectifs et en tout état de cause jusqu'en janvier 2019. Monsieur [T] a toujours continué à occuper son bureau au sein des locaux de la société jusqu'au début du mois de janvier 2019 dans la mesure où il continuait à travailler pour le compte des sociétés Iqone Healthcare France et Eqinox Healthcare France sans aucune différence."

La société Phaben Conseil estime que M. [U], gérant de la société intimée, s'est préconstitué des preuves en lui adressant des mails les 12, 17 et 18 décembre 2018.

Elle se réfère encore aux mails échangés entre la mi-novembre 2018 et la mi-janvier 2019 entre "Monsieur [H] [T], son PGG, son DAF, son assistante, la responsable du réseau MSL pour Biogaran" et plus précisément :

- avec M. [U] : le 26 novembre 2018 sur "primes équipes Biogaran 2018", le 4 décembre 2018 sur "informations aux employés CCE exceptionnel (concernant Eqinox), le 7 janvier 2018 sur "régularisation de salaire [L] [G] (concernant Eginox), le 7 Janvier 2019 sur "proposition de réunion" et le 9 janvier 2019 sur "divers points suivis",

- avec [D] [A] le 3 décembre 2018 sur "mise à jour des diaporamas dans les différentes aires thérapeutiques" et à la même date sur "reporting MSL octobre 2018".

La société Clinigen Healthcare France, qui vient aux droits de la société Iqone Healthcare France, soutient que la société Phaben Conseil a cessé toute communication et exécution du contrat à compter du 13 novembre 2018 et qu'il incombe à la société Phaben Conseil de prouver l'exécution de ses obligations qui justifierait le paiement de leur prix à hauteur des 20.000 €, somme qui lui a été versée en avance sur sa rémunération.

Réponse de la Cour

Il apparaît que la société Phaben Conseil, sur laquelle pèse la charge de la preuve, n'a pas satisfait à son obligation, stipulée à l'article 1 du contrat, s'agissant de sa mission de responsable du projet dédié au contrat Biogaran, pour laquelle elle devait faire un point au minimum mensuel d'avancement des missions avec le responsable Biogaran et établir un compte rendu écrit d'avancement.

C'est en vain que pour démontrer ses prestations, la société Phaben Conseil s'appuie :

- sur les attestations ci-dessus détaillées qui sont rédigées en termes similaires et ne relatent pas l'accomplissement de prestations à des dates précises et dans des conditions circonstanciées,

- sur des courriels échangés entre mi-novembre 2018 et le 9 janvier 2019, dont certains semblent concerner la société mère Eqinox Healthcare France.

Le tribunal a exactement retenu que si M. [H] [T] était présent dans les locaux de la société Iqone Healthcare France et qu'il disposait d'une adresse e.mail, cela ne démontre aucunement qu'il a travaillé sur sa mission.

La société Iqone Healthcare France a demandé à plusieurs reprises à la société Phaben Conseil de lui faire part de son "activité Iquone" par mails des 12, 17 et 18 décembre 2018 sans obtenir satisfaction. La société Phaben Conseil n'a pas non plus donné suite aux demandes de réunion qui lui ont été adressées les 29 décembre 2018 et 14 janvier 2019.

Les manquements graves de la société Phaben Conseil à ses obligations justifient la résiliation du contrat prononcée par la société Iqone Healthcare France le 15 janvier 2019.

Au regard des prestations limitées accomplies par la société Phaben Conseil jusqu'à mi-novembre 2018, l'intimée est bien fondée à obtenir remboursement d'une partie de la rémunération versée d'avance, soit la somme de 14.027,77 €.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Phaben Conseil dans la rupture du contrat, a condamné celle-ci au paiement de la somme de 14.027,77 €, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 janvier 2019, et ordonné la capitalisation des intérêts.

2) Sur les demandes de la société Phaben Conseil :

La société Phaben Conseil invoque la rupture à la fois brutale et abusive des relations contractuelles par la société Iqone Healthcare France pour lui demander paiement, à titre de dommages-intérêts :

- de la somme de 80.000 €, correspondant au solde restant dû sur l'engagement pris de lui régler sur 24 mois un complément de 100.000 € de façon à compenser la rémunération perçue en amont des deux ruptures conventionnelles datant du 31 août 2018 en prenant en compte le montant de l'allocation d'aide au retour à l'emploi versé par Pôle emploi,

- de la somme de 50.000 €, en réparation du préjudice résultant de rupture, étant souligné qu'elle se trouvait en état de dépendance économique, dans la mesure où ses revenus ne provenaient que de sa relation commerciale avec la société Iqone Healthcare France.

L'intimée s'oppose à ces prétentions au motif que ne sont pas réunies les conditions d'application de l'article L. 442-1 du code de commerce, à savoir une relation commerciale établie, une brutalité dans la rupture et l'absence d'un préavis, soulignant sur ce dernier point la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations.

Réponse de la Cour

La société Phaben Conseil ne rapporte pas la preuve d'un engagement qui aurait été souscrit par la société Iqone Healthcare France de lui verser une somme de 100.000 € pour compenser la rémunération perçue en amont des ruptures conventionnelles consécutives aux contrats de travail de M. [H] [T]; sa demande de ce chef doit être rejetée.

S'agissant de la demande fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale, il suffit de constater que le contrat avait été conclu avec la société Phaben Conseil créée le 5 janvier 2018, seulement pour une durée de deux ans et sans renouvellement par tacite reconduction. L'existence d'une relation commerciale établie n'est donc pas caractérisée.

La société Phaben Conseil ne démontre aucune mauvaise foi, ni abus de la société Iqone Helathcare France lors de la rupture.

En conséquence, toutes ses demandes seront rejetées.

3) Sur la demande de dommages-intérêts de l'intimée :

Au soutien de sa demande de dommages-intérêts, l'intimée fait valoir que la société Phaben Conseil, faute d'avoir respecté ses engagements contractuels, l'a contrainte à se réorganiser en urgence afin de suppléer sa carence, ce qui lui a causé un préjudice distinct du trop versé indûment à cette société. Rappelant les dispositions de l'article 1231-1 du code civil, elle demande en réparation la somme de 10.000 €, à titre de dommages-intérêts.

L'appelante s'y oppose.

Réponse de la Cour

L'intimée ne verse aux débats aucune pièce de nature à étayer sa demande.

Ne démontrant pas l'existence d'un préjudice distinct qui résulterait des manquements de la société Phaben Conseil ou d'un comportement abusif et dilatoire de celle-ci, elle doit être déboutée de ce chef de demande.

4) Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

La société Phaben Conseil qui succombe en toutes ses prétentions supportera les entiers dépens.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il sera alloué la somme supplémentaire de 5.000 € à l'intimée, la demande de l'appelante à ce titre étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Déclare la société Clinigen Healthcare France recevable en son intervention volontaire et en ses demandes, en ce compris son appel incident,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions qui lui sont soumises,

Y ajoutant, condamne la société Phaben Conseil à payer la somme de 5.000 € à la société Clinigen Healthcare France, venant aux droits de la société Iqone Healthcare France, par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne la société Phaben Conseil aux dépens d'appel, incluant les frais éventuels d'exécution forcée de l'arrêt, y compris l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement prévus par les articles A. 444-31 et A. 444-32 du code de commerce et L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution.