Cass. com., 22 novembre 2023, n° 22-18.795
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Vallansan
Avocat général :
Mme Henry
Avocats :
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Bouzidi et Bouhanna
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 avril 2022) et les productions, le 3 février 2016, à la demande de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Rhône Alpes (la banque), qui avait obtenu la condamnation de Mme [I] à lui payer le solde de deux prêts immobiliers consentis le 13 juillet 2010, un tribunal a ordonné la licitation-partage d'un immeuble dont elle détenait 99% de l'indivision sur le fondement de l'article 815-17 du code civil et a ordonné une mesure d'expertise pour évaluer la valeur de l'immeuble.
2. Les 2 mai et 25 juillet 2016, Mme [I], qui exploitait un fonds de commerce, a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, M. [U] étant désigné mandataire judiciaire puis liquidateur.
3. Après dépôt du rapport d'expertise, le liquidateur s'est associé à la demande de reprise de l'instance en licitation-partage et a demandé l'attribution du prix d'adjudication à concurrence de 99%.
4. La banque s'est opposée à la demande en soutenant que l'immeuble constituant la résidence principale de Mme [I], il était insaisissable par l'application de l'article L. 526-1 du code de commerce.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de déclarer insaisissable le bien indivis et de rejeter sa demande d'attribution à hauteur de 99% du prix d'adjudication, alors « que, par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil, les droits d'une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de la personne ; qu'il incombe à qui se prévaut de cette insaisissabilité de démontrer que les conditions en sont remplies et, spécialement, que le bien en cause constituait réellement la résidence principale du débiteur ; que la cour d'appel a retenu que le [Adresse 4] constituait la résidence principale de Mme [I] au motif que le liquidateur ne démontrait pas que le [Adresse 6] constituât la résidence principale de la débitrice ; qu'en faisant ainsi peser la charge de la preuve, permettant de déterminer la résidence principale de Mme [I], sur le liquidateur, partie se prévalant du principe de l'unité du patrimoine du débiteur, droit de gage général des créanciers, et non pas sur la banque, partie se prévalant de l'exception à ce principe, tenant à l'insaisissabilité de la résidence principale du débiteur par ses créanciers au titre de dettes professionnelles, la cour d'appel a violé l'article 1315 ancien du Code civil, devenu l'article 1353 nouveau de ce Code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 526-1 du code de commerce, et 1315, devenu 1353, du code civil :
6. Il résulte de la combinaison de ces textes que celui qui se prévaut des dispositions du premier pour soustraire du droit de gage général des créanciers de la procédure collective d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante un immeuble appartenant à celle-ci doit rapporter la preuve qu'à la date d'ouverture de cette procédure, cet immeuble constituait sa résidence principale et n'était donc pas entré dans le gage commun des créanciers.
7. Pour rejeter la demande du liquidateur d'attribution du prix, l'arrêt, après avoir énoncé que le liquidateur avait intérêt à démontrer que le bien immobilier, appartenant à la débitrice, est saisissable, de façon à pouvoir l'appréhender au profit de la communauté des créanciers de la débitrice et non pas seulement de la banque, retient que les éléments apportés par le liquidateur ne suffisent pas à apporter cette preuve.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'action de M. [U], en qualité de liquidateur de Mme [I], dit qu'il a intérêt à agir et déclare son appel recevable, l'arrêt rendu le 12 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.