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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 novembre 2023, n° 22/01703

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ambrethan (SAS)

Défendeur :

Groupe 20 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mm Dallery

Conseillers :

Mm Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Bellichach, Me Vacrate, Me Guizard, Me Brouard

T. com. Paris, 13e ch., du 17 janv 2022,…

17 janvier 2022

FAITS ET PROCÉDURE

La société Groupe 20 est une société coopérative qui regroupe des commerçants indépendants exploitant des supermarchés notamment en région parisienne.

Selon l'article 1er de ses statuts, l'objet essentiel de cette société est d'améliorer, par l'effort en commun de ses membres, les conditions dans lesquelles ceux-ci exercent leur profession de commerçants détaillants spécialisés en alimentation ou exploitant des magasins à rayons multiples.

La société Distribution Alimentaire Parisienne (ci-après "la société Diapar") est un grossiste alimentaire qui approvisionne notamment les sociétés affiliées au groupe G 20.

La société Ambrethan a exploité à [Localité 4] un fonds de commerce de supermarché sous l'enseigne indépendante "La ferme de [Localité 4]" en s'approvisionnant auprès de la société Diapar et bénéficiant, selon la société Groupe 20, des tarifs préférentiels en sa qualité d'adhérente à la société coopérative G 20 depuis 2006.

Constatant le 6 août 2020 que la société Ambrethan avait cessé toute commande et avait apposé sur son magasin l'enseigne Monoprix, la société Diapar lui a adressée, par son conseil, une lettre le 2 septembre 2020 constatant la rupture brutale des relations commerciales établies et l'informant de sa volonté d'obtenir réparation du préjudice subi de ce fait.

Par lettre du 15 septembre 2020, la société Ambrethan a répondu être libre du choix de son fournisseur n'étant liée par aucun contrat d'approvisionnement avec la société Diapar.

Par lettre du 11 septembre 2020, constatant que la société Ambrethan avait quitté la coopérative G 20 pour s'affilier au réseau Monoprix, la société Groupe 20 a rappelé à cette dernière les conditions de retrait prévues par ses statuts pour tout associé coopérateur et notamment l'obligation de respecter un préavis de 6 mois et le paiement d'une pénalité en cas de non-respect des modalités de retrait.

Par lettre du 30 septembre 2020, la société Ambrethan a répondu ne pas être associée coopérateur de la société Groupe 20, de ne pas être liée par des stipulations d'un contrat et exploitant son fonds de commerce sous une enseigne indépendante avec plus de 150 fournisseurs.

C'est dans ce contexte que par acte du 2 octobre 2020, les sociétés Groupe 20 et Diapar ont assigné la société Ambrethan devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir :

- pour la société Groupe 20 : le paiement d'une indemnité de retrait telle que prévue par les statuts en cas de non-respect des modalités de départ outre une indemnité au titre du préjudice moral du fait du comportement déloyal de la société Ambrethan, contraire à l'esprit coopératif,

- pour la société Diapar : le paiement d'une indemnité en réparation du préjudice né de la rupture brutale de la relation d'approvisionnement entretenue avec la société Ambrethan depuis de 14 ans sur le fondement de l'article L. 442-1 II du code de commerce.

La société Ambrethan a formulé des demandes reconventionnelles, à l'encontre de la société Diapar en paiement d'une indemnité en réparation du préjudice né de la rupture brutale de la relation commerciale matérialisée par la mise en demeure puis l'assignation, et à l'encontre de la société Groupe 20 en paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

Par jugement du 17 janvier 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

Débouté la société Ambrethan de l'ensemble de ses demandes,

Condamné la société Ambrethan à payer à la société Groupe 20 la somme de 131.987 € à titre d'indemnité compensatrice de retrait,

Condamné pour rupture brutale de la relation commerciale établie, la société Ambrethan à payer à la société Diapar la somme de 71.511 € à titre de dommages et intérêts,

Condamné la société Ambrethan à payer à chacune des sociétés, la société Groupe 20 et la société Diapar la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires,

Condamné la société Ambrethan aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 95,13 € dont 15,64 € de TVA.

La société Ambrethan a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe le 19 janvier 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 11 septembre 2023, la société Ambrethan demande à la Cour de :

Infirmer le jugement rendu le 17 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu'il a débouté la société Groupe 20 de sa demande d'indemnisation au titre d'un préjudice moral à hauteur de 25 000 €, formulée à l'encontre de la société Ambrethan.

Confirmer le jugement rendu le 17 janvier 2022 par le tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a débouté Groupe 20 de sa demande d'indemnisation au titre d'un préjudice moral à hauteur de 25 000 €, formulée à l'encontre de la société Ambrethan.

Puis statuant à nouveau,

A titre principal,

Constater que la société Groupe 20 n'a pas répondu à la sommation de communiquer du 2 novembre 2022, délivrée par la société Ambrethan, lui demandant de produire :

- Le justificatif du dossier de candidature qui aurait été déposé en 2006 par la société Ambrethan pour devenir membre coopérateur de la société Groupe 20,

- Le justificatif de l'agrément qui aurait été donné en 2006 par le conseil d'administration de la société Groupe 20 à la suite de la candidature déposée par la société Ambrethan.

- Le justificatif de l'apport réalisé en 2006 par la société Ambrethan en contrepartie de l'émission et de la libération des parts sociales de la coopérative Groupe 20.

- Le justificatif de la communication en 2006 du règlement intérieur de la société Groupe 20 en 2006 à la société Ambrethan afin qu'il adhère en connaissance de cause.

- Le justificatif du remboursement par la société Groupe 20 de l'apport, réalisé en juin 2020 à la suite du constat du retrait de la société Ambrethan par le conseil d'administration et l'assemblée générale.

En tirer toutes les conséquences qui s'imposent.

Débouter purement et simplement la société Groupe 20 de sa demande de voir la société Ambrethan condamnée à lui payer une indemnité compensatrice de retrait de 131 987 €.

Débouter purement et simplement la société Diapar de sa demande de voir condamner la société Ambrethan à lui payer une indemnité compensatrice au titre d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie.

A titre subsidiaire,

Réduire l'indemnité compensatrice de retrait qui serait, par impossible, accordée à la société Groupe 20 à 1 € en raison de sa nature de clause pénale et du pouvoir modérateur du juge et, plus subsidiairement encore, à 106 714 €.

Réduire l'indemnité qui serait, par impossible, accordée à la société Diapar à un mois de préavis, calculée sur la base de la marge perdue par la centrale et calculée sur coûts variables.

Condamner la société Diapar au paiement d'une indemnité de 71 511 € au profit de la société Ambrethan en raison de la rupture brutale de sa relation d'approvisionnement.

Débouter les sociétés Groupe 20 et Diapar de toutes leurs plus amples demandes, fins et conclusions.

Condamner solidairement les sociétés Groupe 20 et Diapar au paiement d'une somme de 20 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de leurs dernières conclusions,déposées et notifiées le 11 septembre 2023, les sociétés intimées Groupe 20 et Diapar demandent à la Cour de :

Déclarer mal fondée la société Ambrethan en son appel dirigé à l'encontre des sociétés Groupe 20 et Diapar ;

Débouter la société Ambrethan de l'ensemble de ses demandes tant principales que subsidiaires dirigées à l'encontre desdites sociétés.

Confirmer le jugement en ce qu'il constate que la société Ambrethan a quitté la société Groupe 20 sans respect du préavis de retrait de 6 mois prévu statutairement ;

Recevoir la société Groupe 20 en son appel incident, y faisant droit :

* Sur le quantum alloué au titre de l'indemnité de retrait à la société Groupe 20 :

Infirmer le jugement en ce qu'il condamne la société Ambrethan à payer à la société Groupe 20 la somme de 131.987 € à titre d'indemnité statutaire de retrait.

Statuant à nouveau :

Condamner la société Ambrethan à payer à la société Groupe 20 la somme de 142.685,95 € HT soit 171.223,14 € TTC à titre d'indemnité de retrait.

* Sur le préjudice moral de la société Groupe 20 :

Infirmer le jugement en ce qu'il déboute la société Groupe 20 de sa demande indemnitaire à ce titre ;

Statuant à nouveau :

Condamner la société Ambrethan à payer à la société Groupe 20 la somme de 25.000 euros en réparation du préjudice moral subi.

Confirmer le jugement en ce qu'il constate qu'il y a eu rupture brutale de la relation commerciale établie du fait d'Ambrethan ;

* Recevoir la société Diapar en son appel incident, y faisant droit :

L'infirmer sur le quantum des dommages et intérêts qui lui ont été alloués ;

Statuant à nouveau :

Condamner la société Ambrethan à payer à la société DIapar la somme de 143.022 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale.

Confirmer le jugement en ce que le tribunal condamne la société Ambrethan à payer à chacune des sociétés Groupe 20 et Diapar, la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant :

Condamner la société Ambrethan à payer à chacune des sociétés Groupe 20 et Diapar la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile compte-tenu de leurs frais irrépétibles exposés en cause d'appel et aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 septembre 2023.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur les demandes indemnitaires de la société Groupe 20

Exposé des moyens des parties

La société Ambrethan fait principalement valoir que les pièces produites aux débats par la société Groupe 20 établissent tout au plus la possession probable de quelques parts de la coopérative mais ne permettent pas de justifier de la qualité de membre coopérateur, dès lors que selon les statuts il ne suffit pas d'être associé de la société coopérative pour avoir le statut de membre coopérateur. Elle estime que tout au plus, elle était un membre non coopérateur comme le prévoit la loi du 10 septembre 1947 concernant les sociétés coopératives et observe à cet effet que la société Groupe 20 ne justifie ni d'une procédure d'adhésion ni de l'exploitation de son fonds de commerce sous l'enseigne Groupe 20 comme exigé par ses propres statuts et par son règlement intérieur pour avoir la qualité de membre coopérateur. Elle ajoute qu'elle n'a ni sollicité ni bénéficié des services prodigués par la coopérative à ses membres coopérateurs, qu'elle n'a jamais proposé de marchandises correspondant aux concepts de l'enseigne, ni procédé à des aménagement spécifiques relatifs à la couleur et à la signalétique communes aux adhérents faisant l'identité de l'enseigne, mais ayant toujours exploité son fonds de commerce sous une enseigne indépendante et personnalisée. La société Ambrethan relève en outre que selon les dispositions de l'article 13-2 des statuts, l'affiliation à l'enseigne Monoprix ne caractérise ni une faute ni un retrait, et si ces statuts lui étaient opposables, elle n'a pas manifesté une volonté non équivoque de retrait par une notification écrite et la société Groupe 20 n'a pas procédé au remboursement de ses apports. En toute hypothèse, elle soutient que n'ayant bénéficié d'aucune prestation de la part de la société Groupe 20 et n'ayant pas exploité sous l'enseigne G20, la société Groupe 20 n'a subi aucun préjudice, étant observé que l'indemnité ne peut-être que la contrepartie compensatrice de redevance. Subsidiairement, elle demande la modération de cette clause pénale, excessive au regard de l'absence de préjudice lié à l'arrêt des approvisionnements et/ou du versement de redevances versées habituellement au Groupe 20. Elle soutient que la demande d'indemnisation du préjudice moral fait double emploi avec l'indemnité compensatrice de retrait.

La société Groupe 20 réplique pour l'essentiel que la société Ambrethan avait bien la qualité d'associé coopérateur et qu'elle en justifie par son inscription sur le registre de mouvement des titres, la reconnaissance de son dirigeant de sa qualité d'adhérent, du référencement du magasin sur le site internet G20, de la participation de la société Ambrethan à la vie sociale de la société Groupe 20 et de l'inscription du titre de la coopérative à l'actif de son bilan. La société Groupe 20 précise que les statuts de la société Groupe 20 ne prévoient pas la possibilité d'être un associé non coopérateur. Elle ajoute que la coopérative Groupe 20 n'est pas un réseau de franchise, que les services sont à la disposition des associés coopérateurs sans obligation d'y recourir ni versement de redevances en contrepartie de ces services et que la société Ambrethan a bénéficié pendant plus de 14 années des tarifs préférentiels négociés par la coopérative avec la société Diapar. Dans ces conditions, elle soutient que la société Ambrethan était tenue au respect de ses statuts et règlement intérieur en sa qualité d'associé coopérateur et que l'affiliation à Monoprix a marqué la fin de toute relation avec la coopérative Groupe 20 et le respect des modalités de retrait. Elle précise que l'indemnité prévue à l'article 14-3 des statuts n'a pas vocation à indemniser un préjudice subi par la coopérative mais à régler par avance les conséquences du non-respect par le coopérateur du délai de retrait. Elle sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a limité l'indemnité à la somme de 131 987 € HT calculée sur la base du dernier chiffre d'affaires connu. Elle estime que le montant de cette indemnité doit être de 142 685,95 € HT en se basant sur le chiffre d'affaires effectivement réalisé entre janvier et juin 2020 et communiqué en appel.

Elle réclame en outre la somme de 25 000 euros au titre d'un préjudice moral. Elle fait valoir que la société Ambrethan, en cessant brutalement d'être associé coopérateur G20 et en procédant dans la précipitation à un changement d'enseigne pour adopter l'enseigne Monoprix a manqué à ses obligations d'associé coopérateur qui en s'engageant dans une société coopérative adhère à des valeurs communes partagées par des commerçant indépendants s'associant en vue de défendre un intérêt collectif. Il est précisé que la déloyauté de la société Ambrethan a retenti non seulement sur la coopérative mais également sur ses coassociés et cause un préjudice moral à la société.

Réponse de la Cour,

* sur la qualité d'associé coopérateur adhérent de la société Ambrethan

Les pièces versées aux débats par la société Groupe 20 et non utilement contestées par la société Ambrethan, à savoir :

- les registres de mouvement de titres des années 2006 et 2020 (pièces n° 4 et 28)

- les convocations et ordre du jour des assemblées générales 2015 - 2016 et 2017 et registre de présence (pièces n°18 à 20, 27,29, 35 à 37)

- les versements de [D] (pièces n°21, 22, 38)

- les comptes annuels de la société Ambrethan de l'exercice 2017 (pièce n°26)

- les opérations de cession de parts en 2016 (pièce n°19-1, 19-2 et 24) permettent d'établir que cette dernière était bien porteuse de parts sociales de la société coopérative Groupe 20 depuis 2006.

Les statuts de la société Groupe 20 stipulent que :

Article 6 -Associés - "Les membres de la société, propriétaires de parts, sont de façon exclusive des personnes physiques ou morales exerçant l'activité de commerçant détaillant, soit spécialisés en alimentation, soit exploitant un ou plusieurs magasins à rayons multiples et immatriculées à ce titre au bénéficie de commerce et de sociétés et le cas échéant au répertoire des métiers.

(...) Chaque membre de la société est tenu de souscrire au moins une part de capital au moment de son adhésion"

Article 11 -Droits et Obligations attachés aux parts - "la propriété d'une part comporte de plein droit adhésion aux statuts de la société et aux décisions de l'Assemblée Générale".

Article 13.1 - Admission - "toute personne physique ou morale remplissant les conditions fixées par l'article 6 des statuts, peut devenir associée à la condition d'être agrée par le conseil d'administration statuant aux conditions de la majorité ordinaire et de satisfaire aux conditions de souscription et de libération des parts fixées par le Conseil d'Administration dans les limites autorisées par l'Assemblée des associés.

(...) Par le seul fait de son admission, et comme condition déterminante de celle-ci, chaque associé s'engage à respecter les statuts, le règlement intérieur de la société coopérative ainsi que les décisions des assemblées générales et du conseil d'administration."

De ces dispositions, il ressort que dès lors que la société Ambrethan était porteuse de parts de la société Groupe 20, elle avait nécessairement fait l'objet de la procédure d'admission de l'article 13.1 et avait de plein droit la qualité de membre adhérent aux statuts. Ces mêmes statuts ne prévoient pas d'autre qualité que celle d'associé adhérent. D'ailleurs dans un courrier du 29 mai 2008 (pièce G20 n° 30), M. [V] représentant la société Ambrethan, a confirmé sa qualité d'adhérant au Groupe G20.

En outre, il ne résulte ni des statuts ni du règlement intérieur (article 7) une obligation pour l'adhérent d'exploiter le fonds de commerce sous l'enseigne G20, étant observé que l'utilisation de l'enseigne était soumise à l'accord du conseil d'administration.

En sa qualité d'associé adhérent, la société Ambrethan pouvait bénéficier des services proposés par la société coopérative sans autre condition que celle d'être associé adhérent. Ainsi, la société Groupe 20 justifie que le supermarché de la société Ambrethan était répertorié sur son site internet G20 (pièce n°17) et affirme sans être contredite que cette dernière a bénéficié pour son approvisionnement de marchandises pendant plus de 14 années des tarifs préférentiels négociés par le réseau auprès de la société Diapar.

* sur le retrait de la société Ambrethan

Sur le droit de retrait, les statuts disposent que :

L'article 13.2 - Retrait- : "Tout associé a le droit de se retirer à tout moment de l'exercice social moyennant le respect d'un préavis de six mois à compter du jour de la réception de sa démission par lettre recommandée avec avis de réception adressée au Président du Conseil d'Administration, toutefois, seuls les associés présents au 31 décembre de chaque année pourront prétendre aux ristournes et boni visés à l'article 24-4° des présents statuts au titre de l'exercice considéré."

De ces dispositions, il ressort que la seule formalité pour le retrait est un préavis de 6 mois calculé et établi à compter de l'envoi en lettre recommandée d'une lettre de démission, celle-ci n'étant cependant pas nécessaire pour formaliser le retrait en lui-même.

La société Ambrethan ne conteste pas avoir cessé toute commande de marchandise à la société Diapar à compter de juillet 2020 ni s'être affiliée au réseau Monoprix tel que constaté par le constat d'huissier établi le 6 août 2020 par la société Groupe 20.

Aussi, la cessation de toute commande auprès de la société Diapar et le passage de la société Ambrethan sous contrat de franchise Monoprix, ont matérialisé sans conteste le retrait de la société Ambrethan de la coopérative G20.

Dès lors que la société Ambrethan n'a informé d'aucune manière la société Groupe 20 de son intention de se retirer de la société coopérative, elle n'a pas respecté le délai de préavis de 6 mois.

* sur le paiement de l'indemnité statutaire

Sur les conséquences du non-respect des modalités du retrait, l'article 14-3 dispose que :

"L'adhérent se retirant sans respecter les modalités prévues aux présents statuts perd ses droits sur les ristournes obtenues par la centrale d'achat ainsi que sur les bonis sur la répartition desquels il n'aurait pas été statué à la date de son départ. Il sera en outre redevable envers la société d'une indemnité forfaitaire, sans préjudice de tous autres dommages-intérêts ou de toute autre indemnité prévue par ailleurs au règlement intérieur ou aux statuts, égale à cinq pour cent du chiffre d'affaires HT réalisé sur le point de vente au cours des six derniers mois.

L'adhérent s'engage à fournir lors de son départ une attestation de son expert-comptable faisant apparaître le chiffre d'affaires HT des 6 derniers mois d'activité sous enseigne G20 permettant le calcul de l'indemnité forfaitaire.

A défaut, le chiffre d'affaires pris en considération sera celui figurant ligne FL du formulaire CERFA n°2052 correspondant au compte de résultat du dernier exercice comptable portant sur 12 mois du point de vente concerné pris pour moitié."

Il ne peut être déduit de ces dispositions que l'indemnité n'est due uniquement pour les points de vente sous enseigne G20, mais que celle-ci est calculée sur le chiffre d'affaires réalisé par le point de vente au cours des six derniers mois de son appartenance à la coopérative G20.

Dès lors, la société Ambrethan est tenue au paiement de l'indemnité prévue à l'article 14-3 des statuts pour ne pas avoir respecté le délai de préavis de 6 mois pour se retirer de la coopérative à laquelle elle appartenait, peu important le fait de ne pas avoir adopté l'enseigne G20 pour l'exploitation du fonds.

Le passage de la société Ambrethan de la coopérative G20 au réseau de franchise Monoprix n'est daté que par le seul constat d'huissier du 6 août 2020. Aussi, il y a lieu de retenir comme assiette de calcul de l'indemnité le chiffre d'affaires réalisé par la société Ambrethan de février à juillet 2020, soit 2 134 285,89 euros HT (pièce Ambrethan n°13). Le montant de l'indemnité s'élève donc à la somme de 106 714, 29 euros (2 134 285,89 € x 5%).

La société Ambrethan soutient que cette indemnité est une clause pénale manifestement excessive qu'il convient de réduire à 1 euros.

La clause prévue à l'article 14-3 en ce qu'elle évalue forfaitairement et d'avance l'indemnité à laquelle donnera lieu le non-respect des modalités de retrait d'un associé prévues par les statuts constitue une clause pénale au sens des dispositions de l'article 1152 ancien du code civil (devenu 1231-5) que le juge peut modérer si elle est manifestement excessive selon les mêmes dispositions.

Contrairement à ce qu'invoque la société Ambrethan, il ne ressort pas des statuts ou du règlement intérieur que cette clause pénale vise à compenser un préjudice lié à l'arrêt des approvisionnements et/ou la perte des redevances causés par le retrait de l'associé, dès lors que la société coopérative n'est pas directement concernée par les approvisionnements et qu'aucune redevance n'est prévue dans le fonctionnement de la coopérative.

De la lecture des statuts, il ressort que l'associé est libre de se retirer à tout moment sans avoir à verser de contrepartie financière. L'indemnité statutaire litigieuse n'est stipulée qu'en cas de non-respect des modalités de retrait, en l'occurrence le délai de préavis, destiné à préserver l'esprit coopératif. En ce sens, la société Ambrethan ne démontre pas en quoi le montant de l'indemnité serait manifestement excessif.

En conséquence, la société Ambrethan sera condamnée à verser à la société Groupe 20 la somme de 106 714,29 euros à titre d'indemnité statutaire. Le jugement sera infirmé sur le montant de celle-ci.

* sur la demande de préjudice moral

La société Groupe 20 ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé au titre de l'indemnité statutaire. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Groupe 20 de sa demande ce chef de préjudice.

Sur la demande indemnitaire de la société Diapar

Exposé des moyens des parties

La société Ambrethan fait principalement valoir que les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce ne sont pas applicables dès lors que d'une part aucun contrat ni lien d'exclusivité n'encadrait la relation d'approvisionnement que d'autre part la société Diapar ne peut solliciter une indemnisation alors qu'elle n'a pas respecté le cadre légal posé par les articles L. 441-3 et L. 441-5 du code de commerce applicables à la relation entre les parties.

Elle soutient en outre que la rupture ne lui est pas imputable dès lors que la société Diapar ne l'a pas interrogée sur ses intentions de poursuivre la relation commerciale d'approvisionnement comme lui permettait son affiliation au groupe Monoprix mais a au contraire coupé immédiatement tous ses accès informatiques et procédé à sa radiation, en sorte que la rupture brutale de la relation d'approvisionnement est imputable à la société Diapar. Elle sollicite en conséquence à son profit le paiement de la même somme de 71 511 euros à titre d'indemnité. Subsidiairement, elle estime que le préavis escompté par la société Diapar ne pouvait dépasser un mois au regard de la très faible part de chiffre d'affaires réalisée auprès de la société Ambrethan (0,25%).

La société Diapar réplique pour l'essentiel que les dispositions des articles L. 441-3 et L. 441-5 du code de commerce ne sont pas applicables à la relation commerciale entre les parties qui ne concerne pas un accord d'achat entre fournisseur et centrale d'achat lors des négociations annuelles obligatoires. Elle soutient ensuite que l'application des dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce n'est pas subordonnée à l'existence d'un contrat écrit entre les parties ou d'un lien d'exclusivité. Elle relève que les parties ont entretenu une relation commerciale continue et établie pendant près de 14 années au sens des dispositions précitées et que la cessation de toute commande de la part de la société Ambrethan à compter de juin 2020 constitue une rupture brutale de cette relation, étant observé que cette dernière dans son courrier du 15 septembre 2020 a manifesté un total désintérêt à la poursuite de la relation commerciale. Au regard de l'ancienneté de la relation, elle estime qu'elle devait pouvoir bénéficier d'un préavis de rupture d'une année et calcule son préjudice à partir d'une marge brute de 11,41%.

Réponse de la Cour,

L'article L. 442-1 II du code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

Les conditions d'application de l'article L. 442-1 II sont indépendantes du formalisme contractuel prescrits par les articles L. 441-3 et suivants du code de commerce.

* sur le caractère établi de la relation

La notion de relation commerciale établie suppose, même en l'absence de convention écrite, l'existence d'une relation d'affaires qui s'inscrit dans la durée, la continuité et avec une certaine intensité, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour un avenir, même bref, une certaine pérennité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Il n'est pas sérieusement contesté que la société Ambrethan s'est approvisionnée auprès de la société Diapar pour l'exploitation de son fonds de commerce pendant près de 14 années à hauteur de 20 à 30 % de ses achats, caractérisant ainsi au sens des dispositions précités une relation commerciale établie sans qu'il soit nécessaire que cette relation soit encadrée par un contrat écrit ou une relation d'exclusivité.

* sur la brutalité de la rupture

Il n'est pas contesté qu'après le mois de juin 2020 la société Ambrethan n'a plus effectué aucune commande auprès de la société Diapar.

En réponse au courrier de la société Diapar du 2 septembre 2020 faisant le constat d'une rupture brutale de la relation commerciale, la société Ambrethan a répondu par lettre du 15 septembre 2020 en ces termes :

"Nous ne comprenons pas le sens de vos demandes.

Nous sommes libres de faire le choix de tel ou tel fournisseur.

A notre connaissance, nous ne sommes liés à aucun contrat d'approvisionnement avec la société Diapar, qui depuis les difficultés rencontrées n'a pas été d'une grande aide bien au contraire."

Aux termes de ce courrier, la société Ambrethan n'a pas indiqué qu'elle entendait poursuivre la relation avec Diapar comme le lui permettait les conditions de son contrat de franchise sous enseigne Monoprix, comme évoqué dans ses écritures.

Aussi, la société Diapar a pu prendre acte de la rupture brutale de la relation commerciale, à savoir sans préavis et prendre les mesures consécutives de radiation de son client de ses fichiers.

* sur le délai de préavis nécessaire

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Si la relation commerciale a duré plus de 14 années, la part du chiffre d'affaires réalisé avec la société Ambrethan correspond à moins de 1 % du chiffre d'affaires global de la société Diapar, en sorte qu'une durée de préavis limitée à 4 mois est nécessaire mais suffisante pour permettre au partenaire évincé de se réorganiser.

* sur le calcul du préjudice

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privé sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

Au regard de la faible part de chiffre d'affaires réalisé avec la société Ambrethan, il y a lieu de retenir la marge commerciale telle qu'elle ressort des soldes intermédiaires de gestion des exercices 2018 et 2019 à 11,41 % (pièce 16), la société Diapar n'ayant pas de coût évité avec la très faible baisse d'activité que représente la perte de son client.

Le chiffre d'affaires réalisé avec la société Ambrethan n'est donné que pour :

- juillet 2019 à décembre 2019 : 660 080 € HT

- janvier 2020 à juin 2020 : 593 408 € HT

soit un chiffre d'affaires annuel de 1 253 488 € HT et une marge annuelle de 143 023 euros.

Aucun autre élément n'est donné par les parties pour calculer une moyenne à partir des trois exercices précédant la rupture.

En l'état le préjudice est évalué à 47 674,33 euros (143 023/12 x 4).

La société Ambrethan sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts et sera condamnée à verser à la société Diapar la somme de 47 674,33 euros. Le jugement sera infirmé sur le montant de celle-ci.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Ambrethan aux dépens de première instance et à payer à chacune des sociétés Groupe 20 et Diapar la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Ambrethan, succombant partiellement en son appel, sera condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Ambrethan sera déboutée de sa demande et condamnée à payer aux sociétés Groupe 20 et Diapar chacune la somme de 4000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour sauf en ce qu'il a condamné la société Ambrethan à payer à la société Groupe 20 la somme de 131 987 euros à titre d'indemnité compensatrice de retrait et à la société Distribution Alimentaire Parisienne la somme de 71 511 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale.

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Ambrethan à verser à la société Groupe 20 la somme de 106 714, 29 euros au titre de l'indemnité statutaire pour non-respect des modalités de retrait ;

Condamne la société Ambrethan à verser à la société Distribution Alimentaire Parisienne la somme de 47 674,33 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale ;

Condamne la société Ambrethan aux dépens qui seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société Ambrethan à payer à la société Groupe 20 la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Ambrethan à payer à la société Distribution Alimentaire Parisienne la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;