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Décisions

Cass. 3e civ., 21 novembre 1990, n° 89-12.698

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Senselme

Rapporteur :

M. Gautier

Avocat général :

M. Sodini

Avocat :

SCP Desaché et Gatineau

Paris, du 6 janv. 1989

6 janvier 1989

Sur les trois moyens réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 janvier 1989), que la société civile immobilière (SCI) Sentier Saint-Fiacre, propriétaire de locaux à usage commercial, les a donnés en location par deux baux du 31 décembre 1977, qui ont été cédés les 4 et 22 mars 1982 à la société Jean-Jacques A... ; que celle-ci, qui exploitait dans ces locaux un fonds de commerce de confection, fabrication et négoce de vêtements, a, par acte du 20 juin 1985, déclaré le vendre à la société Margot et Jean-Jacques A... ; qu'en visant la clause résolutoire contractuelle, la SCI Sentier Saint-Fiacre a sommé la société Jean-Jacques A... de renoncer à cet acte et d'exploiter personnellement le fonds ; que cette société et la société cessionnaire ont demandé que l'acte soit déclaré valable et opposable à la société bailleresse ; que celle-ci a formé une demande reconventionnelle en résiliation des baux ;

Attendu que la société Margot et Jean-Jacques A... fait grief à l'arrêt d'avoir dit que les baux étaient résiliés, alors, selon le moyen, 1°) que la seule cessation momentanée de l'activité exercée dans le fonds est impuissante à faire disparaître la clientèle qui y est attachée, celle-ci ne pouvant disparaître que par suite d'une longue interruption de cette activité ou de l'impossibilité d'en poursuivre l'exercice dans les lieux ; qu'en l'espèce, la société Margot et Jean-Jacques A... faisait valoir dans ses conclusions que la société cédante, malgré la liquidation amiable dont elle avait fait l'objet, avait

encore réalisé à la veille de la cession un chiffre d'affaires de 3 032 000,82 francs, de sorte qu'au jour de la cession et nonobstant la cessation de son activité à cette date, celle-ci bénéficiait incontestablement d'une clientèle attachée à son fonds, qu'elle était en droit de céder à la société Margot Jean-Jacques A..., laquelle allait exercer dans les lieux, et sous la même enseigne, la même activité commerciale, comme la cour d'appel l'a elle-même constaté ; qu'en refusant de rechercher si abstraction faite de la cessation de l'activité à la seule date de la cession ou du prix de celle-ci, éléments en l'espèce inopérants pour rechercher la qualification de l'acte, la société cédante ne bénéficiait pas d'une clientèle attachée à son fonds au jour de la cession, et qu'elle était dès lors en droit de céder, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des dispositions du décret du 30 septembre 1953 ; 2°) qu'en toute hypothèse sauf stipulation contractuelle contraire, le droit au bail peut être librement cédé par le locataire ; qu'en l'espèce, il résultait des seules stipulations restrictives du droit au bail énoncées dans la convention conclue entre la société Sentier Saint-Fiacre et sa locataire et expressément citées par la cour d'appel, "que le preneur ne peut céder ni apporter en société ses droits au présent bail, ... si ce n'est après avoir obtenu l'autorisation expresse et par écrit du bailleur, à l'acquéreur de son fonds de commerce" ; que par suite, et à défaut d'interdiction formelle de céder le droit au bail indépendamment du fonds, une telle cession ne pouvait être considérée comme faisant l'objet d'une interdiction absolue mais était seulement soumise au respect de la clause d'agrément susvisée ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1134 du Code civil et de l'article 35-I du décret du 30 septembre 1953 ; 3°) que le non respect d'une clause d'agrément à la cession du bail ne peut être utilement invoqué par le bailleur qu'autant que celui-ci démontre qu'il avait des motifs légitimes pour s'opposer à cette cession, motifs qu'il appartient aux tribunaux de contrôler ; qu'en l'espèce, les premiers juges, dont la société Margot et Jean-Jacques A... demandait confirmation de la décision sur ce point, avaient écarté l'irrégularité de la cession litigieuse et la résiliation du bail, en constatant que la société Sentier Saint-Fiacre n'avait aucun motif légitime pour s'opposer à cette cession ; qu'en refusant de reconnaître la validité de la cession

litigieuse au seul motif que l'accord du bailleur n'avait pas été sollicité, sans même rechercher si celui-ci alléguait des motifs légitimes pour s'opposer à cette cession, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des dispositions de l'article 35-I du décret du 30 septembre 1953 ; 4°) que le bailleur ne saurait invoquer l'irrégularité de la cession du bail ou son interdiction absolue au regard des stipulations contractuelles, lorsqu'il a lui-même accompli des actes positifs manifestant de manière non équivoque son intention de renoncer à s'en prévaloir ; qu'en l'espèce, la société Margot et Jean-Jacques A... faisait valoir dans ses conclusions que le 10 novembre 1987, la société Sentier Saint-Fiacre lui avait elle-même adressé une sommation d'avoir à payer un arriéré de loyers d'un montant de 142 159,62 francs, ladite sommation visant et reproduisant la clause résolutoire insérée au bail, ce dont il ressortait à l'évidence que celle-ci avait alors renoncé à se prévaloir des prétendus manquements de la société Jean-Jacques A... à ses obligations contractuelles, qu'en omettant de s'expliquer sur ce chef péremptoire des conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; Mais attendu qu'ayant relevé qu'à la date de l'acte du 20 juin 1985, le fonds de commerce n'avait plus aucune activité et que le prix de cession convenu ne recouvrait que la valeur du droit au bail, ce dont il résultait qu'il n'existait aucune clientèle dont la valeur aurait pu être prise en considération, la cour d'appel, qui en a déduit que les baux avaient été cédés indépendamment du fonds de commerce, et qui a exactement retenu qu'une telle cession était interdite par les stipulations contractuelles, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.